Une fille. Un garçon. Tout les sĂ©pare. L'un dĂ©teste l'autre. Simple, n'est ce pas ? Et pourtant... Pourtant, ça ne l'est pas. Tout semble toujours plus simple au premier abord. Mais la vĂ©ritĂ© est toujours bien plus complexe. Et surtout, tout le monde a toujours sa propre vĂ©ritĂ©. Mais alors, qui a la vĂ©ritĂ© vĂ©ritable, et qui ne l'a pas ? Peut-on seulement le dire ?

Chaque histoire a plusieurs vĂ©ritĂ©s. Celle du protagoniste, celles de ses amis et Ă©videmment, celles des antagonistes. Et on ne s'intĂ©resse jamais forcĂ©ment Ă  cette dernière. Notre histoire ne fait pas exception. Mais chaque vĂ©ritĂ© compte. Si l'une d'elles manque, plus rien n'a de sens. Et celle de Hugo est tout aussi importante. Mais, qui est Hugo ? Simplement, quelqu'un de très intĂ©ressant. Si vous le voulez bien, revenons au tout dĂ©but. LĂ  oĂą tout a commencĂ©. Dans une cour de rĂ©crĂ©. Avec cette fille. Et ce garçon.

Entouré de ses amis, Hugo se sent tout puissant. Après tout, il est dans son droit. Elle, là, cette... Elinor, personne ne l'aime. Une fournisseuse de résultats, une sale petite intello, un bébé qui ne peut se passer de ses objets étranges, de ses livres ou de sa gerbille peluche bizarre. Alors que lui... lui, il est fil d'un riche PDG. Tout le monde le respecte. Tout le monde l'aime. Tout le monde est derrière lui. Alors, quand cette simple occasion se présente, évidemment, il fonce tête baissée. Tout le monde le suivra, il le sait. Mais il s'en fiche. La seule chose qui l'intéresse, c'est d'augmenter encore l'adoration de tous à son égard. Seulement, il ne se doute pas de ce qu'il va créer, il ne sait pas que ses actes le feront devenir... Quelqu'un d'autre.

Alors oui, entouré de ses amis, il se sent tout puissant. Mais il ne se rend pas compte qu'à chaque fois qu'il agit contre cette petite fille, bien plus vulnérable que lui, à chaque fois qu'il l'insulte, à chaque fois qu'il la frappe, il se rapproche un peu plus de ce point de non retour qu'il ne faut jamais franchir. Et c'est dans cette cour qu'il l'a franchi.

Ce jour-là, entouré de ses amis, Hugo prononce la phrase de trop. Il donne le coup de trop. Il se rend bien compte de quelque chose. Il voit ce qu'il fait. Il la voit, elle. Il voit sa souffrance. Il voit sa douleur. Et l'espace d'un instant, il regrette. Il regrette de faire autant de mal. Et puis il entend les cris qui l'encouragent. Il entend les applaudissements, il entend les rires. Il se sent adulé, aimé. Alors, toute trace de remord s'efface. Il a besoin de ces gens qui l'applaudissent. Il sait que la plupart ne sont pas ceux qu'ils prétendent être. Mais il a besoin d'eux. Alors, il fait ce qu'on attend de lui. Il frappe.

Ses poings sont en sang. Ses parents discutent depuis des dizaines de minutes le directeur. Il ne sait pas exactement ce qu'ils disent, mais il se doute fortement qu'ils parlent de l'ambulance qui est partie très vite, avec Elinor à l'intérieur. Il n'aurait peut-être pas dû frapper autant, il le sait. Il aurait du s'arrêter avant qu'elle ne perde connaissance. Mais il n'a pas pu s'arrêter. Ni s'en empêcher.

L'appel de son nom le coupe ses réflexions. Il est invité à entrer. Le directeur le fixe d'un regard furieux dès son entrée. Sa mère lui lance avec ses yeux sa franche inquiétude, tandis que son père le regarde, confiant. Ses parents ont toujours été comme ça. Malgré leurs absences répétées, ils se soucient toujours de lui, et jamais ne leur viendrait à l'idée que leur fils puisse être violent. Cette confiance, il ne la mérite peut-être pas, mais il compte bien en profiter.

Son numéro de théâtre commence alors. Accentuer la perte de lucidité, la pression du groupe. Présenter ses excuses. "Regretter" amèrement. Convaincre le directeur. Mais il n'y a plus une once de remord en lui. Après tout, c'était de sa faute, à elle. Elle n'aurait jamais dû être comme elle est. C'est elle qui l'a poussé à faire cela.

Tout fonctionne à merveille. Il est écouté. Seule une petite semaine d'exclusion sera obligatoire. Mais il a évité le pire. Il ne sera pas renvoyé. Tout le monde l'adore désormais. Il est plus populaire que jamais.

Seule une chose le plonge dans une colère noire. Il doit prĂ©senter ses excuses Ă  Elinor. Aberrant ! Après tout, tout est de sa faute ! Pourquoi devrait-il lui prĂ©senter ses sincères excuses ? C'est complètement injuste ! Mais il n'a pas le choix. Alors il le fera. Mais, elle le regrettera. Il n'en a pas fini avec elle. Elle regrettera de l'avoir obligĂ© Ă  faire ça. Il se promet que les annĂ©es prochaines seront les pires de sa vie. Il veut qu'elle souffre. Alors elle souffrira.

Les mois passent. Tout recommence. Tout s'amplifie. Hugo tient sa promesse. Il n'a plus jamais de regrets. Il a raison de le faire. Il en a le droit. C'est sa vĂ©ritĂ©. Si elle n'existait pas, l'histoire d'Elinor, celle que nous connaissons, n'aurait jamais pu avoir lieu. Cette vĂ©ritĂ© existe. Est-elle juste ? est-elle fausse ? Est ce seulement une histoire de point de vue ? Personne ne le sait, nous savons seulement qu'elle existe.

Hugo est seul dans sa chambre, en train de travailler. Il est devenu un adolescent. Tout ce qui s'est passé il y a plusieurs années, alors qu'il était encore enfant, il l'a oublié. Mais tout le monde ne l'a pas fait. Un courant d'air frais se fait sentir. La température chute. Il sent comme une présence étrange derrière lui, et se retourne. Mais il n'y a rien. Alors il recommence à travailler. Mais il n'est pas à l'aise. Il se sent observer. Et puis, il sent quelque chose de glacé sur son épaule. Il se retourne. Et ne peut décrire ce qu'il voit. Une masse immense. Couverte d'une cape tout aussi grande. Un véritable...Squelette. Il pousse simplement un cri. Un seul cri. Et le silence. Il sombre. Il passe de l'autre côté.

Le lendemain, dans les journaux, paraît un gros titre à la une, qui surprend, terrifie, rend triste... "Un adolescent retrouvé chez lui. Mort."