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Elinor![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Un dernier au revoir(par Elinor)Tout est blanc. Le sol, les arbres… La neige recouvre tout. L’hiver vient de commencer, et pourtant, j’ai l’impression que je n’ai pas senti la chaleur du Soleil sur ma peau depuis de nombreux mois. Je n’arrive même plus à l’imaginer. Je ne sens et ne ressens que le froid, toujours, tout le temps, partout.
Je sens une présence à côté de moi. Sa présence. Alors je me reprends. Non, ce n’est pas vrai, une chaleur me réchauffe encore. Sa chaleur. Quand il est près de moi, j’ai l’impression que tout cela n’est qu’un mauvais rêve, que rien ne s’est passé, qu’être heureux est encore une possibilité. Mais je regarde l’orée du bois qui se dresse devant moi, et la réalité me rattrape violemment, comme toujours. Ils ne sont plus là , je ne les reverrai plus jamais. J’aimerais tellement pouvoir me réveiller comme si de rien n’était… Mais je n’ai pas le droit d’espérer, je n’ai plus le droit d’espérer. Ils sont partis, rien ne les ramènera, et garder espoir du contraire n’est qu’une illusion, une chimère ne pouvant m’amener que des ennuis. Alors je m’efforce de chasser ces pensées, de m’ancrer un peu plus à la réalité à chaque pas que je fais, et je continue d’avancer.
Bientôt, nous arrivons aux derniers arbres qui délimitent la forêt. Nous ne pouvons aller plus loin, pas pour l’instant. On pourrait nous repérer et nous arrêter. Alors nous nous enfonçons de nouveau légèrement entre les arbres, retournons sur nos pas et nous glissons derrière un bosquet pour attendre le moment propice. Il ne s’agirait pas de nous précipiter. Nous n’aurons qu’une seule chance.
Assis ainsi, les fesses dans la neige et les doigts se transformant peu à peu en glaçons, j’observe les dernières feuilles dansant au gré du vent dans un balai hypnotique, me renvoyant bien malgré moi dans mes souvenirs, avant ce moment où tout a basculé… Et sans que je ne l’ai décidé, me revoilà un an auparavant, non loin de notre position actuelle. La neige venait de tomber, le vent soufflait de la même manière… Et ils étaient tous là . Nous avions commencé un bonhomme de neige, mais cela avait très vite tourné en bataille de boules de neige. C’était à celui qui finissait avec le plus de neige sur lui. Les éclats de rire résonnaient entre les arbres. Je ne peux m’empêcher de sourire de nostalgie à cette vision. Nous étions tellement heureux…
Et puis très vite, mon esprit revient à ce jour où tout a basculé. Et encore une fois, sans que je ne le veuille, je dois revoir ce jour effroyable, ce jour maudit où ma vie a franchi le pire point de non-retour possible. Je revois les deux soldats de l’empereur venir me trouver chez le bibliothécaire chez qui je travaillais, me demander de les suivre. Je ressens de nouveau cette panique soudaine, incontrôlable, qui me parcourt le corps quand on m’annonce qu’ils sont tous morts, et que je suis leur assassin. On m’empoigne, me frappe, me pousse. J’entends de nouveau mon employeur leur hurler de me lâcher, que c’est impossible, qu’ils se trompent, mais mon cerveau est trop embrumé pour penser à me défendre par moi-même. On refuse de me laisser les voir, de leur dire au revoir. On me jette dans une cellule, j’y reste des jours, des nuits, des semaines… Je meurs de froid, de faim, de soif, mais tout cela m’est égal. Je ressens de nouveau le sentiment de vide qui m’emplissait, comme si c’était la première fois, alors qu’il ne m’a jamais quitté depuis. J’entends les cloches sonner pour l’enterrement, mais on refuse que je m’y rende. Et puis soudain, je la revois. Cette lumière qui apparaît devant moi lorsque la porte s’ouvre, et cette main qui se tend…
— Simon ! Simon !
Je reprends mes esprits. Je sens sa main sur son épaule, sa chaleur. Encore une fois, je suis parti, éloigné du moment présent, perdu dans mes souvenirs… Je lui souris, montrant que tout va bien. C’est le seul ami qu’il me reste. Mon meilleur ami. Nous nous étions perdus de vue lorsqu’il a dû quitter notre village pour s’installer avec ses parents dans la grande ville voisine, et pourtant quand il a su ce qui m’arrivait, il n’a pas hésité une seconde à tout quitter pour moi, et venir m’aider à m’enfuir au péril de sa vie. Et aujourd’hui, il me suit encore dans cette entreprise insensée qui pourrait nous coûter la vie, sans poser de question, simplement parce qu’il sait que j’en ai besoin pour avancer. S’il n’était pas là , je ne sais pas où je serais aujourd’hui, dans un sombre cachot ou… dans un cimetière.
Eloi me fait un signe de la main, pour me montrer la lune qui commence à briller dans le ciel. En parlant de cimetière… Il est temps d’y aller.
Nous nous levons, et commençons doucement à évoluer dans la neige. Très vite, nous arrivons de nouveau à l’orée du bois. Une lumière brille à l’horizon. Probablement la lanterne de la patrouille de garde. Je fais signe à mon ami. Nous devons attendre qu’elle passe, et nous aurons alors suffisamment de temps pour faire rapidement l’aller et retour jusqu’au cimetière, et avant la prochaine patrouille, nous aurons disparu dans la nature.
Quelques minutes s’écoulent. Enfin, la lumière a complètement disparu de l’autre côté de la route. Nous reprenons alors notre avancée, faisant le moins de bruit possible, malgré la neige bruissant sous nos pieds. Il y a plus de poudreuse ici que sous les arbres, notre progression est plus dure. Je sens le souffle d’Eloi qui me suit de près. Si la situation n’était pas aussi tendue, elle me paraîtrait comique. Je me rappelle toutes les fois où je lui ai fait remarquer que son souffle ressemblait à celui d’un buffle en plein effort, et où il m’a répondu en me tirant la langue. Mais je ne peux pas me permettre de repartir. Pas maintenant. Je me sermonne intérieurement, et me concentre de nouveau sur notre avancée.
Bientôt, les grilles du cimetière apparaissent. Dans d’autres circonstances, j’aurais pu trouver le paysage qui s’offre à moi tellement beau. La lune se reflétant sur la blancheur si pure de la neige, les pierres tombales dressées là , solitaires, abritant tant de personnes, d’histoires différentes… Mais les circonstances ne sont pas différentes, et je ne vois que la mort entourant ce lieu. Par chance, il est excentré du village depuis l’époque de la peste, et c’est toujours là qu’on enterre les gens de basse condition… comme ma famille.
Des frissons me parcourent le corps lorsque nous franchissons ces grilles. Un mélange de peur, de tristesse, et d’un je ne sais trop quoi que je ne peux identifier me traverse alors que je cherche leurs noms sur les croix de fortune dressées pour ceux ne pouvant compter sur personne pour s’occuper de leurs pierres. Et soudain… Je les vois. Leurs quatre noms. Inscrits en toutes lettres. Papa… Maman… Marie… Lucien… Mes yeux s’arrêtent sur chacun, mais mon cerveau refuse de les lire. Cela me paraît tellement irréel…
Et soudain, mes jambes ne me tiennent plus, je m’écroule. Toutes les larmes que j’avais retenues jusqu’ici tombent sans retenue. Je repense à eux, à ces instants que je n’aurai jamais avec eux, aux mots que je ne pourrai jamais leur adresser… Je ne verrai jamais grandir celle à la si grande espièglerie, je ne pourrai plus jamais galoper à travers champs et rire aux éclats avec celui de qui je n’étais jamais séparé, à tel point qu’on nous appelait les siamois, je ne pourrai plus jamais sentir la douce étreinte réconfortante de Maman, je ne pourrai plus jamais entendre les si jolies chansons que Papa fredonnait le soir au coin du feu. Enfin, je le réalise. Ils sont vraiment partis. Et je m’autorise à pleurer, une fois, une seule, pour leur dire au revoir, cet au revoir qu’on m’avait arraché.
Je sens des bras m’entourer, me réchauffer, me réconforter. Comme toujours, il est là . Je pleure sur son épaule, le remerciant silencieusement de m’avoir permis de vivre ce moment, si important pour moi. Je ne suis pas sûre qu’il ait compris l’importance de cet au revoir… Non, de cet adieu, mais sans lui, je n’aurai été capable de rien. J’ouvre doucement les yeux, et relève peu à peu la tête. Un doux sourire se peint sur son visage. Il me demande si ça va aller. J’acquiesce, n’ayant pas la force de parler, pas encore. Il comprend, et ne dit plus rien. Sa présence me suffit.
Quelque chose attire mon regard. Là où mes larmes ont glissé, la neige a fondu, laissant apparaître une seule pointe de verdure. Précisément au pied de la croix de mon jumeau. Je souris alors à travers les larmes qui coulent encore. Peut-être est-ce un signe qu’il m’envoie, peut-être veut-il me montrer qu’il y a encore de l’espoir, peut-être… qu’il est avec moi, d’une certaine manière.
Mais avant que je ne puisse y réfléchir plus longuement, une brindille craque au loin. Quelqu’un vient. Aussitôt, j’essuie mes larmes, et me relève prestement. Eloi fait de même près de moi. Un seul regard nous suffit. Nous nous élançons tous les deux en courant, essayant malgré tout d’agir silencieusement. Le recueillement est fini, nous ne pouvons nous mettre en danger plus longtemps, nous devons regagner la forêt.
Nous courons le plus vite possible, indifférents aux traces que nous laissons. Une fois dans la forêt, ils ne pourront pas nous retrouver, nous serons en sécurité. Nous l’apercevons de loin. Elle se rapproche petit à petit. Plus que quelques foulées… Enfin. Nous y sommes.
Je jette un regard à mon ami, et sans crier gare… Je lui saute au cou. Je ne sais pas vraiment pourquoi j’agis ainsi… Mais il répond à mon étreinte. Alors, malgré le fait que je vienne de perdre toute ma famille, que l’empire entier soit contre moi, que je sois dans la forêt en cette nuit au début de l’hiver, sans toit ni argent… Je souris. Car malgré toutes les épreuves, je ne suis pas seul. Il est avec moi, et c’est le plus important. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais je n’aurai pas à l’affronter seul.
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