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![]() ![]() — Que faites-vous dans mon domaine ?
« Que faites-vous dans mon domaine ? — Madame, je ne suis lĂ que pour vous rendre hommage. — Et bien faites donc, mais Ă des heures moins incongrues. Allez-vous-en maintenant, avant que je n’appelle la garde ! » Le damoiseau fila sans demander son reste, la laissant seule, impĂ©riale dans sa robe et sa perruque blonde, le regard fier au loin. Elle resta quelques instants sans bouger, accoudĂ©e au balcon, puis rentra en refermant la fenĂŞtre derrière elle.
« Bravo Claire, impeccable, tu es dans le rôle ! Peut-être un peu plus de froideur dans ta voix, tu es une duchesse, irritée par ce prétendant qui te dérange au milieu de la nuit. Et toi Lucas, plus de fougue dans ta tirade, tu l’aime, montre-le ! Mais bravo les jeunes, on peut vous applaudir. » Quelques maigres applaudissements résonnèrent. Ils étaient fatigués après une journée entière de répétition générale. Le spectacle était dans cinq jours, le stress commençait à gagner la troupe.
Lui restait imperturbable. Sanglé dans son uniforme de page, il était avachi sur un fauteuil et regardait Claire discuter avec une amie sur scène. Elle était jolie, dans son costume. Le rôle lui allait à ravir et il sentit son cœur rater un battement quand elle éclata de rire. Il aimait la voir rire, sourire, elle était si jolie quand elle était joyeuse. Il se jura de tout faire pour préserver ce bonheur.
La répétition s’était achevée, tout le monde était déjà parti. Il suivait Claire, il habitait près de chez elle. Il n’osait pas l’approcher plus, elle l’intimidait, alors il se contentait de l’observer de loin. Elle avait l’air perdue dans ses pensées. Soudain, un jappement retentit. Il la vit baisser la tête sur une petite boule de poils ébouriffée, se pencher et lui tapoter la tête. Elle fouilla sa fourrure, semblant chercher quelque chose. Bredouille, elle se releva, le chiot dans ses bras. Il se rapprocha, l’entendit dire « Tu n’as personne toi, pas vrai ? Je vais m’occuper de toi ! ».
Deux semaines avaient passé depuis que Claire avait récupéré le chiot. Il la voyait souvent dans le jardin de sa maison en train de le promener et de jouer avec lui. Il avait l’air en pleine forme, gambadait joyeusement en aboyant et se roulait dans l’herbe. Elle, attendrie, le regardait en riant. Il ne pouvait s’empêcher de la trouver encore plus belle, son sourire était si resplendissant… Peut-être trouverait-t-il le courage de lui avouer. Encore quelques jours à l’observer et il le ferait, c’était décidé.
Le chiot était mort. Il avait vu la boule de poils se faire percuter de plein fouet par une voiture. Un craquement d’os broyé et un ultime couinement. Le conducteur ne s’était même pas donné la peine de s’arrêter. Il avait vu Claire surgir de sa maison, affolée, s’arrêter. Contempler le cadavre. Ses traits s’étaient crispés, sa bouche tordue dans une immonde grimace et elle avait commencé à pleurer. Longuement. Son père l’avait rejoint quelques instants après et l’avait enlacée. Puis ils avaient ramassé le petit corps sans vie et l’avaient emporté avec eux. Il les avait vu l’enterrer sous le citronnier, au fond du jardin. Elle avait les yeux rougis, les cheveux défaits. Plus aucune trace de la joie qui pouvait l’animer, plus aucune étincelle de vie en elle. Et avec un pincement, il s’était rendu compte qu’elle ne lui inspirait plus rien.
Un jour, deux jours…cinq jours. Et il n’arrivait plus à trouver en elle ce qui l’avait tant attiré auparavant. Sa lumière avait comme disparu. Il sentait gronder en lui un sentiment inconnu, un bouillonnement de frustration et de colère. Comment une personne aussi belle avait-elle pu devenir aussi terne, simplement à cause de la mort d’un... animal ? Et… comment lui permettre de retrouver l’éclat qu’elle avait auparavant ? Le chiot. Le chiot était la clé. Elle n’avait jamais été aussi éblouissante qu’avec son chiot. Il fallait donc faire quelque chose.
Le lendemain matin, essoufflĂ©, il se rendit chez elle, sonna Ă la porte. Coup de chance, c’est elle qui ouvrit, la mine interrogatrice. Il nota ses cernes, la moue sur son visage. Elle n’eut pas l’air de le reconnaĂ®tre. « Bonjour, c’est pour quoi ? — Je sais pas si tu me reconnais, j’ai jouĂ© avec toi au théâtre, Dylan, j’étais un page ! Et ton voisin, aussi, j’habite juste Ă cĂ´tĂ©. » Sa bouche se tordit en une Ă©bauche de sourire : « Ah oui, dĂ©solĂ©, comme on joue pas dans les mĂŞmes scènes et que tu es arrivĂ© en renfort juste pour la gĂ©nĂ©rale, je t’avais pas reconnu. C’est pour quoi ? — Euh.. je voulais te montrer quelque chose dans mon jardin. T’as deux minutes ? » Elle haussa un sourcil, hĂ©sita, puis acquiesça et le suivit. Il la prĂ©cĂ©da, serein. Il avait encore des crampes au bras après avoir maniĂ© la pelle une partie de la nuit, sa main lui faisait mal lĂ oĂą il s’était piquĂ© avec l’aiguille Ă coudre et il avait encore quelques brins de paille sous les ongles, mais il Ă©tait satisfait de son Ĺ“uvre. Il pressa le pas, tourna le coin de la maison et fronça le nez. Il n’avait malheureusement rien pu faire pour l’odeur, trop de jours s’étaient Ă©coulĂ©s. Mais le chiot Ă©tait lĂ . La tĂŞte tordue, un Ĺ“il en moins et le corps Ă peine rafistolĂ© mais bien prĂ©sent. Il se retourna pour guetter son sourire sur son visage. Elle arriva Ă son tour, il l’entendit marmonner « Mais qu’est-ce qui peut sentir fort ? ». Son cĹ“ur se gonfla d’espoir, il espĂ©ra qu’elle apprĂ©cierait, il y avait mis tout son cĹ“ur, dans ce cadeau. Il pria pour la voir retrouver sa lumière. Son Ă©clat. Ce qui faisait qu’il l’avait aimĂ© et qu’il pourrait lui dire…
Elle le vit et vomit. Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !
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