L'Académie de Lu





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Journée ordinaire


Une journée à la forteresse

(par Catablor)
(Thème : JournĂ©e ordinaire)



LĂ©niya commençait sa journĂ©e en se rĂ©veillant aux aurores. Comme disait son maitre, un bon soldat se lève tĂ´t et se couche tĂ´t !

Ou… ou pas. Malgré les rayons qui lui caressaient la joue, la jeune fille-loup persistait à rester au lit.

« Encore en train de dormir ? DĂ©pĂŞche-toi de te lever, tu vas ĂŞtre en retard Ă  l’entrainement ! » lui dit Pupia.

La jeune elfe, sourcils froncés, tira sur les draps de sa camarade.

« Mais il est trop tĂ´t ! C’est pas humain, de se lever Ă  des heures pareilles !

— Ça tombe bien, tu n’es pas une humaine, tu es une garache ! Allez, enfile ton armure, tu vas encore te faire passer un savon par Vartivar. »

La jeune fille rampa hors du lit en maugrĂ©ant ; elle mit une culotte grise et un maillot de corps, puis Pupia l’aida Ă  enfiler une armure d’écailles en acier et un pantalon en cuir rouge foncĂ©, percĂ© d’un trou pour qu’elle puisse faire passer sa queue de loup au travers.

Pendant que son amie lui faisait sa queue de cheval, elle se regardait dans le grand miroir de sa chambre : elle admira ses yeux verts pĂ©tillants, ses cheveux bruns soyeux, sa poitrine – plutĂ´t forte pour ses treize ans – et son port de cape altier.

« Y’a pas à dire, je suis vraiment mignonne, dit-elle sur un ton assuré.

— ArrĂŞte tes bĂŞtises et dĂ©pĂŞche-toi. On t’attend dans la cour.

— Et je n’ai pas encore mangĂ© !

— C’est de ta faute ! » lui rĂ©pliqua Pupia. Elle sortit de sa poche un petit pain Ă  la confiture et lui envoya. LĂ©niya se l’enfourna dans la bouche avant de chausser ses bottes cloutĂ©es.

« Merci ! Je te revaudrais ça !

— Si seulement tu pouvais te lever toute seule… »

LĂ©niya avala tout rond son petit dĂ©jeuner et se prĂ©cipita vers la porte : elle commençait vraiment Ă  ĂŞtre en retard.

« Qu’est-ce que tu fais ce matin ? demanda-t-elle Ă  Pupia avant de quitter la pièce. Tu vas Ă  la bibliothèque ?

— Non, ton père m’a promis de me montrer un nouveau grimoire avant que ses rendez-vous ne commencent. Je vais le rejoindre dans son bureau.

— Ce serait tellement bien si tu pouvais apprendre le sort de tĂ©lĂ©portation…

— C’est un arcane antique, ça ne sera pas facile… mais j’ai bien l’intention d’y arriver !

— Comme ça, tu pourrais me transporter de ma chambre Ă  la cour en un rien de temps.

— Pour ça, tu n’as qu’à apprendre Ă  te lever tĂ´t ! Bon, je vais y aller avant d’être en retard moi aussi !

— On se reverra avant midi pour le bain ! Ă€ toute ! »

Léniya claqua la porte et dévala les escaliers quatre à quatre.

Dans la cour de la forteresse, Vartivar attendait son élève. Elle était en retard, comme toujours. Le vieux Garache, appuyé sur une énorme épée, entortillait sa moustache autour de son index. Ses oreilles de loup, recouvertes de fourrure devenue grise, tournaient dans tous les sens, signe d’une certaine impatience. Les servantes et les soldats, quand ils croisaient son regard, accéléraient le pas, de peur de se faire sermonner à la place de Léniya.

« Tonton Varti, me voilĂ  ! » salua la jeune fille qui arrivait en courant. Vartivar se redressa tout en conservant un air sĂ©vère.

« Encore en retard, LĂ©niya ! Tu penses qu’on peut ĂŞtre cheffe de guerre en Ă©tant aussi dissipĂ©e ? Pour la peine, fais-moi trente fois le tour de la forteresse en courant ! Et je t’ai dĂ©jĂ  dit de m’appeler commandant Vartivar ! dit-il de sa voix grave.

— Aucun problème ! Après, on pratiquera l’escrime ou le lancer de javelot ?

— Umpf ! On verra sur le moment ! »

Elle lui fit un sourire et commença à courir.

Vartirvar s’assit sur son banc et poussa un soupir. À défaut de ponctualité Léniya ne manquait pas d’entrain.


***


Après avoir sué sang et eau, mais surtout eau, pendant son entrainement, Léniya filait au bain.

« Aaaah, ça fait du bien ! » s’exclama la jeune fille-loup en entrant dans le caldarium.

Les bains Ă©taient construits dans un sous-sol de la forteresse, et disposaient de tout le confort qu’on pouvait attendre des thermes akĂ©ens : bassins froids, tièdes, chauds, serviteurs offrant des soins corporels et salle de sport, ainsi qu’une bibliothèque dont le toit s’ouvrait vers l’extĂ©rieur.

Tout ce luxe plaisait beaucoup aux magiciennes de la Phalange d’Éther, et peu avant midi, le bain était plein à craquer. Léniya et Pupia, arrivée en retard, avaient eu du mal à se frayer un chemin entre les soldates elfes.

« Ah, LĂ©niya, arrĂŞte d’ébouriffer ta queue juste devant mon visage ! s’exclama Aphra, sergente de la Phalange aux cheveux roses et bleus, mage Ă©mĂ©rite mais aussi grosse chochotte.

— Roh, c’est bon ! Pourquoi vous ĂŞtes toutes aussi stressĂ©es ? » demanda LĂ©niya Ă  la volĂ©e de magiciennes elfes qui l’entouraient.

La plupart, recroquevillées sur elles-mêmes, regardaient la surface de l’eau avec des yeux mornes.

« Cet après-midi, ce n’est pas ton père, mais Médéa qui s’occupe de l’entrainement. »

Un long silence s’ensuivit. Léniya posa sa main sur l’épaule d’Aphra.

« Fais pas cette tête. Ça va aller.

— Tu… tu penses ? demanda la soldate.

— Bien sĂ»r. On ira fleurir vos tombes avec Pupia.

— Hiiiiii ! » s’exclama Aphra, terrorisĂ©e, alors que

Léniya riait aux éclats. L’adolescente turbulente reçut un coup sur le haut du crâne.

« Arrête de leur faire peur, tonna Pupia. Tu es la mieux placée pour savoir comment ça se passe, un

entrainement avec Médéa.

— Bah, c’est pas si pire que ça. Je survis bien aux entrainements avec Vartivar…

— Oui mais toi… tu es particulière… » rĂ©pondit Pupia en s’affaissant dans le bain.

Léniya s’appuya sur le bord du bassin et s’étira ses bras. Contrairement aux magiciennes, citadines peu portées sur le sport et plutôt potelées, elle avait un corps fin et musclé.

« On s’ennuie dernièrement ! On est dans une Ă©norme forteresse et rien ne se passe, dit-elle en bâillant.

— Tu veux dire que tu voudrais que la forteresse soit assiĂ©gĂ©e par nos ennemis ? »

Léniya resta pensive quelques instants, balançant sa tête de droite à gauche.

« Papa et Maman font tout pour éviter ça, ça n’arrivera pas.

— Alors quoi ?

— Je sais pas, quelque chose de plus… de plus excitant ! Mais pas trop. »

Pupia leva un sourcil. Elle ne voyait pas vraiment ce qui pourrait ĂŞtre excitant mais pas trop.

Le son d’une cloche résonna contre les murs du bain.

« C’est bientôt le tour des hommes. Et on devrait se dépêcher, la dernière fois on s’est fait disputer car on avait libéré le bain en retard. » dit Aphra en se levant.

Les elfes de la Phalange d’Éther commençaient elles aussi à quitter le bassin. Léniya fit de même, suivit de Pupia.

« Kyaaaaaah ! »

Le cri venait des vestiaires. C’était Aphra.

« Qu’est-ce qui se passe ? demanda LĂ©niya en accourant dans le plus simple appareil.

— Mes sous-vĂŞtements ont disparu ! s’exclama la soldate.

— Tu les auras encore mis dans le mauvais bac. » la calma Pupia.

L’elfette plongea sa main dans son panier de vĂŞtements ; ses habits y Ă©taient, mais… il manquait sa culotte.

« Je… moi aussi on a pris mes sous-vĂŞtements ! s’étrangla-t-elle alors qu’elle cherchait partout.

— Je ne trouve plus mon strophium ! s’exclama LĂ©niya qui blanchit d’un coup.

— Moi aussi ! dit une autre.

— Et moi ! »

On paniqua, on s’affola, on cria : c’étaient les dessous de tout le rĂ©giment qui venaient de se volatiliser.

Heureusement, elles se trouvaient des thermes militaires : on mit rapidement la main sur des uniformes neufs, stockĂ©s dans les vestiaires en cas d’urgences ; il y avait assez de sous-vĂŞtements standard pour tout le monde.

« C’est pas tout Ă  fait Ă  la bonne taille ! se plaignit LĂ©niya alors que sa poitrine faisait front pour se libĂ©rer de la bande qui la compressait.

— Ça te suffira pour que tu ailles te changer sans te faire remarquer ! » dit Aphra en serrant les dents.

Les bras croisés, les sourcils froncés, Pupia mit ses mains sur ses hanches et pointa le régiment du doigt.

« Les filles, nous avons un gros problème. Un voleur de sous-vĂŞtements sĂ©vit dans la forteresse, et nous sommes Ă  sa merci. Il faut le trouver avant qu’il ne fasse pire !

— Je ne suis pas sĂ»r qu’il puisse faire pire, puisqu’il vient de voler une centaine de culottes usagĂ©es ! remarqua LĂ©niya.

— Berk, quel pervers ! Qu’est-ce qu’il va faire de tout ça ?! s’exclama une soldate.

— Bah, c’est probablement un garçon. Il va les renifler…

— Ou les porter sur sa tĂŞte ! » abonda Aphra, qui pensait apporter une information importante au dĂ©bat.

Léniya serra ses poings.

« Bon, on va pas faire trainer l’affaire ! Je vais aller voir mon père tout de suite, et on sera fixĂ© !

— Euh… on doit vraiment dĂ©ranger le margrave pour cette histoire ? S’il lance une enquĂŞte, on va encore nous dire qu’on gaspille des ressources ! dit Aphra.

— De quelle enquĂŞte tu parles ? Je vais juste lui demander de nous rendre nos sous-vĂŞtements !

— Parce que tu penses que c’est ton père qui les a volĂ©s ?! s’exclama Aphra.

— Ce serait bien son genre !

— Peut-ĂŞtre, mais… mais non enfin ! Le margrave est volage, mais ce n’est pas un pervers ! Et puis, dans le tas, je te rappelle qu’il y avait aussi les tiens, de sous-vĂŞtements ! Je ne pense pas que ça l’intĂ©resse de te les voler !

— Mouais, t’as raison, mauvaise piste. Il aurait pu me les demander directement… »

Pupia s’avança et frappa sa camarade sur le haut du crâne.

« Un peu de sĂ©rieux. Bien Ă©videmment que ce n’est pas ton père. Et arrĂŞte d’en parler comme si c’était un pervers !

— C’est pourtant pas loin de la rĂ©alitĂ© ! Sans ça, je ne serais pas lĂ , se dĂ©fendit LĂ©niya tout en se frottant la tĂŞte.

— Et ça ne règle pas le problème ! Si ce n’est pas le margrave, alors qui ? s’enquit Aphra.

— Hum… ce serait un homme dans la forteresse, qui cĂ´toie votre rĂ©giment assez souvent pour connaitre ses horaires de bains, et qui est assez dĂ©rangĂ© pour voler en masse des culottes usagĂ©es. Qui ça pourrait bien ĂŞtre… »

Après une longue minute, Léniya, Pupia, et toutes les magiciennes, poussèrent un profond soupir.

« En fait, ça pourrait ĂŞtre littĂ©ralement tout le monde ! fit remarquer LĂ©niya.

« Et c’est peut-être même pas un homme. Honnêtement au début, j’étais pas bien sûr de ne pas être la coupable. Pour tout vous avouer, ça fait plusieurs semaines que j’emprunte des culottes par-ci par-là sans vous le dire, les miennes sont toutes sales. »

Pupia lui renvoya un regard noir.

« Les miennes aussi ?!

— Seulement une. »

La garache n’eut pas le temps d’esquiver cette nouvelle torgnole punitive, mais comme souvent, elle l’avait cherchée. Et elle avait la tête dure.

« Ça commence à faire mal aux cheveux… se plaignit Léniya.

— Alors ? Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Aphra.

— Vous, retournez bosser, dĂ©clara LĂ©niya. Quant Ă  moi et Pupia, on va mener l’enquĂŞte ! »


***


Qui Ă©tait le voleur de culotte ? Difficile Ă  dire, mais on pouvait certainement douter de la culpabilitĂ© du bon vieux Vartivar, grand-père adoptif de Pupia et maitre d’armes de LĂ©niya ; ce n’était pas son genre.

Aussi, ce fut la première personne qu’elles prirent en filature.

« T’es vraiment sĂ»r que ça vaut le coup de vĂ©rifier ? Tonton Vartivar n’est pas comme ça !

— On ne sait jamais ! dĂ©clara LĂ©niya. Après tout, il Ă©tait chef de guerre chez les tribus sauromates, il a peut-ĂŞtre gardĂ© des habitudes barbares…

— Ta mère aussi faisait partie de l’armĂ©e Sauromate ! s’offusqua Pupia.

— Et on ira espionner ma mère après. Mais en attendant, chut ! On va se faire repĂ©rer ! »

Léniya tira sa camarade par la manche et elles se cachèrent derrière de grosses caisses de transport.

Elles Ă©taient devant les murailles, vers la porte sud. Des faubourgs pleins de vie s’y Ă©tendaient ; les paysans locaux y avaient installĂ© un marchĂ©. La relative sĂ©curitĂ© procurĂ©e par la forteresse attirait les marchands, et certains venaient de loin, voire carrĂ©ment du territoire Sauromate.

Vartivar, avec son air bougon et sa grosse moustache, impressionnait les badauds. Il avait la rĂ©putation de ne pas ĂŞtre commode : les gens s’écartaient de son chemin et Ă©vitaient de croiser son regard.

« C’est rare qu’il sorte ainsi de la forteresse. Il veut acheter quelque chose au marchĂ© ? » murmura Pupia. « Peut-ĂŞtre que… ça a Ă  voir avec notre affaire ?! » s’inquiĂ©ta-t-elle soudainement.

« Je crois savoir ce qu’il cherche… » dit Léniya.

Il n’avait pas échappé à la jeune garache qu’une odeur de viande rôtie se diffusait dans l’atmosphère. Impossible que Vartivar ne l’ait pas remarqué lui aussi.

Le vieux guerrier marqua une pause devant un stand de sandwich. Sa queue touffue frĂ©tilla, ses oreilles aussi ; il jeta un Ĺ“il aux fours, un autre aux Ă©tals, et se plaça dans la file d’attente comme si de rien n’était.

« Alors qu’on lui a dit de ne pas manger entre les repas ! » s’exclama Pupia un peu fort, tandis que LĂ©niya lui mettait la main sur la bouche pour la faire taire.

Un petit elfe qui ne faisait pas attention se retourna trop vite et percuta Vartivar ; il fit tomber son gyros au sol. Le pantalon du maitre d’armes Ă©tait tachĂ©. Les autres clients, sans oser intervenir, se demandaient s’il allait le disputer. Le petit garçon, en voyant son air sĂ©vère, avait dĂ©jĂ  les larmes aux yeux.

Vartivar poussa un soupir et commanda deux gyros, un pour lui, et un autre pour l’elfe maladroit.

« Il est toujours aussi tsundere, hein ? dit LĂ©niya avec un sourire.

— Oui… » murmura Pupia.


***


Assises sur des caisses en bois, Pupia et Léniya dégustaient elles aussi un gyros – elles n’avaient encore rien mangé depuis ce matin. Ce sandwich fait de viande d’agneau coupée en lamelle, de tomates et d’oignon, agrémenté d’une sauce de fromage de chèvre et servi dans un pain plat, était consommé partout dans le royaume d’Akée. Plat préféré de Pupia, elle en engloutissait toujours deux à la fois malgré son petit gabarit.

« Bon, qu’est-ce qu’on fait ? Ce n’est clairement pas tonton Vartivar, demanda-t-elle en s’essuyant les lèvres avec un mouchoir.

— Il faut continuer nos recherches ! Allons espionner ma mère ! dĂ©clara LĂ©niya qui se lĂ©chait les doigts.

— Pourquoi dame Ranor volerait-elle les culottes de la Phalange d’Éther ?

— Elle n’arrĂŞte pas de s’en plaindre, c’était peut-ĂŞtre pour les punir ? »


***


Avançant à pas de loups – chose plus facile à faire pour Léniya que pour Pupia – les deux filles se faufilaient dans l’aile droite de la forteresse. Ranor recevait une délégation de chefs de guerre Sauromates.

« Fais pas de bruit du tout ! » expliqua LĂ©niya. « Les entrevues entre les leaders garaches sont toujours hyper tendues ! Quand j’avais sept ans, j’ai vomi mon goĂ»ter sur les pompes du gĂ©nĂ©ral en chef de la horde du Nord, on me sermonne pour ça encore aujourd’hui !

— Oui, c’est un peu normal… » dit Pupia en levant les yeux au ciel.

Plusieurs salons en enfilade se succĂ©daient dans cette partie privĂ©e rĂ©servĂ©e aux rĂ©ceptions officielles ; ils Ă©taient sĂ©parĂ©s par des rideaux. Pupia et LĂ©niya s’étaient discrètement cachĂ©es derrière l’un d’eux.

Les envoyĂ©s, trois Garaches dans la quarantaine, avaient Ă©tĂ© installĂ©s derrière une table basse ; on leur servit des petits fours auxquels ils ne touchèrent pas. Ranor, ex-gĂ©nĂ©rale sauromate, grande d’un mètre quatre-vingt et en armure, leur faisait face, un petit sourire sur le visage.

« Alors, Ranor, toujours Ă  vendre ton cul aux elfes ? Aujourd’hui les AkĂ©ens, demain les Doriens ? commença le plus grand des Ă©missaires.

— Tu ferais mieux de tenir ta langue, Ayvack. Sinon je risque de te l’arracher, rĂ©pondit Ranor.

— C’est le fait d’avoir trahi ton camp qui te permet d’ouvrir aussi grand ta gueule ? » abonda un autre.

Ranor poussa un soupir, et porta la main dans son dos.

« Je vois qu’on va devoir régler ça autrement que par le dialogue… » dit la femme-loup.

Elle regardait le chef des envoyĂ©s droits dans les yeux ; la tension Ă©tait palpable.

« Il faut les empĂŞcher de se battre, s’affola Pupia, ou ce sera la guerre !

— Non, ne t’inquiète pas… » rĂ©pondit LĂ©niya.

Ranor sortit une bouteille de liqueur, le genre de production locale qui pique la gorge et fait tourner la tête juste en la débouchant. Une soubrette elfe apporta quatre verres.

« C’est du tsĂ­pouro que m’a donnĂ© mon mari. J’espère que vous avez le gosier qui n’accroche pas ! dĂ©clara Ranor en posant sans mĂ©nagement la bouteille sur la table.

La soubrette servit les envoyĂ©s et Ranor ; ils levèrent leurs verres au plafond avant de se les envoyer cul sec.

« Tu… tu ne vas pas me dire qu’ils vont boire jusqu’à… se demanda Pupia…

— Si… si. » confirma LĂ©niya.

Les émissaires et Ranor remplirent leurs verres à nouveau, puis répétèrent le processus jusqu’à ce que l’un des deux camps abandonne.

« Dites donc ! Ça se prĂ©tend chef de guerre, mais ça ne tient pas l’alcool ! Ahahaha ! » s’exclama Ranor, alors que les Ă©missaires sauromate, après le cinquantième verre, roulaient sous la table.

Léniya et Pupia, toujours cachées derrière leur rideau, poussèrent un profond soupir.

« Après avoir vu ça, je ne suis pas sûr d’avoir envie de devenir cheffe de guerre, dit Léniya.

— Tonton dit que le goĂ»t pour la boisson vient avec l’adolescence, murmura Pupia.

— Mais… quand mĂŞme… le tsipouro de papa tire Ă  cinquante degrĂ©s…

— En tout cas, la coupable ne semble pas ĂŞtre ta mère. »


***


« Nous voilà pas plus avancées… » remarqua Pupia. Avec Léniya, elles marchaient devant la porte nord.

« On est proche du terrain de manĹ“uvre. Allons voir ce que fait MĂ©dĂ©a ! dĂ©clara LĂ©niya, les mains derrière la tĂŞte, en train de regarder le ciel.

— Je ne pense pas que ce soit elle, mais bon… on n’a pas d’autres pistes. »

Toujours en tenue de soubrette, la cheffe du personnel de la forteresse, les mains sur les hanches, regardait sévèrement un parterre de magiciennes terrifiées.

« J’ai encore beaucoup de choses à faire aujourd’hui, donc on va pas trainer. Vous allez m’affronter par équipe de cent, et celle qui tiendra le plus longtemps ne sera pas privée de repas.

— Mais on va mourir ! s’exclama Aphra avec horreur.

— Ça ne dĂ©pendra que de vous. »

Sans leur laisser le temps de se prĂ©parer, un Ă©norme cercle semi-transparent se matĂ©rialisa dans le dos de MĂ©dĂ©a ; d’autres plus petits apparaissaient en continu. Ils Ă©taient parcourus d’élĂ©gantes arabesques d’or sur leur bordure ; des runes carrĂ©es Ă©taient inscrites en leur centre, et de petites Ă©tincelles couleur vert kaki en Ă©taient Ă©jectĂ©es.

« Essayez au moins de ne pas pleurer. » termina-t-elle, alors que des explosions envoyaient dans les airs les soldates de la Phalange d’Éther.

« Elle est vraiment, vraiment forte, remarqua Pupia.

— Papa dit qu’elle a servi dans les rĂ©giments du roi Ă  la capitale avant de venir chez nous, expliqua LĂ©niya.

— En tout cas, je ne pense pas que ce soit elle. Partons avant de prendre un tir perdu. » dit Pupia en esquivant une magicienne propulsĂ©e jusqu’à leur cachette par une explosion.


***


Il ne restait qu’une personne Ă  aller espionner dans l’affaire des culottes disparues : LĂ©niya et Pupia s’étaient introduites sans peine dans son bureau, mais elles l’avaient trouvĂ© vide.

« C’était à prévoir, le margrave n’est pas souvent ici, remarqua Pupia.

— Papa n’aime pas rester assis longtemps, ajouta LĂ©niya avec un sourire.

— Il doit avoir quelque chose Ă  faire dans la forteresse.

— MĂ©dĂ©a dit qu’il essaye de tirer au flanc dès qu’il en a l’occasion, mais c’est vrai que toute cette paperasse Ă  l’air barbante ! remarqua LĂ©niya en donnant une pichenette dans une pile de parchemins.

— Cherchons-le, il ne doit pas ĂŞtre bien loin. »

Elles sortirent de la salle et descendirent jusque dans le hall d’entrĂ©e, oĂą elles trouvèrent le margrave de la Forteresse du LĂ©daĂŻ. Contrairement Ă  son habitude, il ne dĂ©ambulait pas sans but ; il discutait avec un groupe de marchands : un humain dans la cinquantaine, et une jeune femme-chat plutĂ´t grande et qui portait un large bĂ©ret rouge sur la tĂŞte – c’était probablement une MĂ©rovienne.

« Il a l’air de travailler sérieusement… chuchota Pupia.

— Moui, mais je vais quand mĂŞme devoir prĂ©venir maman quand je la verrai. » dit LĂ©niya en fronçant les sourcils ; son père semblait s’intĂ©resser d’un peu trop près Ă  la marchande mĂ©rovienne.


***


Le mess des officiers n’ayant jamais Ă©tĂ© construit pour accueillir les guerriers de Ranor en plus des mages d’HippomĂ©don, des petites Ă©choppes de nourriture s’installaient le soir dans la cour est de la forteresse. Pupia commandait son habituel gyros, et LĂ©niya pouvait enfin y trouver son plat prĂ©fĂ©rĂ© : de l’anguille grillĂ©e. Aphra et quelques soldates prenaient une bière dans le stand d’à cĂ´tĂ©.

« Tu payes vraiment un denier pour ça ? demanda Pupia en se bouchant le nez.

— Le poisson, c’est cher car il faut ajouter le coĂ»t du transport. Et c’est pas facile d’en trouver Ă  l’intĂ©rieur des terres !

— Je ne comprendrais jamais pourquoi une garache aime autant le poisson. T’es sĂ»r que t’as pas du sang de mandragot ?

— C’est p’tĂŞte possible… »

Pupia poussa un soupir. Parfois, LĂ©niya Ă©tait bizarre, mĂŞme en prenant en compte son origine sauromate !

La jeune fille loup s’enfourna sa brochette dans la bouche et l’avala tout rond.

« Bon, pour notre voleur de culotte… on aura fait chou blanc.

— C’est vraiment pas rassurant ! s’alarma Aphra. Rien que de savoir qu’un pervers traine dans la forteresse, et qu’on peut se voir voler nos sous-vĂŞtements Ă  tout moment !

— Dit comme ça c’est vrai que c’est pas terrible mais on va s’en tirer, non ? dit LĂ©niya.

— Le problème, c’est qu’on a aucune idĂ©e de qui ça pourrait ĂŞtre… »

LĂ©niya regardait au loin ; elle aperçut MĂ©dĂ©a, l’air louche, se faufiler comme une ombre dans une des ailes de la forteresse.

« Qu’est-ce qu’elle fiche ? »

Elle attrapa Pupia par la manche et l’entraina à la poursuite de la cheffe des servantes.

« Qu’est-ce que tu veux qu’elle fasse ? On avait dĂ©jĂ  vĂ©rifiĂ© et elle semblait innocente.

« Elle « semblait » innocente. Mais t’aurais dĂ» voir la tĂŞte qu’elle tirait ! Elle cache surement quelque chose. »

Les coursives de la forteresse Ă©taient laissĂ©es sans torches ; officiellement pour empĂŞcher les assaillants de s’y diriger facilement, mais dans les faits, c’était pour faire des Ă©conomies sur l’éclairage.

MĂ©dĂ©a avançait vite malgrĂ© l’obscuritĂ© ; elle connaissait chaque recoin par cĹ“ur et elle aurait pu s’y dĂ©placer les yeux fermĂ©s. LĂ©niya la suivait Ă  la trace grâce Ă  son odorat.

C’est dans un sous-sol que la cheffe des servantes bifurqua subitement pour disparaitre derrière une porte à doubles battants.

« Ahah ! Elle s’est arrĂŞtĂ©e lĂ . Plus qu’à voir ce qu’elle cache !

— Si c’est vraiment elle qui a volĂ© nos culottes, je serais très déçue de sa part. » dĂ©clara Pupia.

Elles entrèrent, fébriles, dans la pièce. Là, des dizaines de servantes, et surtout, des paniers remplis de culottes et de sous-vêtements féminins. Des rangées de torches éclairaient bien la pièce, et l’atmosphère était moite.

« Mais… s’exclama Léniya.

— Nos dessous ! » hurla Pupia qui devenait rouge de honte.

« Qu’est-ce que vous fichez ici ? demanda MĂ©dĂ©a, les bras chargĂ©s d’un panier.

— Et toi ? dit LĂ©niya. Tu nous as volĂ© nos culottes, ce matin ! T’es vraiment une enflure !

— Madame MĂ©dĂ©a, qu’est-ce que… qu’est-ce que vous comptez en faire ?! Rendez-les-nous ! »

Médéa posa son panier au sol, s’étira le dos, poussa un profond soupir, puis s’approcha des deux enquêtrices.

« Vous vous fichez de moi, toutes les deux ?! C’est la laverie, ici ! Et je suis en train de nettoyer vos habits sales ! »

Elle montra derrière elle la fontaine centrale qui irriguait des bassins en briques, les baquets remplis de linges, et les servantes qui frottaient dessus.

« Alors… pourquoi les avoir volĂ©s pendant qu’on prenait notre bain ? Tu pouvais juste nous demander de te les passer… » dit LĂ©niya, confuse.

Médéa saisit les joues de la jeune fille entre ses doigts, et approcha sa tête de la sienne.

« Mais ça fait des SEMAINES que je vous demande de le faire, Ă  vous deux, et Ă  toute la Phalange d’éther ! Mais comme vous ne m’écoutez pas, j’ai dĂ» prendre les devants, sinon dans un mois vous seriez en train de pourrir dans les mĂŞmes culottes !

— C’est… c’est faux ! intervint Pupia, je change rĂ©gulièrement de sous-vĂŞtements, je suis une jeune fille propre.

— Et est-ce que tu les mets dans le bac prĂ©vu Ă  cet effet quand tu termines ton bain, ou est-ce que tu les balances dans un coin de ta chambre ? » demanda MĂ©dĂ©a ; au fond de ses yeux brillait une lueur de rage sourde ; Pupia regardait ailleurs. Elle se demandait s’il valait mieux se taire ou tenter une excuse.

« Bon bah c’est pas tout ça, mais euh, puisque le mystère est résolu, on va te laisser à tes occupations et on va partir se coucher, nous… » déclara Léniya.

Un large sourire fendit le visage de Médéa.

« Oh, mais puisque vous avez pris la peine de venir me voir, vous allez bien m’aider un peu, non ? »

Elle colla une brosse dans les mains des jeunes filles, et leur indiqua un bac débordant de linge sale.

« Au boulot ! Vous avez trois semaines de culottes sales Ă  nettoyer.

— Mais on va y passer la nuit !

— Je crois qu’on ferait mieux d’obĂ©ir… » dit Pupia en soupirant.


***


LĂ©niya et Pupia durent aider aux corvĂ©es jusqu’au petit matin ; et alors que le soleil se levait, une nouvelle journĂ©e commençait dans la forteresse.

« Toujours déçue qu’il ne se passe rien ? demanda Pupia, les manches retroussĂ©es.

— Ah, c’est bon ! Oublie ! » dit LĂ©niya qui frottait de toute ses forces.














Awoken

Ton texte est chouette, j'ai beaucoup aimé les personnages, ils ont chacun leur propre personnalité et c'est très agréable, d'autant que ton univers est super riche et très bien construit. Bravo!


Le 01/01/2023 à 21:10:00

















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