L'Académie de Lu





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Discussion entre un animal et un objet


Bienvenue chez Miss Piss

(par Salander)
(Thème : Discussion animal/objet)
(dernière modification : 14/06/2022)



– Bah vas-y ! Applique toi moins que ça !


— Je t’y verrais bien l’épingle ! Le jour oĂč tu sauras tatouer sur des Ă©cailles, tu reviendras me faire la morale



— Du calme ma sƓur. C’est contre ton aiguille que tu t’énerves comme ça ?


— Ouais. Ce clou a dĂ©cidĂ© de se la jouer critique d’art. Connard.


— Insulte moi encore une fois et je te fais un pĂątĂ© !


Alors Marietta se tut. Grogna, et prit sur elle. Dessiner sur des Ă©cailles Ă©tait assez difficile pour qu’elle n’ait pas envie d’éterniser la sĂ©ance.


— Alors comme ça la lĂ©gende est vraie ? Reprit le client de sa voix de baryton.


— La lĂ©gende ? Quelle lĂ©gende ? Grinça la jeune femme toujours de mauvaise humeur quand elle travaillait.


— Bah, que tu parles avec ton aiguille ? Pourquoi tu crois que je suis venu dans ton salon. Pour ton talent ?


— Il a pas tort, t’es qu’une merde ! Rajouta Alphonse de sa voix criarde, manquant de faire dĂ©raper Marietta.


— Ta gueule et trace ! SaletĂ© de clou



Depuis le temps, la mante-religieuse avait rĂ©ussi Ă  faire croire aux autres et Ă  elle-mĂȘme, que ces critiques sur son travail ne la touchait pas
 Elle niait ce malaise qui Ă©treignait son abdomen. Elle niait cette vague brĂ»lante qui remontait jusqu’à ses ommatidies. Elle transformait cette douleur en mauvaise humeur. Jusqu’à faire souffrir les autres autant qu’elle.


Tous, sauf ce putain de poisson perroquet impermĂ©able Ă  la souffrance. Regard vague et indiffĂ©rence
 Marietta ne savait pas ce que ce mastodonte avait fumĂ©, mais ses pupilles dilatĂ©es rendant plus globuleux son regard exorbitĂ©, mettaient mal Ă  l’aise la jeune femme. Fine et sĂšche, habituĂ©e Ă  ĂȘtre plus grande que tout le monde. Elle se sentait pourtant toute petite Ă  cĂŽtĂ© du poisson.


— Je peux m’en griller une ?


— Interdiction de fumer dans la salle de tatouage. Coupa l’insecte.


— Bah ça, si c’est pas la dictature
 marmonna le gĂ©ant.


LĂšvres Ă©paisses, regard rond, reflets mauves et rouges
 Marietta ne pouvait s’empĂȘcher d’apprĂ©cier la vue. Écailles aux milles couleurs, sur lesquelles elle devait tatouer :


“amour ou rĂ©volte - ceci est un ultimatum”.


Juste au-dessus d’un cocktail molotov.


— Je peux payer en plusieurs fois ? Demanda le client Ă  la fin de la sĂ©ance.


— On avait convenu ça. Cingla la mante-religieuse. DĂ©sinfecte toi comme je t’ai dis, et plane moins. Tu vas te transformer en poisson volant.


— Ah non, pas un connard de faschiste
 grommela une derniĂšre fois le poisson en quittant son antre.


SituĂ© au 36 Ăšme Ă©tage d’un gratte-ciel Ă  63 Ă©tages, dans le quartier le plus dĂ©gueulasse de la capitale, le salon de tatouage de Miss Piss n’attirait pas beaucoup de clients. Des curieux, des perdus, ou ceux qui n’avaient pas les moyens de se payer un vrai salon. Sa seule publicitĂ© Ă©tant les dialogues entre la propriĂ©taire et son aiguille, il n’était pas rare qu’on la confonde avec une bĂȘte de foire.


Studio mal famĂ©, et mal dĂ©corĂ©. Noir et sombre. Dont la seule fenĂȘtre donnait sur le bidonville oĂč sa patronne habitait. Pour une gamine qui avait toujours rĂȘvĂ© de faire de l’art, Marietta avait toujours cruellement manquĂ© de goĂ»t. Pas de bol ! Les Ă©tudes d’art coĂ»taient cher, et elle tatouait comme une merde. Ce travail qui devait ĂȘtre une passion, Ă©tait devenu une corvĂ©e. Mais qu’aurait-elle pu faire d’autre ?


Le salon puait les encres et la transpiration. Ouvrant sa fenĂȘtre, la jeune femme ferma les yeux et s’alluma une cigarette. La ville puait l’essence et la misĂšre. Quartier de bric et de broc, rouge et bringuebalant, construit sur les ruines de l’ancienne civilisation. Quartier brĂ»lĂ© et brĂ»lant. Pendant que les riches se cachaient sous terre Ă  l’abri de la pollution et des radiations.


BercĂ©e par les sirĂšnes, les moteurs, les insultes. Marietta recula, jusqu’à se laisser tomber dans le fauteuil en cuir noir. RapiĂ©cĂ© brĂ»lĂ© et usĂ© jusqu’à la moelle, ce fauteuil de tatouage Ă©tait plus ĂągĂ© qu’elle. Son grand corps affalĂ©, la jeune femme souffla un trait de fumĂ©e.


— Il te plaisait le barracuda ou quoi ? Tu Ă©tais moins mĂ©chante que d’habitude. Interrogea l’outil posĂ© sur un plan de travail.


— Ta gueule Alphonse. Murmura la mante religieuse. Ça fait seulement 3 jours que je suis cĂ©libataire.


— Ouais ben justement. RĂ©torqua l’aiguille Ă  tatouer. Je te connais par coeur Marie, en tout cas assez pour dire que maintenant que t’es seule tu vas sauter sur tout ce qui veut bien de toi ! Sauf que la rĂ©volution c’est bien, mais la drogue moins. En plus il te prenait pour la folle qui parle Ă  son aiguille. D’ailleurs pendant que j’y suis, tu ferais bien de respecter tes propres consignes et ne pas fumer dans la salle de tatouage ! L’hygiĂšne ça te parle ?


— Qu’est ce que t’as pas saisis dans “ferme ta gueule Alphonse" ?! Siffla la jeune femme en se redressant aggressive. Tu t’es pris pour ma bonne conscience ?


— Parce que c’est pas le cas ? Ironisa l’outil de sa voix dĂ©sagrĂ©able.


— ArrĂȘte s’il te plait. GĂ©mit soudain la mante-religieuse. Je suis fatiguĂ©e pour de vrai



Alors Alphonse se tut. Et la jeune femme se laissa choir dans le fauteuil. Cela faisait quelque temps qu’elle Ă©tait de plus en plus Ă©puisĂ©e. Peut-ĂȘtre Ă  cause de sa rupture. Ou simplement des Ă©motions refoulĂ©es qu’elle accumulait depuis tant d’annĂ©es



— Écoute Marie, je suis dĂ©solĂ©e



Depuis que sa mĂšre Ă©tait morte aux alentours de ses 14 ans, seul l’aiguille avait l’autorisation d’utiliser ce surnom. Il Ă©tait devenu de toute façon, la seule personne Ă  le connaĂźtre encore aujourd’hui. Son nom de scĂšne : Miss Piss, ayant supplantĂ© son vieux prĂ©nom. Pseudonyme Ă  l’origine insultant, offert par ses camarades mante-religieuses vertes, se moquant de sa couleur jaune. Une pĂ©riode pas trĂšs joyeuse de sa vie. Qu’elle avait fini par dĂ©passer, en revendiquant ce nouveau nom qui avait longtemps Ă©tĂ© porteur d’un complexe.


Miss Piss
 TrĂšs jolie Ă©crit avec une Ă©criture Gothique. C’était cool, parce qu’on pouvait dire Miss Piss me off
 Le problĂšme Ă©tait qu’on pouvait aussi confondre avec Miss Peace.


Aujourd’hui, cette insulte Ă©tait devenue son identitĂ©. Et son vieux prĂ©nom imposĂ© par sa conne de mĂšre, oubliĂ©. Seul Alphonse l’utilisait.


— Ça va l’épingle, je vais bien. Se reprit l’insecte. Va pas me prendre pour une fragile ! 
 J’en ai juste marre qu’on insulte mon travail et qu’on vienne en me prenant pour une bĂȘte de foire.


AprĂšs quelques instants de silence, son ami rĂ©pondit :


— Je suis pas lĂ  pour te mentir chĂ©rie. Tu fais pas du grand art. Exposa-t-il implacable. Mais tu bosses comme une dingue ! Tu cultives ta crĂ©ativitĂ© ! Et tu devrais ĂȘtre fiĂšre des progrĂšs que tu as fait ces derniĂšres annĂ©es



— Ah ouais ? Et tout ça pour quoi ? Ricanna la mante-religieuse soudain trĂšs triste. Me construire une rĂ©putation de tarĂ©e ? Habiter dans un taudis ? Perdre peu Ă  peu tous mes amis, bosser comme une malade pour des clients chiants sans aucun respect pour mon travail, et me faire plaquer au bout d’un mois par le seul mec qui a bien voulu de moi en 10 putains d’annĂ©es ?!! 
 Je t’avoue Alphonse, que c’était pas la vie dont j’avais rĂȘvĂ©.


— Parce que tu crois encore aux rĂȘves qui deviennent rĂ©alitĂ© ! S’esclaffa le clou. Quel Ăąge as-tu gamine ? On te prend pour une tarĂ©e, parce que tu es la seule Ă  m’entendre. Tu perds tous tes amis, parce que tu es mĂ©chante. Tu vis dans un taudis avec un travail de chien, parce qu’on est dans une sociĂ©tĂ© de merde. Et si ton gars t’as plaquĂ©, c’est parce que tu Ă©tais une relation pansement. Et que tu es prĂȘte Ă  aimer tout ce qui traine pour combler ta solitude ! Moi je suis bien content que ce soit fini. C’était un connard. Vous vous aimiez pas. Et maintenant tu passes bien plus de temps avec moi !

Marietta souffla un nouveau trait de fumée.


— C’était pas un connard. RĂ©flĂ©chit-elle. Alcoolo, Ă©goĂŻste, profiteur, et menteur, oui. Mais pas un connard. Ou alors dans ce cas moi aussi je suis une connasse.


— Tu es une connasse. Il est un connard. Affirma l’aiguille. La seule diffĂ©rence est que tu ne fais jamais souffrir par manque d’empathie ou par plaisir. Mais juste par stupiditĂ©.


— Bah vas-y insulte moi ! Brava d’un ton lĂ©ger la jeune femme pour dĂ©sarmorcer. Tu te crois mieux, moralisateur sans dĂ©licatesse ?


— Je ne plaisante pas, Marietta. Gronda Alphonse. Je t’avais prĂ©venu que cette mangouste allait te faire souffrir, mais comme d’habitude, tu ne m’as pas Ă©coutĂ© ! Ta solitude est un rĂ©el problĂšme, que tu refuses de prendre au sĂ©rieux. Elle te rend mĂ©chante et bĂȘte, prĂȘte Ă  tomber amoureuse des plus dangereux. Qui penses-tu, se met en couple avec une mante-religieuse ? Ton corps est dur, sec, froid. Piquant, agressif, et venimeux. Pendant l’Homolytique votre rĂ©putation Ă©tait de manger vos maris. Seuls les anges ou les profiteurs voudront sortir avec toi ! Hors les anges n’existent pas.


Marietta s’affala plus profondĂ©ment dans son fauteuil, le regard vague.


— Et donc parce que je suis une insecte, je suis condamnĂ© Ă  ĂȘtre seule toute ma vie ?


Alphonse resta silencieux plusieurs secondes.


— Non. Ce n’est pas une condamnation.


Marietta se redressa.


— Mais un facteur aggravant.


Marietta se rallongea.


Elle Ă©crasa sa clope sur un accoudoir et s’étira.


— AprĂšs tout, je ne devrais pas me plaindre ! Jasa-t-elle. Que tu existes ou pas, aussi chiant que tu sois, je t’ai toi !


— Parce que tu doutes de mon existence ? RĂ©pliqua Alphonse trop sĂ©rieusement.


— Bah oui. S’étonna la mante jaune. AprĂšs tout, c’est normal non ? Je suis la seule Ă  t’entendre. Tu pourrais trĂšs bien ĂȘtre une crĂ©ation de mon imagination, et en ce cas je serais vraiment folle. Gloussa-t-elle.


— Est-ce que, si je suis une crĂ©ation de ton imagination, cela signifie-t-il rĂ©ellement que je n’existe pas ? Songea l’outil.


— Bah oui. Tu ne serais pas un individu propre. Qui peut construire sa vie et tout
 Tu serais en quelque sorte, dĂ©pendant de moi.


— Ce qui ne voudrait pas dire que je n’existe pas. Contredit le clou. Bien sĂ»r, je n’existerais pas en tant qu’individu, puisque je ne serais qu’une prolongation que toi. Mais comme j’existerais Ă  travers tes yeux, ne pourrait-on pas parler d’une certaine forme d’existence ?


— Ta gueule. Tu trip. Coupa la jeune femme. Non, pour moi, l’existence forcĂ©ment est liĂ©e Ă  une conscience indĂ©pendante.


— Donc les cailloux n’existent pas ?


— Tu me fatigues ! Tu joues avec les mots ! S’exaspĂ©ra Marietta en se levant. Il faut que je parte. Il est l’heure de la distribution des rations carnivores



— Fais attention sur le chemin. Recommanda l’aiguille. Lave-toi les mandibules. Ajouta-t-il alors qu’elle rassemblait ses affaires. Et ne te couche pas trop tard !


— Ouais ouais, je connais la rengaine ! Marmonna la mante-religieuse en enfilant sa veste.


Elle marcha jusqu’à la porte du studio. Sortit ses clĂ©s. Et s’immobilisa sur le palier.


— 
 Un problĂšme Marie ?


— 
 Dit-moi Alphonse.


Dans l’ombre du couloir. Ses yeux jaunes brillants sur son corps effrayant. Marietta se tourna vers l’aiguille immobile sur le plan de travail.


— Dit moi Alphonse. Tu seras lĂ  demain ?


Les amis restĂšrent un long moment silencieux. Se rassurant l’un l’autre. DĂ©pendant l’un de l’autre.


— Oui Marietta. Je serai lĂ  demain.














Awoken

Ton texte est trĂšs sympa et respecte parfaitement la contrainte. Bravo!


Le 14/06/2022 à 18:56:00



JilanoAlhuin

C'est un texte sympathique. Le personnage que tu prĂ©sentes est sympathique Ă  suivre, et son aiguille l'est aussi. Le mĂ©tier est trĂšs explicite, les contraintes sont trĂšs bien respectĂ©es. Je trouve cependant qu'il traine beaucoup en longueur, notamment avec la discussion sur la vraie existence de l'aiguille, bien que la fin est tout de mĂȘme cool


Le 19/06/2022 à 00:57:00



Zandra-Chan

tu disais avoir posté ton défi en retard ? Moi je le lis en retard ! x)
Donc, pour ton dĂ©fi WTF, devant faire converser un pro avec un objet... J'ai beaucoup aimĂ©. Des descriptions et des termes ici et lĂ  qui font comprendre que le temps des Hommes est rĂ©volu, qu'une nouvelle sociĂ©tĂ© (pas forcĂ©ment meilleure) s'est mise en place, que des crĂ©atures ont Ă©voluĂ©... comme ton personnage principal, tous ces petits dĂ©tails sont une fenĂȘtre sur l'univers vaste qu'il y a derriĂšre (ou que l'on imagine derriĂšre en tout cas), et ça, j'adore. C'est particulier, c'est crasseux, c'est grossier... mais ça ne fait que renforcer l'univers en question.
J'ai juste eu un peu de mal avec le placement de tes virgules parfois, mais sinon, la lecture est fluide et intéressante. Merci pour ce petit bout d'histoire ! :D


Le 21/06/2022 à 00:45:00

















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