Chris Smeuss attendait depuis déjà trop longtemps. Tsu Ri aurait dû venir chercher sa came depuis déjà deux heures. Les lingots bruns attendaient dans leur caisse indestructible à côté de son immense sac, mais le Semi-Géant n’avait pas que cela à faire. Une autre livraison l’attendait ailleurs. Il peigna quelques instants sa barbe blanche et remonta ses lunettes de soleil sur son nez.

Des pas résonnèrent dans le bâtiment désert. Un Androïde avec des oreilles de lapin tirait une valise à roulettes presque aussi grande que lui. Ses grands pieds ressemblaient à des pattes de lapin de cartoon, et de nombreuses tubulures de toutes les couleurs parcouraient sa carcasse de métal. Sa taille était composée de tores eux-aussi de toutes les couleurs. Son bras gauche se terminait par un canon de blaster marron en forme d’œuf. Un smiley contrarié apparut sur l’écran qui s’étendait sur toute sa tête.

— Vous n’êtes pas mon client, fit remarquer la machine d’un ton fĂ©minin.

— Vous n’êtes pas mon client non plus, rĂ©torqua Chris en dĂ©posant son manteau rouge et blanc sur la caisse de came. C’est quoi l’embrouille ? T’es qui ?

— Moi, c’est l’unitĂ© L4P1N3 2.Pack. Quant Ă  l’embrouille, tu vas me cracher le morceau, mon chou ! jura l’AndroĂŻde en lâchant sa valise.

Les pattes de la lapine mécanique vrombirent, et celle-ci bondit vers Chris. Elle pivota et arma son coup de pied, qui visa directement le visage du Semi-géant. Celui-ci garda à l’aide de ses moufles blanches d’hiver. Le choc résonna dans tout l’entrepont.

— Moufles Ă  rembourrage en titane. DĂ©solĂ© Lapin, tu m’auras pas aussi facilement, la nargua-t-il en lui dĂ©crochant un uppercut qu’elle encaissa en se dĂ©gageant.

— On va voir ça. Et c’est Lapine, pour toi.

La lapine mécanique enchaina les coups de pied de plus en plus rapidement. Elle se servait des propulseurs de ses pattes pour changer de trajectoire, feinter, contourner et virevolter autour du colosse. Soudain, celui-ci l’attrapa par les oreilles de métal qui partaient de sa tête, et arma un coup de poing dévastateur.

— Ho ! Ho ! Ho ! On dit merci Chris Smeuss !

— Dans tes rĂŞves, pauvre cloche !

La lapine envoya un coup de pied fouetté dans le visage du Semi-géant à la livrée rouge. Elle profita de l’élan pour se dégager, posa ses mains sur les épaules de son adversaire et atterrit avec souplesse derrière lui. Elle enchaina deux coups de pied dans son postérieur.

— De bon matin, j’t’ai bottĂ© l’arrière-train ! chantonna-t-elle.

Chris se retourna et lui envoya un paquet cadeau en jurant. C’était une livraison de drogue, ça aurait du bien se passer ! Pourquoi fallait-il qu’il ait une gĂŞneuse dans les pattes.

La lapine mécanique attrapa par réflexe le paquet cadeau rouge enrubanné d’un cordon doré. Celui-ci lui explosa au visage. La déflagration la fit décoller, et elle se décida à passer aux choses sérieuses. Son canon de blaster s’illumina et tira une dizaine de grenades marron ovoïdes. Celles-ci fusèrent vers Chris qui n’eut que le temps de récupérer son manteau rouge pour se protéger. Les shrapnels ne l’égratignèrent même pas, bloqués par le tissu en fibres de kevlar condensé.

— Pas mal, Lapine ! Ça fait combien de temps que t’es dans le mĂ©tier ?

— Qu’est-ce que ça peut te foutre ? hurla-t-elle en tirant un fin rayon Ă©nergĂ©tique de toutes les couleurs.

La lapine se rapprocha à nouveau de Chris et feinta. Au dernier moment, elle largua une bombe en forme de cocotte en chocolat, et profita d’une frappe sous le menton du colosse pour se propulser aussi loin que possible vers l’arrière.

Chris se ressaisit et se réfugia derrière son sac. L’explosion fit vibrer l’entrepôt et de nombreux filets de poussière emplirent l’atmosphère. Chris se remit en garde. Derrière lui, neufs paquets cadeau étaient sortis du sac. Chacun des cadeaux possédait une étiquette avec un nom dessus.

Le Semi-géant sortit une canne à sucre géante rouge et blanche de son énorme sac, et reprit le combat contre l’Androïde. Il parait chaque coup de patte avec la canne, et renvoyait les grenades marrons si besoin. De nombreuses fissures apparaissaient de plus en plus sur les murs du bâtiment. Un bloc de béton chuta en faisant trembler le sol. Derrière lui, les cadeaux s’étaient dépliés et se regroupaient, s’assemblaient, s’imbriquaient…

L4P1N3 ne remarqua le manège des robots-cadeaux qu’au dernier moment.

— Je te prĂ©sente Rudolphe, Tonnerre, Eclair, Cupidon, Comète, Furie, Fringant, Danseuse et Tornade ! rugit-il en soulevant la Gatling nouvellement assemblĂ©e. Vive les Vents Divers !!!!

La lapine mécanique sentit ses circuits s’affoler. L’arme était presque aussi grande qu’elle, et ressemblait à un savant mélange de Gatling et de sapin décoré de grenades multicolores. Les neufs canons commencèrent leur rotation et de nombreux faisceaux plasma (chacun d’une couleur différente) jaillirent en la visant. Chaque tir était accompagné d’une note de musique, et la partition composant un chant joyeux.

L4P1N3 bondit et courut en cercle autour de Chris Smeuss. Elle répliquait dès que possible avec son blaster, mais ne parvenait plus à approcher le Semi-Géant. Soudain, son blaster se retrouva à court d’énergie. De son côté, le grand bonhomme rouge ne put que constater l’enrayage de son arme.

— Tu me brises les Ĺ“ufs ! hurla la lapine mĂ©canique.

— Tu me casse les boules ! rĂ©torqua le Semi-gĂ©ant.

Après quelques échanges de coup, un grand craquement se fit entendre. Le plafond en béton leur tomba dessus.

Tsu Ri en avait marre de ces incompétents. La Rongeuse avait envoyé ses hommes de main chercher les deux caisses de came dans le bâtiment. Le vacarme qui avait résonné plus d’une demi-heure auparavant ne pouvait pas mentir. Chris Smeuss et L4P1N3 2.Pack s’étaient entretués. Tsu Ri n’avait plus qu’à récupérer la drogue sans payer ses intermédiaires, et empocher un beau pactole.

Lorsqu’elle arriva dans l’espace principal de l’entrepôt, la Rongeuse faillit s’étrangler. L4P1N3 l’attendait, assise sur les deux caisses de marchandise. Tsu Ri commença à reculer prudemment, mais sentit une masse imposante derrière lui. Même un genou à terre, Chris Smeuss la dépassait de plusieurs têtes. Le colosse posa une main sur son épaule.

— Tu nous as vraiment pris pour des cloches ? demanda L4P1N3. Tu as cru que tu allais nous carotte.

— Tu n’as pas Ă©tĂ© sage, ça sent le sapin pour toi, conclut Chris en serrant l’épaule de la Rongeuse pour la casser.

Sable, le barman, regarda les deux contrebandiers. Chris mangeait des GaĂŻacookie Ă  la chaine, et s’enfilait sa quatrième chope de lait. L4P1N3 se rechargeait en huile moteur Cal-Pas !

— Et la petite Tsu Ri, elle est devenu quoi ? demanda-t-il.

— On lui a pĂ©tĂ© les dents et Ă  peu près tous les os, rĂ©pondit simplement Chris.

— Disons que si elle veut manger un jour autre chose que de la soupe, elle n’aura pas d’autre choix que de voler des dents de lait aux gamins de la Galaxie.

— Et la came ?

— On l’a revendue sur TĂ©tra. Les lingots de chococaĂŻne se refourguent assez bien. On a un petit pĂ©cule. Au fait, L4P1N3, maintenant qu’on en a fini avec cette histoire, je dois avouer que tu te bats bien. Et t’as l’air professionnelle jusqu’au bout des oreilles.

— T’es pas mal non plus, le vieux. T’as de l’expĂ©rience, je pourrais en profiter. Ça te dirait de t’associer ?

— On peut tenter le coup. J’ai encore une cargaison de pâte de fruixtasy Ă  ramener sur une station.

Sable regarda les deux contrebandiers et posa la question qui lui brulait les lèvres.

— Lorsque vous avez vu que vous Ă©tiez deux sur le mĂŞme coup, pourquoi vous avez pas essayĂ© de discuter ?

— Sable, gamin, le rabroua Chris. Dans le mĂ©tier, une fusillade, on appelle ça un dialogue civilisĂ©.