Jarglukh et Lancevin
(par Jilano)(Thème : Jarghluck)
Je suis rentré dans l’auberge. Elle était plutôt propre et calme et la pénombre qui se dissipait alors que je marchais vers le comptoir ne me révélait que des chaises vides appuyées sur des tables poussiéreuses. Seul un murmure diffus s’éleva des bouches garnies de dents métalliques des quelques hommes attablés ce soir alors que je refermais la porte derrière moi. Les tentures qui couvraient les murs rejouaient des batailles entre chevaliers du royaume et gens d’armes cuirassés de pourpre et d’ombre pour les murs de la Citadelle tout en préservant la salle de la morsure glaciale de la nuit.
— B’soir, guerrier. Vous v’drez qu’chose ? m’a lancĂ© le cabaretier. J’vous fais le s’per Ă un Ă©cu.
Une pensée pour le maigre restant du pécule de mon père me suffit à me sortir de l’esprit mon repas chaud du soir : seule une chope de bière me remplirait le ventre ce soir-là . Alors que l’alcool était à toutes les tables, il ne sortait des bouches que de la vapeur et du silence. Seule lueur dans l’obscurité de la salle, astre solaire dans le vaste espace commun de l’auberge, un jeune homme portant une cuirasse ornée et une épée au côté était assis près de l’âtre. Il discutait, riait, courtisait les deux filles du tenancier, attablé devant un festin paysan d’omelette, de boudin, de potage et de tomme du pays. En aucun cas gêné par les regards sombres et par sa voix écrasant le silence ambiant, le chevalier Arnold Lancevin Ménia de Bourtarro-Valmid racontait à l’avance le récit de ses exploits contre le châtelain-sorcier Noralbar, faisant croître l’attention de la plus jeune des deux filles qui buvaient ses paroles comme le chevalier vidait son verre de vin.
Nos regards se sont croisés à travers les murmures brumeux.
— Qui es-tu ? semblait vouloir dire ses yeux plissĂ©s alors que sa main courait sur le dos de la cadette.
— Je suis Jarghluk Jurghlakson, bras armĂ© de…
— Tes bras me semblent trop frĂŞles pour ĂŞtre armĂ©s, Jarghluk. T’espères sans doute venir Ă bout de l’ennemi cachĂ© entre les murs de la Citadelle…
— Oui, je l’espère. Je sais que vais y arriver, je sais que Noralbar tombera sous mes coups, je l’achèverai avec une pierre s’il le faudra ! La rĂ©compense est Ă moi, il en va de l’honneur de ma famille et de ma lignĂ©e !
— Hum. Je donne pas cher de son prestige… Il te faudra plus que tes bras et ta masse pour venir Ă bout de l’Adversaire, mais je crois pas que l’esprit soit l’attribut fort des barbares des steppes…
Oui, il me faudrait plus que ma masse pour vaincre Noralbar.
Au matin, l’aubergiste n’a trouvé que quelques pièces sur la table de chevet.
Et une massue.