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Salander![]() Spectacles![]() ![]() ![]() PROBLÈME AU PAYS DU PÈRE NOËL(par Salander)Premier acte : Une lettre au père-noël.
S’il y avait bien une chose que je haïssais plus que tout c’était noël. Les regards ahuris des passants dans la rue, les cadavres de sapins qui perdaient leurs poils, les guirlandes qui ramassaient la poussières, le pain d’épice de ma mère. Nan, s’il y avait bien une chose que je haïssais plus que Noël ce devait être le pain d’épice de ma mère. Surtout depuis qu’elle le faisait au sarrasin à cause de mon frère qui avait décidé de devenir allergique au gluten, et au lait de soja car ma grand-mère était devenue vegan. Putain de famille. Il était 17h, je rentrais du boulot par les avenues de Paris. Autour des marronnier fades et mornes brillaient des guirlandes comme un cache misère. Dessous les mendiants crevaient et les gens s’endettaient. Si Noël était censé être une fête, pourquoi est-ce que tout le monde se retrouvaient à courir, crier, et dépenser l’équivalent d’un mois de salaire dans du fois gras et du cobalt ? Entre les étudiants qui se sentaient obligés de rincer leur familles et leurs mères qui s’évidaient à petit feu dans la cuisine ça faisait un moment que je me disais que la magie de Noël était l’arnaque du siècle. « Très cher Père-Noël, pour cette année, je voudrais que cette fête n’existe pas ! » Je ricanais toute seule de mes méchantes pensées, et me glissais dans la cours de mon immeuble pour prendre l’ascenseur jusqu’au 6ème. On était le 24 décembre et je m’apprêtais à descendre rejoindre ma famille en banlieue pour la fête. Il fallait d’abord que je me sépare de mon costard, que je récupère les cadeaux et la vinasse, avant de filer vers Vitry en taxi. Quelle corvée. Chaque année je tentais me réfugier dans le boulot, mais un sms de mon père suffisait à me faire céder. Tendre papa… putain de papa que je ne pouvais pas me résoudre à décevoir. Nouveau message de Maman : >> Coucou ma chérie, on entamera l’apéro à 18h. Ne soit pas en retard ! Je t’aime. Et le champagne aussi ! Penses au champagne. Quand je disais que les maman perdaient leurs âmes. Putain de fête. J’allais être en retard. Debout face au miroir, je galérais un moment avec mes collants, avant d’enfiler une robe noire et de retoucher mon maquillage. C’était important pour moi car il fallait absolument que je cache mes cernes pour éviter les remarques. Je terminais de me préparer en changeant de boucles d’oreilles et en accrochant une broche à moi poitrine. Une broche de houx. L’année de mes 18 ans, cette broche était emballée dans un paquet à mon nom sous le sapin. Douce et tiède, en émaille sombre et mat. Personne ne s’était désigné quand j’avais demandé de qui était le cadeau. Nous avions alors tous tourné le visage vers mon père, qui s’était contenté de sourire en silence. J’avais serré ce bijoux contre mon coeur et ne l’avait jamais quitté. Toc toc toc. Je tournais la tête vers la fenêtre. — Bonjour, vous êtes bien Gabrielle Grenat ? — Euh, oui ? Le visage suspendue derrière la vitre fit un geste de la main, des dizaines de nains apparurent d’un coup autour de moi, et j’eu à peine le temps de crier qu’un voile noir s’abattit sur moi. Non seulement j’étais en train de m’évanouir, mais en plus on venait de m’enfermer dans un sac. Pour la première fois de ma vie je fus transportée par la terreur. Quand je reviens à moi une toute petite main tapotait la mienne. — Ne vous en fait pas mademoiselle. Le premier voyage en sac à lettre est toujours éprouvant. Prenez votre temps, nous vous avons préparé un morceau de pain d’épice et du chocolat chaud. — On n’a pas le temps ! Le largage est prévu pour dans moins de 6h. — Tu m’as l’air stressé mon ami, veux-tu du pain d’épice ou un chocolat chaud ? — Que quelqu’un me réveille. Ce doit être un rêve, ce ne peut être qu’un rêve ! … Au dessus de moi le plafond était si haut que je le distinguais à peine, des formes floues et colorées volaient dans tous les sens comme un essaim d’abeille bourdonnantes. J’étais couchée sur du béton dur et froid mais tout autour de moi régnait une agitation si dense et intense que l’atmosphère était sec et chaud. Mais plus que les rubans, les paillettes, les kilomètres de papiers colorés, plus que l’immensité de la pièce, j’étais stupéfiée par les créatures qui m’entouraient. Leurs corps étaient fins et pâles, habillés de tuniques éclatantes desquelles dépassaient des ailes qui frétillaient. Recouverts de poussières d’or leurs habits étaient ornés d’étoiles, et des oreilles pointues dépassaient de bonnets pointus qui semblaient collés à leur crâne. Plus je les observais plus j’étais prise d’un profond malaise. Ils parlaient comme des humains, travaillaient comme des humains, riaient comme des humains, mais à la différence du fait que chacun d’eux m’arrivait au niveau du genoux. Ils ressemblaient à une hordes d’insectes bruissant et menaçant à tout moment de fondre sur moi. — Vous avez l’air pâle mon enfant, prenez donc un morceau de gâteau. Recommença le nain qui me serrait la main. — Tu nous empoisonne avec ton gâteau ! Criait l’autre. — Oh, regardez ! L’ingénieure est réveillée ! Remarqua une troisième petite voix. Les visages des créatures se tournèrent vers nous et après un instant de stupeurs, ils s’agglutinèrent autour de moi à la manière une fourmilière grouillantes qui m’inonda. Tanguant, debout, dépassée, dépasser par cette océan d’insecte qui s’accrochaient à mon corps. Je tirais avec colère ma robe sur mes cuisses qu’ils enserraient, et criais ma voix se perdant dans le bourdonnement de leur ailes, hurlant des ordres pour tenter de me libérer de cette horde qui me submergeait. La pression et la colère montaient en moi au fur et à mesure que je me perdais dans cet essaim et que les nains étaient imperméables à ma rage. Quand je fermais les yeux pour ne plus les voir, la colère avait atteint tel un degré que mes muscles tremblaient, et que si la porte de la pièce ne s’était pas brusquement ouverte je les aurais cognés ! Mais la porte de l’entrepôt s’était ouverte, et tous les petits monstres reculèrent d’un seul mouvement, me laissant seule au milieu d’un cercle. Debout entre les lourds battants ouverts sur la nuit, un nain habillé en costume trois pièces resserra sa cravate et donna une pichenette dans son chapeau pointu pour le redresser. — Gabrielle Grenat ? Ravie que vous ayez repris vos esprit. Il reste peu de temps. Laissez moi vous expliquer la situation. — M’expliquez quoi ? Fulminais-je en retenant ma colère d’exploser. — Que vous avez été sélectionnée parmi une longue liste de candidats, en raison de votre qualité d’ingénieure aérospatiale, pour trouver une solution d’urgence à l’incapacité temporaire de nos agents Rudolph, Dasher, Dancer, Vixen, Comet, Cupid, Prancer, Dunder, et Blitzen. Énonça-t-il d’une traite en nettoyant ses lunettes. Le travail de nos agents-rennes de réaliser la tournée étant contraint par la maladie, vous avez 5 heures pour trouver alternative. Si vous échouez, Noël n’aura pas lieu cette année. Un rire froid s’échappa de mes lèvres malgré moi. — Pas de Noël ? Quelle joie ce serait ! Un murmure stupéfait parcourut la foule et je jouis avec cruauté de l’horreur dessinée sur chaque visage. J’avais eu peur, j’avais eu mal, et on me baratinait sur la magie de Noël comme si le sort de cette fête dépendait de moi ! J’éclatais d’un rire plus fort. — Ce n’est pas une blague ? On est vraiment au pays du père-noël ! Mais dites moi, criais-je en tournant sur moi-même, vous croyez vraiment que le sort de cette fête dépend de ce gars ? Chaque années des gens se ruinent pour elle, chaque années des gens ne peuvent pas où choisissent de ne pas participer à cette fête. Elle n’est ni nécessaire ni dépendante de vous. Vous pensez vraiment que toute cette production et cette consommation bien réelle cessera d’exister si vous n’êtes pas là ?! Le murmure de stupeur se transforma en brouhaha scandalisé. On me regardait avec pitié, colère, ou incompréhension, mais partout où mes iris se posaient ce que j’affirmais dérangeait. Comme s’ils me croyaient capable de douter de ce que je pensais ! Aujourd’hui j’étais à l’abri du besoin, mais avant d’être adoptée par mes parents actuels, je savais pertinemment ce que ça faisait de souffrir pendant ces fêtes. — Bandes d’hypocrites ! Noël peut très bien ne pas avoir lieu ou avoir lieu sans vous tout le monde sans fiche. Rangez vos ailes et vos tours de magies, et renvoyez moi chez ma famille ! Le chef des lutins me jeta un regard noir derrière ses lunettes éclatante. — Vous contrevenez à vos obligations. Foutez là aux machines ! Un lutin toutes griffes dehors se jeta sur moi, et je lui écrasais mon poing dans la face avec toute la joie d’expulser ma rage. Mais d’autres sautèrent à leur tour, et je hurlais de hargne en ramenant mes poings à ma garde. Frappant, tordant, jetant leur petits corps qui s’agglutinaient sur moi, je repoussais cette nuée tant bien que mal. Criant brusquement de douleur lorsque l’un d’eux me mordit l’épaule jusqu’au sang, mes ennemies en profitèrent pour m’immobiliser sur le sol. Je me crus perdue, quand je sentis leur poids s’éloigner de moi. Relevant la tête sur l’affrontement, je vis que d’autres lutins affrontaient les leurs et avaient formé un cercle protecteur tout autour de moi. — Par ici, me chuchota une petite voix que je reconnu. Allons nous cacher aux cuisines, vous pourrez y manger votre morceau de pain d’épice. Tirée par une petite créature et protégée par d’autres, je me réussi à m’échapper du coeur de la bataille. C’était un véritable massacre. Partout des bagarres désordonnés semblaient régler des comptes bien antérieurs à moi. Et la voix criarde du chef qui nous cherchait ne tarda pas à s’évanouir sous le bruit des combats. Le silence s’abattit soudainement sur mon sauveur et moi quand il referma une lourde porte derrière nous. J’avais mal, j’avais froid, je tremblais d’adrénaline et de rage. Portant la main à mon épaule, je la ramenais à mes yeux couverte de sang. Ce n’était pas une grosse hémorragie, mais une blessure suffisante pour me faire grincer les dents et serrer mon bras contre mon coeur. Trottinant à petits pas, le nain qui m’avait guidé s’éloigna de moi. Ses chaussons à pointes caressant doucement le parquet, je me redressais en soufflant pour l’observer se diriger vers la pièce. Comme il l’avait dit, l’endroit ressemblait à une immense cuisine. Là encore très haute de plafond, elle semblait d’autant plus gigantesque que cette fois le mobilier était au sol et à la taille des lutins. S’asseyant sur un comptoir en métal, la créature souleva une cloche, et se choisit méticuleusement un morceau. Satisfait de sa part, il me tendit le reste du gâteau. — Est-ce que tu veux un morceau de pain d’épice ? — Sans vouloir t’offenser, je déteste le pain d’épice. Persiflais-je à bout de nerfs. Le petit insecte parut déçu, mais accepta docilement mon refus avant de terminer sa part en silence. Il n’avait pas d’ailes, et semblait plus faible et plus maigre que ses frères. Derrière nous, le bruit de la bataille nous parvenait comme étouffé. Pourtant tout mon corps ressentait encore son adrénaline, et mon immobilité était insupportable. Au loin, une horloge sonna la demi-heure. Une nouvelle angoisse épousant ma gorge et mon front me couvrit de sueur froide, et je sortis avec précipitation mon portable. Il était 18h30. Nouveaux messages de maman : >> Coucou ma chérie, tu es en route ? >> Coucou ma Gabie, j’espère que tu as pu quitter ton travaille à temps et qu’il n’y a pas trop d’embouteillage. >> Coucou mon ange, je commence à m’inquiéter. Tout le monde est déjà arrivé et on est prêt à commencer. Il ne faudrait pas qu’on prenne trop de retard car mamie ne pourra pas rester éveillée jusqu’à minuit. >> Coucou ma chérie, on a décidé de t’attendre malgré ton retard. Le repas est bientôt prêt donc dépêche toi. Et n’oublies pas de ramener le champagne ! >> Ton père a fait une crise. Je me dépêchais de lui répondre. >> Une crise ? >> Crise d’angoisse, il dit qu’il a un mauvais pressentiment pour toi. J’ai géré la situation, mais du coup le plat est un peu brûlé, et ton frère s’impatiente. Quand est ce que tu arrives ? Ta journée s’est bien passée ? Est-ce que tu as pensé au champagne ? >> Tout vas bien, dis lui que je serais sans doute un peu en retard mais que je serais là . Il y a eu des soucis au boulot. Ne m’attendez pas pour commencez, je prendrais la soirée en cours de route. >> Je t’aime ma fille. Viens nous vite, le repas risque d’être froid. — Comment faire pour vite rentrer chez moi ? Questionnais-je à nouveaux en éteignant mon téléphone. — Ça risque d’être compliqué, répondit le nain en léchant des miettes sur ses doigts. Comme l’agent-chef l’a dit, les rennes sont malades. Ce sont nos agents-postiers qui vous ont transféré ici à l’aide des sacs à lettres, mais le voyage ne peut se faire que dans un sens. Je mis un temps à assimiler l’information. — Vous voulez dire que sans les rennes il n’y a absolument aucun moyen de sortir d’ici ? — Sans doute que si. Sinon, on ne vous aurais pas fait venir ! Dites moi, rajouta-t-il en désignant mon bras, vous êtes sûre que vous ne voulez pas de pain d’épice ? Je ne sais pas comment fonctionnent les humains, mais pour les lutins il suffit d’en manger un bout et on se sent tout de suite mieux ! — Sans façon, râlais-je. Par contre un bandage ne serait pas de refus. La créature parut considérer la possibilité, puis se leva pour me guider vers une autre porte. Elle s’ouvrit alors sur un dédale de couloirs. — Waou, ne pus-je m’empêcher de souffler. Nous marchâmes l’un à côté de l’autre dans ce labyrinthe, si petits entre ces murs vides et immenses. Il y avait quelque chose de surnaturel, pensais-je à un moment. Non pas dans le fait que j’avais atterri au pays du père-noël et que j’y avais déclenché une guerre, mais dans le fait que je l’accepte et que je m’y adapte très facilement. Était-se un rêve ? C’était sans doute trop tôt pour le dire. Tout cela, et surtout la blessure à mon épaule, avait la texture très forte du matériel. J’étais incapable de m’imaginer vivre autre chose que la réalité à cet instant. Mais malgré cette certitude, je savais que j’étais en fait incapable de saisir la pleine mesure de ce que je vivais. L’ampleur des questions, des découvertes, que mon expérience impliquait. Et il était clair que je ne devais pas prendre mesure de tout ça. Car c’était parce que j’étais plongée dans l’action que je m’adaptais. Au moment où je commencerai à réfléchir, je deviendrai incapable d’agir pour le bien et pour moi. Pour le moment, j’étais en instance de survie, où seules les pensées concernant ce que je voulais et comment agir comptaient. Rêve ou pas, incroyable découverte ou pas, tout ça ne comptait pas. Seul importait le fait que je détestais Noël et voulais rentrer chez moi. — Pourquoi est-ce que certains lutins m’ont défendu ? Repris-je à un moment. Celui qui m’accompagnait gratta sa tignasse orange cachée sous son bonnet. — C’est compliqué… — Heureusement que j’ai tout mon temps ! Raillais-je sarcastique. Nan plus sérieusement. Je suis heureuse d’être en sécurité mais j’ai la sensation d’être la cause d’un massacre. — Ce n’est pas vraiment de votre faute. Enfin si, corrigea-t-il en ouvrant une porte, vous avez mis le feu aux poudres. Mais cette bataille entre les pro-Noël et les anti-Noël couvait depuis longtemps. La pièce dans laquelle nous entrâmes était très petite relativement aux autres, mais très correcte pour ma taille et toujours immense pour le lutin. Curieusement, le mobilier était à échelle humaine. Un bureau et une bibliothèque trônaient au fond de la pièce, pendant que deux fauteuils en cuir se faisaient face aux côtés d’un âtre. — Installez-vous, je vais chercher des rubans. — Merci. Balbutiais-je étonnée. Me laissant glisser dans un fauteuil, je soupirais en étendant mes jambes le long de la cheminée. Le feu me réchauffait doucement, et je commençais enfin à me détendre. — Comment des lutins font pour être anti-Noël ? Demandais-je quand mon nouvel allié revint. Enfin marre d’être exploités ? — Exactement ! Confirma-t-il. Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais produire des cadeaux et des hasards magiques en une année pour 7 milliards de personnes est à la limite de l’impossible ! À la base on était une petite entreprise familiale, et même si la société de consommation a pris le relai, on continue à intervenir et c’est dur de suivre le rythme. C’est pour ça que certains lutins veulent arrêter. Ils considèrent que les humains se sont émancipés de la magie de Noël et qu’il est temps pour nous de prendre notre retraite. D’autres ne conçoivent pas que Noël puisse se passer de notre travail. C’est vrai, les humains sont forts pour fabriquer toujours plus de jouets et toujours plus vite, mais ils ne peuvent pas créer les hasards. Et comment offrir le bonheur de Noël à tout le monde sans la magie des hasards ? Si seuls les humains existaient le bonheur de cette fête ne dépendrait alors plus que de l’argent, et ce serait si triste que nous pourrions en perdre notre raison de vivre. Tout en parlant, le lutin avait méticuleusement relevé une manche de ma robe, et bandé mon bras avec un ruban blanc et propre. Pour la première fois, je baissais les yeux sur mon corps. Ma robe et mes collants étaient déchirés, le sang invisible sur le noir du tissus le froissait en coagulant, et mes mains et mes bras étaient couverts de griffures et de traces de dents. Je touchais avec soulagement la broche de houx qui ornait toujours mon torse, et reprit la discussion : — Et vous, où vous positionnez-vous ? — Moi ? Disons que j’ai une santé fragile, avoua mon allié, c’est pour ça que je mange beaucoup de pain d’épice. Avec le rythme de travail que l’on a mon état se dégrade de plus en plus rapidement. Je pense que si l’on ne change rien je risque de ne pas tenir plus de quelques mois. Un frisson me remonta l’échine. Je le savais, mais j’avais oublié à quel point ça pouvait être tangible. Noël pouvait tuer. — Comment t’appelles-tu ? — Numéro 1336 ! Me sourit-il heureux que le tutoie. Mais tu peux m’appeler Trity. Et toi c’est Gabrielle ? — Exacte, mais tu peux m’appeler Gabie. Autorisais-je en rabaissant ma manche sur le bandage achevé. Dis mois Trity, est-ce que tu penses que le travail des lutins est nécessaire aux humains ? — Euh… en ce qui concerne la production de cadeaux pas vraiment, mais concernant… — Est-ce que tu penses que tes collègues pro-Noël n’auraient pas besoin de comprendre qu’ils ne sont pas indispensables aux humains ? Est-ce que tu ne penses pas que ça leur servirait de bonne leçon de voir que Noël se passe très bien sans eux ? — … Peut-être que ça pourrait être intéressant, concéda-t-il après un instant de silence. J’ai juste… — Hey Trity, fis-je en m’abaissant à sa hauteur et en posant une main sur sa tête. Plus que Noël, plus que le pain d’épice de ma mère, je déteste voir les gens mourir. J’ai envie de t’aider, et je pense sincèrement qu’empêcher le Noël de cette année peut t’aider ! Une lueur d’espoir éclaira son regard. — Tu penses ? … — J’en suis sûre ! Affirmais-je avec conviction. Il faut que tu puisses vivre et te rétablir sans te faire exploiter par une société qui n’aura aucune gratitude pour toi. Plus personne ne croit au père-noël, et cette année nous allons faire en sorte que ce soit vrai !
Deuxième acte : Plonger.
À genoux sur une grille d’aération, un odeur de souffre et de sucre s’élevait de la salle des machines. Elle me piquait les yeux et engluait ma gorge comme de la colle, alors que moi et Trity partagions la même tristesse face au spectacle que nous surplombions. — Depuis combien de temps est-ce que ça dure ? Questionnais-je les lèvres pincés. — Depuis quelques années maintenant, je ne me rappelles plus. Répondit Trity la voix basse. Un jour, le père-noël a arrêté de venir. Il a nommé l’agent-chef à son poste actuel, et celui-ci a commencé à abuser de son pouvoir… — Raison pour laquelle les anti-noël n’ont toujours pas pris le pouvoir. Complétais-je. Étonnant que ça n’ait pas dérapé plus tôt étant donné toute la puissance de ce liquide… — Le père-noël était un homme bon. Affirma Trity comme une devise. C’était grâce à lui que nous faisions une bonne utilisation de la magie, sans lui pour nous guider nous nous divisons et ne savons pas où aller. D’ailleurs la magie n’est pas seulement un liquide, elle possède trois état tout comme l’eau ! Nous la récupérons à l’état de vapeur, avant d’utiliser la pression pour la liquéfier puis ainsi la modeler. — Adulez le gentil tyran pour préparer la venue du méchant. Grinçais-je entre mes dents. Merci pour tes explications Trity, mais tout ce que je retiens pour le moment c’est que ce putain de liquide est notre ennemie ! Sous nos pieds, la salle des machines débordait de bruits, d’humidité, et de cris. Autour d’une immense marmite dans laquelle bouillait un liquide bleu nuit, étaient réparties des machines sifflant, tournant, frappant, comme une danse macabre de morts-vivants. Dans un coin de la pièce, plusieurs tubes transparents de la taille d’un humain étaient disposés. Des gardes tournaient autour comme des chiens, aboyant des ordres aux prisonniers que nous voulions libérer. Plusieurs rangées d’anti-Noël enchainés attendaient d’être glissés dans les tubes. Hurlants ou pleurants, apathique ou révoltés, habitués ou terrifiés, le poids de toutes ces émotions combinées pesait si fort dans la pièce que Trity et moi en avions le souffle coupé. Leur ailes avaient été arrachées et nombre d’entre eux étaient blessés. Tirés uns-à -uns hors de leur foule, ils étaient jetés dans les tubes par des gardes agressifs et nerveux. Semblable des animaux contemplant le sort qui les attendaient, leur tension montaient à chaque compagnon arraché. Les yeux fixés sur leurs compagnons enfermés dans ces cellules en plastiques transparentes, ils les observaient disparaitre derrière les tourbillons brillant de cette magie acide et collante, et savaient ce qui allait se passer et qu’ils seraient les suivant. Après quelques minutes de digestion, un nouveau lutin était sortis du tube. Guéris de ses blessures et de ses idées rebelles, il rejoignait le rang des gardes et enfermait ses anciens compagnons qui le regardait avec des yeux remplis d’une immense tristesse. Tous savaient qu’ils allaient être transformé en pâte à modeler magique, en complice de leur ennemie et en traitre à leur amis. Et tous pleuraient ceux qu’ils avaient perdus, ceux qu’ils allaient perdre, et leur propre identité que le magie annihilait. Un bruit contre le métal du conduit à ma gauche me fit tourner la tête vers Trity. Celui-ci prit de vertige sanglotait doucement. Je passais un bras autour de ses épaules et l’attirais contre moi. Ses larmes se mêlaient au sang séché sur ma robe, et durent couler jusqu’à mon coeur, car la colère monta en moi au rythme de ses convulsions. Il était sans doute bientôt 20h. Après l’avoir convaincu de m’aider à détruire Noël, Trity et moi avions dû fuir par les conduits d’aérations car les agents-gardiens nous poursuivaient. Ça avait été dur de les semer, mais sans doute parce que la grande majorité d’entre eux étaient occupés à faire passer les anti-Noël aux machines, nous avions réussis à leur échapper. Épuisés et blessés, nous nous étions retrouvés seuls et perdus dans les tuyaux. À présent guidés que par un seul objectif : nous allions détruire noël. Et pour cela : nous avions besoin de nos alliés anti-Noël. En effet, bien que la maladie des rennes empêche la tournée, je représentais un espoir, et les sac-à -lettres encore opérationnels pouvaient amener d’autres ingénieurs aérospatiales capables d’incarner ce même espoir. Pour réaliser mon rêve, nous voulions utiliser l’aide des anti-Noël pour couper tout moyen de communication avec le reste de la terre. Je m’efforçais de ne pas penser à ce que ça impliquait pour moi et ma famille. — Je sais ce que nous allons faire, Trity. Chuchotais-je avec fermeté. Le lutin releva un regard humide vers moi. Il avait le visage rouge et la respiration sifflante. — Mais pour ça j’aurais besoin que tu m’expliques plus précisément le fonctionnement de la magie. Retenant mes lèvres de décrire l’urgence de la situation, je lui laissais le temps d’essuyer ses joues humides et de se moucher dans sa manche. — La magie… ne peut pas créer, ou modeler, quelque chose qui n’existe pas matériellement ou dans l’imagination des humains. Ni quelque chose qui n’est pas soumis aux lois physique. Techniquement, ce n’est qu’un matériaux de plus, mais le plus puissant de tous. Nous n’en avons qu’une quantité limitée, c’est pour ça que nous ne l’utilisons que pour la création des hasards, c’est-à -dire des instants de destin capables de réaliser les rêves des gens. Nous matérialisons les rêves, ce qui est très compliqué quand il s’agit de modifier un large spectre de circonstances, mais très facile quand ce rêve est limité à soi. Par exemple il est très difficile de matérialiser la fin des guerres dans le monde, mais beaucoup moins de matérialiser une volonté d’arrêter de fumer. — Les agents-gardes utilisent donc cette technique pour matérialiser la dévotion à noël dans l’esprit des lutins ? — C’est ça, confirma Trity. Mais en beaucoup plus dangereux, car il ne s’agit plus d’une poudre que nous saupoudrons sur la personne, mais du liquide magique même qui rentre par tout les pores. Ça gaspille énormément de magie, mais c’est très puissant. Tellement puissant qu’il arrive régulièrement qu’on perde la mémoire de notre passage dans le tube. Ce qui rend très difficile pour nous de faire la différence entre ce que nous pensons réellement, et ce qui a été matérialisé en nous par la magie… Et c’est pourquoi je ne sais jamais quoi penser. Qu’est ce qui est le mieux ? Qu’est ce que je veux ? Comment savoir quoi faire si tu ne sais même pas à quel point tu es contrôlé… Expliqua mon ami en baissant la tête. Je serrais les poings pour contenir ma colère. — J’ai un rêve Trity, celui de libérer l’ensemble des lutins de toute trace de magie. Saurais-tu comment le matérialiser ? Le lutin releva un regard surpris vers moi, et il me sembla y déceler une lueur d’espoir. Son visage se fit plus ferme, et il prit le temps de réfléchir avant de répondre à ma question. — Alors… il y a plusieurs méthode. La première, celle qui demande le moins de magie et de risque, serait de créer une poudre magique portant cette propriété et de la projeter sur les lutins. Elle s’annulerait d’elle-même au contact des lutins étant donner ses propres propriétés, mais elle annulerait dans une même temps toute autre trace de magie. Le problème de cette possibilité est que cela se limiterait aux lutins touchés et que nous n’aurons sans doute jamais assez de poudre pour les libérer tous… — Et quelle est la deuxième solution ? Trity releva un regard soucieux vers moi. — Il faudrait une quantité très importante de magie pour modifier non pas des êtres, mais les circonstances mêmes du monde. Alors une personne devra devenir le porteur de ce rêve, pour que son existence même matérialise ce rêve. Ce porteur ne peut pas être un lutin, car alors le rêve magique s’annulerait alors de lui-même… Je gardais un instant de silence. — Tu es en train de sous-entendre Trity qu’il faudrait me plonger dans l’un de ces tubes ? — Pas dans un des tubes, corrigea-t-il après un instant d’hésitation. La quantité de magie ne serait pas suffisante. Il faudrait te plonger dans la marmite entière. Mon regard dériva vers le chaudron immense au centre de la pièce. — Quels sont les risques ? — Tout bêtement, que tu te noies. Répondit le lutin. Le processus de matérialisation implique un anéantissement totale et temporaire de l’existence, puisque nous nous ouvrons à toutes les existences possibles. Il n’est ni possible de bouger, ni de penser, ni de rien de tout. La magie nous déborde nous disparaissons en elle l’espace d’un instant. Si tu y entres avec un désir tu peux être sûre qu’il va se réaliser, mais tu ne peux pas être sûre d’en sortir. Mon ami hésita quelques instants, puis m’avoua que ça le rassurerait que nous choisissions la première solution… Il tenta d’argumenter mais j’avais cessé de l’écouter. Mes yeux contemplant les mouvances du liquide bleuté à nos pieds, je m’étais perdu dans mes pensées. Depuis toute petite, j’avais toujours détesté noël. C’était un moment de jalousie et de solitude où toutes les lumières de la ville et les sourires des familles menaçaient me faisaient entrer dans des colères aussi violentes intenses que celles de mon ancien père. Je tapais les autres enfants à l’école, et je tapais les professeurs. Quand après un séjour en foyer, j’avais été adoptée, c’était pendant la période de noël. J’avais passé la porte de cette maison accueillie par une couronne de houx, m’étais assise à une table où trônaient des plats aux goûts et aux odeurs inconnus. On m’avait parlé avec un respect que je ne connaissais pas, et on m’avait offert des cadeaux qui ne représentaient rien pour moi. Je n’avais pas cogné, pas hurlé, mais je ne m’étais pas sentie à ma place. S’il n’y avait pas, chaque année, cette fête pour me rappeler mon passée, je pense que je serais très heureuse dans ma famille. Je cesserais de retrouver ces sentiments d’imposture et d’insécurité. Noël était censé nous souder, mais il avait toujours été synonyme pour moi de l’intense angoisse de ne pas avoir le droit d’être là . J’aimais sincèrement ma famille, et avais toujours considéré que nous pourrions nous aimer sans cette fête. Que nous n’avions pas besoin de cadeaux pour se le dire, que nous n’avions pas besoin de nous obliger à sourire, surtout quand je m’en sentais incapable. Je voulais sincèrement détruire noël, et cette marmite de magie m’offrait l’occasion de le faire. Mais, songeais-je en baissais les yeux sur Trity, est-ce que matérialiser ce rêve entrainerait la disparition de mon ami ? Est-ce que je contribuerais au malheur de cette période si je souhaitais faire disparaitre tout de cette fête, et donc tous ces lutins et leurs machines et leurs souhaits ? La tentation de modifier l’ensemble du monde était grande, et la solution se trouvait à portée de moi. Mais une petite voix me glaçait le coeur alors que mon sang s’échauffait, celle que j’allais encore voir des gens mourir. Trity s’inquiétait pour moi. S’il préférait la première solution, c’était pour ma propre sécurité, sans se douter que mes rêves mettaient en danger la sienne. Même si je décidais de ne pas détruire l’ensemble du monde de noël mais seulement la magie présente dans les lutins, est-ce que mon désir sous-jacent d’annihiler cette fête ne se matérialiserait pas malgré moi ? Et comment parviendrais-je à ne pas me noyer dans la magie si j’étais seule dans un monde qui n’existait plus ? J’avais besoin de quelqu’un soit là pour me tirer de là ! — Nous allons tenter la deuxième solution Trity… murmurais-je les lèvres sèches. Le lutin releva un regard mêlant angoisse et espoir sur moi. Ses rêves à lui étaient fait d’émancipations et de bonheur. Il m’avait raconté les voyages qu’ils voulaient faire, les rêves qu’il lisait dans les lettres et voulait réaliser gratuitement pour le bonheur des gens. M’arrivant au genoux, il avait la même sensibilité et le même espoir qu’un humain. Après l’avoir manipulé, j’étais capable d’avoir de l’empathie pour lui. Pour ce petit être fragile et naïf qui était tout le contraire de ce que j’étais : peu sûr de lui et plein de bonne volonté. Que ce soit une bonne chose ou pas, j’étais égoïste et spontanée. Et j’allais tout détruire pour protéger ceux que j’aimais. — Je vais plonger dans cette marmite Trity, et je matérialiserai le rêve de libérer les lutins de la magie. Affirmais-je avec plus de force. Mais pour cela j’aurais besoin de ton aide : il faudra que tu me sortes de cette marmite et qu’ensemble on achève la révolution de noël ! Le lutin fut incapable de cacher la joie et l’espoir que lui procurait ma décision. Mais l’angoisse peignit bientôt ses traits et j’anticipais ce qu’il allait dire : — Ne t’en fais pas, tu arriveras à me tirer or de la marmite malgré la résistance du liquide et ton petit poids. Pour cela il suffit d’organiser un système de levier, ce qui sera plutôt facile avec mon expérience et toutes les machines et outils qu’on aura sous la main ! Tout ce dont j’aurais besoin, c’est de quelques minutes diversion. Et pour occuper les gardes, que dirais-tu de libérer ensembles tous les prisonniers ! Son regard se fit songeur, et il analysa la situation. Si je pouvais me moquer de sa naïveté je le savais aussi intelligent que moi. — J’ai une solution. Annonça-t-il au bout d’un instant. Il faut savoir que les menottes par lesquelles sont retenues les prisonniers sont contrôlées à distance par un tableau de bord dans le quartier des agents-gardiens. J’ai travaillé pour eux pendant quelques temps, donc je saurais comment y aller et comment les désactiver. Ce qu’il faudrait, c’est qu’au moment même où je le fais, les prisonniers passent à l’attaque. Ils sont en infériorité, donc seul la surprise peut fonctionner ! Ce que je te propose c’est qu’on fasse vite : plus on attend moins on a d’alliés. Au moment tu verras l’ensemble des menottes s’ouvrir, appelle à la révolte ! — Combien de temps est-ce que j’aurais à partir de ce moment à ton avis ? — Sans doute pas plus de 3 minutes, 4 en étant optimiste. Les anti-Noël te défendront, mais même s’il faudra un moment aux agents-gardes pour tous les rattraper, tu risques d’être leur priorité. Dès que le système de levier sera fini, plonge. Il faudra sans doute quelques minutes pour que la matérialisation se fasse, j’en profiterai pour revenir et te tirer de là . Le rêve aura agit, les lutins seront libérés de l’influence de la magie, et donc il y a fort à parier qu’ils m’aident plutôt qu’ils m’en empêchent. — C’est un plan qui repose beaucoup sur la chance, non ? Mon ami releva sur moi un regard franc. — Peut-être mais c’est le seul que j’ai. C’est soit ça, soit la première solution. Son visage créa en moi une décharge d’adrénaline et je lui serrais la main avec fermeté. — Fonce. On se retrouvera après la bataille. Il répondit à ma poignée de main avec beaucoup moins de force, et s’enfonça dans les tunnels. Je ne le regardais pas partir, mes yeux étaient fixés sur la scène. L’activité de mon corps et de mon esprit s’était accrue avec la promesse de l’action, et je vérifiais la quantité d’anti-Noël présent. Le temps de notre discussion, leur nombre avait diminué de moitié. J’aurais sans doute moins de 3 minutes. Mon regard dériva sur les machines et le matériel de bricolage présent dans la salle afin de déterminer le levier à construire, mieux valait privilégier la rapidité à la sécurité. J’avisais une poutre en haut de la salle, une corde, et des caisses entreposées sur une réserve en hauteur. Le cliquetis infime, minime, écrasé par les cris les ordres et les bruits des machines, explosa à mon oreille avertie. J’ouvrais d’un coup de pied la grille d’aération et sautais dans la pièce en hurlant. — ATTRAPEZ LES AGENTS-GARDES ! LES ANTI-NOËL PRENNENT LE CONTRÔLE DE LA SALLE ! Si la surprise avait un visage, ce serait celui que je vis à cet instant. Il se fit immédiatement écrasé par le coup de pieds d’un rebelle, qui portait celui de la colère. Alors je sus que nous allions réussir. Les lutins prisonniers incarnaient le désespoirs de la révolte, et je savais qu’ils allaient me couvrir coûte que coûte. Ma conscience était pleine de clarté, et à peine mon corps avait-il touché le sol qu’il se précipita vers la réserve sans perdre un seul instant. Tous mes mouvements étaient contrôlés, je sentais avoir atteint un stade de concentration et de lucidité qui me permettait de tout accomplir. Transporté par cet élan, je ramassais la corde au passage, escaladais les machines. Une fois sur la mezzanine, j’accrochais une extrémité de la corde à un chariot à roulette sur lequel était posé une pile de caisse, et me retournait pour aviser la salle. Privés de leurs ailes, les rebelles étaient dépassés par l’attaque. Ils retenaient comme ils pouvaient les agents-gardes, mais un groupe armé d’ennemis vola vers moi. Je déglutis en serrant les poings, la corde, et la rage de vaincre, pour me contenir jusqu’au moment d’agir. Quand ils furent à ma portée, je savais ce qu’il me restait à faire. La poutre que je visais était au plafond, et seuls ces lutins suspendus dans l’air me permettaient de l’atteindre. Si j’avais conscience de chaque objet présent dans mon champs de vision périphérique, si j’avais conscience de la force de chacun de mes muscles tendues, j’avais perdu de vue depuis longtemps le fait que je risquais ma vie. Quand je me jetais dans le vide pour rebondir sur mes agresseurs et m’accrocher à la poutre, je le fis sans aucune peur. N’avoir conscience de rien d’autre que la rage et que du présent donnait la puissance pour affronter tous les dangers. Suspendue à la poutre, l’immense marmite s’étendait sous moi. Ses vapeurs m’entouraient et je sentais la chaleur du liquide à travers ses volutes de fumée s’infiltrer dans mes vêtements et sous ma peau. Pour la première fois, je repris connaissance de ce que je m’apprêtais à faire. La magie sous moi, était grondante et effrayante. Elle incarnait ce sublime qui nous dépassait et nous paralysait. Mais après cette mili-seconde de stupeur je serrais les dents. Passant la corde par dessus la poutre, puis l’enroulant à ma taille, je m’interdis de réfléchir. Prenant une grande inspiration alors que les gardes fondaient sur moi et la bataille faisait rage, je plongeais ! Ma conscience s’éteint à l’instant où j’entrais en contact avec le liquide. Ma dernière pensée fut pour mon père. Celui qui m’attendait.
Troisième acte : Le récit d’une vielle dame.
Mon corps était chaud. Je sentais cette chaleur déborder de tout mon être, et s’étendre tout autour de moi comme si elle tentait de se libérer. Mon corps était doux. Ma peau avait été lavée, lissée, polie, avec toute la violence de l’acidité. Je sentais ma respiration très faible, soulever ma poitrine avec difficulté. Allongée sur le dos, tout le poids de l’air devait être en train de m’écraser. Jamais je n’avais pris conscience de combien l’air était lourd. Soulevant laborieusement les paupières, la lumière sembla rentrer en moi sans que je la distingue du noir. Hors de moi le monde était là , blanc et froid. Tout semblait fade, et je dû me concentrer activement pour être capable de voir les formes, et les ombres, et les textures imparfaites, de ce qui m’entourait. Tout était étrange, et pourtant je savais que je connaissais l’endroit où j’étais. C’était un endroit que j’avais vu il y a très peu de temps, mais qui semblait sale, et incomplet. Il portait en lui une inconsistance, une mollesse inachevée. Rien n’était activement présent, et moi-même, avais du mal à me dégager du reste du monde. D’ailleurs, qui étais-je ? Je me relevais sur un coude, prenant mesure de la pâleur des choses autour de moi. Est-ce que c’était cela l’existence ? Cet ensemble d’objets négligeables et impermanent. Faisais-je partie de cet existence ? De ces objets méprisables et flous. Tournant le regard autour de moi, un brouillard semblait se lever du monde, au fur et à mesure que mes souvenirs revenaient. Une intense désolation accompagnait la disparition de ce brouillard, car il représentait une forme de conscience que je n’avais jamais réussi à atteindre, mais qui portait quelque chose de la vérité. Et je voyais disparaitre cette vérité, avec toute l’angoisse et la tristesse qu’impliquait le fait d’être lâché dans une existence incomplète et sans vraiment de sens. Pourtant instinctivement je savais, que pour appartenir à ce monde je devais dire adieu à cette conscience. Ce brouillard était incompatible et fait de vivre, et je me regardais m’enfermer volontairement dans une conscience limitée à mon propre corps. Ouvrant les yeux face à moi et ma mémoire, je me vis exister enfin. Je me vis retenir ma respiration sous à l’avalanche de souvenir qui s’empara de moi, au déluge de sensations et d’émotions qui me noua la gorge et poussa à trembler sur le béton froid. Baissant les yeux sur mes doigts, je me sentis exister enfin pleinement en sentant chacun de mes nerfs se connecter en moi. — Trity, fis-je la voix aigu et pleine de panique. Il faut que je rentre chez moi ! Trity… Tournant la tête pour observer les alentours avec angoisse, je cherchais la forme floue de mon ami parmi les machines. Tout était à présent net et bien réel, mais rien ne semblait avoir d’intérêt sans la personne que je cherchais ! Trity. Où était-il ? Où était mon ami ? Il ne devait pas être loin ! Après tout il m’avait sortit de la marmite… — Du calme mon enfant. Murmura une voix dans mon dos. Exister à nouveau après avoir disparu dans la magie pendant si longtemps n’est pas anodin. Allongez-vous… — Mais je n’ai pas le temps ! M’alarmais-je en me retournant ! Il faut que je retrouve Trity, et que rejoigne ma famille. — Je le sais. Souffla une vielle femme en s’agenouillant avec précaution face à moi. Elle posa un plateau face à elle, et lissa sa longue jupe rouge avec noblesse, avant de relever un regard doux sur moi. Je sais tout ça, et je sais aussi que nous parviendrons à réaliser tout ça si vous prenez le temps de vous retrouver l’ensemble de votre être avant d’agir. Prenant conscience qu’elle voyait clairement le vide en moi, je vis moi-même combien j’étais incomplète. Je me voyais dépassée, disloquée, perdue. Il me manquait un morceau de moi-même essentiel, parmi tous ceux qui éparpillés et que je cherchais à tâtons dans le noir pour recomposer mon être. Prise soudain de frissons glacés, je serrais mes bras autour de moi. La peur et la douleur d’exister étaient si intenses que je me demandais s’il ne valait pas mieux encore disparaitre. C’était un raisonnement d’animal blessé, et comme un animal blessé je m’accrochais à toutes les sources de chaleur, de bonheur, et d’espoirs. Je m’accrochais à la plus petite raison de continuer à supporter tout ce mal, et à cette instant je ne vivais exclusivement que pour la vielle femme. Ses mouvements étaient réguliers, et me concentrais sur leurs sons le souffle court et les yeux fermés. Il y avait un bruit d’eau coulant à flux régulier, de porcelaine qui tintait. Rouvrant les paupières sur ce qu’elle préparait, une douce odeur âcre et sucré s’élevait du plateau qu’elle me présentait. — Thé noir très fort avec deux sucres. Elle me sourit. Je sais que vous n’aimez ni les chocolats chauds, ni le pains d’épices. Peut-être que cette boisson ci pourra vous réconforter et vous réchauffer ? La douceur de ces mots me fit monter les larmes aux yeux. Le thé noir sucré était ce qui m’avait toujours accompagné, et apaisé quand ça n’allait pas. Je détachais avec précaution mes bras de mon coeur, et les approchais en tremblant de cette vaisselle inconnue. Chaque mouvement qui s’éloignait de moi, chaque nouveau morceau nouveau d’espace fendu, était la source d’une terrible angoisse. J’avais peur et je tremblais au point d’en avoir mal, mais mes mains réussirent à se refermer sur la tasse, et la chaleur que je sentis sous les doigts me donna la force de la soulever et de la porter jusqu’à moi. Je fis un effort pour entrouvrir mes lèvres serrés, et dénouer ma gorge paralysée. Il fallait que je boive ce liquide je le savais, mais je savais aussi qu’à l’instant où sa chaleur se répandrait en moi je ne pourrais empêcher mon corps de fondre en larmes. Le liquide coula sur ma langue puis dans ma gorge. Les sanglots montèrent, et secouèrent mon corps de douloureux spasmes. Mais je continuais à boire ce thé comme une malade, comme s’il allait me permettre de me libérer de tout ce poids. Si seulement, pensais-je en pleurant, si seulement je pouvais boire jusqu’à pleurer des larmes de thé sucré. Je voudrais boire jusqu’à ce que tout mon sang soit si chaud soit si doux, que plus jamais je ne ressentirais l’amer de cette tristesse… — Est-ce que… demandais-je en reposant la tasse vide sur sa soucoupe. Est-ce que toutes ces larmes faisaient parties de moi bien avant ? … — Peut-être, répondit la vielle dame. Mais elles n’avaient jamais eu besoin de sortir puisqu’elles étaient portées par quelque chose de plus fort. Au moins je pense qu’à présent tu en es libérée… Je relevais un regard sur elle. — Qui êtes-vous ? Son visage ridé se dessina d’un beau sourire. Elle était belle. Son visage rond était harmonieusement composé. Un nez très doux, et très rond, sous lequel se brillaient des lèvres sèches et pleines, et au dessus duquel deux yeux ronds et chauds portaient sur le monde un regard doux. Tout autour de son visage s’enroulaient des boucles courtes comme une auréole blanche et ronde. Toutes ces courbes chaudes se dressait sur un corps droit et fins. Habillée de rouge et blanc, tout dans sa posture était chaleur et prestance. En la voyant, j’avais envie de plonger mon nez dans ses boucles blanches et de serrer contre moi ce corps digne et fort. Quand ses lèvres beiges s’ouvrir à nouveau pour me répondre, je me rendis compte que je m’étais penchée vers elle hypnotisée par ce qui se dégageait d’elle. — Je suis la mère-noël, annonça-t-elle. J’étais simplement l’épouse du père-noël, mais depuis sa mort je le remplace à la tête du royaume. C’est moi qui t’ai fait venir ici pour trouver une solution à la tournée. Enchantée Gabrielle. La surprise commença par déformer mon visage, puis elle coula dans mon corps jusqu’à le forcer à reculer. Une sorte de gêne m’avait conquis alors que je comprenais que cette personne chaleureuse et attirante était la cause de ma soirée brisée. Quelque chose d’autre que la gêne bouillait en moi, mais je ne parvenais pas encore à le saisir. En moi, quelque chose que j’avais perdu pulsait. Et je continuais à chercher incapable de comprendre ce que je ressentais. — Est-ce que vous savez où est Trity ? Peut-être que je me trompais, mais un reflet de tristesse passa dans ses iris en dépit du sourire qu’affichait la mère-noël. La vielle femme posa ses mains sur ses genoux, et avec la même précaution avec laquelle elle s’était assise, elle se leva. Après avoir ramassé le plateau à thé elle le posa sur une caisse renversée au sol. Inspectant avec plus de présence l’espace autour de moi, je compris que mon levier de fortune avait fonctionné. Le chariot à caisses présent sur la mezzanine avait facilement pu être poussé dans le vide, pesant de tout son poids sur la corde accrochée à moi qui s’était tendue et m’avait suspendue à la poutre au dessus de la marmite. Quand je baissais les yeux sur mon corps, je pris soudain conscience que ma robe avait été déchirée. Portant pour simples vêtements mes collants noirs à moitiés transparents et le haut de ma robe où était toujours accrochée ma broche, je voyais sur mon ventre les traces rouges et froissée de la friction et de la tension que la corde avait exercée sur ma peau. La douleur s’insinua dans mes nerfs comme un vieux souvenir qu’on aurait préféré oublié, et je relevai un regard nerveux sur la vielle dame me tournant le dos. Laissant tomber au sol son long manteau, elle se dirigea d’un air noble vers le mur le plus proche. Vêtue de son T-Shirt rouge révélant ses bras maigres et ridés, et de sa longue jupe rouge et blanche volant au dessus du sol, je ne pouvais me retenir de la trouver majestueuse. — Prend ma veste Gabrielle, je voudrais te montrer quelque chose. D’un geste doux, la mère-noël abaissa un levier. Des tourbillons de froids et de vents s’enroulant autour du sol glissèrent sur moi alors que toute la pièce grondait et tremblait. Je me précipitais sur son manteau guidée par des réflexes que seul mon corps connaissait, pendant que face à moi le mur s’ouvrait sur un horizon illuminé et glacé. — Je t’attends à la frontière, Gabrielle. À la frontière ? Qu’est ce que nous chantait la veille ? Malgré sa gentillesse et sa prestance, ce sentiment inconnu et étrange continua à grandir en moi. Un sentiment négatif, qui me faisait tendre les muscles et grogner. Un sentiment négatif, mais qui fut celui qui me poussa à me relever en serrant les pans de la veste rouge contre moi, et à avancer vers la porte ouverte sur le froid. Mes pieds nus reconnurent la neige, bien avant que mes yeux ne soient capables de la discerner. J’étais éblouie par un brouillard aveuglant qui piquait ma peau de froid et qui m’étouffait à chaque fois que je l’inspirais. Une vague vibrante de chaleur noire se répandit dans mes nerfs, et je crus reconnaitre cet étrange sentiment qui me fit trembler de force et me poussa et avancer. Je marchais, telle une boule de nerfs perdue dans la neige. Mes pieds étaient brûlé par le froid, je sentais craqueler et saigner par endroit. J’étais un corps souffrant, et jubilant ! Car alors que j’avançais je sentais tout mon être se ré-affirmer par la colère ! Colère, voilà le sentiment que je cherchais. Avançant avec rage, je retrouvais la démesure, je retrouvais le calcul, je retrouvais l’espoir. Le monde était exceptionnellement blanc et glaciale et il me brûlait jusqu’au coeur et jusqu’à ce que la rage en moi arrache au noir toutes ces parts qui me manquaient pour être moi. Je n’étais pas qu’une boule de nerfs, de tristesse d’angoisse et de hargne ! J’aimais je rêvais et j’inventais, et plus que tout je désirais. Seule sous la neige je me battais pour affirmer avec force ma volonté ! La plus puissante et la plus fière. Celle de tout détruire et de construire ! Aveugle et contradictoire. J’existais comme un animal. Mais s’il y avait bien une chose que l’animal en moi sentait de sûr et de stable, c’était que je devais rejoindre ceux que j’aimais ! Quelle conne avais-je été pour me mettre en danger, juste pour réparer une vielle peur que je voulais détruire, au lieu de la réparer en moi. Quelle conne j’avais été de vouloir conformer le monde à mon regard. J’avais toujours été aussi égoïste qu’un chien, j’allais sans doute continuer à l’être. Je l’avais toujours su sans vraiment vouloir comprendre tout ce que ça impliquait. J’avais fermé les yeux sur tant de choses, mais je voyais à présent un moi entier et un monde nouveau. Ça n’avait rien à voir avec la conscience que j’avais entraperçu après mon séjour dans la magie, mais c’était un nouveau niveau de connaissance qui allait influencer ma façon de penser et d’agir. Et j’avais le courage d’espérer qu’à présent je pourrais agir mieux ! Prisonnière de mon corps mes affectes et mes pensées, je ne sentais plus le monde autour de moi. Il se rappela à ma mémoire quand un intense sentiment d’angoisse me souleva l’estomac lorsque la neige s’effondra sous mon pas. J’allais chuter j’allais mourrir ! Je me voyais déjà mourir, le coeur déplacé par le vide et l’esprit par la peur, mais une main m’agrippa le col avec force et me tira sur la terre ferme d’un geste sec. Le brouilla s’évanouit autour de nous, et je me retrouvais seule avec la mère-noël face à la nuit. — Il me semble que tu as enfin retrouvé qui tu étais ? M’arrachant à son emprise, je me retient de grogner face à son sourire. — Ouais, mais malheureusement pour vous je veux encore moins vous aider à rétablir la tournée. Tout ce que je désire c’est retrouver Trity et ma famille ! Sous ses cils longs et blancs, le regard de la vielle femme s’éteint. Elle se tourna vers l’horizon noir. — Est-ce que vous voulez-bien me raconter ce qui s’est passé ? Demandais-je d’une voix plus douce. La mère-noël soupira. Malgré sa prestance, elle portait en elle le poids et la fatigue des années. Elle s’élevait avec la noblesse et la chaleur d’un ours, mais derrière sa douceur et ses manières, elle transpirait une solitude froide. Quand elle ouvrit la bouche, je me tus pour l’écouter. — Si tu me le permets Gabrielle, je vais te raconter une histoire. Sa voix était ronde, et son souffle était chaud. Des volutes de vapeurs sortaient de ses lèvres avec ses mots et dessinaient son histoire. — Je suis née des rêves des humains. Comme le père-noël des années avant moi, vous nous avez imaginé jusqu’à modeler notre monde et nous modeler aussi. Vos rêves et désirs s’évaporent sous la forme de magie, et à la manière des nuages, se regroupent comme des gouttelettes qui se matérialisent. Il y a tout un monde dans les nuages que vous ne soupçonnez pas, construit par vos rêves et vos fantasmes. Mais le père-noël a été le premier à utiliser cette même magie qui l’avait créé pour faire son métier comme vous le demandiez. Il a été à l’origine des premières distributions de cadeaux, façonnés à la main à partir de la même matière qui le composait. La mère-noël prit un instant de silence, et détourna le regard. — Moi, j’ai été créé à partir des fantasmes des hommes. Si le père-noël est né vieux et barbu, jovial et bourru, je suis née jeune et sexy, prête à satisfaire le moindre de ses désirs. Nous avons vécu de longues années d’amour, alors qu’il était un vieillard puissant à la tête d’une usine, et que j’étais sa secrétaire jeune et bête et tout ce qu’il fallait pour lui plaire. La honte qui s’écoulait d’elle malgré son calme s’infiltra dans ma gorge. C’était une boue molle et épaisse qui embourbait les mots et m’étouffait. Aujourd’hui, la vieille femme s’était extirpé de cette mélasse, et la regardait droit dans les yeux avec la puissance de son âge. — Oh, il était très gentil vous savez. Me sourit-elle. Mais disons qu’au fur et à mesure du temps j’ai compris que j’étais réduite à être un objet à la limite de l’humanité, et je désirais quelque chose de nouveau. Ce qui se passait en réalité à cette époque c’est que nous nous détachions des rêves qui nous maintenaient prisonniers. Un sentiment d’émancipation, d’espoir, et d’évolution a commencé à nous transporter ! Nous nous aimions plus fort que tout, en s’imaginant que libérés des projections des humains nous allions pouvoir nous construire et nous diriger vers la plus belle période de notre vie ! Mais ça ne se passa pas comme prévu. Un voile de glace s’était abaissé sur le visage de la vieille dame. Le vent hurla, plus fort et plus froid. Et pour le couvrir la mère-noël haussa la voix. — Les problèmes ont commencé lorsque nous avons pris conscience qu’échapper à la forme qu’on nous avait imposé, c’était commencer à vieillir. Chaque jour je grandissais, devenais plus forte et belle. Alors que lui tombait malade et s’affaiblissait. Prit de terreur en comprenant qu’il allait mourir bientôt, il m’ordonna de faire un fils. Je commençais à peine à prendre le contrôle de mon corps et de mon esprit, il était or de question que je porte un enfant. Le vieil homme était terrorisé, jaloux, et pour la première fois de notre vie je refusais un de ses ordres. Comprenant que je ne céderais pas, il commença à me violer et à me battre. Après un rapide coup d’oeil à mon visage pour vérifier que ce qu’elle racontait ne me choquait pas, elle reprit son récit. Le visage impassible et la voix forte pour se faire entendre par la nuit. — J’étais sa secrétaire. Chaque jour il me battait, et chaque jour je lisais les lettres des enfants qui l’adulaient. Je pense Gabrielle, que tu ne peux pas imaginer la douleur d’être la victime d’une personne aimée et reconnue. Chaque jour je le haïssais au point de vouloir le tuer, et chaque jour je me disais que c’était moi la coupable de refuser de lui donner un fils pour la prospérité. J’étais jeune, je ne savais pas encore qui j’étais et ce que je voulais être. J’étais seule, enfermée dans notre chalet je n’avais personne pour m’aider et à qui parler. À un moment j’avais atteint un tel stade de souffrance, que je m’étais résolue à l’idée de porter son enfant quitte à haïr tout mon corps et me suicider juste après la naissance. Heureusement je n’eu pas besoin de ça car cette ordure se suicida avant moi ! Prise d’un sursaut, une lueur d’angoisse traversa regard. — Excuse-moi, je ne devrais pas parler comme ça ! Après tout c’était quelqu’un de très gentil. Se corrigea-t-elle, avant de secouer la tête. Enfin bref. Un matin, je l’ai retrouvé pendu dans la cuisine, exactement comme toi avec ton premier père. Je l’ai décroché, je l’ai enterré, et j’ai pris conscience d’une chose : je ne pourrais jamais raconter à personne ce qui venait de se passer. Dans la tête des lutins comme dans celle des humains, le père-noël devait rester une figure joyeuse et intemporelle. J’allais devoir garder le secret de sa mort et de ce qu’il m’avait fait. Et j’allais devoir continuer moi-même à faire prospérer l’esprit de Noël ! Profitant de l’instant où elle reprit son souffle, je pris conscience de l’ampleur de sa solitude. — À sa mort, continua-t-elle, je pris une lourde décision : je deviendrais l’héritière du père-noël. Alors que les lutins s’inquiétaient que leur directeur cesse de venir leur donner des ordres, j’ai nommé l’un d’eux agent-chef, et ait entreprit depuis chez moi de remettre l’usine en marche. Reprenant son travail où mon vieil époux l’avait arrêté, je compris qu’en plus de la vieillesse le père-noël faisait face à une crise sans précédent. La quantité de population avait augmentée, et la société de consommation lui faisait concurrence. Il avait beau réduire ses cadeaux aux enfants les plus sages il était incapable de satisfaire 5% de ses clients. Je compris une autre chose : c’était un vieillard prisonnier des traditions. Toujours à vouloir créer plus de cadeaux alors que les humains se chargeaient très bien de ça tout seuls, et déterminé à n’utiliser que la magie dont les quantités étaient et sont toujours très limitées. Je décidais de transformer radicalement le système. À présent, les cadeaux seraient fabriqués à partir de matériaux importés du monde humain, et j’inventais les « hasards » dont la création était inaccessible aux humains. Je cessais de prioriser les enfants sages qui étaient gâtés, mais toutes les personnes qui souhaitaient une chose qu’elles ne pouvaient pas obtenir. Ces transformations ont impliqué des révolutions technologiques et administratives. J’ai créé de nouveaux corps de métiers au seins des lutins, comme les informateurs ou les transporteurs. J’organisais tout depuis chez moi, recevant régulièrement des rapports de l’agent-chef. Et tout allait pour le mieux jusqu’à ce que les rennes tombent malades pour la première fois depuis qu’ils avaient été créés ! C’est alors que j’ai eu l’idée de faire appel à toi. Après tout, tu étais la personne a qui avait été offert le premier hasard. Je pris un instant à saisir ce que cette phrase impliquait, et un autre à remarquer que la dame avait un regard fixe et patient posé sur moi. — Attendez… vous avez m’avez créé un hasard ? Ça veut dire que vous avez volontairement modifié un élément de ma vie ? La mère-noël hocha la tête. — Chaque année, je te voyais souffrir à Noël. Comme tu n’étais pas un enfant sage, le père-noël t’avait toujours méprisé et délaissé, et c’est vrai que tu n’étais pas sage… Mais quand ton père est mort, j’ai décidé de créer ce hasard de noël pour toi. C’était l’un des premiers, et il impliquait de modifier beaucoup de circonstances, donc nous avons gaspillé pas mal de magie. Mais au final nous avons réussi : nous t’avons offert une famille. Perdue, j’avais la sensation d’être tombée dans un puit sans fond. Sonnée, je bégayais : — A-A-Attendez… ça veut dire que j’aurais pu avoir une autre vie que celle que j’ai aujourd’hui ? Que ma famille aurait pu ne pas être ma famille ? Attendez, je ne comprend pas… je ne peux pas passer ma vie sans elle, je n’aurais pas pu passer ma vie sans elle. Qu’est ce que je serais devenu si jamais ? … La vielle femme haussa les épaules. — Je ne sais pas, je ne connais pas le futur. Mais avec la magie, j’avais le pouvoir de sortir les gens de la solitude. C’est pour ça que j’ai fais tout mon possible pour répandre le bonheur et répondre aux espoirs des désespérés. Je t’ai offert une famille, je t’ai offert une broche de houx qui symbolise ton côté médicinal et maléfique. Je t’ai tant gâté que j’étais persuadée que tu aimais noël plus que tout. Apparemment je m’étais trompée… Le regard vide la mère-noël était plongé dans le vide. Comment cette femme si forte et intelligente pouvait être si ignorante ? Un mélange d’émotions tournait en moi, et je me sentais incapable de l’appréhender seule et dans le froid. — Est-ce que vous êtes au courant que l’agent-chef tyrannise et exploite les lutins ? La vieille dame releva un visage surpris sur moi. — Vous cherchez à répandre le bonheur, mais au sein même de vos usines les lutins souffrent et ne peuvent pas se rebeller puisque vos machines magiques leurs lavent le cerveaux. Vous cherchez à répandre le bonheur, mais trop d’humains souffrent, et j’ai trop souffert pour aimer cette fête. J’ai tant de rancune en moi, et je sais qu’il y en a dans le coeur de tant de lutins ! J’ai tant d’amertume que je ne parviendrais jamais à prendre conscience du bonheur que vous parvenez à répandre. Tout ce que je veux pour mon bonheur, c’est revoir ma famille. S’il vous plait, dites moi où est Trity ! — Tu l’as tué. Mon visage se fit plus blanc, et la mère-noël secoua la tête. — Excuse moi, je suis brusque, mais c’est parce que je suis encore est train d’assimiler ce que tu es en train de me révéler. Tout ce que je peux te dire c’est que les lutins ont disparus. Tout comme moi et le père-noël, ils ont été créé par la magie. Vouloir faire disparaitre toute trace de magie en eux, c’est les faire disparaitre eux-même. Mais tu devrais être contente ? Noël n’aura plus jamais lieu sans eux.
Quatrième acte : Pendant que le thé refroidit.
Message de Maman :
>> Coucou ma chérie, le repas se passe bien, on t’a laissé des parts de côté. J’ai entendu dire qu’il y allait avoir de la neige cette nuit. Couvre toi bien ! >> Coucou ma chérie, apparemment il y aura aussi du verglas sur la route, donc fais attention ! Tu trouveras un taxi à cette heure ? Tu t’en sors avec ton boulot ? >> Ton patron ne devrait pas te laisser travailler un soir de noël ! J’irais lui en toucher deux mots. >> Coucou ma Gabie, ton père s’inquiète. Envoie un petit message pour le rassurer. Et n’oublies pas d’apporter le champagne ! >> Moi aussi je suis inquiète… enfin, pas pour le champagne. >> Coucou ma chérie, on ne va pas tarder à passer au dessert, mais on t’attendra pour ouvrir les cadeaux ! >> Coucou ma Gabie… je t’aime. Je fermais mon portable le regard vide, et reportais mon attention dans la chambre autour de moi. Il était actuellement 23h, et je me sentais abattue. Assise sur le lit d’une chambre spacieuse et chaleureuse, la mère-noël fouillait dans les placards à la recherche d’une tenue de sa jeunesse qui m’irait. J’étais beaucoup moins voluptueuse et beaucoup plus nerveuse qu’elle, si bien que tout ce qu’elle me proposait flottait sur mes hanches et sur mes seins. — Oh ! Je crois avoir ce qu’il te faut ! S’exclama-t-elle le nez plongé dans l’armoire. C’est supposé être une chemise de nuit, mais j’ai toujours trouvé qu’elle était suffisamment belle pour être portée à l’extérieur. Effectivement, elle me tendit une très jolie robe rouge à bretelle, qui ne demandait pas d’avoir un bonnet D ou des hanches larges pour être potable. Je l’enfilais, et elle tomba sur moi en épousant gracieusement mes formes maigres. Debout comme une poupée face au miroir, la vielle femme rajouta un châle sombre sur mes épaules pour cacher mes blessures, un collier à mon cou pour répondre au noir de mes cheveux. Revenant après quelques instants, elle s’avança pour raccrocher ma broche de houx à la poitrine. — Comment pouvez-vous être aussi insouciante ? La mère-noël releva son regard sur moi. Nous faisions la même taille malgré son âge, et mes iris noirs étaient plongés dans le blanc des siens. Je sentais son souffle chaud sur mes lèvres, et sa proximité était envoutante malgré l’apathie qui me paralysait. — Parce que je suppose, que tu m’as libéré d’une pression. Avoua-t-elle. Je suis triste, je culpabilise, mais ressens en même temps une sorte de soulagement, qui m’empêche de sombrer, et me pousse à me réfugier dans la frivolité. Peut-être en raison de mon histoire et de mon âge, je suis fatiguée de me battre. Alors j’ai simplement décidé d’accepter, et de continuer. — Peut-être que je devrais apprendre à faire comme vous… songeais-je. Mais je ne parviens pas à accepter la mort de Trity. Je ne parviens pas à accepter l’idée de rester enfermée avec vous jusqu’à ce que les rennes soient guéris ici. À cette pensée, je me vide de toute ma volonté de vivre et de toute mon énergie… — Alors fait comme d’habitude, détruit ! Étonnée, je fixais la vielle femme s’éloigner de moi pour aller s’assoir sur le lit. — Détruire ? … — J’ai toujours été étonnée par ta capacité à tout réduire en poussière avant de créer quelque chose de nouveau. Expliqua-t-elle. C’était ce que je cherchais dans l’enfant que tu étais, et c’est ce que j’ai cherché à symboliser à travers cette branche de houx, en plus du symbole de noël. Le problème, et tu en as pris conscience, c’est que tu n’as toujours détruit et recréé que pour matérialiser ton propre point de vue. Mais à présent, tu as changé. De vêtements et de regard. Tu peux encore tout reconstruire Gabrielle ! Avec la même hargne qui t’a poussé à détruire noël. Sonnée, je me suis détournée. Comme un somnambule, frôlant le sol de mes pieds nus, je me suis dirigée dans le couloir. Il y avait quelque chose, une idée, qui m’avait toujours trotté dans la tête depuis que Trity m’avait expliqué le fonctionnement de la magie. Je ne m’y étais jamais attardée, puisqu’alors mon attention était focalisée sur l’objectif de détruire noël, plutôt que sur celui de rejoindre ma famille pour le fêter avec eux. Quelle conne j’avais été. Après tout, peu importe ce que je ressentais pour cette fête, je la passais avec ma famille et c’était l’essentiel. J’avais été prise d’un sentiment de vertige en apprenant que sans la magie de noël mon adoption n’aurait jamais eu lieu, mais encore une fois rien de tout cela n’était important. L’essentiel, était que je les aimais et qu’ils m’aimaient, mais que j’étais loin d’eux et qu’ils m’attendaient. M’avançant comme un fantôme dans les couloirs, leur vide résonnait plus fort que le bruit des pas des gardes lorsqu’ils nous avaient poursuivis. La présence de l’absence des lutins était si forte, que je pouvais presque sentir dans l’air les courants d’air qu’auraient laissés leur mouvements. Tous aimaient noël, m’avait expliqué Trity sans que je le comprenne, mais ce n’était plus supportable de se faire exploiter pour lui. Je ne savais pas si j’aimais noël, sans doute que je ne parviendrais jamais vraiment à y être à l’aise. Mais ce que je comprenais maintenant, c’était qu’un certain nombre de personnes aimaient noël, dont celles que j’aimais. Et qu’au delà de ça, cette fête était capable d’apporter du bonheur aux gens, qu’elle avait même été la cause de mon bonheur à moi. Je n’aimais pas noël. Est-ce que je pouvais sauver noël ? Ou plutôt : recréer noël ? Pas le même que l’ancien, celui qui se fonde sur les fantasmes sexistes des humains et qui se réduit au bonheur des enfants sages. Pas le plus récent qui base ses réussites sur l’exploitation d’un groupe de personnes. Un nouveau noël, qui conviendrait à plus de monde. Un nouveau noël, qui plus tard j’espère sera détruit et recréé, si jamais il cessait de convenir ! Toute cette destruction semblait laisser place à un terreau fertile, une lande plane et désolée mais dont la terre humide et riche portait en elle tous les mondes possibles. Autour de moi, la guerre avait laissée un immense vide, mais je sentais en puissance quelque chose de nouveau s’ouvrir. Je savais que je ne pourrais pas me détacher des ruines des anciens Noël. Ces ruines, dont le sang avait imprégné la terre. C’était un liquide aride et acide, portant tous les problèmes des anciens. Mais c’était lui qui aimait Noël et allait le reconstruire. Je n’allais pas recréer à partir de rien, il fallait que je face renaître les lutins ! Arrivée dans la salle des machines, je contemplais les désastres de la bataille. Est-ce qu’il pourrait exister un monde sans douleur ni dommage ? Depuis toute petite j’étais enfermée dans un fatalisme impossible où la souffrance existait à chaque instant, et où si ce n’était pas l’autre qui souffrait alors ça serait moi. J’avais donc serré les poings et gagné toutes les batailles. Mais est ce que j’avais jamais regardé les paysages dévastés par mes batailles ? M’approchant de la marmite au centre de la pièce, je remarquais avec espoir qu’un mince filet de vapeur s’élevait du récipient ! Me précipitant pour escalader les machines, je me penchais sur le rebord de la marmite. Une légère déception teinta mes traits. Mon voeux de retirer toute la magie les lutins avait vidé la marmite qui débordait il y a quelques heures à peine. À présent, moins d’un quart chaudron était remplie. Si plus de la moitié du liquide avait été nécessaire pour faire disparaître les lutins, alors combien en faudrait-il pour les faire ré-apparaitre ? Je n’en savais rien. Redescendant de la marmite, je décidais de vérifier si mon intuition était bonne. Fouillant dans les rouages, et m’enfonçant dans les moteurs des machines, je me frayais un chemin jusqu’à une trappe. La serrure était rudimentaire et très vieille, et je parvins à la forcer sans problème. Au sous-sol, une échelle s’enfonçait dans les profondeurs de l’usine, éclairée par les reflets d’une faible lumière bleutée. Un grondement sourd s’élevait des entrailles de ce monde, comme si je m’apprêtais à entrer dans la gueule d’un monstre. Mais je n’avais pas peur, car j’avais le pouvoir d’un monstre. Tremble pays du père-noël, car Gabrielle est là ! J’agrippais les barreaux de l’échelle et m’enfonçait dans le noir. Au fur et à mesure que je descendais, chacune de mes intuitions se réalisait. Les sous-sols de l’usine étaient occupés par une salle plus immense que toutes celles que j’avais visité réunies ! Apparemment sa fonction était de filtrer la magie dans l’air avant de la liquéfier. Un rapide coup d’oeil aux machines me fit comprendre comment. Elles commençaient par augmenter l’agitation moléculaire à l’aide d’impulsions électrique, la température de la vapeur augmentait et sa condensation était contrôlée pour la diriger vers un espace de stockage. Quand cet espace de stockage était plein une vanne pompait le liquide pour le faire rejoindre la surface. Ces observations confirmaient que mon plan était réalisable, mais pour le mettre en place il me faudrait l’aide des lutins. On en revenait au problème initiale : comment pouvais-je les faire réapparaitre avec si peu de magie ? — Tiens, tu es là ? Se réjouit la mère-noël quand j’émergeais de la cave. Je voulais te prévenir que j’avais préparé du thé noir et de la bûche aux marrons. Je pensais aller les déguster face à l’horizon, et te proposer de te joindre à moi. — Ça m’aurait fait très plaisir, répondis-je avec sincérité, mais je préfèrerais trouver une solution à mon problème. En fait, j’ai une idée pour effectuer la tournée ! Mais il y a soucis… S’asseyant avec grâce sur une chaise, elle m’invita à la rejoindre et à lui raconter ce que je savais. Après avoir écouté patiemment mes explications, elle me sourit, et poussa un long soupir. — Et dire que je me pensais libérée de mes responsabilités… — Pourquoi ? Vous avez une idée pour les faire revenir ! — Bien sûr ma chérie, me rassura-t-elle. Je possède en moi une très grande quantité de magie, puisque mon corps même est la matérialisation des rêves et désirs des gens. Et j’en possède d’autant plus depuis que j’incarne ceux qui étaient dans le père-noël, et que j’ai mes propres rêves et désirs qui me motivent. — Et vous pourriez transmettre cette magie à celle de la marmite ? Espérais-je. — Bien sûr ma chérie, gloussa-t-elle comme une évidence. Bien sûr que je le peux… La tristesse de son rire réveilla ma méfiance, et je ressaisis toute mon intelligence et ma défiance que l’apathie puis la confiance avaient éteinte. Résolue et droite sur la caisse qui la supportait, le regard de la vieille dame avait perdu l’étincelle d’espoir dont il s’était allumé après que j’ai détruit noël. En réalité tout comme moi, elle avait toujours été poursuivit par cette fête. Sauf qu’elle avait choisit d’utiliser cette fête pour répandre le bonheur, plutôt que de tout détruire pour garantir le sien comme je l’avais fait. Après avoir dédié sa vie à Noël, elle était libérée de sa domination. Sauf que, comme la première fois où la mort du père-noël l’avait libérée, elle était en train de prendre une décision qui allait la condamner. Je compris soudain comment elle comptait transmettre sa magie à celle de la marmite. — Vous souhaiter vous laisser fondre dans le liquide ? La mère-noël releva un regard tendre et triste sur le mien. — C’est complètement stupide ! Et qui va conduire le traineau ? Et qui va coordonner les lutins ? Vous êtes trop indispensable ici, et je pourrais me faire fondre moi dans la marmite ! J’ai des rêves et des espoirs capables de produire de la magie moi aussi ! La vieille dame secoua la tête avec un petit rire. — Ma chérie, même avec tous tes espoirs et tous tes rêves, tu n’atteindras jamais la quantité de magie que j’ai acquis depuis plus d’un siècle. Et je suis loin d’être indispensable au pays du pèrenoël. Lui comme moi avons échoué à diriger correctement notre entreprise, et je sais que les lutins s’émancipent de leur formes initiales comme nous avant eux. Je leur fais confiance pour devenir autonomes et trouver d’autres types d’organisations possibles, dès lors qu’ils reviendront libérés de l’emprise de la magie et de l’autorité de l’agent-chef… — Et vous alors ? Reprit la voix tremblante. Vous êtes enfin totalement libre de vous construire ! Vous pourriez visiter le monde des humains, je vous présenterais à ma famille, nous irions visiter des plantations de thé ! J’ai toujours rêver de visiter une plantation de thé. Vous verriez les rivières et les lacs dans leurs eaux plus du ciel, vous sentirez la chaleur et les odeurs qu’il y a en bas. J’ai toujours rêvé d’aller visiter le désert. Mme Noël… vous avez la vie devant vous. Les yeux fermés, la femme posa sa main sur la mienne. — J’aime ce que tu me racontes ma chérie… Elle resta un instant silencieuse pendant que mon cerveaux tournait en rond pour trouver milles autres moyens avant de retomber dans la nécessité de son sacrifice. Tu vois Gabrielle, reprit-elle, c’est pour tous ces mots, tous ces rêves que je reçois chaque jour par les sacs à lettres, que j’ai choisis de rester mère-noël. Je suis vieille ma fille, tu as la vie devant toi. Et si je mourrais pour achever de réaliser mon rôle, alors je serais très heureuse. Elle rouvrit les yeux et serra ma main avec plus d’intensité. Je vais mourir Gabrielle, abandonner cette vie d’insouciance et de liberté que j’avais toujours rêvé. Mais je mourrais le sourire aux lèvres et l’âme en paix, si je sais que tu es là pour transmettre mon rôle aux lutins. Faire vivre l’esprit de Noël, sous toutes ses formes ! Tenter de répandre le bonheur en expérimentant toutes les manières de le faire. Et je mourrais d’autant plus heureuse Gabrielle, si tu me promettais de réaliser tous ces rêves dont tu me parles et qui débordent de toi. Malgré moi, les larmes me montèrent aux yeux. La vielle femme posa une main rassurante sur ma joue, et je la serrais très fort contre moi, avant qu’elle ne se détache. Magnifique, le regard droit, mère-noël se leva. Plus que Noël, plus que le pain d’épice de ma mère, je détestais intensément voir les gens mourir. J’avais tué ma première mère en couche, et partout le spectre de la mort me terrorisait. Aujourd’hui je tuais une seconde mère, et je me détestais d’espérer tout ce futur qui adviendrait après. Comment vivre après la mort ? Comment accepter que le monde continues à tourner alors qu’on ouvrait les yeux sur le gouffre sous nos pieds ? Face au deuil, je me retrouvais totalement démunie. Et aujourd’hui cette détresse était encore pire, puisque j’étais déchirée entre l’immense douleur de la perte et l’intense désir de revoir Trity. Écartelée entre l’effondrement et l’espoir, je me détestais mon impuissance et mon espoir. Le visage rond de la mère-noël posa son regard blanc sur moi. Elle me sourit, sembla comprendre l’orage que je ressentais, et l’accepter. Détournant son visage de moi, je me levais aphone et paralysée de la sentir s’éloigner. Paisible et le port fier, elle escalada les machines jusqu’à se retrouver debout et droite sur le rebord noir de la marmite. Elle n’eut pas un regard pas un sourire et pas une larme. Juste une puissante résignation qui déferla sur moi comme une vague, et je hurlais sans m’entendre quand elle chuta. Un acouphène sonnait dans mes oreilles et en dehors d’elle tout était noir. J’avais perdu la vue et étais enfermée dans le noir avec moi. M’effondrant sur le sol débordée par la tristesse et hoquetant de spasmes, je hurlais et pleurais plus fort en griffant mon coeur avec mes doigts. La mort avait arraché une vie et une partie de moi avec. Tout mon corps me faisait mal et je sentais brûler cette plaie ouverte à l’intérieur ma poitrine. J’allais mourir, nous allions tous mourir, et la mort aspirait tous les avenirs Je prenais conscience à chaque mort de tout ce que la personne avait été, de tout ce qu’elle aurait pu être, de tout ce qu’elle aurait voulu être, de tout ce qui disparaissait avec elle. L’infini était annihilé, et je me retrouvais face à un vide plus immense qui me dévorait toute entière avant de me digérer. — Gabie… est-ce que ça va ? Recroquevillée sur le sol, le visage tordu par les larmes, je relavais un regard aveugle sur un monde sourd. Deux petits souliers à bouts pointus à bouts pointus me faisaient face. Ils disparurent pour être remplacés par le visage long et soucieux de Trity. De nouvelles larmes s’écharpèrent de moi, et mon ami s’accroupit pour me prendre dans ses bras. Je serrais si fort son petit corps, sans pourtant vouloir pleinement prendre conscience de sa présence. Autour de nous, des milliers de lutins débordant de la salle des machines tentaient de deviner ce qui s’était passé dans un brouhaha familier. Mais je refusais d’admettre que le plan de la mère-noël avait fonctionné, car si je l’admettais cela signifiait qu’elle s’était laissée mourir. Mais Trity était bien chaud et vivant, et je le serrais plus fort en pleurant plus fort. Jamais je n’irais visiter les plantations de thé avec la mère-noël. Et je pleurais sa mort, tout en pleurant la joie de sentir Trity contre moi. Je pris ce temps, dansant d’une émotions à l’autre le corps tremblant, jusqu’à ce que mes sanglots se calment et que je m’éloigne doucement. — Tu vas mieux ? S’inquiéta le lutin de sa voix tendue mais chaleureuse. — Un peu… Je ne pouvais pas lui avouer que chaque deuil me semblait toujours impossible à dépasser. Que j’allais pleurer pendant des années me réveiller en sursaut la nuit pour vérifier que ma famille continuait à respirer. Je ne pouvais pas lui avouer, car ce serait son sourire qui me donnerait un peu plus chaque jour la hargne de croquer la vie. Quand j’étais petite je m’étais convaincue que contrairement aux autres je n’avais que des canines. C’était avec ces canines que je m’accrochais, et que j’allais continuer à exister pour ceux que j’aimais. Rouvrant les yeux sur le monde autour de nous, je vis que tous les lutins étaient silencieux et avaient le regard plongé sur nous. Prenant une grande inspiration, je me levais en chancelant. Trity tenta de me soutenir, mais je refusais son aide d’un geste pour me redresser avec fermeté. Je voulais recréer toute la noblesse qu’incarnait la mère-noël. Que sa force soit dans chacun de mes gestes, et sa chaleur dans mon coeur. Car quand je laissais mon regard courir sur les rangées de nains, il n’était capable de partager que ce que je ressentais : du froid. Mais quand j’ouvris la bouche pour leur raconter toute l’histoire, ma voix ne trembla pas.
Cinquième acte : L’histoire se termine toujours avant minuit.
— Il est 23h 50 ! Plus que 9 minutes avant le largage. — Agents-chargeurs, intensifiez la cadence ! Agents-bricoleurs au rapport ! — Le distributeur automatique est terminé. Les agents-trieurs ont finis de répartir sur le tapis de largage la première partis des hasards et des cadeaux. Étant donné leur rythme de travail ils pourront continuer pendant la distribution. — Parfait. Agent-pilote, à vous. — Le plan de distributions est confirmé, les conditions météorologiques du globe correspondent à nos prévisions. Nous avons atteint la première zone de largage, les moteurs validés et les réservoirs chargés. L’île du père-noël a toutes les conditions favorables pour commencer sa tournée. — Exception faite de la quantité limitée d’électricité… sifflais-je entre mes dents. Agents-chargeurs, augmentez encore la cadence ! Des grognement se répandirent dans le groupe chargé de créer mécaniquement de l’électricité, et une voie s’éleva parmi le groupe d’ouvrier. — Demain grève général ! Les autres acquiescèrent en coeur, et je ne pu m’empêcher d’éclater de rire. Si les rennes étaient toujours malade pour l’année prochaine, il faudra que le conseil temporaire des lutins trouve une autre solution pour produire rapidement une énorme quantité d’électricité sans exploitation. Je lui souhaitais bien du courage ! Debout sur la neige du pays du père-noël, au dessus des lumières de Paris, je songeais à la mère-noël. Elle aussi avait observé la ville depuis ici, consciente de tout le bonheur qu’elle et les lutins étaient capables de produire ici. Ces mers de cadeaux et de hasards étaient immenses à voir, mais étaient pourtant si infimes par rapport à la quantité de malheur présents sur terre. Vu du ciel, on pouvait voir chaque tente, chaque caravane, chaque sac de couchage et chaque fenêtre. Derrière chacun de ces murs ou de ces morceaux de toiles, il y avait des êtres vivants. Des personnes avec des sourires, des familles, ou des contusions et dépressions. C’était un sentiment qui jamais ne m’aurait spontanément traversé, mais en cherchant à la comprendre les décisions de la mère-noël, je parvenais à imaginer ce qu’elle avait ressentis. Il lui aurait suffit de descendre pour mener une vie humaine. Mais de là haut, elle avait le pouvoir d’apporter du bonheur à quelques unes de ces vies qu’on pouvait voir d’ici. Et je ne la remercierais jamais assez, car c’était grâce à elle que j’avais une famille. Mon attention se dirigeant vers le sud de Paris, je cherchais ma maison parmi les lumières des rues de Vitry. Quelque part sous moi, ma mère était sans doute en train de faire durer le dessert pour ouvrir les cadeaux en ma présence. Est-ce que j’arriverais à les rejoindre un jour ? Que penserait mon père de mon absence ? J’avais toujours considéré Noël comme une corvée, mais pour lui qui n’était pas très doué avec s’expression il en profitait toujours pour nous serrer dans ses bras et tenter de nous dire qu’il nous aimait. Ces souvenirs me firent détourner les yeux de ma ville et serrer les poings. J’avais envie de le sentir contre moi, qu’il m’embrasse le front, et me rassure avec ses mots maladroits. Ma mère me serrerait contre elle, la tête ailleurs et le regard distrait, pensant déjà aux milles choses qu’elle devrait faire. Je l’aimais, l’admirais, et m’énervais face à son incapacité à vivre pour elle et sa volonté de tout contrôler ! En même temps, elle était la mère d’une famille de deux enfants adoptés, une grand-mère sénile, et un père autiste. Elle nous aimait sincèrement et c’était pour ça qu’elle dédiait sa vie à nous, mais j’espérais tant un jour la voir exister sans pression… Peut-être que nous pourrions aller visiter ensemble des plantations de thé ? Perdue dans mes pensées, je ne remarquais pas que Trity s’était rapproché. — Il est 23h56, m’informa-t-il. Les réserves d’électricités sont suffisantes pour la moitié de la tournée, mais les agents-chargeurs continueront à travailler jusqu’à aller au bout de la distribution. — Je te remercie, Trity… Le plan que j’avais conçu était relativement simple : je réutilisais le système de liquéfaction de la magie, mais cette fois ci pour la faire pleuvoir sur terre en transportant les cadeaux. C’était un largage plutôt risqué, mais j’avais confiance en l’expérience de ces lutins pour les acheminer à bon port. En réalité, ils n’avaient eu besoin de moi que pour transformer rapidement le liquéfacteur de magie en distributeur automatique. C’était du bricolage de dernière minute, mais j’avais confiance en mes capacités. Un peu plus d’une vingtaine de minutes s’était écoulée depuis que nous travaillions, et j’étais impressionnée par ce que nous avions construit ensemble. Grâce à nos compétences respectives, et l’incroyable quantité de magie offerte par la mère-noël. Personnes en dehors de nous ne le saura jamais, mais elle s’apprêtait à faire sa dernière tournée. — Il est 23h58, m’informa à nouveau Trity. Le largage est prévu dans une minute. Est-ce que tu es sûre de ne pas vouloir retourner chez toi en même temps que la première fournée de cadeaux ? Je clignais des yeux surprise. À vrai dire j’étais tellement prise par mon rôle de cheffe de projet que je n’y avais même pas pensé. — Nous nous organisons de tout, se dépêcha de rajouter le lutin, et nous avons déjà prévu le canal magique qui te fera arriver devant ta maison. Est-ce que tu accepterais de nous faire confiance pour gérer la fin de la tournée ? C’est le mieux qu’on puisse faire pour nous excuser de t’avoir arraché à ta famille le soir de noël. Je suis très heureux de te connaître Gabie, même si tu n’aimes pas le pain d’épice. Mais ta place n’est pas ici, elle est auprès de ta famille. — Plus que 30 secondes avant le largage ! Cria quelqu’un. — Trity, oui ! Je veux dire, je serrais très heureuse… mais tu es sûr que… — Bien sûr que je suis sûr, et on a pas le temps ! S’empressa-t-il en me poussant sur le tapi parmi les cadeaux de la première vague de distribution. Merci pour tout Gabie. Grâce à toi, non seulement nous allons pouvoir faire la tournée, mais pouvoir construire un Noël qui ne finira pas par me tuer. Grâce à moi, et grâce à la mère-noël. Surprise, et pressée par l’action, j’avais du mal à savoir ce que je ressentais et oscillais entre l’espoir et un sentiment d’inachevé. — Est-ce que nous nous reverrons ? Ne pus-je m’empêcher de demander avec un léger soupçon d’angoisse. Nos regards se croisèrent, et alors que je sentais la magie s’activer et commencer à m’aspirer, son visage se dessina d’un sourire. — Je le souhaite Gabrielle. Et Noël réalise toujours nos souhaits. Il était 23h59, et je chancelais sur le pas de la porte de chez moi. Depuis 17h, j’avais été blessée, j’avais risqué ma vie, j’étais morte à moitié, j’avais connu deux deuils, des retrouvailles, et j’avais la fébrilité de celui qui a trop vite évolué. Je portais sur moi des vêtements dont je ne reconnaissais pas les odeurs, mais qui me rappelaient quelqu’un. Sous le châle il y avait les bandages laissés par un ami très cher à moi. J’avais vécu tant de choses pendant ces quelques heures, que j’avais peine à croire que ma famille s’était contenté de m’attendre pendant tout ce temps. Elle était heureuse, chaleureuse, et ignorante. Elle était à des années lumière et portant à quelques pas de moi. Le choc entre les deux monde était extrêmement brutal, et je me demandais si j’allais pouvoir supporter les mensonges, la solitude, et l’insouciance, de la vie normale qui m’attendait derrière la porte. Mais une couronne de houx m’accueillait sur elle, et des odeurs et des rires qui aujourd’hui m’étaient familiers parvenaient jusqu’à moi. Dans mon coeur, émergeaient des souvenirs qui me rappelaient pourquoi je m’étais battue, et pourquoi j’aimais ma famille plus que tout. Prenant une grande inspiration, je toquais à la porte. — Est-ce que tu as pensé au champagne ?! |