L'Académie de Lu





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Timeline du Nauteur


Le Grand Remplaçant

(par Downforyears)
(Thème : Du point de vue du mĂ©chant)



— Cache ça ! Si l’ÉvĂŞque Cauchon te voit avec, il nous brĂ»lera tous pour sorcellerie, gardes de la ville ou pas.


Sous le regard menaçant du capitaine de la Garde, je range mon manipulateur de ligne. Sous ses yeux, il apparait comme une espèce de machinerie complexe accrochée à mon bras. Mais à moi… Il m’indique ce qui a été, ce qui est, ce qui sera peut-être. Une nouvelle histoire, une nouvelle mission. Et je n’aime pas celle-ci.


Cela fait maintenant dix ans que je me suis installé à Rouen, et que je me suis engagé dans le corps de garde de la ville. Une meute de Français aux ordres des Anglais, dans un Royaume de France scindé en deux.


Littéralement.


Plus de quatre cents ans auparavant, le Poing du Diable, cet énorme météore, a broyé le centre de la France, et ouvert un titanesque gouffre vers les profondeurs de la Terre, coupant le Royaume en deux. Une large fissure, pétrie de malheur, de malignité et de mal d’où sortent moult monstres déformés par la haine et la rage.


La Brèche.


Je me rappelle, ces lueurs vertes, violettes, soufrées. Je me rappelle l’odeur putrides des rafales de vent. Je me rappelle ce murmure glaçant, ce chant funeste.


Ce jour-là, dans les marais de la Brenne, j’étais curieux de voir à quoi ressemblait cette Brèche. Mais même à dix jours de marche de ma destination, je n’avais pas eu le courage de continuer. De comprendre. Effrayé par un mal insidieux, j’avais pris peur. J’avais rebroussé chemin, vers le moment le plus délicat de cette histoire.


Une histoire d’amour. Une histoire de rébellion. Une histoire de guerre, comme il en existe tant d’autres.


Celle d’une pucelle, partie de Lorraine pour aller aider son Roi. Et de sa compagnie de rustauds, à peine une dizaine au départ, plus de huit cents à leur arrivée à Orléans, qui de paysans s’étaient peu à peu transformés en soldats aguerris.


Celle d’un paysan, bâti comme une grange, aux mains aussi larges que des battoirs, au cœur aussi grand qu’un cheminée qui avait quitté son Berry natal pour échapper à une foule armée de fourches et de piques, et était tombé dans les bras de celle qu’il avait aimé dès le premier regard.


L’histoire de Jeanne et de François. Une petite histoire dans l’infinité des grandes histoires de chaque univers.


Et comme dans chaque histoire, des moments de joie, des moments de peine. Et des drames. Au terme d’un procès en hérésie expédié par l’Évêque, la sentence prononcée était irrévocable.


A travers la mince lucarne, j’aperçois sur la grand-place le bucher que nous avons installé cette nuit. Un échafaud gigantesque, bardé de centaines de bûches sèches comme le ciel de moi de mai ensoleillé, et imbibé de dizaines de litres d’huiles. Il nous a fallu toute la nuit pour entreposer ce bois sous les yeux porcins du capitaine de la Garde. Un homme lâche, qui prend plaisir à martyriser les faibles et se courbe bien trop bas devant les faibles. Qui craint l’Évêque autant que les petites gens le craignent. Je soupire de soulagement. Lorsque le supplice sera fini, j’aurai exécuté ma mission.


Je rabats ma manche sur mon manipulateur, et fixe encore quelques secondes les yeux exorbités du capitaine. La lame qui dépasse de son torse. Le sang qui gicle sur le reste du peloton de garde, et leur yeux écarquillés.


La lame se retire avec un bruit de succion et alors que le corps sans vie du capitaine chute comme une marionnette sans fils, je peux enfin détailler le meurtrier. Un colosse, une vraie montagne de muscles, sans une once de graisse. Son armure et son casque semblent aspirer toute la lumière des lieux.


Je sors ma lame de son fourreau. Je sais que les soudards ici présents ne pourront rien faire, ils se feront réduire en charpie. Je dois prendre les choses en main.


— Sortez la condamnĂ©e, et menez-la Ă  la grand-place. L’heure de l’exĂ©cution est avancĂ©e. Pierre, va prĂ©venir l’ÉvĂŞque !

— Tu crois qu’on va t’écouter, le Vil ?

— Tu veux que je te laisse me remplacer contre ce dĂ©mon ?

— T’as raison. Les gars, on y va ! Courage, le Vil !


Je pare de justesse l’estoc qui visait mes entrailles, et esquive un deuxième coup encore plus vicieux que le premier. L’Envoyé de Nsgroth est bien plus aguerri que ceux que j’ai pu affronter auparavant. Il va falloir que je réhausse mon niveau d’escrime.


Je pare de nouveaux deux coups, et entends des cris venir des geôles. Une mandale résonne, et un garde grogne. Je souris. Emmener Jeanne jusqu’au bûcher ne sera pas facile. S’il le faut, je le ferai moi-même après avoir vaincu ce monstre. J’esquive deux estocs fulgurants et un coup de taille. J’essaie de maintenir la distance entre nous deux pour gagner le plus de temps possible.


Soudain, je vois une ouverture. Je pare un nouveau coup et décolle la tête de ce monstre de ses épaules. Son corps choit et sa tête roule sur le sol pierreux. A la faveur d’un rebond, son casque se décolle de son crâne. Ce que j’y vois ferait frémir n’importe quel humain. J’ai frémi la première fois.


Une tête sans visage me scrute. Un gouffre béant cerclé de dents pointues remplace les yeux, le nez et la bouche, et laisse entrevoir un univers fait de vide. Alors que je m’approche de cette immondice, un œil se colle au gouffre comme un gamin se collerait à l’étal d’un pâtissier. La pupille d’un poulpe regarde ce monde avec gourmandise. Déjà, des tentacules tentent de sortir de ce néant. Je sais que si je les laisse faire, ils permettront à se monstre de se mouvoir.


D’un geste rageur, je plante ma lame dans l’iris de cette monstruosité. Les trente pouces d’acier se mettent à fondre petit à petit, et je lâche mon arme. Peu à peu, le reste de la tête fond en un chuintement qui me donne la nausée. Lorsqu’enfin ce bruit des enfers disparait, la tête a disparu pour ne laisser qu’une flaque noire aux reflets mordorés.


Je dois rejoindre le reste des gardes de la ville. Furieux de ne pas avoir anticipé ce retournement de situation, je prends une épée de mauvaise facture sur un râtelier et la range avec fracas dans le fourreau qui pend à ma ceinture.


Mes bottes cerclées de métal battent le pavé à toute vitesse. Je fends la foule avec violence, écartant les manants, les pauvres et les serfs sans ménagement. Je laisse à peine mon regard trainer sur le cadran de l’Horloge de la rue du Gros lorsque je passe en dessous. Son unique aiguille aurait pu être une belle particularité sur laquelle je me serais attardé si je n’avais pas une histoire à sauver. Inconsciemment, je capte un fragment d’écusson sous un manteau. La bande à Jeanne.


Je peste. La grand-place est bondée de monde. Et même si le feu partira en un claquement de doigts, la foule est bien trop compacte pour que les évènements à venir puissent rester contrôlables. Je dois rejoindre l’espace autour du bûcher. Il sera là, et je dois l’empêcher de passer.


J’aperçois l’Evèque Cauchon sur la tribune dressée non-loin. Alors que la foule se tait, et que les chefs d’accusation de la Lorraine sont égrenés, j’aperçois un mouvement. Une montagne s’approche du bûcher, inexorablement.


Il est lĂ . Je hurle.


— A la garde ! EmpĂŞchez-les de passer !


Je me rue vers lui. François, le premier des compagnons de la bande à Jeanne. Je le vois sortir son espadon, cette arme aussi haute qu’un homme avec laquelle il a découpé tant d’Anglois. Les petites gens s’écartent en hurlant, et j’essaie d’empêcher un garde de se ruer vers lui. Trop tard.


La gigantesque lame tranche le soudard comme s’il n’avait été qu’une feuille de parchemin. Le sang éclabousse et fait déguerpir les rares spectateurs qui trainaient encore. Un nouveau mouvement de taille me force à me baisser. François est un monstre de puissance, et ce n’est pas étonnant. Pas quand on connait son héritage.


Je m’écarte pour éviter un coup du haut vers le bas, et entaille son avant-bras. Alors que je bondis vers l’arrière pour me retrouver hors d’atteinte, je vois l’estafilade se refermer. Je feins l’étonnement.


— Sorcellerie !

— Laisse-moi passer, et je te laisse la vie sauve.

— Pour le Duc de Bourgogne ! hurlĂ©-je.


Un souffle répond à mon hurlement, et je sens une chaleur m’inonder le dos. Je vois dans les yeux de François la fureur répondre aux flammes qui lui font soudain rougeoyer le visage. Je perçois ses mâchoires qui se serent, et je m’interpose alors qu’il commence à charger. Je me baisse et mobilise toutes mes forces pour lui crocheter les jambes. Les pavés tremblent lorsque la montagne de muscles qu’il est heurte le sol. J’en profite pour m’interposer de nouveau. Lui se relève, comme une tempête en plein océan. Des nuages noirs commencent à s’amonceler dans le ciel.


Il hurle et j’ai peine à ne pas me boucher les oreilles. Des trombes d’acier m’assaillent avec fracas, mais ne me submergent pas. J’enchaine les esquives et les estafilades, profitant de la lourdeur de la lame de mon assaillant et de sa fatigue. Je sens qu’il puise à chaque moment dans sa rage, dans son désespoir. Chaque moment peut être le dernier pour moi, mais je n’en ai cure. Les étincelles pleuvent lorsque son acier rencontre le pavé, et chacun de mes os semblent prêts à se déchausser chaque fois que je pare un coup de justesse. Mais n'en ai cure. La violence de ses coups n’est rien comparé à la force de son désespoir, et je me sens immonde de l’empêcher de sauver l’héroïne derrière moi. Mais je n’en ai cure.


L’histoire doit continuer.


Derrière moi, j’entends des cris, des gémissements. Je sens l’odeur de la peau qui grésille, celle de l’huile et du bois qui flambe. Les éclats des autres duels entre les gardes et la bande à Jeanne retentissent sur toute la grand-place.


Je me fous du sort de ces soudards, il faut juste tenir. Encore tenir. Alors qu’un nouveau coup d’espadon passe près de mon crâne, je ressens un soulagement. Je peux me relâcher. Je le sais. Je dois jouer mon rôle, et écarte les bras en souriant.


— Il est trop tard, François.

— Tu connais mon nom, vermine ?

— Croyais-tu que nous ne saurions pas que la bande Ă  Jeanne tenterait de la sauver du bĂ»cher ? Croyais-tu que nous n’avions pas prĂ©vu votre misĂ©rable tentative. Mais c’est trop tard. Tu as Ă©choué !

— Non, murmure le colosse. Non ! NON ! NOOOOOOOOOOOOON !!!!


Loin, très haut dans le ciel, j’entends l’orage gronder. Je sens une goutte tomber. Ce ne sera pas la seule ce jour-là. La pluie tombera sur Rouen tant que François pleurera. Il pleurera pendant des mois. Je me tourne vers le bûcher infernal, et j’y vois la forme sombre du cadavre de Jeanne brûler encore.


Alors que je me tourne de nouveau vers François, je vois son espadon tomber, et une masse fait craquer mon plexus. Je sens les pavés cogner l’arrière de mon crâne, et le sang parcoure ma bouche. Haut dans le ciel, les nuages noirs éclipsent le jour. J’ai à peine le temps de voir des fidèles s’agenouiller pour prier qu’une montagne se rue sur moi, et appuie de toute ses forces sur chacun de mes muscles et de mes os. Je sens mon corps craquer un nombre incalculable de fois. Les poings du colosse s’abattent sur moi, et me réduisent petit à petit en une pulpe sanglante. Mais je sais qu’il est trop tard.


Le pouvoir qui s’éveille en lui ne permettra pas de la ramener à la vie. Il est bien trop jeune pour cela. Un sourire aux lèvres, je sens une dernière fois sa fureur m’exploser le crâne.


La Fureur des Ogres, les fils de la Brèche.


Lorsque je rouvre les yeux, je sais que j’ai réussi ma mission.


— FĂ©licitations, me dĂ©clare l’Ascendant.

— La prochaine fois que je dois sauver une histoire, faites que ce ne soit pas en tant que mĂ©chant.


Un sourire mystérieux étire le visage de l’être angélique, puis se fige bizarrement. Epuisé, je passe ma main gauche devant les yeux. Cette fois-ci, elle a entièrement disparu.










Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !











Sourne

D'abord, ton texte est bien rythmé et les actions sont très bien décrite.
Cepeendaaaant, ma remarque sur le fait que parfois, on ne ressentait pas trop les émotions de tes personnages. C'était fait exprès pour ce texte ? Non parce que j'ai sincèrement l'impression que ton antagoniste est une coquille qui ne ressent rien.
Mais surtout. Surtout. La bande à Jeanne. La bande À Jeanne. C'est quoi cette horreur ? x) Normalement, on dit " la bande DE Jeanne "


Le 22/11/2021 à 19:56:00



Downforyears

En soi, le personnage de Down est une coquille vide. Il a une mission: protéger une histoire. Et il sait que chaque histoire dans laquelle il se plonge n'est qu'une mission, et qu'il ne verra peut être pas le dénouement. En soi, il ne peut pas se permettre de ressentir trop d'émotions envers les personnages de l'histoire qu'il vit.

Quand à la bande à Jeanne, on est 1) dans un univers parallèle 2) dans une période où les gens savent pas forcement parler correctement le français.


Le 24/11/2021 à 14:37:41



JilanoAlhuin

"Le grand remplaçant" : J'ai bien aimé le texte. On reconnait facilement ton style d'écriture à travers les lignes, et on voit que la vie de Nauteur n'est pas de tout repos ! Par contre, je dois avouer que c'est seulement quand ton personnage a dit qu'il était le méchant que je m'en suis rendu compte :bigeyes: Les combats que tu nous montres sont bien mis en scène, et la colère et le désespoir de François sont très bien montrés en quelques lignes. C'est un très bon texte !


Le 25/11/2021 à 02:04:00

















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