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Chouette Insomniaque![]() Spectacles![]() La boucle
![]() ![]() Ils ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait.
Je ne dirais pas que c’était volontaire… Il y a, dans toute cette histoire, une ambiance qui rappelle les jeux adolescents avec les fantômes, déclamer trois fois « Bloody Mary » devant un miroir, quelque chose comme ça. Un truc grisant que l’on fait en sachant pertinemment que l’excitation engagée n’aura rationnellement aucune conséquence : on se fera peur, on se fera rire, voilà tout. Les deux garçons regardaient à présent bouche bée l’espèce de petite créature vaporeuse qui se tenait devant eux, les oreilles dressées et la queue frétillante. — Est-ce que c’est un chien ? — Heuuuh… — Ouaf ? Jim, le plus téméraire, avança la main. L’espèce de petit chien approcha son museau avec curiosité, renifla et lécha, avant d’aboyer. C’était un jappement joyeux, amical, une invitation au jeu. Jam se saisit d’un bâton et s’approcha à son tour, plus prudemment. Le chien de brume se tourna, curieux, renifla le bâton puis le mordit et se mit à tirer, toujours en remuant la queue. Les deux jumeaux se regardèrent. Jam lâcha le bâton, le chien le déposa à ses pieds puis s’assied devant lui en le fixant avec enthousiasme. — Jamais personne ne doit savoir ce qu’on a fait. — Ouais. — On range les trucs et on se barre. Les affaires furent vite remballées et les deux frères s’extirpèrent de la discrète clairière en traversant les buissons. Quelques instants plus tard, ils étaient sur le chemin, l’espèce de petite créature sur leurs talons. On aurait dit deux adolescents promenant tranquillement leur chien dans les bois, mis à part qu’il faisait nuit noire et que le chien était fait de brume bleue et légèrement phosphorescent. Le retour à la maison s’annonçait épique. Il fallait cacher le chien. La mémé n’allait pas du tout aimer ce plan pourri bizarre, c’était totalement un coup à se retrouver obligées de dormir à l’intérieur, portes et volets fermés à clé pour les empêcher de récidiver. Avec cette chaleur, ils étaient vraiment mieux dans le jardin à la fraîche, sous les étoiles, sur leur petit coin douillet fait de deux matelas et d’une montagne de coussins. La question se posait encore de savoir ce que pouvait manger ce chien, s’il mangeait. Et, s’il mangeait, de comment gérer ses besoins… Les jumeaux en étaient arrivés à ce point là de la discussion quand ils débouchèrent sur la route et marquèrent un temps d’arrêt. Devant eux s’étendait un long lacet de terre battue, régulier et parfaitement entretenu, sans une seule goutte de goudron. — On s’est perdus ou quoi ? — Je sais pas… Ça ressemble quand même… Quelques pas de plus les amenèrent à hauteur de la vue sur la vallée. Elle était étonnamment silencieuse, comme si le roulis des voitures qui passaient en continue dans le val s’était tu. Elle était sombre, aussi. Comme si tout l’éclairage public s’était éteint. Les garçons reprirent leur route, d’un pas plus empressé que décidé. Le village de mémé n’était pas à plus de dix minutes, ils allaient vite en avoir le cœur net. L’entrée d’agglo était… Différente. Plus sobre. Moins riche en bâtiments. Pourtant, l’église, un peu plus en hauteur, dessinait sa silhouette aisément reconnaissable dans le contre-jour de la lune. Les deux garçons remontèrent la grand rue, hagards, surpris de redécouvrir ce petit village qu’ils connaissaient depuis leur enfance sur un tout nouveau jour : tout était semblable aux paysages des cartes postales de 1910 que mémé gardait dans une boite à chaussure. — On est pas dans la merde… — Non. Je sais ce qu’il s’est passé. On s’est endormis comme des cons dans les bois, on va se réveiller vers 5h du mat au milieu du cercle comme des grosses merdes avec masse de tiques et on aura l’air très con. — Ça explique le chien vaporeux. Bon, comment on se réveille ? — On trouve un coin et… On essaye de dormir ? Ce n’était pas l’idée du siècle, mais c’était la seule qu’ils avaient. Les jumeaux décidèrent d’un commun accord de traverser le village jusqu’à la maison de famille. Par curiosité d’une part : quitte à être momentanément piégé dans un rêve hallucinant montrant le village tel qu’il était il y a un siècle, autant en profiter pour voir à quoi ça ressemblait alors chez mémé. Et puis par une sorte de superstition : cette maison était l’endroit où ils se sentiraient le plus en sécurité. La maison ancestrale était à sa place, telle que mémé la décrivait quand elle racontait son enfance. Le chapi, détruit dans les années 50, se dressait devant eux, avec son toit de chaume, l’âne et la charrette, comme dans les souvenirs ancestraux. Il y avait des gros ballots de foin et de la paille, les deux garçons posèrent leur ballots et se hissèrent sur les meules. Ils se retrouvèrent très près des poutres et s’aménagèrent un petit coin douillet, puis s’allongèrent. Le petit chien de brume bleue se pelotonna entre eux dans un couinement de satisfaction. Le sommeil les trouva très vite. Ils furent réveillés sur les coups des cinq heures par le coq, qui hurlait tout ce qu’il savait à quelques mètres d’eux. Le petit chien de brume bleue était toujours là , toujours joyeux, ils étaient toujours dans la paille, les cheveux en bataille et la gueule enfarinée. — Putain on s’est pas réveillés ! — Ça craint. — J’ai faim. On fait quoi ? Le échange fut interrompu par un bruit de pas léger. Ils se penchèrent et virent arriver une petite fille d’environ dix ans, pimpante dans sa petite robe vintage, qui se dirigeait doit vers le chapi. Elle vit leur sacs et s’en approcha pour les fouiller. Le petit chien sauta depuis la botte de paille pour venir à sa rencontre. D’abord surprise, elle l’accueillit avec un débordement enthousiaste d’amour et de caresses. — Est-ce que t’y es un chien fée, l’ptit père ? On dirait bien… L’accent du cru très marqué laissa l’espace d’un instant les deux garçons complètement cois. Dans d’autres circonstances, ils auraient éclaté de rire. Là , ils étaient juste blêmes. Ils reculèrent un peu maladroitement et la gamine leva les yeux. — Hein ? C’té qui ? Elle fut au sommet de la botte en quelques instants, les dévisageant avec de grands yeux. — Z’êtes des vagabonds ou quoi ? C’est t’y à vous l’chien fée ? Jim hocha la tête pour dire oui, et Jam pour dire non. La petite fille les dévisagea encore plus étrangement. Le petit chien grimpa à son tour, pour retourner se placer entre les deux jumeaux. — Bon, j’vais quérir l’père, c’t encore le mieux. — Non ! Huh, non, s’il vous plaît… — Z’êtes de la ville, non ? Z’avez l’accent qu’y est pointu. — Je, heuh… Nous… Nous cherchons… Heuh, Blanche Bornand. La petite fille éclata de rire. Elle ramassa quelque chose derrière elle et le brandit devant les deux garçons. C’était une poupée. — Voici, mademoiselle Blanche Bornand ! Pour vous servir ! La fillette avait maladroitement imité l’accent citadin, en prenant un air mimant l’idée qu’elle se faisait d’une grande bourgeoise. Le résultat était à la fois comique et déconcertant. — Une poupée ? — Mémé est une poupée ? — C’t y la mémé qu’vous cherchez par là haut ? Son nom c’tai Louise, pas Blanche. L’est trop vieille pour monter comme ça, mais viendez avec. Faute de meilleure option, les garçons redescendirent, le chien bleu toujours dans leurs pattes. La petite traversa le jardin sans cesser de les observer attentivement. — Et est-ce z’avez le smarteu faune ? Vot’ chien fée, l’est comme dans les histoires d’la mémé Louise. Et z’êtres deux semblables, comme Jim et Jam de c’tistoire là . Un frisson désagréable parcourut l’échine des jumeaux. Ils se regardèrent un instant et Jim fouilla dans sa poche pour sortir son portable. La petite fille s’arrêta brusquement, les yeux écarquillés. — Whouaaah ! C’est le smarteu faune ! Est-ce qu’ça y prend des photos comme dans l’histoire d’la mémé ? — Heuh, oui… — Mais j’veux voir ça moi ! Jim tendit le bras et prit en selfie avec la fillette. Elle en réclama un autre, puis un autre encore, avec le chien dans les bras. Elle était extatique. Le bruit, ses rires surtout, firent que sa mère passa là tête par la fenêtre. La petite la héla, hurlant que ses nouveaux amis étaient Jim et Jam de l’histoire de mémé Lou, avec leur chien fée et le smarteu faune. La mère, stupéfaite, descendit bien vite voir ce qu’il en était et les garçons virent débarquer une dame en costume populaire 1910, coiffée d’un chignon à la Goulue. Il la dévisagèrent de concert en reconnaissant la femme dont le portrait s’affichait au mur, au dessus de l’escalier, chez leur mémé. La mémé de leur propre mémé. — Vous êtes… Antoinette Bornand… L’ancêtre marqua un coup d’arrêt, dévisageant Jam, qui venait de donner son nom. Jim regardait son frère avec cette sorte d’admiration que l’on peut avoir pour le mec capable de se souvenir des bonnes informations au bon moment pour se sortir de la mouise. Jam poursuivit. — Et donc la petite, c’est Andrée Bornand, la sœur de Jules Bornand et future marraine de Blanche Bornand… Antoinette Bornand leur intima de se taire d’un regard. Jam baissa la tête, soudainement impressionné par cette paysanne d’un autre temps. Elle jeta un coup d’œil au chien bleu, en coin, puis leur fit signe de la suivre. La disposition des pièces, à l’intérieur, n’avait que peu changé. Il manquait les WC et la salle de bain, essentiellement, ce qui faisait de la salle à manger une pièce bien plus grande. Le grand poêle, qui n’était en 2021 plus que décoratif, semblait neuf. Il était éteint, bien évidemment, et recouvert d’une plaque de bois sombre vernis. Dessus, un gros bouquets de lilas donnait une ambiance florale à l’air de la pièce. Dans un coin, sur un fauteuil à bascule, une vieille dame se reposait. Antoinette s’approcha et voulu la réveiller en la secouant doucement, mais le chien bleu la doubla et sauta sur ses genoux. La vieille ouvrit les yeux, vit le chien et son visage s’illumina. — T’y es là , toi ! C’est y pas que ça fait une temps, p’tit père ! Tu m’as rapporté ces deux garnements ? — Heuh, si c’est nous, madame, bha oui… — Ha ! Mais oui ! Je vous reconnais bien ! Ce que vous avez rajeuni ! Toi, tu es Jim et toi, tu es Jam… Coup de chance où pas, la mémé Lou avait vu juste. Les deux jumeaux la dévisagèrent à leur tour avec la même stupéfaction qu’Antoinette et Andrée les avaient dévisagés quelques temps plus tôt. La mémé eut un petit rire. — Évidemment, vous ne pouvez pas vous souvenir encore. Mais j’ai comme un message pour vous, qu’il a traversé le temps. Voilà : « mecs, sortez vous les doigts du boule, c’est pas un rêve, let’s do the time warp again. » La grand-mère avait prononcé cette phrase avec un accent du XXIe siècle tout à fait maîtrisé, comme si on lui avait fait répéter et répéter encore jusqu’à ce qu’elle la maîtrise à la perfection. La référence au Rocky Horror Picture Show, un film vintage pour 2021 mais complètement futuriste pour 1910, était d’autant plus dissonante. Devant les yeux de merlan frit des deux garçons, l’ancêtre ajouta : — Ce message est codé, mais on m’a assuré que vous pourrez le comprendre, le jour où… Ce n’est pas le cas ? — Si… si. Merci madame. — Ce petit chien là est la clé pour retrouver votre chemin, mes enfants. — La clé ? — Vous pouvez y arriver, mais ce sera long. Retournez dans les bois, là où tout a commencé. D’une certaine manière, ça faisait sens. S’ils étaient tombées dans une faille spatio-temporelle, ou quelque chose, retourner dans la forêt était ce qu’ils avaient de mieux à faire. Y retourner et… Comprendre dans quoi ils avaient glissé sans le faire exprès. Jim et Jam récupérèrent leurs affaires et reprirent la route. Cette fois, c’était le petit chien de brume bleue qui ouvrait la marche. Les jumeaux le suivaient, légèrement anxieux. L’orée des bois n’était pas loin de la sortie du village et le petit chien, faisant fi des sentiers, s’engouffra soudainement dans les buissons en aboyant. Les deux frères se précipitèrent à sa poursuite. Le chemin que la petite créature avait décidé de suivre n’était pas le plus simple, pas pour un être humain en tous cas. Mais pour lui, qui se faufilait partout grâce à sa petite taille, ça semblait un jeu. Il avançait, courrait quelque fois, distançait les garçons puis revenait sur ses pas, jappait, partait de nouveau comme une bombe. Après une bonne heure de ces allées et venues erratiques, les jumeaux se retrouvèrent face à une sorte de trou dans le sol, à deux pas d’un ruisseau. Le petit chien de brume s’avança et aboya dans le trou, on entendit ses jappements se répercuter en raisonnant comme dans une chambre d’écho. Sans doute une grotte. Le petit chien regarda les deux frères, extatique. Il aboya une nouvelle fois puis sauta dans le trou. Il y disparut dans une sorte de très court flash de lumière bleue, puis il ne resta plus rien sinon une légère odeur de brouillard comme on en rencontre parfois après l’orage. Jim et Jam se regardèrent. — Bon, bha… — Pas le choix. Ils glissèrent tour à tour leurs jambes dans le trou, puis leur torse, se tortillant pour rentrer dans ce qui semblait une vaste grotte. L’un après l’autre, ils furent pris dans le même flash lumineux bleu que le petit chien. L’un après l’autre, ils disparurent dans ce trou. Un léger vertige les berça l’espace d’un court instant. Puis une forte odeur d’iode leur prit les narines. Ils avaient bien atterrit quelque part, ailleurs… Mais où ? Le paysage était méconnaissable et surréaliste, comme si l’étroit passage les avaient transportés dans un autre univers.
Une très ancienne forêt s’étendait devant eux, à moitié submergée par la lagune, figée par les éons dans une gangue d’agate bigarrée déclinant ses nuances brunes, ambre et lavande dans les derniers rayons du soleil. Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !
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