![]()
![]()
![]()
![]() ![]() Contraintes aléatoires Contraintes à sélectionner soi-même Testeur d'auxiliaire Situations aléatoires (défi de Schrödinger) Textes sans commentaires Générateur de situation/synopsis ![]() Discussion entre un animal et un objet
![]()
Salander![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Bienvenue chez Miss Piss(par Salander)â Bah vas-y ! Applique toi moins que ça !
— Je tây verrais bien lâĂ©pingle ! Le jour oĂč tu sauras tatouer sur des Ă©cailles, tu reviendras me faire la moraleâŠ
— Du calme ma sĆur. Câest contre ton aiguille que tu tâĂ©nerves comme ça ?
— Ouais. Ce clou a dĂ©cidĂ© de se la jouer critique dâart. Connard.
— Insulte moi encore une fois et je te fais un pĂątĂ© !
Alors Marietta se tut. Grogna, et prit sur elle. Dessiner sur des Ă©cailles Ă©tait assez difficile pour quâelle nâait pas envie dâĂ©terniser la sĂ©ance.
— Alors comme ça la lĂ©gende est vraie ? Reprit le client de sa voix de baryton.
— La lĂ©gende ? Quelle lĂ©gende ? Grinça la jeune femme toujours de mauvaise humeur quand elle travaillait.
— Bah, que tu parles avec ton aiguille ? Pourquoi tu crois que je suis venu dans ton salon. Pour ton talent ?
— Il a pas tort, tâes quâune merde ! Rajouta Alphonse de sa voix criarde, manquant de faire dĂ©raper Marietta.
— Ta gueule et trace ! SaletĂ© de clouâŠ
Depuis le temps, la mante-religieuse avait rĂ©ussi Ă faire croire aux autres et Ă elle-mĂȘme, que ces critiques sur son travail ne la touchait pas⊠Elle niait ce malaise qui Ă©treignait son abdomen. Elle niait cette vague brĂ»lante qui remontait jusquâĂ ses ommatidies. Elle transformait cette douleur en mauvaise humeur. JusquâĂ faire souffrir les autres autant quâelle.
Tous, sauf ce putain de poisson perroquet impermĂ©able Ă la souffrance. Regard vague et indiffĂ©rence⊠Marietta ne savait pas ce que ce mastodonte avait fumĂ©, mais ses pupilles dilatĂ©es rendant plus globuleux son regard exorbitĂ©, mettaient mal Ă lâaise la jeune femme. Fine et sĂšche, habituĂ©e Ă ĂȘtre plus grande que tout le monde. Elle se sentait pourtant toute petite Ă cĂŽtĂ© du poisson.
— Je peux mâen griller une ?
— Interdiction de fumer dans la salle de tatouage. Coupa lâinsecte.
— Bah ça, si câest pas la dictature⊠marmonna le gĂ©ant.
LĂšvres Ă©paisses, regard rond, reflets mauves et rouges⊠Marietta ne pouvait sâempĂȘcher dâapprĂ©cier la vue. Ăcailles aux milles couleurs, sur lesquelles elle devait tatouer :
âamour ou rĂ©volte - ceci est un ultimatumâ.
Juste au-dessus dâun cocktail molotov.
— Je peux payer en plusieurs fois ? Demanda le client Ă la fin de la sĂ©ance.
— On avait convenu ça. Cingla la mante-religieuse. DĂ©sinfecte toi comme je tâai dis, et plane moins. Tu vas te transformer en poisson volant.
— Ah non, pas un connard de faschiste⊠grommela une derniĂšre fois le poisson en quittant son antre.
SituĂ© au 36 Ăšme Ă©tage dâun gratte-ciel Ă 63 Ă©tages, dans le quartier le plus dĂ©gueulasse de la capitale, le salon de tatouage de Miss Piss nâattirait pas beaucoup de clients. Des curieux, des perdus, ou ceux qui nâavaient pas les moyens de se payer un vrai salon. Sa seule publicitĂ© Ă©tant les dialogues entre la propriĂ©taire et son aiguille, il nâĂ©tait pas rare quâon la confonde avec une bĂȘte de foire.
Studio mal famĂ©, et mal dĂ©corĂ©. Noir et sombre. Dont la seule fenĂȘtre donnait sur le bidonville oĂč sa patronne habitait. Pour une gamine qui avait toujours rĂȘvĂ© de faire de lâart, Marietta avait toujours cruellement manquĂ© de goĂ»t. Pas de bol ! Les Ă©tudes dâart coĂ»taient cher, et elle tatouait comme une merde. Ce travail qui devait ĂȘtre une passion, Ă©tait devenu une corvĂ©e. Mais quâaurait-elle pu faire dâautre ?
Le salon puait les encres et la transpiration. Ouvrant sa fenĂȘtre, la jeune femme ferma les yeux et sâalluma une cigarette. La ville puait lâessence et la misĂšre. Quartier de bric et de broc, rouge et bringuebalant, construit sur les ruines de lâancienne civilisation. Quartier brĂ»lĂ© et brĂ»lant. Pendant que les riches se cachaient sous terre Ă lâabri de la pollution et des radiations.
BercĂ©e par les sirĂšnes, les moteurs, les insultes. Marietta recula, jusquâĂ se laisser tomber dans le fauteuil en cuir noir. RapiĂ©cĂ© brĂ»lĂ© et usĂ© jusquâĂ la moelle, ce fauteuil de tatouage Ă©tait plus ĂągĂ© quâelle. Son grand corps affalĂ©, la jeune femme souffla un trait de fumĂ©e.
— Il te plaisait le barracuda ou quoi ? Tu Ă©tais moins mĂ©chante que dâhabitude. Interrogea lâoutil posĂ© sur un plan de travail.
— Ta gueule Alphonse. Murmura la mante religieuse. Ăa fait seulement 3 jours que je suis cĂ©libataire.
— Ouais ben justement. RĂ©torqua lâaiguille Ă tatouer. Je te connais par coeur Marie, en tout cas assez pour dire que maintenant que tâes seule tu vas sauter sur tout ce qui veut bien de toi ! Sauf que la rĂ©volution câest bien, mais la drogue moins. En plus il te prenait pour la folle qui parle Ă son aiguille. Dâailleurs pendant que jây suis, tu ferais bien de respecter tes propres consignes et ne pas fumer dans la salle de tatouage ! LâhygiĂšne ça te parle ?
— Quâest ce que tâas pas saisis dans âferme ta gueule Alphonse" ?! Siffla la jeune femme en se redressant aggressive. Tu tâes pris pour ma bonne conscience ?
— Parce que câest pas le cas ? Ironisa lâoutil de sa voix dĂ©sagrĂ©able.
— ArrĂȘte sâil te plait. GĂ©mit soudain la mante-religieuse. Je suis fatiguĂ©e pour de vraiâŠ
Alors Alphonse se tut. Et la jeune femme se laissa choir dans le fauteuil. Cela faisait quelque temps quâelle Ă©tait de plus en plus Ă©puisĂ©e. Peut-ĂȘtre Ă cause de sa rupture. Ou simplement des Ă©motions refoulĂ©es quâelle accumulait depuis tant dâannĂ©esâŠ
— Ăcoute Marie, je suis dĂ©solĂ©eâŠ
Depuis que sa mĂšre Ă©tait morte aux alentours de ses 14 ans, seul lâaiguille avait lâautorisation dâutiliser ce surnom. Il Ă©tait devenu de toute façon, la seule personne Ă le connaĂźtre encore aujourdâhui. Son nom de scĂšne : Miss Piss, ayant supplantĂ© son vieux prĂ©nom. Pseudonyme Ă lâorigine insultant, offert par ses camarades mante-religieuses vertes, se moquant de sa couleur jaune. Une pĂ©riode pas trĂšs joyeuse de sa vie. Quâelle avait fini par dĂ©passer, en revendiquant ce nouveau nom qui avait longtemps Ă©tĂ© porteur dâun complexe.
Miss Piss⊠TrĂšs jolie Ă©crit avec une Ă©criture Gothique. CâĂ©tait cool, parce quâon pouvait dire Miss Piss me off⊠Le problĂšme Ă©tait quâon pouvait aussi confondre avec Miss Peace.
Aujourdâhui, cette insulte Ă©tait devenue son identitĂ©. Et son vieux prĂ©nom imposĂ© par sa conne de mĂšre, oubliĂ©. Seul Alphonse lâutilisait.
— Ăa va lâĂ©pingle, je vais bien. Se reprit lâinsecte. Va pas me prendre pour une fragile ! ⊠Jâen ai juste marre quâon insulte mon travail et quâon vienne en me prenant pour une bĂȘte de foire.
AprÚs quelques instants de silence, son ami répondit :
— Je suis pas lĂ pour te mentir chĂ©rie. Tu fais pas du grand art. Exposa-t-il implacable. Mais tu bosses comme une dingue ! Tu cultives ta crĂ©ativitĂ© ! Et tu devrais ĂȘtre fiĂšre des progrĂšs que tu as fait ces derniĂšres annĂ©esâŠ
— Ah ouais ? Et tout ça pour quoi ? Ricanna la mante-religieuse soudain trĂšs triste. Me construire une rĂ©putation de tarĂ©e ? Habiter dans un taudis ? Perdre peu Ă peu tous mes amis, bosser comme une malade pour des clients chiants sans aucun respect pour mon travail, et me faire plaquer au bout dâun mois par le seul mec qui a bien voulu de moi en 10 putains dâannĂ©es ?!! ⊠Je tâavoue Alphonse, que câĂ©tait pas la vie dont jâavais rĂȘvĂ©.
— Parce que tu crois encore aux rĂȘves qui deviennent rĂ©alitĂ© ! Sâesclaffa le clou. Quel Ăąge as-tu gamine ? On te prend pour une tarĂ©e, parce que tu es la seule Ă mâentendre. Tu perds tous tes amis, parce que tu es mĂ©chante. Tu vis dans un taudis avec un travail de chien, parce quâon est dans une sociĂ©tĂ© de merde. Et si ton gars tâas plaquĂ©, câest parce que tu Ă©tais une relation pansement. Et que tu es prĂȘte Ă aimer tout ce qui traine pour combler ta solitude ! Moi je suis bien content que ce soit fini. CâĂ©tait un connard. Vous vous aimiez pas. Et maintenant tu passes bien plus de temps avec moi ! Marietta souffla un nouveau trait de fumĂ©e.
— CâĂ©tait pas un connard. RĂ©flĂ©chit-elle. Alcoolo, Ă©goĂŻste, profiteur, et menteur, oui. Mais pas un connard. Ou alors dans ce cas moi aussi je suis une connasse.
— Tu es une connasse. Il est un connard. Affirma lâaiguille. La seule diffĂ©rence est que tu ne fais jamais souffrir par manque dâempathie ou par plaisir. Mais juste par stupiditĂ©.
— Bah vas-y insulte moi ! Brava dâun ton lĂ©ger la jeune femme pour dĂ©sarmorcer. Tu te crois mieux, moralisateur sans dĂ©licatesse ?
— Je ne plaisante pas, Marietta. Gronda Alphonse. Je tâavais prĂ©venu que cette mangouste allait te faire souffrir, mais comme dâhabitude, tu ne mâas pas Ă©coutĂ© ! Ta solitude est un rĂ©el problĂšme, que tu refuses de prendre au sĂ©rieux. Elle te rend mĂ©chante et bĂȘte, prĂȘte Ă tomber amoureuse des plus dangereux. Qui penses-tu, se met en couple avec une mante-religieuse ? Ton corps est dur, sec, froid. Piquant, agressif, et venimeux. Pendant lâHomolytique votre rĂ©putation Ă©tait de manger vos maris. Seuls les anges ou les profiteurs voudront sortir avec toi ! Hors les anges nâexistent pas.
Marietta sâaffala plus profondĂ©ment dans son fauteuil, le regard vague.
— Et donc parce que je suis une insecte, je suis condamnĂ© Ă ĂȘtre seule toute ma vie ?
Alphonse resta silencieux plusieurs secondes.
— Non. Ce nâest pas une condamnation.
Marietta se redressa.
— Mais un facteur aggravant.
Marietta se rallongea.
Elle Ă©crasa sa clope sur un accoudoir et sâĂ©tira.
— AprĂšs tout, je ne devrais pas me plaindre ! Jasa-t-elle. Que tu existes ou pas, aussi chiant que tu sois, je tâai toi !
— Parce que tu doutes de mon existence ? RĂ©pliqua Alphonse trop sĂ©rieusement.
— Bah oui. SâĂ©tonna la mante jaune. AprĂšs tout, câest normal non ? Je suis la seule Ă tâentendre. Tu pourrais trĂšs bien ĂȘtre une crĂ©ation de mon imagination, et en ce cas je serais vraiment folle. Gloussa-t-elle.
— Est-ce que, si je suis une crĂ©ation de ton imagination, cela signifie-t-il rĂ©ellement que je nâexiste pas ? Songea lâoutil.
— Bah oui. Tu ne serais pas un individu propre. Qui peut construire sa vie et tout⊠Tu serais en quelque sorte, dĂ©pendant de moi.
— Ce qui ne voudrait pas dire que je nâexiste pas. Contredit le clou. Bien sĂ»r, je nâexisterais pas en tant quâindividu, puisque je ne serais quâune prolongation que toi. Mais comme jâexisterais Ă travers tes yeux, ne pourrait-on pas parler dâune certaine forme dâexistence ?
— Ta gueule. Tu trip. Coupa la jeune femme. Non, pour moi, lâexistence forcĂ©ment est liĂ©e Ă une conscience indĂ©pendante.
— Donc les cailloux nâexistent pas ?
— Tu me fatigues ! Tu joues avec les mots ! SâexaspĂ©ra Marietta en se levant. Il faut que je parte. Il est lâheure de la distribution des rations carnivoresâŠ
— Fais attention sur le chemin. Recommanda lâaiguille. Lave-toi les mandibules. Ajouta-t-il alors quâelle rassemblait ses affaires. Et ne te couche pas trop tard !
— Ouais ouais, je connais la rengaine ! Marmonna la mante-religieuse en enfilant sa veste.
Elle marcha jusquâĂ la porte du studio. Sortit ses clĂ©s. Et sâimmobilisa sur le palier.
— ⊠Un problĂšme Marie ?
— ⊠Dit-moi Alphonse.
Dans lâombre du couloir. Ses yeux jaunes brillants sur son corps effrayant. Marietta se tourna vers lâaiguille immobile sur le plan de travail.
— Dit moi Alphonse. Tu seras lĂ demain ?
Les amis restĂšrent un long moment silencieux. Se rassurant lâun lâautre. DĂ©pendant lâun de lâautre.
— Oui Marietta. Je serai lĂ demain.
|