La fête était plutôt animée ce soir-là. Le propriétaire avait eu la très bonne idée d'inviter tous ses amis pour fêter le nouvel an chez lui. Un appartement dans un style assez moderne, tres blanc, tres épuré, tres lumineux, dépourvu de toute personnalité.

À vrai dire je ne me sentais pas vraiment à l'aise car je ne connaissais pas grand monde. C'est Julien qui m'avait proposé d'organiser cette soirée et, évidemment, c'est lui qui s'était occupé d'envoyer les invitations.

En parlant de lui, il était accoudé au comptoir du bar en marbre en train de discuter avec une rousse qu'évidemment je n'avais jamais vu. Les cheveux noir de jaie de Julien contrastait étrangement avec ses iris d'un rouge éclatant comme le sang, j'avais toujours trouvé qu'il avait un beau visage, son teint pâle faisant encore plus ressortir la couleur de ses yeux et de ses cheveux.

Alors qu'il discutait avec la jeune femme, il m'aperçus et, d'un signe de la tête, m'invita à les rejoindre. En voyant son invitation je lui fit d'abord part de mon refus en secouant légèrement la tête mais, insistant comme il est, je finis par les rejoindre.

La jeune femme avec lui s'appelait Rose, de ce que j'ai compris à leur discussion, elle est musicienne. Étrangement sa compagnie avait quelque chose d'apaisant et, en même temps, sa joie de vivre avait quelque chose de communicatif.

Rapidement la discussion a attiré d'autres personnes que je ne connaissais pas. D'abord une, puis deux, trois et bientôt dix, c'était devenu un grand débat assez amusant à vrai dire, j'avais l'impression de vraiment sociabiliser.

Alors que je commençais à discuter avec un parfait inconnu, je senti une main se poser sur mon épaule. Après un léger sursaut je me suis retourner et me suis trouvé face à une jeune femme au long cheveux blanc et au yeux ayant la couleur d'un nuage pluvieux. Il s'agissait de Prodosia, je ne saurais plus vraiment dire depuis quand on se connaît mais j'ai l'impression qu'on a toujours vécu ensemble. C'est probablement la personne avec qui je passe le plus de temps.

Comme à son habitude elle avait passé la soirée isolée dans son coin, le plus souvent près du comptoir, à manger et à scroller sur l'écran de son téléphone. J'étais assez surpris qu'elle vienne me voir alors que j'étais en pleine discussion avec des gens, des inconnus qui plus est.

Dans son regard je pouvais voir qu'elle avait l'air perdu, elle ne sentait pas bien ici et, sans même nous parler, je compris qu'elle voulait prendre l'air. Je lui sourit d'un air entendu et quitta la discussion sans plus de formalité que ça.

Une fois dehors, loin de l'agitation provoquée par la soirée à l'intérieur, je vis son visage s'éclairer. Elle me regarda, me sourit, et posa sa tête sur mon épaule.

À ce moment de la soirée, il était déjà tard et le ciel était parsemé d'étoiles. Je ne saurais pas vraiment vous dire combien de temps dure cette pause, le silence qui nous entourait semblait nous avoir coupé de tout repère. Juste moi, elle, et le ciel noir parsemé de paillettes d'or.

Profitant de ce souffle, nous nous sommes amusés à suivre la course de la lune dans le ciel où tout simplement à regarder les papillons de nuit virevoltent autour des quelques lampes éclairant mon petit jardin.

À travers la fenêtre entrouverte, nous pouvions entendre Julien racontait pour la énième fois un moment de sa vie où il avait fait quelque chose d'incroyable, il adorait être le centre de l'attention et son ego était… encombrant disons. Après, il serait hypocrite pour moi de critiquer cela connaissant mon caractère.

Rose quant à elle était en train de chanter avec d'autres personnes, ne se souciant aucunement de ce que les autres pensaient d'elle. Elle rigolait, dansait, elle profitait juste de la soirée. Ça faisait plaisir à voir qu'une personne soit aussi joyeuse.

Alors que nous étions toujours dehors, Prodosia et moi, nous avons entendu tout le monde crier "Bonne année !" et tout sembla s'accélérer d'un coup.

En quelques instants, l'entièreté des invités s'est volatilisée et il ne restait plus que quatres personnes, Rose, Julien, Prodosia et moi.

Julien me regardait de loin, les bras croisés devant son torse, je sentais qu'il nous jugeait Prodosia et moi, son regard avait quelque chose de pesant.

Rose au contraire, avait gardé son immense sourire, elle s'approcha de nous et me tendit la main, comme pour m'inviter à monter sur la piste de danse avec elle.

Je sais que j'ai fait le mauvais choix à ce moment-là. Peut être que la fête aurait pu reprendre, peut être que le lourd silence aurait pu laisser place aux chants et aux cris de joie, peut être même que j'aurais pu finir ma discussion du début de soirée. Mais ça je ne le saurais jamais, la présence de Prodosia avait quelque chose de réconfortant et je ne voulais pas partir, j'ai donc refusé l'invitation de Rose. Je vis son visage se fermer et son regard s'éteindre.

Ce fut la première de nous quatre à quitter la soirée, enfin ce qu'il en restait.

Ce fut au tour de Julien de s'approcher, son regard jugeur avait laissé place à un certain dépit mélangé à de la tristesse. Pas vraiment de déception car il avait l'habitude mais presque.

Il n'avait pas besoin de parler pour que je sache ce qu'il allait dire. "Tu aurais pu passer la soirée avec nous au lieu de rester dehors avec elle". Je senti dans le "elle" quelque chose qui n'était pas du dégoût mais plutôt une espèce d'amertume, il aurait préféré que je sois avec lui, à raconter mes histoires dont j'ai le secret où mes blagues que seul moi oserait faire.

Encore fois, j'aurais pu m'excuser, lui dire que ça ne se reproduirait pas, que j'étais fatigué, chercher une excuse en fait. Mais nous savions tous deux que si j'étais avec Prodosia c'est parce que c'était toujours plus facile avec elle.

Il me regarda un instant, l'air de dire, c'est toujours avec elle que tu finis la soirée de toute façon, et il s'évanouit dans la nuit. Nous n'étions plus que deux, et le silence qui précédemment m'apaisait créait maintenant une tension palpable.

Prodosia se redressa avant de se lever. Alors que je m'apprêtais à me lever pour finir la soirée avec elle, elle me repoussa, me forçant à rester assis. Son visage était dur et ses yeux ne laissaient transparaître aucune émotion. Elle laissa le silence durer un instant avant de prendre la parole :

"Tu sais très bien qui je suis… Tu as voulu passer la soirée avec moi, très bien, c'est ton choix. Tu as préféré ta zone de confort à la socialisation, d'accord, tu peux. Mais tu savais qu'en faisant ça, tu finirai la soirée seul, comme à chaque fois"

J'aurais voulu rétorquer quelque chose, lui dire que ce n'était pas juste, qu'elle ne pouvait pas me lâcher au moment où j'avais le plus besoin de compagnie, que c'était égoïste de sa part. Mais je n'avais ni le temps ni l'envie de lui dire ça car elle reprit juste après.

"Julien à tord, tu ne finit jamais la soirée avec moi, tu la fini toujours avec toi"

Pour la troisième fois, quelqu'un quitta la soirée, silencieuse comme la nuit.

C'était prévisible… Comme d'habitude, j'ai préféré suivre Prodosia. J'aurais pu laisser ressortir mon côté extraverti, comme Julien me l'a dit. J'aurais juste pu m'amuser, comme Rose. Mais encore une fois c'est mon côté introverti et solitaire qui m'a mit la main dessus. Pourquoi avoir plusieurs traits de caractère si c'est toujours le même qui prend le dessus ?

Et puis qui dois-je vraiment blâmer ? Les personnages que je m'invente pour représenter mes différentes facettes ou bien moi ? Car au fond en les critiquant c'est moi-même que je remet en question…

Alors que j'étais perdu dans mes pensées, quelqu'un toqua à la porte. Je me suis levé, j'ai saisi la poignée et j'ai ouvert la porte d'entrée. Une femme en costume, les cheveux brun coupés au carré, m'attendais derrière la porte. Je voulu lui claquer la porte au nez mais elle glissa son pied dans l'entrebâillement de la porte avant que je n'ai le temps et dit d'un ton mielleux.

"Bonjour, je suis Angoisse, nous allons passer la soirée ensemble."