Je ne saurais pas dire combien de mondes et d’époques j’avais déjà visités. Des centaines probablement. Je n’avais aucune idée de si je trouverais le moyen de retourner sur le mien, mais je comprenais peu à peu le fonctionnement de la montre. De ce que j’en comprenais, et à quelques subtilités près que je ne parvenais à déterminer, chacun des cercles que composaient le cadran fixaient la destination d’une façon ou d’une autre. Trois servaient pour la position dans l’espace, les treize autres à définir le monde d’arrivée. De plus, il fallait attendre un délai apparemment aléatoire entre chaque voyage. Variant de dix minutes à au moins huit heures, aucune logique ne semblait entrer en ligne de compte. Peut-être quelques phénomènes quantiques…

J’avais atterri dans un monde très semblable au mien. J’hésitais d’ailleurs à m’y arrêter. Retrouver le chemin vers mon véritable chez moi semblant être une mission impossible, cette idée était pour moi tout à fait raisonnable. Je découvris un journal au sol. La date indiquait le 20 mars 2022. Environ deux mois avant ma date de départ. Je pourrais aisément m’en contenter. À condition de ne pas tomber sur mon double… s’il existait bien sûr. Mais avant de me décider de manière définitive, une idée me vint en tête. Les ruelles étaient bien trop vides à mon goût et je devais m’assurer de ne pas être tombé sur une sorte de monde de zombies…

Je vis un escalier qui permettait de monter sur le toit de l’un des immeubles. J’en gravissais les marches quatre à quatre. Le spectacle que je découvris me mis mal à l’aise. La bonne nouvelle, c’est que la population de ce monde n’était pas constitué de zombies, la mauvaise, c’est que si je me fiais à ce que je découvrais, la population était composé de crocodiles… Instinctivement, j’appuyais sur le mécanisme de ma montre pour trouver un autre monde susceptible de m’abriter. Rien ne se passa.

— Le voilà, fit le crocodile. Mon ami, on l’a enfin trouvé. À nous la récompense.

— Tu es sûr que c’est lui ? lui répondit… quelqu’un.

— Tu vois un autre de ces choses dans les parages ? C’est pas comme si on en trouvait à tous les coins de rue. Regarde comme il se croit à l’abri. Mais personne n’échappe à Crocben.

Un petit rire lui échappa. Un rire qui me glaça le sang. Je me cachai derrière une vieille cheminée. Peu importait qui cherchait ce... Crocben… si je pouvais éviter de devenir la prochaine personne qu’il rechercherait, je ne serai pas contre. La curiosité me poussait à malgré tout continuer à observer la scène. Avec qui parlait-il ? Je n’arrivais pas à le déterminer.

— Allez, il avance encore de quinze à vingt mètres et ce sera fini.

— Ou alors, on pourrait bouger, nous ?

— T’es casse-pieds, mon ami. Si on bouge, on risque de perdre sa trace… ainsi que quelques heures à la retrouver.

— Bon, bon, fais comme tu veux. Moi de toute façon… J’ai pas de jambes… C’est juste que je commence à m’ennuyer.

J’avais du mal à en croire mes sens… mais tout me portait à croire que c’était sa lunette qui lui parlait. Si je n’avais pas exploré des mondes aussi fous que le Pays des Merveilles des années 3000 ou le moyen-âge de l’univers de Star Wars, j’aurais été plus surpris que ça. Pouvait-on finir par être blasé de telles découvertes ?

— Ah, il est pile où je voulais, déclara Crocben, me sortant de mes pensées.

— Tu crois que ça va le faire ?

— T’as déjà eu une raison de douter de moi ?

— Je te fais confiance, mais cet être… C’est pas comme si on pouvait deviner comment ça allait se comporter.

— Ouais, ouais, c‘est sûr. Allez, on se concentre. Je compte grandement sur toi, comme toujours.

Une détonation se fit entendre.

— Parfait, fit Crocben, visiblement satisfait.

Il se leva, tandis que son acolyte immobile, abandonné là, le félicitait en clamant son incroyable prouesse. Tandis qu’il descendait, inconscient de ma présence, je l’entendis à nouveau parler.

— Mission accomplie. Vous pouvez rappeler les autres chasseurs. La population peut être ramenée.

Curieux, je m’approchais de la lunette pour regarder quelle était la cible. Scrutant à l’intérieur, je fus horrifié. La victime, au sol, tué en un seul coup… c’était moi ! Mais je n’eus pas le temps de comprendre comment cela était possible…

— Crocben ! Crocbeeeeeeeeen !!! Il est à nouveau lààààà !

La lunette hurlait à pleins… poumons ? Elle appelait son ami. Pour moi, cette fois-ci ! Instinctivement, je repris la montre magique et appuyais sur le bouton. Rien… Je la regardai… Le sang était complètement sec. Je n’hésitais qu’une seconde à me tailler la paume pour lui servir ce qu’elle réclamait comme source d’énergie. Je vis l’animal bondir sur le toit tandis que moi, je quittais ce monde, la tête pleine d’interrogations !