Mzon renifla, contrarié. L’orage au loin semblait se rapprocher de plus en plus, et si les calculs du chimpanzé étaient exacts, comme toujours, il n’aurait pas le temps de finir son étape avant de rencontrer la pluie froide qui se déversait en trombes au loin. Le primate avisa les dizaines de ruines couvertes de végétation.

— Ce n’est pas une bonne idée, déclara Aco dans son esprit.

— Qu’est-ce que tu en sais ? répondit le primate avec dédain à l’objet qu’il portait grâce à une corde de lierre passée à son épaule.

— Elles semblent prêtes à s’effondrer…

— Je n’ai pas le choix, si je veux ramener ça en parfait état…

Le singe souleva le pan de cuir de la vieille sacoche qu’il avait trouvé autrefois dans l’une de ces fameuses ruines. Celle-ci contenait de nombreuses pierres, ainsi que quelques objets brillants récupérés dans des décombres bien plus au sud. Un bloc de métal rond, gravé du dessin d’une liane s’enroulant autour d’une flèche de chasseur succéda dans sa main à l’un de ces blocs noirs et plats, reflétant la lumière d’un seul de leur côté. Mzon se ressaisit, et scruta les petites roches.

Chacune des pierres, chacun des cailloux de la sacoche était marquée d’un symbole ou d’un signe, pour rappeler au singe ce qu’il devait dire, et à qui. Dans sa mémoire résonnèrent les paroles qu’il devait transmettre.

Il rassurerait Mteh, sa femelle allait bien. Il menacerait Btuhn, il devait encore de la viande à Pter. Il encouragerait Spoh et Mpoh de la part de leur père, si fier qu’ils soient devenus des guerriers à la frontière montagneuse de leur territoire. Et surtout, il s’inclinerait devant le grand, le puissant, le magnifique Mubtu, en signe d’allégeance de la part de Ptoo, chef de la tribu de Ptoo…

Mzon renifla, puis répéta les mots qu’il devait transmettre. Si seulement il y avait un moyen plus simple.

— Il y a un moyen plus compliqué, mais gagnant sur le long terme, lui assura Aco.

Mzon cracha au sol et montra ses crocs. Aco, sa sacoche, contenait peut-être l’esprit de ses ancêtres, mais il ne lui faisait pas confiance pour autant. Il était le seul à l’entendre, et chaque fois qu’il lui parlait, les autres le prenaient pour un fou. Quelques années auparavant, le singe s’était fait chasser de sa tribu pour cette raison, et depuis, il ne parlait qu’à sa sacoche que lorsqu’il était sûr d’être seul.

— Et ce serait quoi, ton moyen ?

— La solution est dans ces ruines.

— Tu m’as pourtant assuré qu’elles étaient dangereuses…

— Je n’ai jamais dit que trouver une solution serait simple.

Le chimpanzé referma sa sacoche avec prudence, puis se jeta dans le vide. Il agrippa l’une de ces barres de métal tordues qui faisaient parfois de la lumière la nuit, et profita de l’élan pour atterrir bruyamment sur la carcasse en acier blanc d’un cube au milieu de boites de métal. Le métal s’affaissa brièvement puis remonta, permettant au chimpanzé de sauter sur un long cylindre rouillé. Après quelques sauts supplémentaire, Mzon s’engouffra dans l’une des immenses ruines par un trou rectangulaire.

— Et maintenant ?

— Que vois-tu autour de toi ?

— Des feuilles, comme celles d’un arbre. Mais blanches… Et… droites ? Pas comme les feuilles d’un arbre.

— C’est ce qu’ils appelaient du ‘‘papier’’. Et que vois-tu sur ce ‘‘papier’’ ?

— Des… dessins. Comme ceux du vieux chaman dans sa grotte.

— Ce sont des signes. Rappelle-toi des histoires du vieux chaman. Rappelle-toi qui vivait ici autrefois.

— Les nues-mains. Ceux dont on ne devrait jamais prononcer le nom…

— Ces signes, les vois-tu ailleurs ? demanda la sacoche. Les as-tu déjà vus ailleurs ?

— Sur les plaques blanches, bleues, jaunes… Partout où il y a des ruines, il y a des dessins semblables. Les… signes ?

— Que peux-tu en conclure ?

— Ces signes… Chacun de ces signes veut dire quelque chose ? réalisa Mzon. On peut faire des signes, et leur faire correspondre des choses ?

— Tu comprends comment faciliter ton travail maintenant ?

— Je dois inventer des signes ! Je dois inventer des signes ! JE DOIS INVENTER DES SIGNES !!! hurla le chimpanzé en se frappant le poitrail.

— Et ainsi, tu te souviendras des messages que tu dois porter.

— Je dois inventer des signes…

— Pour l’instant, tu as des choses à aller dire à la tribu de Mubtu…

Heureux de sa découverte, Mzon reprit son voyage, quittant les terres des nues-mains…