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Fiche personnage
Eskiss
Spectacles
  Il émerge de l’inconscience la tête prête à éclater, haletant. Un goût de fer dans la bouche. Il cligne des yeux une fois, deux fois, tâte autour de lui. Un canapé. Son canapé. Il est chez lui. Et lui faisant face…
« Ah, t’es réveillé ! Enfin ! Je commençais à m’ennuyer, et tu sais à quel point je suis impatiente… c’est même marqué là , regarde ! »
Elle brandit une liasse de feuilles, pointe une ligne en lui décochant un sourire qui révèle ses dents, blanches, parfaitement alignées. Ses canines, pointues, longues. Trop longues. La panique l’envahit quand il détaille son vis-à -vis, les cheveux blonds retenus par un serre-tête pourpre, les yeux aux tons vermeils, le fin visage, la robe à volants carmin. On lui donnerait seize ans à peine mais…
« Deux-cent trente ans à peu près ? On vous a jamais dit que c’était malpoli de chercher à connaître l’âge d’une femme ? Mais je dois reconnaître que vous êtes plutôt bons. J’ai des souvenirs de mon enfance lors de la Révolution Française après tout, d’avant ma rencontre avec Mère. J’avais une petite sœur, je crois ? Je me souviens d’une berceuse… d’une foule en colère, d’un visage rougeaud… mon père ? Il me porte, il y a des coups de feu… » Elle secoue la tête, faisant voltiger sa chevelure : « Bon, continuons… Prénom, Rosemary, nom, Ravenblood. Pas très compliqué à trouver, avouons-le. Mon histoire... blablabla…ah ! Principaux traits de caractères. Voyons voir… »
Il cherche désespérément des yeux un échappatoire. Il est libre de ses mouvements, mais son regard froid le cloue sur place plus surement qu’une chaîne. Il ne peut s’empêcher de trembler. Elle ? Ici ? Ça ne peut signifier qu’une chose…
« Cruelle ? Vraiment ? Je ne torture que les personnes qui refusent de me donner les informations que je souhaite. Pourtant je les demande toujours poliment. C’est la moindre des choses d’apprécier qu’on me réponde honnêtement, tu ne trouves pas ? Par exemple, ton collègue… ça a été long, désagréable pour lui comme pour moi et ça l’a soulagé de me dire tout ce qu’il voulait au final ! »
Jacques est mort. Et il a tout donné. Toutes et tous… ils sont condamnés, elle va les traquer, un par un.
« Tenace, oui, c’est vrai, je n’abandonne jamais une chasse. Intelligente… beauté redoutable... vous me flattez ! » Elle rit, d’un rire léger, d’adolescente, qui sonne faux. « Excellente comédienne, tout à fait, après tout mon travail nécessite que je puisse intégrer n’importe quelle sphère. Loyale à sa famille, évidemment, qui trahirait les siens ? Un renégat ne survit jamais longtemps, et j’en sais quelque chose puisque c’est moi qu’on charge de les éliminer. »
Elle continue à feuilleter la liasse du bout de ses doigts fins ; « Ne travaille pas en équipe… hélas, Mère ne cesse de me le répéter, mais c’est si ennuyeux quand les autres sont là . Suivre les ordres, très peu pour moi. Si une tâche doit être accomplie, pourquoi attendre ? Oh, peut-être que c’est ça que vous mettez quand vous dites « impulsive » ? C’est vrai que je n’ai pas demandé à quiconque avant d’aller te rendre visite. Mais ça aurait été dommage de ne pas nous rencontrer, tu ne crois pas ? »
Elle esquisse un nouveau sourire, laisse le silence suspendu quelques secondes et reprend sa lecture avec une moue déçue : « Facilement distraite ? J’imagine que vous n’avez pas tort, me concentrer longuement sur quelque chose m’ennuie profondément. Regarde, là , maintenant, je sens que tu ne m’intéresse déjà plus vraiment. Peut-être devrai-je te tuer directement ? »
Il essaie de se lever mais ses jambes se dérobent sous lui et il retombe sur le canapé. Elle s’esclaffe : « Pas trop vite, voyons. Tu as perdu beaucoup de sang. Je crains d’ailleurs que ton tapis soit tâché. Désolé, j’ai essayé de boire proprement mais c’est si compliqué de se retenir quand on a soif… »
C’est seulement là qu’il sent la douleur cuisante à son cou. Il y porte une main, la voit couverte de sang. Son sang. Il arriver à articuler, d’une voix tremblante : « Pourquoi ? Pour…quoi vous attendez ? Vous voulez quoi de moi ? » Sa voix dérape dans les aigus et il se maudit d’être aussi pitoyable. Elle cesse de sourire, repose la liasse de papiers sur ses genoux et répond d’une voix lasse, fatiguée par les siècles : « Je ne veux rien. Juste une habitude que j’ai. J’aime parler avec ceux qui cherche à nous éradiquer, comprendre ce qui vous anime, ce qui vous pousse à vous mettre en danger pour des gens qui ne font pas partie de votre Famille. La liberté… Dieu…l’amour… la haine… vous avez tous une réponse à offrir. » Elle soupire, gratte d’un air distrait le papier avec son pouce : « L’autre m’a tout dit, votre petite conjuration contre les Ravenblood est terminée. Mon travail... quel travail je fais ? On peut dire que j’éradique les mauvaises herbes, jardinière donc, j’imagine ? Enfin. Ma tâche est terminée. Tu ne m’es d’aucune utilité. Mais deux cents ans, c’est long… et j’en suis venu à craindre l’ennui, infiniment plus que la mort. Alors j’essaie de trouver de quoi m’intéresser. Et tu m’intéresses. Tes capacités d’analyse, ta discrétion, le fait que tu nous aies échappé pendant si longtemps… j’ai aimé te traquer. Laisse-moi savourer, veux-tu ? »
Et son visage reprend sa façade faussement enjouée. « Oh, d’ailleurs, je suis déçue, vous n’avez même pas mentionné mon amour pour le café ! Rien que pour ça, je ne regrette finalement pas tous ces siècles, c’est si facile d’en boire aujourd’hui, formidable, non ? »
Il se renverse dans le fauteuil, essaie de contenir le tremblement de ses mains et crache : « Tu brûleras en Enfer, engeance démoniaque ! Toi et les tiens souffrirez le tourment éternel, loin de cette Terre que vous souillez de votre présence impie ! Dieu vous punira et… »
Il n’a pas le temps de distinguer le geste, elle s’entaille le bras et soudain un tentacule de sang jaillit et l’épingle contre le mur. Il halète, crache du sang, essaie de se débattre. En vain. Elle s’approche. Toute bonne humeur a déserté ses traits d’albâtre, ses yeux sont rouge brillant et ses canines maintenant clairement visibles. Elle s’arrête à quelques centimètres de son visage, plonge son regard dans le sien : « Je n’ai pas de Dieu. S’il y en avait un, il n’aurait pas permis ce que j’ai vu. Ce que j’ai dû faire. Ce qu’on m’inflige, encore aujourd’hui. Ce pouvoir qui me rend si forte et repoussante à la fois. Tu sais combien de renégats j’ai dû dévorer pour l’obtenir ? Et la lutte quotidienne contre la folie, les voix qui hurlent dans ma tête ? Tu sais... » Elle s’interrompt, recule avec une moue dégoûtée : « Déjà mort ? Peut-être finalement que cette visite n’était pas une bonne idée. Même ton sang n’avait pas bon goût. »
Elle rejoint le bureau, le tentacule de sang réintégrant son poignet qui se referme sans une trace, laissant la peau immaculée. Elle soupire, reprend les papiers tombés par terre lors de son accès de colère. Puis elle enjambe la fenêtre et disparaît dans la nuit noire.
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