La violence est le dernier refuge de l’incompétence.

C’était peut-ĂŞtre pas une si bonne idĂ©e de dire ça Ă  cette brute qui faisait deux fois mon poids. Quoique maintenant qu’il avait un pied sur ma tĂŞte, il en faisait peut-ĂŞtre trois finalement. Vous vous demandez sĂ»rement comment j’en Ă©tais arrivĂ© lĂ  ? Ou pas, en fait.

Il y a environ deux mois, je fis la rencontre d’un petit chien qui a décidé de me suivre partout, comme si j’étais son maître. Mais ce n’était pas n’importe quel chien, bien sûr. À moins qu’on considère qu’un chien capable de parler soit n’importe quel chien, bien sûr… J’ai longtemps hésité à le donner aux inquisiteurs. Jusqu’à ce que je me rende compte qu’un peu de magie était peut-être ce qu’il manquait à ma vie.

Issu d’une famille de fermiers, il n’y avait aucune chance que ma vie ait un autre sens que celui de mon père ou de son père avant lui… Mais cet animal allait tout changer. Nous passâmes des heures à discuter. Il me raconta qu’il avait vu des endroits étonnants que je ne pourrais sans doute jamais voir. Et quelques temps avant de me rencontrer, il avait découvert un artefact qui lui serait nécessaire pour poursuivre son périple… Mais qui lui était inaccessible, à cause de sa petite taille.

À force de discussion, il finit par me convaincre que j’aurais tout à gagner à l’aider. L’artefact dont il parlait était supposé donné à celui qui s’en emparait des capacités allant au-delà de toute imagination. Peut-être pourrais-je changer la condition de ma famille avec un tel pouvoir… Peut-être ou peut-être pas. Mais je n’avais rien à perdre à essayer.

Le chien m’expliqua tout ce que j’avais à faire. Atteindre la Forêt des Rêves, la traverser sans être tenté de rester avec les représentations de mes désirs les plus fous, rejoindre le pied du Mont Ravagé, trouver l’entrée des Grottes Immobiles, atteindre le repaire des gobelins qui s’y trouvent, trouver leur trésor pour y récupérer une clé particulière, quitter le repaire et les grottes, atteindre le sommet du Mont Ravagé où subsiste les restes d’un rocher tombé du ciel il y a des millénaires, y récupérer un minerai, en faire une copie de la clé, rejoindre les Steppes de l’Ouest, trouver la Tour Oublié, utiliser la clé des gobelins pour y entrer, monter jusqu’en son sommet…

Mon compagnon Ă  quatre pattes me regardait, mais il m’avait perdu depuis longtemps lorsqu’il termina son rĂ©cit. Pour quoi m’avait-il pris ? Le plus expĂ©rimentĂ© des aventuriers ? J’étais Ă  peine capable de soulever, et Ă©ventuellement menacer avec, ma fourche… Alors quant Ă  partir Ă  l’aventure, il y avait un monde.

Je pris un long moment à expliquer à l’animal pourquoi il était loin d’avoir parié sur le bon cheval en misant sur moi. Il aurait mieux fait de trouver un grand chevalier. Mais le chien ne partit pas pour autant. Il me réexpliqua simplement tout ce que j’avais à faire pour l’aider.

— Mais je ne pourrais jamais faire tout ce que tu me demande lĂ  ! rĂ©pliquai-je.

— Tu es pourtant le seul ĂŞtre au monde capable des prouesses que je te demande.

— Mais qu’est-ce qui te fait dire cela ?

— Je le sais, simplement. Foi de Pies !

J’ai longtemps pensé que le chien avait fait preuve d’une technique de manipulation mentale. Mais quelques jours plus tard, j’étais bien en train d’arpenter les plaines et forêts de Heldengale… Mon monde, comme le disait l’animal. Mais cette quête prit fin lorsque j’atteins le sommet de la Tour Oublié… Son sommet devait me fournir le dernier élément requis pour obtenir l’artefact dont m’avait parlé mon compagnon. Mais ledit élément était gardé par un colosse.

J’avais bien tenté de le dissuader de me combattre en lui expliquant que la violence ne menait à rien… Mais quelques coups de poing plus tard, j’étais au sol, un œil enflé, la lèvre gonflée et du sang qui coulait hors de ma gorge. J’étais au sol, et j’avais la vague impression que j’avais bien raison de penser que je ne pourrais faire tout ce que l’animal m’avait demandé.

Mais finalement, je me rendis compte que je m’étais peut-ĂŞtre fait avoir, plus que je ne l’imaginais encore. Je vis Pies se saisir avec ses crocs la copie de la clĂ© qu’il m’avait fait forgĂ©e. Le minerai du rocher tombĂ© du ciel Ă©tait suffisamment lĂ©ger pour que mĂŞme un ĂŞtre aussi frĂŞle que lui puisse la manipuler. C’était donc pour ça qu’il me l’avait fait copier ? Pour pouvoir m’entourlouper au final ? Il ouvrit difficilement la porte, mais il l’ouvrit malgrĂ© tout. Derrière elle, une sphère mĂ©tallique… Grise… froide… Le chien se retourna vers moi et me regarda.

— Je suis dĂ©solĂ©, humain. Je n’avais pas le choix. Mais je te laisse un petit cadeau pour te remercier.

Le chien posa la patte sur la sphère et disparut dans un plop assourdissant. Une vague d’énergie quitta sa position et se propagea tout autour. Lorsqu’elle me frappa, je sentis cette énergie envahir tout mon corps, me brûlant de l’intérieur. Je sentis mes blessures se refermer et un pouvoir grandissant monter en moi. En un instant, j’étais debout et le suivant, mon adversaire était au sol. Le cadeau que Pies m’avait fait était sans nul doute de la magie. Mais pas n’importe laquelle. Je sentais au fond de moi que j’étais devenu bien plus que ce que j’étais auparavant. Dans d’autres mondes, j’aurais peut-être été un magicien de bas étage, mais dans le mien… dans Heldengale...

J’étais devenu un dieu.