Clémène
Implacable prédatrice du cruel
(par Jilano)(Thème : Fiche personnage)
Face au joug que jette le maître, face à l’immanité des fonds de fanges, elle étend l’ombre son nom sur les rues de Bordemer, où l’or comme la merde sont tachées de sang. Toute cruauté doit être purgée par la violence irréfrénée. Non, dit-elle, pour le bien des honnêtes gens, mais car tel est son dogme.
Il en est peu pour rester calme devant sa silhouette et presque aucun lorsqu’elle est agressive ; sans chercher à abaisser ces mesdames, il est peu probable qu’une personne déclarée fille au sortir de l’utérus ait aujourd’hui une silhouette si colossale. Un manteau de chevelure nuit et une cape de velours carmin couvrent ses épaules massives alors que le sel, les cicatrices et le Soleil qui frappe les champs, les berges et les faubourgs de Bordemer assombrissent sa peau mate. Son visage hâlé et sec fait paraître son bec d’aigle abîmé par les coups et ses iris fuligineux et sans éclat pour doux.
L’enfant qu’elle a été était fille de pêcheur et d’affaneuse, grande sœur d’un nourrisson robuste, gamine animée et éclatante, jusqu’à ce qu’une nuit, puis une aurore, puis un jour, puis une saison ne voient pas revenir le bateau que mère et fille attendaient. Clémène est devenue une femme de quatre pieds de haut sous le toit d’une veuve seule, tentant de prendre au foyer et au travail la place d’un mort, qui se rapprochait des ombres de Bordemer ; la mère a épuisé son corps à la manœuvre ; le frère n’a pas passé un hiver de disette, il avait dix-neuf mois. L’affaneuse passe ses vieux jours en hôte d’un couvent à l’entour de la ville meurtrière. La petite femme devenue grande visite parfois l’ancienne, glissant une bourse entre les doigts de la supérieure.
La vie de Clémène est surtout silencieuse. Ne rien dire, ne jamais parler ; s’exprimer, elle se l’est proscrit. Nul ne sait si vraiment elle est humaine, si elle ressent quoi que ce soit, servant son aura d’angoisse. Reste que personne ne peut supporter de garder ses joies et peines pour soi, et toute la violence que la chasseuse déploie a ses échos en elle. Alors quand la souffrance de son esprit est insoutenable, elle la traduit en lignes sanglantes sur ses mains, ses bras, son torse.
Devant les rôtisseries du port, elle s’assied face à Girstra la brumeuse sur une barrique du même quai chaque jour, l’écuelle garnie d’une brandade et de quelques légumes dont elle offre une bouchée à la mémoire des disparus. Là , on la hèle parfois. Clémène se lève, verse aux regrettés le reste de son repas et répond d’un regard présent à son patron.
Quelques pièces, régler une menue affaire. Une bourse, protéger un larcin ou un ami. Un bon pécule, éliminer l’indésirable. La ville tourne comme ça, elle remplit son ventre ainsi, des crapules importantes bâtissent leur puissance de cette façon. Jamais, pourtant, même affamée, la grande chasseuse ne loue son bras au grand pour porter de coup au petit, de quelque sorte que ce soit ; sa batte et son arbalète sont prisés des seigneurs forbans.