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Salander![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Moi, c'est Wol(par Salander)Moi, c’est Wol. Wol tout court. Wol le chien. Je suis le gardien, le passeur, le maître de l’Hôtel. Wol, le molosse de l’embranchement ! Mon travail, c’est de protéger les chaînes, guider les voyageurs. J’adore mon travail ! Je m’amuse beaucoup, je fais pleins de rencontres, j’ai une grande famille ! … Elle est juste pas ici.
Moi, j’ai une grande maison, rien que pour moi ! C’est tout blanc, tout géant ! Plein de halles, et de grandes tours de marbres qui dépassent ! Y a des dalles au sol, et quand j’aboie ça résonne. Mais les voyageurs aiment pas en général quand j’aboie. Alors j’aboie en général quand les voyageurs ils sont pas là .
La maison, c’est l’Hôtel. L’Hôtel de Passe, l’Hôtel des chaînes, l’Hôtel du chien. Il est tout blanc tout géant ! Comme une très bonne blague, posée sur l’île de Passe. C’est tordu, c’est absurde. Faut dire que c’est tout marron et tout petit l’île de Passe. C’est marron à cause de la gadoue. Et il y a de la gadoue à cause du lac. C’est un voyageur qui m’a expliqué ça.
L’Hôtel est géant, l’île est toute petite, et le lac est immense ! C’est comme un bubon, poussé trop grand, sur une crotte de bique, au milieu d’un océan. L’eau est toujours bleue. Le ciel est toujours gris. L’Hôtel est toujours blanc.
Moi, j’aime bien la gadoue ! Ça splotch, ça splatch ! Mais les voyageurs aiment pas en général quand je splatch. Alors.
Moi, j’aime bien les voyageurs ! Ils viennent, ils partent. Au final, ne reste plus que leurs histoires.
Sauf que les histoires ça s’accroche mal sur marbre.
Les voyageurs, c’est ma famille ! Ils savent plein de choses ! Ils ont vu pleins de trucs ! Moi, je sais que l’île de Passe. Ils parlent bien les voyageurs ! Ils me racontent leurs histoires ! Et chaque histoire est unique, parce qu’ils viennent tous de mondes différents les voyageurs. Ils viennent avec leurs histoires, et je leur ouvre les chaînes. C’est drôle. Parce qu’ils pensent que les chaînes sont des ponts entre les mondes. Mais non ils se trompent. C’est des chaînes autour de l'Hôtel. Mais donc du coup voilà . Ils viennent avec leurs histoires, je leur ouvre les chaines, ils passent dans d’autres mondes. Ils vont voir d’autres choses. Apprendre d’autres trucs.
Et moi, je reste à l’Hôtel, sur la petite crotte de bique, au milieu de l’océan.
Pour l’instant, y a pas de voyageurs. Ils sont tous passés. Mais c’est pas grave ! Je les attends ! C’est mon rôle, c’est mon job, c’est mon travail. Je suis le maître de l’Hôtel, le passeur, le gardien. Je les attends à l’embranchement, et ils pourront pas me louper !
— Bordel Bouchon ! Tes circuits ! Tu vas rouiller avec toute cette humidité… Attiré par le bruit, mes griffes dérapent sur les dalles, et je cours dans les couloirs. Je reconnais cet accent ! Il vient du Gaps. Le monde des fées. Un voyageur du Gaps est sur Passe ! Naît la joie ! Je déboule sous l’Arche, saute les marches, roule dans la gadoue, lève la tête vers le ciel.
C’est tout mon corps qui frissonne. Ça tape trop fort à l’intérieur. Je veux hurler. Je veux tout casser. Mon bonheur est trop violent. Ça frétille. Mon corps torpille. J’ai mal de bonheur, j’adore le bonheur !
— Accroupis-toi que j’isole tes rouages. Merde, t’es trop cabossé ça coulisse mal… Je reconnais leur odeur. C’est la forêt, la laine, le fer. Tout plein de mots que je connais sans connaître. Face à l’entrée de l’Hôtel, le voyageur est là , avec son robot. Au bord de la rive, les jambes à moitié enfoncées dans l’eau. Ils splatch, ils sploutch ! C’est un tout petit voyageur, avec un grand robot. Le robot grésille, pépite. Comme un bug dans un mauvais film. Des robots, j’en ai vus pleins ! Celui-ci est raté, et tout abîmé. Tout en bois et tout cassé. Comme s’il était né d’un enfant qui savait pas quoi bricoler.
Le voyageur est tout petit, tout petit. Tout vert et fer. Il cuivre et il sonne. Il a l’odeur d’un bricoleur. J’aboie de joie ! C’est trop de bonheur parce que j’adore les bricoleurs !
Il tourne la tête vers moi.
Je cours vers eux, et leur tourne autour en agitant la queue. Je splatch de l’eau partout, je roule, et les éclabousse de gadoue. C’est trop heureux ! Je veux voler, je suis trop joyeux ! J’aime les voyageurs, et j’aime les robots. C’est mon travail de les accueillir. J’attendais depuis si longtemps de recommencer à vivre !
Je saute au coup du voyageur, le lèche, me frotte contre sa tête, attend des caresses, reçoit des insultes.
Je roule sur le côté, évitant les coups, les oreilles baissées. J’avais oublié. Mon travail, c’est de m’adapter. C’est assez souvent, en fait, que les voyageurs sont violents. Mais c’est pas grave. C’est parce que j’ai mal fait mon travail. Le voyageur a vraiment pas l’air content. Faut dire, il est tout trempé maintenant. Son robot est tombé, son ventre ouvert prend l’eau comme un bâteau échoué. Je crois que le voyageur commence à stresser. J’avais oublié. Mon travail, c’est de me taire et les écouter. Il grogne, il m’insulte, il me chasse. Je couine sans fuir, parce que je veux rester. Même si j’aime pas me faire taper, moi, je veux être à ses côtés !
Au final, le voyageur, il me tape pas. Il agite les bras, cris, alors je me recroqueville, et je couine. Mais il me tape pas. Il peste, il me repousse. Puis il caresse son robot, lui parle, alors qu’il gît dans l’eau.
C’est gadoue, c’est misère. Il y a la peur. La tristesse. Mais je suis si heureux d’être avec eux ! Ils sont là , avec moi ! Sauf qu’il faut que je me tais. C’est comme ça. Je m’adapte. C’est mon travail.
La joie, noie la dans l’eau du lac.
Je geins, la queue entre les jambes. Le robot a l’air lourd. Il est si immense, et le voyageur si riquiqui ! Mais le voyageur le traîne, lui parle, et le chérit. Moi je reste dans l’eau assis. Le voyageur traîne le robot hors de l’eau. Il le traîne dans la boue, jusqu’à l’Hôtel, jusqu’en haut des marches de marbres. Un boulon tombe. Il fait cling clang clong. Le voyageur peste encore. Il faudra que je fasse vraiment bien mon travail. Il rage. Il donne un coup de pied dans le boulon. Il faudra que je fasse vraiment vraiment bien mon travail. Le voyageur traîne le robot, tout plein de gadoue et d’eau. Ils disparaissent, sous l’Arche blanc. Je couine, je patauge. L’Hôtel les a avalé, le voyageur est en colère, et son robot est cassé. Et mon cœur est tout emmêlé. Car même si j’ai peur, je suis si heureux ! Le blanc est sale. Ça faisait si longtemps !
La peur, noie la dans l’eau du lac.
Je couine. Je gratte la terre. Je veux les suivre ! Mais il faut que j’attend. Parce que il faut que le voyageur se calme. Parce que il faut que je fasse bien mon travail. Parce que mon travail, c’est moi. Et que si je le fais pas, je suis tout seul.
La volonté, noie la dans l’eau du lac.
Je jappe faiblement, avance lentement. Les rejoindre, tout doucement. Je clopine vers l’Hôtel et monte les marches. Tout doucement. Avance lentement. Et pourtant, c’est frisson d’excitation. C’est trop de bonheur ! L’Hôtel tout blanc est tout sale maintenant. C’est la vie qui arrive ! C’est les voyageurs qui laissent leurs traces ! Depuis le temps que j’attendais le changement. Les traces de boues, me guident dans les couloirs. Y a les petites traces de pas du voyageur. Puis les grandes traces du grand robot. Le voyageur piétine. On voit que tirer son grand robot est difficile. On dirait qu’il fait de plus en plus de pauses. Il doit être fatigué. Il doit pas être loin.
Les traces de boues me guident jusqu’au grand Hall. L’un des grands Hall. Il est tout haut. Il est tout blanc. Juste les traces de boue souillent ce lieu immense. Y a pas de fenêtres. Mais y a la lumière. Les voyageurs cherchent toujours d’où vient la lumière. Mais elle est là . C’est tout. Et elle change pas. C’est comme le ciel, le lac, l’Hôtel. Ils viennent de nulle part. Ils sont là . C’est tout. Et ils changent pas.
Le voyageur s’est installé dans un coin du Hall. Pas tout au bout parce qu’il était fatigué. Mais pas tout au centre parce que les voyageurs aiment pas se mettre au centre. Il a allumé un feu. Pour sécher son robot et ses vêtements. C’est chaud, c’est flamme. L’air grésille. L’odeur et la fumée parviennent jusqu’à moi. Je frissonne. Je dois encore beaucoup marcher, pour traverser le Hall. Le voyageur est si loin. Je vois juste sa forme, dessinée par ses flammes. Je jappe doucement. Juste pour annoncer ma présence. Je n’ai pas besoin de le voir pour sentir le regard noir qu’il me lance. Je couine, je baisse la tête, puis j’avance. Je sais qu’il m’en veut d’avoir mouillé son robot. Je sais que je devrais le laisser se calmer. Mais même s’il me tape, je veux être à ses côtés ! …
La volonté, noie la dans l’eau du lac !
Je m’arrête, à bonne distance du feu. Maintenant, je vois son visage. Il a l’air très concentré. Tout précautionneux, alors qu’il bricole son robot cassé. Il a posé un gros sac en cuir, d’où sort plein d’odeurs et de musique. Les flammes lèchent le sol, se reflètent sur le cuivre. C’est bazare, c’est vivant. Petite chaleur, dans le hall immense ! Le feu crépite. Il fait danser les ombres du visage du voyageur. Il est tout beau. Tout flamme. Tous les voyageurs sont beaux. Sont flammes. Il a des beaux yeux oranges. Des beaux cheveux bruns. Une odeur de lumière. C’est tout doux, c’est concert ! Je suis si seul. Comme je l’aime !
Je jappe à nouveau. Pour qu’il remarque mon approche. Son regard noir est encore plus dur de près. Il m’ignore. Alors je m’approche encore. Il grogne. Je m’arrête. Je repars. Il grogne encore. Alors je m’arrête encore. Puis on recommence encore.
Je veux l’aimer. Je veux qu’il m’aime. Alors on s’apprivoise.
Parce qu’on est une famille.
Au final, j’arrive près du feu. Le voyageur a cessé de triturer son robot. Il est immobile, prostré. Sa tunique mouillée s’étale comme une fleur sur les dalles opales. Il regarde son robot d’un air désespéré. Son robot à moitié démonté et tout cabossé. Son robot éventré, qui dégueule ses ressorts et son bruit tout rouillé. Le voyageur le regarde désespéré. Puis son regard se tourne vers moi. Et je vois tout le malheur dans son regard. Alors je couine. Parce que j’ai mal pour lui. Son beau robot est tout cassé. Et le beau voyageur est tout dévasté. Alors je couine. Et je me rapproche encore de lui. Une larme roule contre sa joue. C’est tristesse ! C’est chagrin ! Je pleure à l’intérieur. Le voyageur trépite. Puis m’attire contre lui. C’est tremblant ! C’est fragile ! Il doit beaucoup l’aimer, son robot, pour pleurer pour lui.
J’espère qu’il m’aimera autant que lui.
J’ai plus peur, j’ai plus de bonheur, j’ai que les pleurs. Il est tout petit le voyageur contre moi. Après tout, c’est un habitant de Gaps. Il couine, il frémit. Sa tunique verte tout contre mon pelage tout humide. On est mêlés, tout mélangés. On est une famille. Je veux couiner avec lui. Frémir avec lui. Pleurer avec lui. Parce qu’avec lui, c’est moi qui me brise. Mais je dois tenir. Parce que mon travail, c’est de les accueillir.
La tristesse, noie la dans l’eau du lac.
Je me frotte, je jappe, j’agis. Il faut que je le tire de sa tristesse ! Qu’on soit heureux, unis ! Que je le guide à travers les chaînes, qu’il me raconte ses histoires, qu’il fasse vivre l’Hôtel ! Mais le voyageur se courbe, se ferme. Comment empêcher de couler toute cette tristesse ? — Pas maintenant le chien. Si tu veux jouer, va jouer plus loin. J’suis pas d’humeur… Je geins, et me colle contre lui. Son corps est fin. Tout maigre, tout riquiqui. Il clic, avec ses breloques et ses outils. C’est douleur dans les os, ça brûle sous la peau. — Faut pas pleurer. Un robot, ça peut se réparer. Tu es à l’Hôtel ici ! Tout peut que bien se passer… Le voyageur sursaute, et s’éloigne de moi. Je couine. C’est vrai que les voyageurs sont toujours surpris. Les chiens, ça parle pas, ça obéit. Mais moi je suis pas un chien. Je suis le passeur ! — Me quitte pas ! Je suis le passeur, le maître de l’Hôtel. Je suis là pour toi ! — Le… Le maître de l’Hôtel ? … J’implore, je pleure. Je plonge mes yeux dans les siens, et le voyageur déglutis entre ses frissons chagrin. — Mon travail, c’est de garder l’Hôtel, de guider les voyageurs. Moi, moi, c’est Wol. Wol tout court. Wol le chien. Je suis le gardien, le passeur. Je suis là pour toi ! Alors ne pleure pas. — C’est… c’est vraiment toi le passeur ? Le voyageur renifle. Il secoue la tête. Avale et renifle encore. Il reprend toute la fermeté qui le faisait grogner. Tout battant et tout fragile. Son robot c’est comme son cÅ“ur. Faut qu’il soit debout pour que le voyageur le soit aussi. Alors le voyageur il a pas le choix. Il se bat. — Je suis le passeur ! Et je suis là pour toi. Pour te guider, pour t’écouter, pour te protéger. Alors pleure pas ! Sinon, ça voudrait dire que j’aurais mal fait mon travail… Le voyageur grogne, puis renifle encore. Son beau regard orange devient plus noir. C’est comme ça. Son cÅ“ur est tout cabossé, mais il se bat. — Ton travail ? Et c’est quoi exactement, ton travail ? … Sa voix est sèche. Cassante. Je couine. Une voix douce qui a râpé, toute érodée. Nos deux corps coulent sur les dalles. Sa tunique est pleine de poils noirs. Ses cheveux bruns sont tout emmêlés. Les braises tempêtent. Le silence est présent alors qu’il attend. Je suis pas habitué à parler. Moi mon travail, c’est surtout d’écouter. …
— Moi, moi, c’est Wol. Wol tout court. Wol le chien. Je suis le gardien, le passeur. Wol… le molosse de l’embranchement. Je suis le maître de l’Hôtel. C’est moi qui accueille les voyageurs. Qui fait en sorte qu’ils soient bien ! Jusqu’à ce qu’ils repartent à travers une autre chaîne... Je suis là depuis toujours, et l’Hôtel est là depuis toujours que je suis là . L’Hôtel, c’est ma maison. Et mes maîtres, c’est les voyageurs. Ils sont ma famille ! Et j’adore ma famille. Ils me racontent des histoires, des mondes que je peux pas voir. Parce que moi je peux pas partir d’ici. Même si je le voulais je pourrais pas. Parce que je suis le passeur, le molosse de l’embranchement. Il faut que je garde l’Hôtel. Parce que si je le garde pas, je suis quoi ? Et si je le garde pas, qui viendra à moi ? Non, moi, je suis le passeur. Et je reste à la maison en attendant le retour des voyageurs. Les voyageurs, c’est ma famille. Et j’adore ma famille ! Ils me racontent des histoires, des mondes que je peux pas voir. Parce que moi, je peux pas partir d’ici... Même si je le veux, je peux pas. Je peux pas aller voir tous les beaux mondes que les voyageurs racontent. Je peux pas suivre ma famille quand vient l’heure de partir. Nan, moi je reste à la maison. Mais c’est normal, c’est mon travail ! Je suis le passeur, le maître de l’Hôtel…
C’est bizarre. Je sens que je m’emmêle les pinceaux. Que je répète plusieurs fois la même chose. C’est bizarre. C’est nouveau. C’est la première fois que je parle autant. Les mots trébuchent sur ma langue, et les idées se mélangent. Mais c’est pas grave. Parce que le voyageur a pas l’air pas content. Alors je parle.
Mon travail, c’est d'accueillir et d’écouter.... Alors en général, c’est les voyageurs qui parlent. Ils aiment bien raconter leurs histoires. Je sais pas pourquoi. Ils aiment bien raconter ce qu’ils savent, ce qu’ils pensent… Ça les rend heureux, alors je les écoute. Et moi aussi ça me rend heureux. Mais là , le voyageur, il parle pas. C’est lui qui écoute, et c’est moi qui parle. C’est changeant, c’est bizarre, c’est pas normal… Mais je crois que j’aime bien ça ! …
L’amour, noie le dans le lac.
— Et toi voyageur ! C’est quoi ton histoire ? T’es tout beau, avec ton air lumière et ton cÅ“ur robot ! Tu viens de Gaps c’est ça ? Le pays des fées ! On dit que là -bas, les tempêtes n’existent pas ! Enfin, je sais pas vraiment ce que c’est une tempête, mais il parait. On dit que là -bas, le vent est sucré. Et les montagnes douces comme des nuages. À moins que ce soit les nuages doux comme des montagnes ? Je sais plus. On dit que là -bas, les rivières chantent, et les oiseaux coulent. Ça coule tout doux, leur vol réchauffe ! … C’est comme ça voyageur ? C’est comme ça chez toi ?! …
J’attend la réponse, mais le voyageur il répond pas. Tout recueilli près du feu. Il a ses genoux contre sa poitrine, son menton contre ses genoux, et ses bras tout autour. Son regard est calme, éclairé par les flammes. Son visage clair est concentré sur mon histoire. Il m’écoute vraiment, et ça fait bizarre. Il est chaleur, fer et nature, métal et sciure ! …
Je déglutis.
— Et toi voyageur ! C’est comment chez toi ? Comme disent ceux qui racontent ? Je n’ai jamais rencontré de voyageur de Gaps. Et j’en suis sûr ! Parce que je me souviens de tout le monde ! C’est normal après tout, c’est ma famille… On dit aussi, que les natifs de Gaps, ne quittent jamais chez eux. C’est drôle ! Parce qu’on dit aussi, que les visiteurs de Gaps, ne restent jamais avec eux. Pourtant vos habitants sont tout gentil ! Enfin, c’est ce qu’on m’a dit. Tout sucré, et tout musique. De la paix dans les oreilles, et un bonbon dans le cÅ“ur. Ah ! Mais c’est pour ça que tu as quitté Gaps ? Ton cÅ“ur à toi voyageur, c’est un robot !
Je saute, tout content de ma découverte ! C’est jamais moi qui devine, c’est toujours les voyageurs qui m’expliquent. Je me roule sur les dalles, entre les boulons et les flaques. Je suis si heureux ! Si joyeux ! Tout est nouveau ! C’est bizarre, c’est hésitant. Je tremble, mais j’avance ! Je me redresse, pour vérifier que le voyageur a toujours l’air content.
Il est fermé. Tout distant. Le feu est chaud. Mais il est froid comme les dalles. Je me dresse sur mes pattes. Je ne suis pas heureux. Les voyageurs, c’est la vie. La vie est chaude ! Turbulente ! Il n’a pas le droit. Il n’a pas le droit de s’effacer. De faire disparaitre toutes ses couleurs dans le tout blanc de l’Hôtel ! Il est le bruit, il est la vie. Que serais-je sans lui ?!
— Tout va bien, le chien. M’apaise-t-il en tendant la main. Je suis heureux. Tu fais bien ton travail. Je suis juste un peu fatigué… Quand est-ce que le soleil se couche à l’Hôtel ? J’aimerais pouvoir dormir.
Je me force, à rester assis. C’est vrai qu’il a l’air tout fatigué. Les ombres creusent son visage enflammé. Trop bizarre, pour un voyageur de Gaps… La situation est bizarre. Le voyageur est bizarre. Mon comportement est bizarre. Ce n’est pas normal ! …
C’est nouveau, c’est changeant. Et j’ai peur. Mais je bourdonne ! Et j’ai peur. Mais tant que je fais bien mon travail, tout va aller bien. Je le sais, parce que je suis le chien. Alors il faut pas que ça change. Je le sais, parce que je suis le chien. Il faut pas que ça change…
L’espoir, noie le dans l’eau du lac.
— Y a pas de nuit à l’Hôtel. L’île de Passe ne change pas. Y a pas d’usure, y a pas de vent, y a pas de temps. Ici, on est à l’embranchement. Entre toutes les chaînes ! Qui relient tous les mondes ! Les mondes ils sont vivants. Les voyageurs ils sont vivants. Mais ici, on est à l’embranchement. Et l’embranchement, il est mort. Le lac est toujours bleu. Le ciel est toujours gris. L’Hôtel est toujours blanc. Le chien est toujours noir. Ici, on est figé, et je bouge sans bouger. C’est la mort au croisement. Toujours la même seconde, depuis si longtemps. Y a que les voyageurs qui sont vivants…
Je baisse la tête. Et laisse dériver mon regard vers les traînées de boue sèches. C’est marron. C’est sale. C’est la trace de la vie. Je retourne la tête vers le voyageur. Qui me fixe.
Il est beau le voyageur. Différent des autres. Plus beau que les autres. Il se tait, tout plein d’intelligence et de silence. Y a le malheur entre ses traits, et les idées qui pétillent sous les pensées. C’est tiède, c’est abrupt, mais c’est doux sous la couverture. C’est bizarre, c’est pas normal, et j’aime ça. Je veux l’aimer. Je veux qu’il m’aime ! Cette fois-ci c'est différent, alors peut-être que ça va se faire ! …
L’espoir, noie le dans l’eau du lac ! …
Le voyageur se met en tailleur, incline la tête, et réfléchit. Il y a les mèches brunes devant, puis le reflet du feu dans les yeux oranges, puis la vie derrière les iris. Ça court vite, ça bondit ! C’est si calme, et si rapide. Il cligne des paupières, prend une décision, puis relève la tête. C’est si précis, et si limpide. Il est si beau. Comme je l’aime !
— Merci pour tes explications Wol. J’ai effectivement quitté Gaps, pour me rendre dans le monde des humains. Seulement, mon bouchon est bien abimé. Il me faudra sans doute plusieurs jours pour le réparer. Quand ce sera fait, je quitterai l’Hôtel, pour me rendre dans le monde des humains. Quand tu parles des chaînes, tu parles bien des ponts ? Eh bien ce jour-là , j'aimerais que tu m’ouvres le pont. C’est ton travail non ?
Je saute sur mes pattes.
— Oui ! Oui ! C’est mon travail, et je suis mon travail. Je suis Wol ! Le passeur ! Deux mots différents et pourtant c’est là même chose juste emmêlée dans deux mots différents…
— Tu es Wol. Et ton travail c’est passeur. Gronde le voyageur. Deux mots différents pour deux choses différentes.
Il a l’air en colère. Je n’ai pas le temps de couiner qu’il enchaine :
— Moi, je suis Camilla. Mon travail, c’est inventrice. Et en ce moment, je suis voyageuse. Trois mots différents pour trois choses différentes. Tu comprends ?
Je n’ai pas compris, mais je fais signe que oui.
— Ton travail Wol, c’est de m’accueillir, puis de me guider à travers les ponts. C’est bien ça ? Je t’en remercie. Mais tu vois, tu n’arrêtes pas de me demander de te parler, de te raconter mon histoire. Seulement je n’aime pas parler. Encore moins parler de moi. En revanche, ça ne me dérange pas d’écouter. Est-ce que ça te dérangerais, toi, si pendant mon voyage, c’est toi qui parles et moi qui écoute ?
Je reste, immobile, sans savoir quoi répondre. C’est pas souvent, en fait, que les voyageurs me demandent mon avis. Je gratte les dalles. Écoute les braises. Peut-être que c’est une blague ? J’ai toujours du mal avec l’humour des voyageurs.
— Écoute, il n’y a aucune raison de paniquer. Me rassure l’inventrice en posant une main sur mon épaule. C’est exactement comme d’habitude. Sauf que c’est moi qui m’adapte, et c’est toi qui raconte. Même si l’île est morte, que l’Hôtel ne change pas, que le temps n’existe pas. Tu dois en avoir accumulé, non ? Des histoires. Depuis le temps que tu te tais pour écouter…
Je grésille. J’hésite. C’est bizarre, c’est nouveau, c’est tremblant… Je veux y aller ! Mais c’est pas que j’ai peur. C’est que je sais que je devrais pas avancer…
Je le sais, parce que je suis le passeur.
Le voyageuse, a l’air de comprendre mon hésitation. Il me caresse la tête. Et je baisse les paupières. C’est douceur. C’est chaleur. Puis sa main me quitte, et je panique.Tout va bien. Il est simplement en train de fouiller dans son sac. Il en sort une grosse couverture. Aussi verte et épaisse que sa tunique. S'enroule dedans comme une chenille. Se colle contre son robot. Lui caresse le torse. Lui murmure des mots. Et je reste à côté. Tout comme l’Hôtel. Figé.
Le voyageuse baille, avant de se tourner vers moi.
— Prends ton temps pour réfléchir le chien. En attendant, je dors, j’en ai besoin... Réveille moi si t’as un problème… et si t’en as pas bah me réveille pas…
Sa voix marmonne, ses mots ronchonnent. Je n’avais même pas remarqué qu’il était si fatigué. C’est pas normal. Je fais si mal mon travail ! …
Je m’avance timidement. Me rapproche tout doucement. Le voyageuse respire. C’est tout calme. Tout endormi. …
Alors je me roule en boule. Tout contre lui. C’est tout brûlant, à l’intérieur de moi. Si cognant ! Si perturbant ! … Tout est mélangé. Je sais plus si j’ai peur, si je suis heureux, ou si je pleure. Mais tout va bien ! Parce que je suis avec lui. Contre son corps chaud. Son corps qui respire.
Je fais mon travail. J’aime ma famille.
Sauf que cette fois-ci c'est différent. J’espère et pourtant je sais.
On est au bord du précipice.
Alors je ferme les yeux. Noie les émotions. Essai d’être heureux. Puis j’attend. J’attend patiemment. Parce que moi. Je suis comme l’Hôtel. Comme le ciel. Je suis mort. Comme le marbre. Comme la gadoue. J’attend patiemment. Parce que moi.
Je ne dors pas.
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