L'Académie de Lu





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Pays des Merveilles

  • CafĂ© au lait (Salander)

Café au lait

(par Salander)
(Thème : Pays des Merveilles)



Message de Doudou :


19h28 >> Coucou mon amour, j’ai prĂ©parĂ© Ă  manger. PrĂ©viens moi quand tu pars du boulot, je t’attends <3

20h10 >> Re coucou mon amour, le repas commence Ă  ĂȘtre froid
 Je le repasse au four et je t’attends.

21h31 >> Bon, je suppose que tu ne mangeras pas non plus Ă  la maison ce soir
 C’est dommage pour toi, je t’avais prĂ©parĂ© des lasagnes.

21h43 >> Excuse moi, je suis tendu. Essaye de prendre une petite pause pour düner, je t’attend pour dormir <3

22h16 >> Tu rentres bientĂŽt ?

23h01 >> Rebecca j’en ai marre ! Ça va faire des mois que ça dure, que tu t’éloignes et que je passe mes soirĂ©es Ă  t’attendre ! On n’a plus d’amour, plus de vie sociale, et moi aussi j’ai des journĂ©es chargĂ©es figure toi ! Tu ne peux pas me demander de patienter et de conserver la flamme alors que tu ne rĂ©ponds mĂȘme pas Ă  mes messages. Si c’est pour m’offrir cette vie lĂ  que tu m’as demandĂ© en mariage, je commence Ă  regretter d’avoir acceptĂ©.


—--



La jeune femme reposa son portable, sans mĂȘme songer Ă  rĂ©pondre. Il Ă©tait mignon Jacob, mais pour qui pensait-il qu’elle bossait comme ça ? S’ils voulaient la cĂ©rĂ©monie de mariage de leur rĂȘve, l’argent n’allait pas tomber du ciel !


ÉpuisĂ©e, la vidĂ©aste retira un instant ses lunettes et se frotta le visage. Elle n’y pouvait rien si les charrettes s’enchainaient les unes aprĂšs les autres ces derniers temps. Pour le moment elle n’était qu’une simple exĂ©cutante. Mais Ă  force de travail et de rĂ©sultat, on lui confiait de plus en plus de responsabilitĂ©s. D’aprĂšs son supĂ©rieur direct, elle n’allait pas tarder Ă  ĂȘtre nommĂ©e cheffe de projet !



Horaires plus stables, salaire plus adĂ©quat
 avec ses heures sup’ Rebecca ne faisait que prĂ©parer l’avenir de leur couple. Cette pĂ©riode Ă©tait certes dure Ă  passer, mais ils n’en sortiraient que plus forts. Jacob comprendrait plus tard que sa femme ne faisait ça que pour lui. Et lui seul ! AprĂšs tout, il Ă©tait le seul Ă  vouloir des enfants.


Aspirant dans ses souvenirs heureux, la force de se remettre Ă  bosser, Rebecca chaussa ses lunettes et se pencha Ă  nouveau vers son ordinateur. La motivation n’était pas trĂšs difficile Ă  trouver, tant ses souvenirs heureux Ă©taient rares et souvent liĂ©s Ă  son fiancĂ©.


Les minutes dĂ©filaient, aussi longues que des heures, alors qu’elle terminait ce projet prĂ©vu pour la semaine derniĂšre. EnchaĂźnant les cafĂ©s noirs, sans mĂȘme plus sentir ce goĂ»t qu’elle dĂ©testait. Tirant sur son cerveau fatiguĂ©, et ses yeux brĂ»lĂ©s par la lumiĂšre bleue de l’écran qu’elle ne quittait jamais.


Le filage de l’animation qu’elle achevait, racontait l’histoire d’un Ă©lĂ©phant qui ne voulait pas se laver les dents
 Bien loin du genre de projets sur lesquels elle s’imaginait travailler pendant ses Ă©tudes d’animation. Bien loin du genre de projets qui la passionnait. Mais ses illusions d’épanouissement professionnelles s’étaient Ă©vanouies depuis longtemps.


À prĂ©sent, seul son amoureux comptait. Et elle allait tout faire pour lui construire la vie dont il rĂȘvait !


L’animatrice arrivait Ă  la derniĂšre partie. Celle oĂč le monstre carie menaçait les pauvres bĂ©bĂ©s incisives. La tĂȘte de la jeune femme dodelinait. Sans qu’elle parvienne Ă  rester concentrĂ©e. Le monstre carie ressemblait Ă©trangement Ă  sa mĂšre
 en moins obĂšse. Rebecca se pinça l’arrĂȘte du nez. Quand les souvenirs de sa mĂšre remontaient c’est qu’elle Ă©tait vraiment vraiment trĂšs fatiguĂ©e.


La jeune femme baissa la tĂȘte sur son cafĂ©.


Noir. Trouble. Froid. Comme elle. Son odeur douce et amer remontait jusqu’à son nez, lui rappelant soudain Ă  quel point elle dĂ©testait cette boisson. PrĂ©fĂ©rant gĂ©nĂ©ralement le goĂ»t du sucre aux goĂ»ts “adultes”, elle n’aimait le cafĂ© que noyĂ© de lait et pourrit de sucre. Mais cette boisson infĂąme Ă©tait le sĂ©rum vital lui permettant d'enchaĂźner les heures de boulot sans sombrer. La formule magique immonde responsable de sa rĂ©ussite.


Si on pouvait appeler rĂ©ussite le travail assommant qu’elle abattait pour un homme qu’elle ne voyait jamais.


Papillonnant des paupiĂšres, Rebecca songea que ce cafĂ© ne sentait pas si mauvais. Une Ă©trange odeur fruitĂ©e se dĂ©gageait de la tasse. Comme une confiture de cassis en train de mĂ»rir. La jeune femme se pencha intriguĂ©e. Dans les reflets du liquide amer, brillait un rayon de soleil
 Peut-ĂȘtre un reflet de sa lampe de bureau ? La vidĂ©aste se pencha Ă  nouveau. Des tĂąches sombres passaient devant le soleil
 Peut-ĂȘtre des oiseaux ? StupĂ©faite, Rebecca recula et se frotta les paupiĂšres. Elle n’avait pas mis de poulet dans son cafĂ© ?


Et pourtant, la jeune femme ne rĂȘvait pas. L’odeur s’échappant depuis sa tasse, n’avait rien Ă  voir avec celle d’un cafĂ© normal. Bien sĂ»r, la doucereuse fragrance Ăącre subsistait
 entrelacĂ©e avec des arĂŽmes confits et lĂ©gers. Rebecca ne pouvait nier cette odeur qui l’attirait.


IrrĂ©sistible parfum sucrĂ© pour une gamine qui n’avait pas mangĂ© de la soirĂ©e. AllĂ©chĂ©e par le souvenir des fabuleuses lasagnes de Jacob qu’elle n’avait plus goĂ»tĂ© depuis des mois. L’animatrice se rapprocha Ă  nouveau de la tasse, jusqu’à coller le verre de ses lunettes contre le rebord d'email. Elle ne rĂȘvait pas. Un soleil brillait dans les reflets du cafĂ©, sur lequel dansaient les ombres d’oiseaux colorĂ©s. ÉpoustouflĂ©e, la jeune femme suivit cet Ă©trange ballet sans rĂ©ussir Ă  l’intĂ©grer. Un hoquet lui traversa tout le corps quand le soleil s’ouvrit sur elle comme une paupiĂšre.


AspirĂ©, Rebecca se fit avaler par la tasse avant d’avoir eu le temps de reculer.


Elle atterrit dans un immense verger, ses os vibrant du choc d’une chute scientifiquement inexistante. Ouvrant les yeux sur ce monde qu’elle avait observĂ© si lumineux et colorĂ©, il semblait maintenant sombre et brĂ»lĂ©. La jeune femme dĂ©glutit avec peine. ÉcrasĂ©e par le poids de l’iris violet qui avait remplacĂ© le soleil.


Les oiseaux Ă©taient sombres, l’herbe Ă©tait grise, et les nuages aussi. Monde en noir et blanc oĂč seul l’oeil portait une couleur maladive. Immense, globuleux et humide. L’intruse baissa les yeux sur son propre corps. Sa peau d’habitude marron foncĂ© Ă©tait d’un noir clair, ses ongles rouges avaient perdus de leurs Ă©clats, ainsi son sweet rose mĂȘme s’il restait sale.


Au-dessus d’elle, l'Ɠil toujours la fixait. Soufflant les couleurs du monde, Ă©lectrisant l’air, et effrayant les oiseaux. Rebecca releva la tĂȘte.


— Tu es venu me voir ?


La voix avait résonné dans la clairiÚre sans origine concrÚte, et pourtant une haleine pourrie écrasa soudain celle des fruits. Accumulation de bonbons trop macérés, trop gras et trop sucrés. Rebecca se retint de justesse de se boucher le nez.


— Pourquoi je viendrais te voir, on se connait mĂȘme pas ! Pesta-t-elle.


— Parce que je suis seul et je n’ai pas d’amis. Continua la voix abaissant doucement sa paupiĂšre soleil, imitation malsaine de la tristesse. Personne ne vient jamais me voir, tout le monde me fuit.


— Quand on sent ton haleine et que tu Ă©teins le ciel ça se comprend. Ricana Rebecca nerveusement.


— Ce n’est pas ma faute. Moi aussi j’aimerais bien voir les couleurs et ne pas avoir mauvaise odeur ! Mais dĂšs que j’arrive, j’écrase tout. Je vis dans le gris, sans savoir Ă  quoi ressemblent les autres couleurs. DĂšs que je parle, se rĂ©pand la puanteur. Je ne trouverais mĂȘme pas ça si triste si ça ne faisait pas fuir tous mes potentiels amis
 Je me sens seul-


— Oui bah ça va on a compris
 Grogna la jeune femme en se relevant. T’es pathĂ©tique. Le genre de chouineur que je peux pas encadrer. À te morfondre dans ton coin sans prendre un minimum de recul. Incapable de se bouger ou de voir que t’es le seul dans le malheur.


— Tu es mĂ©chante ! Geint l'Ɠil immense. Si je pouvais contrĂŽler ma tristesse je le ferais ! Si d’autres arrivent Ă  prendre du recul trĂšs bien pour eux. Mais moi je suis enfermĂ©, et pathĂ©tique ou pas c’est comme ça.


— RĂ©signation du vieux et de la honte. Maronna Rebecca. Pourquoi tu t’évades pas ? Agressa-t-elle en relevant la tĂȘte.


— Je ne peux pas bouger pour de vrai. RĂ©pondit l’oeil triste dans le ciel noir. Depuis que le roi m’a créé, je suis enfermĂ© dans ce verger. Je suis le ciel, la terre, le soleil. Quand j’ouvre l’oeil, je vois le monde noir, gris et blanc. Je fais fuir les oiseaux, et rĂ©pand mon haleine. Et quand je ferme l'Ɠil, je sens l’odeur du sucre et des fruits, j’entend le vent, les insectes, les pas de ceux qui tentent de venir les cueillir
 Mais quand je veux leur parler, tout est dĂ©truit. Et tout le monde me fuit.


— Le roi qui t’as créé ?


— Le roi Bo. Pour empĂȘcher les dents de venir manger les fruits. Il m’a créé pour que je protĂšge le verger, sauf que je ne veux pas empĂȘcher les gens de venir ! Au contraire !


— Donc si je comprends bien, rĂ©suma Rebecca en remontant ses lunettes, tu es une sorte de monstre du verger. Rassures-toi je n’y toucherais pas ! Ton haleine rend l’idĂ©e insupportable. Mais pourrais-tu m’indiquer la sortie de la tasse de cafĂ© ? Je dois terminer mon travail et rejoindre mon fiancĂ©.


— Tu veux t’en aller ? 



Fronçant les sourcils, la jeune femme releva la tĂȘte pour sonder l’oeil soleil au dessus d’elle.


— Tu veux me quitter ? 



Dans le ciel, les nuages noirs s’amoncelaient. L’air autour de l'Ɠil sembla se dĂ©former, se rider, comme si la colĂšre le tordait. La voix rĂ©sonna plus forte que jamais :


— Tu n’iras nulle part ! Je t'interdis de me quitter ! Je suis bien trop seul depuis toutes ces annĂ©es, je t'emprisonnerai quitte Ă  nous tuer !


Des Ă©clairs zĂ©brĂšrent le ciel, et la terre se mit Ă  trembler. Se refermant sur elle, alors qu’elle prenait bĂȘtement conscience du danger.


Rebecca voulut fuir, mais trĂ©bucha et se rendit soudain compte qu’elle Ă©tait habillĂ©e d’une robe de mariĂ©e. ÉcroulĂ©e sur la terre, empĂȘtrĂ©e dans un million de jupons, alors qu’une pluie nouvelle battait l’air, et que le sol ondulait comme une tempĂȘte en mer. L’adrĂ©naline dĂ©ferla en elle. Dans un cris de rage, la jeune femme retira ses chaussures Ă  talons et les jetta au dĂ©lĂ  des vagues. Se relevant dans la boue et une profusion de dentelle immonde, elle courut. Courut. Le monde puait, le sol collait. Elle avait l’impression de marcher sur des fruits pourris qui lui coulaient entre ses orteils. S’accrochant Ă  l’herbe fade pour ne pas se laisser abattre par les vagues. Elle courait. Une rage sans fond la transportait. S’emparant d’elle, comme Ă  chaque fois qu’un danger la menaçait. Puissance de haine, qui enfant lui avait permis de survivre, Ă©crasant sa peine.


Rebecca courait, alors que la voix grondait. Elle se rĂ©fugia sous un arbre, s’accrochant instinctivement au tronc pour chercher la sĂ©curitĂ©, s’écartant juste Ă  temps pour Ă©viter l’éclair qui le frappa. Elle trĂ©bucha, s’effondra. Roulant sur la terre, jouet des vagues, perdue dans la tempĂȘte. L’impuissance lui dĂ©chira le corps alors que les ondes la tourmentaient.


Des mains saisissant ses membres, la tirĂšrent sous la mer.


Quand elle reprit conscience, le silence et l’odeur de terre humide la rassurĂšrent immĂ©diatement. AllongĂ©e sur un sol dur et propre. Elle rouvrit les yeux sur les visages de cinq monstres qui la fixaient.


Le cri de terreur qu’elle poussa face Ă  leur laideur rĂ©sonna dans l’ensemble le tunnel.


— Elle a de la voix !


— Et une belle !


— RĂ©gale pour l’oreille ! Dommage qu’elle sente mauvais.


— Mais mais
 mais qu’est ce que vous ĂȘtes bordel ?! Bredouilla la femme en reculant comme elle le pouvait avec sa robe Ă  dentelles.


— Nous sommes les papilles ! Avides des sens et d'exquis !


— Exquise excuse de goinfres avares. Une tartine de confiture ?


— Du sucre ! Toujours du sucre ! Pour une peau de pĂȘche qu’on Ă©pluche !


— Per
 Personne ne m’épluche ! S’indigna Rebecca.


Elle voulut se relever, mais se cogna la tĂȘte contre le plafond bas, et dĂ» rester courbĂ©e. À ses pieds, les monstres Ă©taient moins grands qu’elle le pensait. Pas plus haut que son genoux, ronds comme des billes, et couverts Ă  chaque centimĂštres de millions de pustules. Rebecca ne pouvait s’empĂȘcher d’avoir la nausĂ©e quand elle les regardait.


La couleur brune de sa peau était revenue. Celle de la terre, des ténÚbres, et de la lumiÚre des lanternes aussi. Les monstres étaient rouges comme une peau brûlée, mauves et visqueux comme une langue gonflée.


— Pourtant vous en auriez bien besoin. RĂ©flĂ©chit l’un d’eux. Vous ĂȘtes crispĂ© comme un gĂąteau trop cuit !


— Et votre robe est triste Ă  voir. OĂč ĂȘtes vous aller trainer pour vous retrouver dans cet Ă©tat ? Ah oui ! C’est vrai qu’on vous a sauvĂ© aprĂšs que vous ayez dĂ©chainĂ© le gardien du verger ! On nous dit souvent que ne notre tĂȘte a perdu le nord, mais vous ne devez pas ĂȘtre moins folle pour provoquer le bĂ©bĂ© qui dort !


— Le bĂ©bĂ© qui dort ? 



— Oui ! BĂ©bĂ© parce qu’il passe son temps Ă  pleurer, qu’il sent mauvais, et qu’il te donne envie de crever ! Mais on le connaĂźt bien bĂ©bĂ© cadum. Il nous dĂ©teste parce qu’on vient toujours au verger lui voler des fruits sans faire ami-ami ! Tant qu'il ne nous entend pas, on peut passer sans qu’il Ă©crase tout sur son passage. C’est qu’on est les as du filoutage ! Une tartine de confiture ?


— Nan merci je n’en veux pas. Refusa Rebecca qui aurait vomi si elle tentait de manger quoique ce soit face Ă  leurs corps gras. Vous savez oĂč est la sortie de la tasse de cafĂ© ? Je dois terminer mon travail et rejoindre mon fiancĂ©.


— Du cafĂ© ? TrĂšs mauvais goĂ»t ! S’esclaffa une papille. Rien de mieux que le sucre ! Toujours du sucre ! Une tartine de confiture ?


— Non merci, j’ai dis je n’en voulais pas. S’agaça la jeune femme en les repoussant pour s’en aller. DĂ©gagez le passage !


— Tu voudrais partir sans avoir goĂ»tĂ© notre tartine de confiture ! S’étonna un monstre en lui bloquant la route.


Rebecca fit un tour sur elle-mĂȘme, et se rendit compte qu’elle Ă©tait coincĂ©e. EncerclĂ©e par cinq billes immondes dans un tunnel sombre petit et humide. En dehors des lanternes que les papilles portaient, le noir rĂ©gnait, rĂ©duisant leur monde aux monstres et Ă  la terre. Sans repĂšre. Rien n’indiquait la sortie pour qui ne la connaissait.


Ah moins que



Rebecca ferma les yeux pour mieux sentir le souffle du vent s’échappant d’un cĂŽtĂ© des tĂ©nĂšbres du tunnel.


— C’est pas souvent qu’on croise autre chose que des canines ou des incisives ! Reprit une bille en sautant sous son nez. Depuis que le roi Bo nous a chassĂ©, tout le monde nous traite comme des pestifĂ©rĂ©s ! Une tartine de confiture ?


— Je ne veux pas de votre tartine de confiture. Je veux partir.


— Elle est pourtant trĂšs bonne notre tartine de confiture ! Continua un autre s’agitant Ă  ses pieds. Pourquoi partir rejoindre les aliĂ©nĂ©s ? Tu aimes le cafĂ© ?


— Non je n’aime pas le cafĂ©, c’est d’ailleurs pour ça que j’aimerais m’en aller. Gronda la vidĂ©aste.


— Tu n’aimes pas le cafĂ©, alors tu aimeras notre tartine de confiture ! S’émerveilla un des monstres sautant sur place.


— Pourquoi ne veux-tu pas la goĂ»ter ? On te laisserait partir aprĂšs tu sais ? Reprit un autre tirant ses jupons blancs.


Rebecca dĂ©testait qu’on l’incite ou qu’on l’oblige. Ça lui donnait envie de crier, de dĂ©chirer, de s’imposer ! Mais un sourire Ă©claira ses lĂšvres, et elle s’accroupit jusqu’à ĂȘtre au mĂȘme niveau que leurs yeux encerclĂ©s de bubons gonflĂ©s.


— Si je goĂ»tait votre tartine, vous me laisserez partir ?


— Bien sĂ»r !


— Avec plaisir !


— MĂȘme si tu n’en n’aurais sans doute plus envie
 Ricana un dernier.


La jeune femme ne perdit pas son sourire. Étirant son visage parsemĂ© de rides forcĂ©es. À quelques centimĂštres d’elle, deux monstres s'affairaient Ă  lui prĂ©parer une tartine. Touchant de leur peau lĂ©preuse la nourriture qu’elle devait avaler. Rebecca dĂ©testait sourire. Ils lui tendirent un Ă©pais morceau de pain, recouvert d’une Ă©paisse couche de marmelade. Mauve et fruitĂ©e, bulleuse et grumeleuse, dĂ©goulinante et collante. Odeur magique, physique rĂ©pulsif. Toujours dĂ©formĂ©e par un sourire, l’humaine se saisit de la tartine.


Fixée par les papilles surexcitées.


D’un geste vif, elle l’écrasa sur le visage d’un monstre. Perdant leurs airs joviaux, les papilles montrĂšrent les dents. Mais Rebecca saisit une lanterne, qu’elle brisa sur le monstre blessĂ©. Il s’enflamma aussi vite qu’un baril d’huile fermentĂ©.


Repoussant les monstres immondes, ramassant sa robe boueuse et dĂ©chirĂ©e, Ă©clairĂ©e par les flammes Ă  l’odeur sucrĂ©e, la jeune femme s’élança dans le tunnel. Puissante, survivante, poursuivie par les cris des papilles en colĂšre. Elle suivait le vent, s’enfonçant dans l’obscuritĂ©, s’éloignant de la lumiĂšre des cris et des odeurs maladives. Courant courbĂ©e sur la terre avec sa robe Ă  dentelle, plus rapide que jamais.


Cognant de plein fouet une porte tournante, elle la traversa sans s’arrĂȘter, clignant Ă  peine de paupiĂšres sans vraiment se rendre compte de ce qui venait de se passer. Elle se retrouva un instant suspendue dans l’air, Ă©blouie par la lumiĂšre bleue du ciel. Mais Ă  peine eut-elle le temps de comprendre qu’elle venait de sortir du tunnel, que la chute l’aspira dans le vide toute entiĂšre.


Panique intense, perte des sens.


Le choc de l’eau quand elle atterrit lui vrilla les os. La puissante pression l’enveloppa et l’étouffa. EnglobĂ©e par les flots sans savoir oĂč elle Ă©tait, Rebecca dĂ» se faire violence pour ne pas respirer. Reprenant peu Ă  peu le contrĂŽle de ses gestes et de sa peau, elle rĂ©ussit Ă  se mouvoir pour rejoindre la surface.


LibĂ©ration, fin de l’oppression.


Reprenant son souffle court, observant le monde autour d’elle effarĂ©e. L'agitation disparut rapidement pour faire place Ă  la dĂ©fiance.


DĂ©fense face Ă  l’hostilitĂ©. HostilitĂ© intĂ©grĂ©e dans son gĂ©nome depuis tant d'annĂ©es. Rebecca analysa ce paysage qui l’entourait. CƓur battant, sourcils froncĂ©s. Des saules pleureurs roses frĂŽlaient l’eau blanche du lac. Le ciel Ă©tait bleu au-dessus d’elle. Mais le soleil n’était qu’une brillante ampoule blanche avec un code barre noir.


— OhĂ© ! Vous allez bien ?!


La vidĂ©aste tourna la tĂȘte. Sur le rivage entre deux arbres, un groupe d’incisives lui faisait de grands signes agitĂ©s. Rebecca ne rĂ©pondit pas. Elle se dĂ©tourna, et nagea vers un autre cĂŽtĂ© de la berge. Ses mouvements lui paraissaient Ă©tonnamment lourds et lents. Pourtant sportive, elle avait l’impression d’ĂȘtre embourbĂ©e dans une boue liquide. S’arrĂȘtant un instant pour sentir l’odeur du liquide et rĂ©flĂ©chir, elle se rendit compte qu’elle nageait dans du dentifrice.


À la menthe. Elle dĂ©testait le dentifrice Ă  la menthe. Sauf quand elle le goĂ»tait dans la bouche de son amant.


— DĂ©pĂȘchez-vous de revenir ! Interpella une nouvelle fois le groupe d’incisives apeurĂ©s qui s’était dĂ©placĂ©. Vous devez sortir du lac sacrĂ© !!


— Non merci connards, j’ai eu assez de confiture pour aujourd’hui
 Marmonna Rebecca qui n’avait aucune envie d’à nouveau se battre.


Elle se dirigea vers une autre partie du rivage, alors que le groupe d’incisives la suivait, fĂ©briles et apeurĂ©es. Sentiments qu’elle Ă©tait incapable de voir, grĂące Ă  cette insensibilitĂ© qu’elle cultivait. Apathie protectrice qui la coupait du monde. Qui la poussait Ă  aimer Jacob et sa sensibilitĂ©, alors qu’il cherchait en elle l’intransigeance qui les portaient.


Rapide malgrĂ© l’épaisseur du liquide, elle sortit rapidement du lac, dĂ©goulinante de dentifrice sur sa robe dĂ©jĂ  dĂ©chirĂ©e et salie. Elle jeta un regard autour d’elle
 Tout Ă©tait plat. En dehors des pleureurs roses, aucun signe de vĂ©gĂ©tation ne bordait les alentours du lac. Le sol Ă©tait gris, sans altĂ©ration jusqu’à l’horizon. Monde de plastique. Qui puait la menthe et le dĂ©sinfectant.


— Fuyez ! Fuyez ! Le MĂ©tier va arriver !!


Rebecca fronça les sourcils, intriguĂ©e malgrĂ© elle par les cris d’alertes du groupe d’incisives. Elle n’eut pas le temps d’y rĂ©flĂ©chir, car un grondement fit trembler la terre, et fuir les dents loin de la rive. Écarquillant les yeux de stupeur, la jeune femme observa fascinĂ©e, l’un des saules pleureurs trembler, gonfler, puis vomir, une sorte d’ours en peluche noir et vert et qui tremblait aussi.


— Euh
 Vous allez bien monsieur ? 
 Interrogea Rebecca, plus par curiositĂ© que par empathie pour ce doudou pĂ©trifiĂ© malgrĂ© sa taille.


GĂ©ant prostrĂ© sur le sol en proie Ă  des tourments que lui seul voyait, il se redressa subitement. Doudou droit et rigide, malgrĂ© les courbes et textures cĂąlines de son grand corps. Peluche raide et agressive. Il cria Ă  la place de parler, le regard fixĂ© sur un point dans le vide qu’il Ă©tait encore une fois le seul Ă  pouvoir observer.


— C’est pas monsieur. C’est madame. Pas le temps pour les banalitĂ©s. Interpellation pĂ©nale en raison de violation de la puretĂ© du lac. Suspect apprĂ©hendĂ©, arrestation immĂ©diate.


Avant que Rebecca ait eu le temps de protester, une liane rose douce et froide l’avait attachĂ©e, et elle se fit attirer dans le saule aussi vite qu’une voiture sur l’autoroute.


Quand elle sortit du tunnel, ils avaient atterri sur le sol d’une immense cuisine. Le carrelage Ă©tait blanc, les rideaux Ă©taient bleus, des lianes roses pendaient du plafond, le monde Ă©tait propre. Seuls les meubles rĂ©gnaient en maĂźtres. Monde pur et gigantesque. Aucun objet. Une table brune trĂŽnait au centre de la piĂšce, entourĂ©e par les meubles qui longeaient les murs beiges. Aucune porte ne permettait de s’enfuir, seule une immense fenĂȘtre au-dessus du robinet face Ă  Rebecca Ă©clairait la piĂšce. LumiĂšre blanche, trop brillante.


Recouvrant la table trois fois plus haute qu'un humain normal, une nappe crĂšme, assez immense pour frĂŽler le sol, portait un symbole pour le moins viril. Deux dĂ©fenses blanches, autour d’une trompe bleue pointĂ©e vers le ciel, entourĂ©es de deux grandes oreilles d’élĂ©phants bleues. Sur la table, se dressait une soupiĂšre retournĂ©e. Veille, grise, et rayĂ©e. Seul objet, seul Ă©lĂ©ment abĂźmĂ©.


La jeune femme tourna la tĂȘte vers l’ourse en peluche immense Ă  ses cĂŽtĂ©s.


— C’est ça votre prison ?


— Pas de prison. Peine capitale immĂ©diate aprĂšs le procĂšs.


— Quoi, on est dans un tribunal ?! S’étonna Rebecca. Je ne savais pas que la cuisine de ma mĂšre avait des fonctions aussi dĂ©testables !


— Silence, le juge va arriver. Mon mĂ©tier de vous encadrer. Pas de blabla avec les malfrats.


La peluche tenait d’une main la chaĂźne vĂ©gĂ©tale rose qui retenait la vidĂ©aste prisonniĂšre, de l’autre une montre Ă  gousset toute aussi rose aussi et toute grande que sa tĂȘte d’ourse stressĂ©. Sans doute deux fois plus haut qu’elle, mal rapiĂ©cĂ© et transpirant sur son tissu de mauvaise qualitĂ©, Rebecca reconnaissait en lui la personne oppressĂ©e par ses responsabilitĂ©s. Une sympathie presque immĂ©diate se dĂ©veloppa pour la policiĂšre, tant elle-mĂȘme comprenait la charge mentale que la peluche supportait.


La montre rose tremblait dans sa patte humide, les aiguilles dorĂ©es glissant sur les chiffres. Le jeune femme remarqua qu’une carte mouvante Ă©tait imprimĂ©e en arriĂšre plan. Elle l’observa intriguĂ©e, sa mĂ©moire visuelle mĂ©morisant les variations de ce dessin vivant.


La gendarme referma la montre d’un geste sec.


— Il est l’heure ! Coucou ! Transition.


LĂąchant la corde qui retenait la vidĂ©aste, la peluche fit un tour sur elle-mĂȘme, chaussa des lunettes, et sauta sur la table Ă  cĂŽtĂ© de la soupiĂšre.


— Quoi ? Mais qu’est que c’est que ce bor-


— Pas de vulgaritĂ© dans la salle d'audience ! Aboya le doudou mĂ©tamorphosĂ© en cognant sur la soupiĂšre avec autoritĂ©. Mon mĂ©tier est de prĂ©sider le procĂšs. Faites entrer le public !


Le bruit de tonnerre d’un million de petits pas ridicules pour Rebecca, prĂ©cĂ©da l’arrivĂ©e d’une nuĂ©e de dents s’installant sur le haut des meubles pour observer la sĂ©ance. Minuscules variĂ©tĂ©s de petits morceaux de calcaires blancs et durs surplombant la scĂšne. La jeune femme eu la sensation qu’on venait de la jeter dans une arĂšne.


— Silence, silence dans la salle ! Hurla la peluche transformĂ©e en juge. Baissez la tĂȘte et accueillez avec respect, le souverain propre de ce monde hideux et crasseux !


Une nuĂ©e de petits applaudissements se firent entendre, alors que Rebecca cherchait d’oĂč viendrait le roi. Elle comprit soudain, en voyant une goutte d’eau rose, lentement se crĂ©er sous le robinet, avant d’éclater.


Le roi BĂŽ, Ă©tait un Ă©lĂ©phant ressemblant Ă©trangement Ă  un Albatros. Son visage Ă©tait bleu et petit. Ses yeux immenses et humides. Son sourire et ses dĂ©fenses Ă©taient d’un rose carnassier. Et ses oreilles gĂ©antes pendaient sur plusieurs mĂštres autour de l’évier.


Il leva une main pottelet de bĂ©bĂ© blanc, et tout le monde se tut pour l’écouter.


— Moi, roi BĂŽ, guide des dents propres et de la puretĂ© aseptisĂ©e ! Moi ! Moi ! Moi je vous ouvrirais la voix de l'hygiĂšne et de la saintetĂ© ! Et Moi j’ouvre aujourd’hui le procĂšs d’une souillure crasseuse ! Une saletĂ© dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e ! Une souillure qui a profanĂ© la puretĂ© du lac !


Des huĂ©es s’élevĂšrent des rangs de dents, et un mĂ©lange de malaise et de colĂšre se rĂ©pandit dans le sang de la jeune femme.


— La condamnĂ©e aux MĂ©tier se chargera de prĂ©sider la sĂ©ance. Prenez leçon et mĂ©prisez la saletĂ© de cet ĂȘtre immonde ! Vous ĂȘtes propres ! Vous ĂȘtes beaux ! Vous ĂȘtes dĂ©sinfectĂ©s !!!


La peluche cogna une sĂ©rie de coups sur la soupiĂšre, alors que les applaudissements hystĂ©riques fusaient, et que Rebecca grognait. Elle rĂ©tablie elle mĂȘme le silence en hurlant :


— Je prĂ©fĂšre ĂȘtre sale qu’aux ordres d’un connard ! C’est pas les microbes qu’il brĂ»le ton dĂ©sinfectant, c’est les esprits.


— Vous prĂ©fĂ©rez la saletĂ© Ă  la soumission ? Releva la peluche sans noter la vulgaritĂ©. Ce n’est pourtant pas ce que dit votre casier judiciaire !


Tremblante, à fleur de peau aprùs tout ce qu’elle venait de traverser, Rebecca releva un regard hargneux sur la juge pour qui elle ne ressentait plus aucune affection.


— Lavage de dent matin et soir, ou c’est le passage Ă  tabac ! Vous avez choisi le lavage de dent matin et soir. Une douche par soir, ou c’est privĂ© de repas ! Vous avez choisi une douche par soir. Manger Ă©quilibrĂ©, jamais de sucre ou de confiture, sinon enfermĂ© Ă  poil dans le placard ! Vous avez choisi les lĂ©gumes.


La peluche remonta ses lunettes sur sa truffe en plastique, alors que le jeune femme perturbée, était à la fois en colÚre et humilée.



— Et pourtant, cette Ă©ducation ne vous a jamais appris Ă  bien vous comporter. Au cour de votre vie de d’adulte cĂ©libataire, vous avez : prit des douches une fois par semaine, ne pas vous ĂȘtre lavĂ© les dents pendant plusieurs jours, ne manger que des plats sucrĂ©s ou surgelĂ©s, ne pas avoir fait le mĂ©nage au point que vos voisins se plaignent de l’odeur, pĂȘtĂ© rotĂ© pissĂ© sous la douche et autres comportements infiniments dĂ©gradants !


Rebecca Ă©tait maintenant gĂȘnĂ©e. Elle se sentait dĂ©voilĂ©e, mise Ă  nue
 Et baissant les yeux sur son corps, elle se rendit compte que la chaĂźne la retenant ainsi que sa robe Ă©taient tombĂ©es au sol.


Alors que les dents ricannait, comme un immense sourire qui la cernait, la jeune femme tenta tant bien que mal de se cacher. IndiffĂ©rent, l’ours en peluche continuait :


— Au cours de votre vie de couple, vous avez : menti, manipulĂ©, profitĂ©, possĂ©dĂ©, niĂ© la douleur que vous causiez. Vous avez choisi la voie de la saletĂ©, de la soumission, et de la perversion. Sale dans votre corps, dans votre sensibilitĂ©, dans votre communication, dans vos relations ! Vous ĂȘtes une souillure de niveau 1 ! CondamnĂ©e Ă  la dĂ©sintĂ©gration.


La foule hurla de joie sur les placards, alors que la juge sortait sa montre et attendait l’heure Ă  laquelle commencerait son mĂ©tier de bourreau. Toujours dans l’évier, le roi BĂŽ souriait. Orgueilleux et immobile souverain bien moins propre qu’il ne le laissait dire. Une puissante rage envahit Rebecca. Qui cessa de se cacher.


Nue, et indiffĂ©rente, elle se sentait forte. Ramassant la liane rose qui avait servi Ă  l'enchainer, elle s’en servit pour attraper la montre de la peluche, et la tirer vers elle d’un geste sec. Perdue, affolĂ©e, dĂ©vastĂ©e, la MĂ©tier tenta de retenir son prĂ©cieux objet. Mais Ă  l’instant oĂč il quitta ses pattes, elle s’immobilisa, se mit Ă  pleurer, et s'endormit comme si elle ne l’avait pas fait depuis des annĂ©es.


Rebecca saisit le passe-partout, offrit un regard de rage Ă  l’élĂ©phant dĂ©boussolĂ©, et s’en servit pour passer dans le rose de ses dents en plastique.


L’évadĂ©e n’avait pas besoin de regarder, pour savoir que sur la montre la carte indiquait que le plus gros point noir se trouvait dans l’évier. Ce point mouvant et allĂ©chant, qui avait de fortes chances d’indiquer la sortie. Ce point connectĂ© aux passages roses, aussi faux que les dents que portait l’élĂ©phant. Ces fausses plantes, auxquelles on accĂ©dait grĂące Ă  la montre Ă  gousset.


Quand la jeune femme rouvrit les yeux, elle cru les avoir fermĂ©. Le noir autour d’elle Ă©tait si profond qu’elle semblait nager en plein rĂȘve. Aucune odeur n’émanait du lieu. Aucun son, ni aucune texture. Une absence de sens qui donnait le vertige, surtout avec la fatigue qu’avait accumulĂ©e l’animatrice.


Son corps semblait s’ĂȘtre mĂȘlĂ© Ă  l’obscuritĂ© dans laquelle elle fondait.


Aussi, quand la voix parla, elle eut la sensation qu’elle parlait à travers elle.


— Qui es-tu ? Que fais-tu ici ?


MĂȘme si elle ne savait plus oĂč ils Ă©taient, Rebecca sentit les larmes lui monter aux yeux.


— Je crois que depuis le dĂ©but de la soirĂ©e, personne encore ne m’avait encore demandĂ© qui j’étais
 Elle renifla. J’en viens parfois presque Ă  l’oublier tant je disparais dans un boulot que je n’aime pas pour un rĂȘve que je ne vois pas



— Si tu n’aimes pas, pourquoi tu le fais ?


— Pour Jacob, parce que je l’aime



— Mais si tu ne le vois pas, pourquoi tu le fais ?


— Parce que je dois tout construire, tout porter, tout prĂ©parer
 Le mariage, les enfants, et toutes les conneries du genre



— Et lui ne prĂ©pare rien ? Et toi, tu veux toutes ces conneries ?


— C’est Ă  moi de tout porter. Il n’en est pas capable. Je veux me marier
 Pour l’attacher Ă  moi et ne plus jamais avoir peur qu’il me quitte. Je ne veux pas d’enfant
 On est bien tous les deux, juste tous les deux
 Il n’est pas encore temps.


— Si tu ne le vois pas, je ne vois pas quelle diffĂ©rence il y aura s’il te quitte ou pas. Si tu ne veux pas, je ne vois pas pourquoi tu dĂ©truis ton identitĂ© pour ça. Si tu veux encore retourner lĂ -bas, tu dois te dĂ©pĂȘcher de t’en aller avant que je t’ai mangĂ©.


Étouffant un hoquet, Rebecca rouvrit les yeux de surprise.


— Qui es-tu ?!!


— Je suis le monstre carie. Celui qui naĂźt du plaisir et qui dĂ©vore petit Ă  petit. Mais je ne veux pas te faire de mal. Si tu ne veux pas mourir, il faut que tu partes avant d’avoir fondu en moi.


— Mais comment faire pour m’en aller ?!! Je cherche depuis le dĂ©but une sortie Ă  cette putain de tasse de cafĂ© !


— Le monstre, c’est toi. Pleureuse, peureuse, capricieuse, insensible, surchargĂ©e, Ă©gocentrique, coupable. Je peux t’ouvrir la voie
 Suis la lumiĂšre, j’espĂšre qu’elle te mĂšnera au bon endroit



Reprenant conscience de son corps, arrachant ses membres au noir dans lequel ils se fondaient. Elle couvrit le monde autour d’elle d’un regard affolĂ©, et tendit un bras dĂ©sespĂ©rĂ© vers le point de lumiĂšre qui dĂ©chira l’air.


Avalée progressivement par la clarté, il lui fallut cligner plusieurs fois des yeux pour voir le nouveau monde dans lequel elle se trouvait.


AllongĂ©e dans une chambre d’hĂŽpital, le monde Ă©tait flou comme une animation de mauvaise rĂ©solution. Elle distinguait le vrai soleil briller Ă  travers les fenĂȘtres, les draps froissĂ©s auxquels elle s’accrochait, les mains qui vinrent saisir les siennes et le visage Ă  quelques centimĂštres d’elle.


— Rebecca ! Comment te sens-tu ?! Oh mon Dieu, j’étais si inquiet



— Dit putain, et ne jure pas sur Dieu devant moi
 MaugrĂ©a-t-elle en repoussant le visage sans cesser d'agripper les mains.


— Apparement l’anĂ©mie ne change rien Ă  ton mauvais caractĂšre, pouffa Jacob. Je m’en souviendrais.


Sourire sucré, odeur de menthe et de propreté.


Serrant les mains de son amant, les larmes montÚrent à nouveau aux yeux de Rebecca quand elle se rendit compte à quel point il lui avait manqué.


— Tes lunettes sont sur la table de chevet. Lui montra-t-il en s’écartant. Je vais te chercher de l’eau. Rajouta-t-il alors qu’elle paniquait. Tu dois ĂȘtre assoiffĂ©e aprĂšs 38 heures passĂ©es dans le coma.


— 38 ?! S’étouffa l’animatrice.


— Oui. Comme tu n’es pas rentrĂ©e de la nuit, j’ai appelĂ© ton collĂšgue pour qu’il parte plus tĂŽt au boulot, et il t’a trouvĂ© Ă©vanouie sur ton ordi. Tout le monde s’est inquiĂ©tĂ© tu sais.


— Adieu Ă  ma promotion ! 
 Geignit la jeune femme.


— Alors lĂ , bien fait pour toi.


L’animatrice Ă©carquilla les yeux, et tourna la tĂȘte Ă  temps pour voir Jacob claquer la porte de la chambre. Elle ne connaissait pas. Elle connaissait le Jacob inquiet, bienveillant, doux, plein d’humour. Elle ne connaissait pas le Jacob rancunier, Ă©nervĂ©. Puis elle se rendit compte que c’était juste le comportement normal qu’elle mĂ©ritait.


Se prenant la tĂȘte entre les mains, la terreur de se faire abandonner rĂ©pandit la nausĂ©e.


— Tiens, fit son amant en revenant. J’ai prĂ©venu les infirmiers que tu Ă©tais rĂ©veillĂ©e, la mĂ©decin ne devrait pas tarder Ă  passer.


— Jacob
 Supplia-t-elle en repoussant la bouteille qu’il lui tendait.


— Non Rebecca. Imposa-t-il froid. Puisque pour une fois on peut parler, tu vas me faire le plaisir de m’écouter. Et bois ! Prescription mĂ©dicale.


ÉtonnĂ©e que Jacob soit capable de donner un ordre. La jeune femme grogna, mais prit sur elle, et avala quelques gorgĂ©es de la bouteille. Amour culpabilitĂ© soif et fatigue la rendant presque docile.


— Bien
 Sourit son fiancĂ©.


Quelques secondes s’écoulĂšrent, pendant lesquelles le doux visage brun devint plus sĂ©rieux que jamais.


— J’ai beaucoup rĂ©flĂ©chit Rebecca
 Pendant que tu dormais.


La concernĂ©e dĂ©glutit. Redoutant ce qu’il allait dire.


— Je t’aimes toujours. Et je sais que tu m’aimes aussi. Mais tu me fais mal. J’ai beau t’envoyer des appels de dĂ©tresse, tu les ignores, persuadĂ©e que tu ne connais pas le tort.


La jeune femme se détourna et ferma les yeux.


— Je ne veux pas me marier. Avoua-t-il.


Rebecca resta de marbre.


— Je ne veux pas d’enfants. RĂ©pondit-elle.


Elle rouvrit les yeux, et tourna la tĂȘte, pour tomber face Ă  un Jacob qui souriait.


— Le plus intelligent serait qu’on se sĂ©pare. Continua-t-il. Que tu arrĂȘtes de te tuer Ă  la tĂąche pour moi, et que tu arrĂȘtes de me faire pleurer le soir. Mais comme je suis tĂ©tu et capricieux, je ne veux pas. Rejeta-t-il d’un ton sec. Si on communique comme avant, on peut Ă©voluer sur la bonne pente. J’ai toujours voulu des enfants, et tu as toujours menti pour ne pas me faire fuir. Sauf qu’on en aura lorsque nous serons deux Ă  les vouloir ! Je sais que tu veux m’épouser pour te rassurer. Alors tant que ce serait pour cette raison, je refuserai. Et pas de mariage, pas de surmenage !


— Mais, je suis Ă  quelques semaines de devenir responsable ! S’offusqua la vidĂ©aste.


— Si c’est ce que tu veux, je te soutiens. Mais moi, ce que je veux c’est quelqu’un Ă  aimer le soir. Quelqu’un avec qui je peux communiquer. Quelqu’un qui nous tire vers le haut, au lieu de nous porter vers un endroit oĂč aucun de nous deux n’a envie d’aller !


— Je ne savais pas que tu Ă©tais devenu adulte. S’étonna Rebecca.


Les yeux de Jacob pĂ©tillĂšrent, alors qu’ils regardaient en elle. Ses lĂšvres s’étirĂšrent d’un sourire.


— Moi non plus je ne savais pas que tu avais grandi Rebecca. Moi non plus je ne savais pas















Catablor

Je viens de finir de le lire, et si jamais ça t’intĂ©resse, j’ai aussi annotĂ© le texte pendant ma lecture (d’ailleurs pour des critiques plus complĂštes je pense qu’un vocal serait le mieux pour que je fasse un bilan plus complet).

Concernant la contrainte de dĂ©fi, je pense qu’on peut dire que c’est rĂ©ussi car on se retrouve bien dans un monde similaire Ă  Alice au Pays des Merveilles. AprĂšs, j’ai une connaissance trĂšs superficielle de cette Ɠuvre (jamais lu ni vu les films exceptĂ© le dessin animĂ© de Disney quand j’étais petit, c’est dire si j’en sais peu).

Pour ce qui est du texte en lui-mĂȘme, d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale il est trĂšs, trĂšs bien Ă©crit : un vocabulaire fourni, une plĂ©thore de figures de style, on rentre dedans sans problĂšmes, on ressent bien les Ă©motions du personnage principal, on s’intĂšgre aux scĂšnes sans avoir Ă  se taper trop de descriptions, bref, on y retrouve ton style d’écriture et c’est plutĂŽt plaisant.

En revanche, y’a quand mĂȘme quelques points plus problĂ©matiques (que j’ai relevĂ© plus en dĂ©tail dans le texte annotĂ©) :
- Les phrases coupĂ©es. Je sais que c’est liĂ© au style pour donner du punch mais certaines fois c’était trop je pense : « Une puissante rage envahit Rebecca. Qui cessa de se cacher. » lĂ  j’aurais mis une virgule, tout simplement. Idem pour « La tĂȘte de la jeune femme dodelinait. Sans qu’elle parvienne Ă  rester concentrĂ©e. » ça casse le rythme.
- Au tout dĂ©but, y’avait quelques participes prĂ©sents en trop je pense.
- Le langage de Rebecca est trop vulgaire. « Bordel » « putain » 
 c’est trop pour un personnage qui ne donne pas du tout l’impression de pouvoir sortir ce genre de choses au dĂ©but, ça casse un peu son caractĂšre. (Ça veut pas dire que sa surprise ou sa colĂšre ne passaient pas, mais que les expressions qu’elle utilisait Ă©taient un peu raides. Ou alors faudrait lui mettre ce trait de caractĂšre plus en relief et dĂšs le dĂ©but).
- Quelques autres petits problĂšmes Ă  la con mais rien qui soit suffisamment chiant pour que je le note ici.

À part ça, c’est quand mĂȘme vraiment bien pour tout le reste. La mĂ©taphore de la propretĂ©, le cotĂ© psychĂ©dĂ©lique, tout est trĂšs bien menĂ©.

Un autre point qui m’a interpellĂ©, un peu diffĂ©rent des autres : le « TW » quand t’as postĂ© le texte. Bon, vous faites ce que vous voulez hein
 dĂ©jĂ  j’aime pas les anglicismes, mais au-delĂ  de ça, je trouve que ce genre de prĂ©cautions est superflue, surtout pour un texte comme le tiens. Je ne dis pas qu’il ne faut pas prĂ©venir les gens en cas de choses vraiment choquantes, mais lĂ  y’a rien
 ça confine Ă  l’auto-censure et je trouve ça discutable. Si des gens sont choquĂ©s par un personnage d’animatrice en surcharge de travail et un Ă©lĂ©phant rose, c’est qu’il y a un problĂšme de leur cĂŽté 

On pourrait penser que c’est un sous-sujet par rapport au reste du texte mais j’ai vraiment hĂ©sitĂ© Ă  le lire Ă  cause de ça ^^"

Mais bref, Ă  part ça
 bah c’était vraiment bien. Un des rares textes oĂč je peux rentrer dans l’histoire et lire 4-5 pages d’une traite sans trouver aucun dĂ©faut.

Et pour le moment t’es la seule Ă  avoir relevĂ© ce dĂ©fi, donc bravo Ă  toi !


Le 05/07/2022 à 13:55:00



Awoken

Ton texte est sympa, je l'ai lu d'une traite. Bravo!


Le 13/07/2022 à 16:04:00

















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