![]()
![]()
![]()
![]() ![]() Contraintes aléatoires Contraintes à sélectionner soi-même Testeur d'auxiliaire Situations aléatoires (défi de Schrödinger) Textes sans commentaires Générateur de situation/synopsis ![]() Défi images 2
![]()
Downforyears![]() Spectacles![]() De Hiercourt Timeline
![]() ![]() Nepreïs(par Downforyears)L’eau de la fontaine coulait agréablement, volant pendant quelques seconde avant de rencontrer l’immense bassin. Le clapotis de l’eau couvrait les discussions alentours et incitait à la détente, et la multitude de tortues qui se débattaient dans l’ondée ne s’y trompait pas. Toutes semblaient nager dans le même sens, la précédente décrivant une arabesque noire et brillante identique à celle qui la suivait. Chacune de ces petites créatures décrivait un tour du bassin, puis plongeait quelques secondes avant de remonter avec l’une des nombreuses miettes de nourriture jetées par les touristes. Lorsqu’elles reparaissaient à la surface, leur carapace d’obsidienne luisait quelques secondes au soleil, avant que ses rayons ne dissipent les quelques gouttes d’eau résistant encore à la chaleur.
Pourtant, perle ivoire parmi les perles de nuit, un éclat blanc semblait lutter de toutes ses forces pour aller à contre-courant de l’infini mouvement de ses congénères. Il nageait avec difficulté, se faisant plus mordre qu’il ne mordait, se faisant plus bousculer qu’il ne bousculait. Pourtant, inlassablement, la tortue pâle résistait à la marée d’écailles noires.
Devait-il la laisser continuer ? Arriverait-elle un jour à s’échapper, comme lui l’avait fait ? Ou bien devait-il la sortir d’ici ? Dorenal soupira. Sa stridulation résonna sur les pans de la place troglodyte avant de se mêler aux brouhahas des conversations. Autour de lui, de nombreuses galeries creusées par le temps dans la roche de la montagne avaient été colonisées au fil du temps et des dynasties. Un marché aux mille couleurs s’étendait sous les cheminées naturelles éclairées par le soleil, proposant ici des épices, là des tentures ou des idoles.
Ce lieu était si différent de la Ruche où il était né. Ici, les gens se ressemblaient tant. Ici, les gens étaient si différents. Nepreïs était la première planète où le Krizz avait osé s’arrêter plus de deux jours. Surmontant sa frayeur de se faire rattraper par ceux de son espèce, Dorenal avait pris gout à cette ville troglodyte dans le désert, à ces lieux fourmillant de vie.
Et pourtant si calme.
Ses pensées étaient enfin libérées de l’esprit de ruche qu’il avait mis tant de temps à combattre, à refouler, à ignorer. Jamais depuis le début de son voyage ne s’était-il senti aussi libre. Aussi serein. Aussi seul. Le Krizz appréciait sa nouvelle solitude. Profitant du bruit des conversations dans cette langue qu’il ne comprenait pas encore tout à fait, il observa à nouveau les tortues, et repéra la petite créature blanche. La laisser, ou la sortir ?
— Ta liberté aurait-elle eu la même saveur si quelqu’un était venu t’arracher à ta Ruche, alors même que l’esprit de groupe t’était la seule norme connue ? demanda un vieil autochtone en lançant quelques bouts d’un pain noir et sec dans la fontaine.
Dorenal détailla le vieillard. Sa peau était pâle et ses bras veinés de vaisseaux noirs purulents disparaissaient dans des guêtres grises blanchies par les années et la poussière. Son visage disparaissait dans une capuche descendant jusqu’à son nez, et deux barbillons luisants faiblement chutaient depuis son menton.
— Comment savez-vous que… ? demanda Dorenal, méfiant. — Je suis un vieux, je connais forcément tout, plaisanta le nouveau venu. Plus sérieusement, rares sont les espèces intelligentes qui ont deux paires de bras comme toi. Et deux antennes sur le crâne. Et jamais un Krizz ne s’arrêterait pour observer une tortue blanche plutôt qu’une masse de tortues noires. Je n’ai pas ta réponse au fait. — La… hésita Dorenal. La liberté mérite d’être gagnée, je crois. Mais ne mérite-t-elle pas un coup de pouce lorsque la seule autre alternative est la mort ? — C’est un point de vue qui se défend.
Aussi vif que l’éclair, le vieillard attrapa la tortue blanche et l’amena jusqu’à un autre bassin, vide. Après quelques secondes passées à s’acclimater, la tortue se mit à décrire des arabesques harmonieuses dans l’eau de son nouveau territoire. Bien vite, cependant, elle s’immobilisa.
— Elle est libre. Pourquoi ne bouge-t-elle plus ? — Les tortues de Nepreïs sont des être sociables, qui préfèreront être opprimées par une majorité plutôt que de rester seules. Comme tout un chacun dans cette Galaxie. La vraie solitude peut ressembler à un paradis, mais à terme, elle est un vrai fardeau. Dans un groupe, tu as plus de chances de survivre. Dans un groupe, tu peux suivre le mouvement pour échapper à un danger. Dans un groupe, tu pourras toujours trouver des amis. — Je ne veux plus être oppressé. — Es-tu oppressé par ces discussions autour de nous ? demanda le vieil autochtone en déposant la tortue blanche dans son bassin originel. — Non. Même si c’est un bruit tenace, je peux l’ignorer. — Les amis, les camarades, feront toujours du bruit. Mais l’on peut les ignorer si l’on en a besoin. Et lorsque l’on s’ouvre à nouveau à eux, ils sont toujours là pour nous accueillir.
Le vieillard toussa quelques minutes, puis but une rasade d’eau fraiche. Dorenal remarqua que les veines noires avaient progressé depuis le début de leur discussion.
— Vous êtes malade, fit-il remarquer. — Oui. Je vais mourir dans quelques jours, c’est une certitude. Vous me semblez être une personne d’exception, pourriez-vous me rendre un service ? — Lequel ? — Ceci est un bloc de données, que je dois transmettre à quelqu’un, expliqua-t-il en tendant un cube métallique au Krizz. Cette personne viendra le chercher à cet endroit précis dans quatre jours. Pourriez-vous le lui transmettre ? — Je ferai de mon mieux, répondit Dorenal sans savoir pourquoi. — Merci beaucoup. Puissiez-vous être comme cette tortue blanche. Puissiez-vous trouver un endroit dans lequel vous vous sentirez unique mais attaché à d’autres.
Par imitation des coutumes locales, Dorenal s’inclina quelques secondes. Lorsqu’enfin il releva la tête, l’étrange vieillard avait disparu.
…
Quatre jours venaient de s’écouler, lorsque Dorenal revint à cette fontaine. Depuis sa rencontre avec le vieil homme, le Krizz sentait une vibration résonner de plus en plus en lui. Une vibration qu’il avait connue, aimée, adorée pendant tant d’années. Une vibration qu’il avait haïe, détestée, abhorrée pendant tant d’autres. Une vibration qui faisait de lui un ‘‘Toi’’, et pas quelqu’un d’unique.
L’esprit de Ruche, qui semblait le chercher. Que faisait l’un de ses congénères sur Nepreïs ? Pourquoi avait-il parcouru plus de dix systèmes pour lui ?
Paniqué, Dorenal se retourna en tous sens pour repérer celui qui venait le chercher. Au détour d’une colonne en pierre, jonction d’une stalagmite et d’une stalactite, il le vit. Un béhémoth aux deux paires de bras et à l’armure noire. Une gigantesque corne jaillissait du milieu de son visage, tandis que ses deux élytres s’écartaient pour laisser vibrer deux ailes transparentes à l’envie. Un soldat royal de la Ruche.
Refusant l’esprit de Ruche, Dorenal courut, renversant au passage un touriste humain au bras métallique. Il esquiva un Semi-Géant de justesse, et commença à grimper les marches d’une gigantesque cheminée naturelle sous les rayons du soleil filtrés par des dizaines de tentures jaunes. Ignorant les tremblements dans son esprit, il parvint enfin à l’air libre.
Il accueillit le soleil brûlant avec délectation, comme s’il venait enfin de commencer à faire le plein d’énergie, et ne put s’empêcher d’admirer le paysage.
Le désert s’étendait à perte de vue autour de la montagne rocailleuse, le vent balayant le sable et la poussière en tous sens. De nombreuses montgolfières stationnaient dans le ciel bleu, les unes touchant les autres en une forêt de toile et d’air chaud. Leurs cordages s’entremêlaient et s’accrochaient autour d’un immense pic rocheux, véritable ancre titanesque en pierre. Dorenal se retourna, alerté par l’esprit de Ruche dont les assauts étaient plus violents. Plus fréquents. Presque impitoyables.
— ‘‘Toi’’, rejoins la Ruche, ordonna le Krizz noir. — Dans tes rêves, pesta Dorenal entre ses dents avant d’escalader le pic, le cube accroché à sa ceinture.
Alors qu’il n’avait pas fait encore trois mètres, une vibration éclata dans l’air. Le fuyard n’avait pas besoin de se retourner pour savoir que son poursuivant venait de s’envoler. De rage, il enroula l’un des filins autour de ses deux bras gauches, et arracha l’immense piton de métal qui le maintenait dans la roche. Bien plus haut, un lest à flanc de ballon se mit à chuter à toute vitesse, entrainant le lien en chanvre. La barre de métal encore en main, Dorenal décolla à toute vitesse vers le ciel. Sa folle ascension lui fit heurter de nombreux murs en cuir et en toile cirée, l’étourdissant presque. Avant même qu’il ne s’en aperçoive, le fuyard venait d’atterrir au sommet d’un ballon. La pression de l’air et celle sur son esprit s’accentuèrent, et l’imposant soldat royal se posa à quelques mètres de lui.
— Soit tu te rends, et je te ramène à la Ruche, soit tu meurs, le menaça-t-il en dégainant un tube métallique qui laissa échapper une imposante lame de plasma violette. — La liberté mérite d’être gagnée, lui répondit Dorenal en brandissant piteusement sa barre de métal. — Je suis bien d’accord, confirma une voix assurée.
Dorenal se tourna vers l’humain qu’il avait renversé alors qu’il se trouvait dans le village troglodytique. Celui-ci lui souriait franchement, un éclair d’amusement passant dans ses yeux verts. Ses cheveux bruns étaient attachés en un chignon lâche.
— Intéressante technique que vous avez pour grimper sur ces ballons. Je vous l’ai emprunté. — Que voulez-vous ? demandèrent les deux Krizz en même temps. — Je devais récupérer un colis, et il me semble que vous l’avez. — Je… hésita Dorenal. — Et qui plus est… Je sens une grande soif de liberté en vous. Ça vous dirait de la gagner ? conclut-il en lançant un étrange objet au fuyard.
Dorenal tenta d’éclaircir ses pensées. L’envie de céder à l’esprit de Ruche grandissait de plus en plus, le dévorait… Comment l’objet qu’il venait de recevoir pourrait-il l’aider à aller mieux. Ce n’était qu’une poignée blottie dans un entrelac de vires métalliques qui ne laissait passer qu’une main.
— Un petit effort, et vous serez libre. Je vais vous y aider, promit l’humain en faisant sortir une lame bleutée d’un objet identique à celui qu’il venait de lui lancer.
Dorenal l’imita en passant sa main dans l’entrelac de tiges métalliques. Une lame bleu pâle sembla sortir de l’objet. Si brillante. Si chaude. Si réconfortante. Etrangement, le Krizz sentit une nouvelle force l’envahir et repousser quelque peu l’esprit de Ruche.
Le soldat royal se jeta sur lui, assénant sa lame violette vers le crâne de sa cible. La lame de l’humain l’intercepta au dernier moment, et Dorenal tenta de frapper le monstre noir, qui recula en bondissant. Malgré son apparente lourdeur, le soldat restait agile grâce à ses ailes battant l’air à une vitesse impressionnante.
Dorenal se jeta avec fureur sur le monstre, qui para et tenta de le frapper d’un coup de poing puissant. Une lame bleutée s’interposa et trancha l’avant-bras de celui-ci, le faisant striduler de douleur.
— Regardez, et apprenez, lui conseilla malicieusement l’humain.
L’homme semblait jouer avec son adversaire, feintant, parant, laissant parfois l’occasion à Dorenal de frapper. Ce qui aurait dû être une exécution devenait peu à peu une session d’entrainement pour le fuyard, et chaque passe d’arme l’éloignait petit à petit de l’esprit de Ruche. Si proche de la mort, Dorenal ne s’était jamais senti aussi vivant. Si libre.
Le Krizz trancha un élytre noir comme la nuit, emportant au passage une aile sous les cris de douleur du soldat. L’homme en profita pour couper un autre bras, et bientôt, le chasseur se retrouva être la proie. Une proie acculée. Epuisée. Désarmée. Essoufflée. Allongée sur la toile du ballon, à des centaines de mètres d’altitude. Attendant son sort.
Dorenal regarda son congénère, puis détourna le regard. Pouvait-il réellement tuer un soldat royal ? En avait-il le courage ?
— Je sais que c’est dur la première fois, lui murmura l’humain. Mais c’est lui ou vous. Votre liberté. Votre choix.
Dorenal tenta de réfléchir. Une piqûre, si faible qu’elle ressemblait à une démangeaison, le fit choisir.
— Je. Ne. Serai. Plus. Jamais. Un. Toi ! termina-t-il en transperçant le cÅ“ur de son ennemi.
Le vent souffla quelques instants. Dorenal apprécia le silence, presque absolu.
— Ça vous dirait qu’on boive quelque chose ? demanda l’humain en s’approchant. On a beaucoup à se dire, alors autant le faire dans un lieu agréable, vous ne pensez pas ? — Dorenal, se présenta le Krizz en serrant la main tendue de son partenaire. — Maximilien de Hiercourt. Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !
|