(par Sayanel)(Thème : Un autre point de vue)
Elle se pensait finie, mais attendait dans l’éther. Elle avait passé le chien, la rivière, les dieux, et vivait désormais comme une ombre.
Une ombre à la patience infinie. Une ombre dont l’amour, coupé dans son élan par la jalousie d’une autre, était prête à tout.
Elle l’attendrait, aussi longtemps que nécessaire. L’éternité serait pour eux. Quand le moment serait venu.
Lorsqu’il passerait à son tour le chien, la rivière, et les dieux, elle le guetterait. Dans la foule des âmes, nulle part sa trace, mais toujours elle serait là .
Comme une détresse au loin que l’on perçoit au milieu des autres, elle reconnut entre tous son chant. Un chant de larmes, dévasté, rauque et mélodieux, aux détours envolés d’élégie.
Un chant qui transperce de part en part.
Qui pouvait traverser le chien, la rivière, et les dieux.
Un chant pour elle. À jamais.
Elle répondit à l’appel, elle se glissa, ombre parmi les ombres, épouse entre toutes, vers cette lyre portée de tant de désespoir, et d’autant d’espoir, vase de toutes les émotions qui pouvaient traverser la vie d’un mort.
Elle se dirigea vers le chien, la rivière et les dieux, qui leur offraient une ultime chance, une ultime porte.
Lorsqu’il s’engagea sur le chemin si long, elle le suivit. Elle regardait son dos, comme une caresse d’un amour retrouvé.
Lorsqu’il repassa au-delà du chien, de la rivière, et des dieux, elle le suivit. La liberté si proche.
Les vallées verdoyantes craquelaient sous ses pas, délicate prise sur la vie. Les couleurs revenaient sur son visage, comme fantôme des émotions qu’elle pourrait à nouveau vivre. Elle n’en avait cure, son amour devant, comme une boule de bonheur, de chaleur qui l’embrasait tout entière.
Au détour du sinueux chemin, à la croisée des destins, elle le sentit frémir.
Curiosité ? Panique qu’elle ne le suive pas ? Amour fou ?
Il se retourna.
Instantanément elle se sentit disparaître, une seconde fois.
Juste le temps d’un regard, d’une promesse.
D’un amour sans rancoeur.
— Adieu.
Le vent l’emporta, loin derrière le chien, la rivière, et les dieux.