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Elinor![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Si seulement(par Elinor)Si seulement je pouvais entendre son rire… Il doit être si beau, si agréable. Je suis sûr qu’il sonne comme une musique. Écouter les gens que j’aime rire… Encore une chose que je ne pourrai plus jamais faire. Depuis que cette fichue maladie m’a enlevé mon ouïe, j’ai l’impression d’avoir perdu ma principale connexion avec le monde qui m’entoure. On a tous, à un moment ou à un autre, eu besoin de silence. Je t’assure qu’on ne devrait pas. On ne peut pas savoir à quel point les sons sont précieux avant qu’on ne les perde… Mais ils le sont. Le silence est si oppressant quand il est omniprésent…
Mon téléphone vibre soudainement, m’interrompant dans l’écriture de mon journal. Ma mère m’appelle pour manger. Je finirai après, je suppose… C’est mon psy qui m’a conseillé de mettre mes pensées par écrit. Il paraît que ça peut me faire du bien. Je ne perds rien à essayer, alors tous les jours, j’écris quelques mots sur ma vie. Elle n’est pas passionnante mais...Silencieuse. Trop silencieuse. Deuxième message. Il va falloir que je me dépêche. Je descends les escaliers quatre à quatre. Maman va encore râler, je dois faire un boucan d’enfer… Je suppose. J’arrive dans la cuisine. Papa est déjà là . Lucie tarde à arriver, comme d’habitude. Dès qu’elle est là , nous commençons à manger. C’est ici que je me sens le mieux. Chez moi, je veux dire. Ici, je peux essayer de signer sans qu’on me regarde avec des yeux ronds, discuter par téléphone avec des gens juste à côté de moi sans qu’on me prenne pour un fou… Et puis on ne me pose pas de questions auxquelles je ne peux et ne veux pas répondre. Ma famille a toujours été présente pour moi, et particulièrement quand l’opération qui aurait dû me rendre l’ouïe complètement a provoqué ma surdité… A l’extérieur, tout est si effrayant…
J’ai mis de longs, très longs mois à retourner à l’école. Je ne pouvais pas supporter le regard des autres, remplis de pitié quand ils se rendent compte que je ne peux rien entendre… Ou leurs moqueries. L’une ne va pas sans l’autre en général. Aujourd’hui, je m’habitue peu à peu à faire abstraction de ce que pensent les autres. C’est dur, mais j’essaie de me créer une barrière mentale. Dans un sens, ne pas les entendre peut être un soulagement, mais je peux toujours lire sur leurs lèvres…
— Tu sembles perdu dans tes pensĂ©es.
Je relève la tête. Je n’avais pas vu que Lucie me faisait des signes pour me parler. Je souris vaguement et lui écris :
— Ne t’inquiète pas, je stresse juste un peu pour demain.
Demain, c’est la rentrée. La rentrée au lycée… Je ne veux pas les inquiéter, mais je panique tellement. Une nouvelle école, de nouvelles personnes… Tant de nouvelles choses à affronter. Mes professeurs sont normalement prévenus de mon handicap, mais… et s’ils oubliaient ? Et s’ils le disaient devant tous le monde ? Et si je ne me faisais aucun ami ?
Ma seule ancre dans cette mer d’anxiété, la seule chose qui me permet de ne pas chuter… C’est Alice. Alice, c’est une fille que j’ai croisé plusieurs fois à la médiathèque pendant les vacances. Elle ne me connaît pas, mais moi je la connais. Quand on ne peut plus entendre, on se concentre sur les autres sens pour comprendre ce qu’il se passe… Alors moi je l’ai un peu observé. Ça peut sembler étrange, dit comme ça, mais ce n’était pas du tout de l’espionnage. J’aime bien juste… Observer les gens que je croise, imaginer leur vie. Et quand je la voyais rire avec ses amis… Je me disais qu’elle devait être heureuse. Et je crois qu’elle va dans le même lycée que moi alors… Peut-être que je peux espérer… Une fois le repas terminé, je débarrasse en vitesse et je monte m’allonger sur mon lit. Je serre Miss Pingouette dans mes bras… Miss Pingouette, c’est la peluche pingouin qu’un médecin m’a offert juste avant mon opération. Cela fait plusieurs années mais… Je l’aime toujours autant. Elle me rassure. Elle me permet de tenir, me console quand rien ne va plus… Ça peut être ridicule d’avoir toujours un doudou à mon âge… Mais je ne peux plus m’en passer. Fatigué, je m’endors ainsi, toujours habillé.
Quand mon père vient me réveiller, le lendemain matin, une boule me comprime le ventre… Je suis tellement anxieux que je n’arrive pas à manger. J’emporte une pomme pour faire plaisir à ma mère, mais je sais que je n’arriverai pas à l’avaler.
En sortant dans la cour, je manque de tomber. Lucie a laissé traîner un de ses nombreux outils… Je voudrais bien pester, la disputer… Mais depuis que je n’entends plus, mon langage est comme bloqué. Je n’arrive plus à sortir un son. Comme si mon cerveau refusait d’utiliser ma voix s’il ne peut entendre ce qu’elle dit.
Lorsque je monte dans le bus, j’ai un casque vissé aux oreilles. Ironique ? Peut-être, mais ça me permet de paraître normal, de ne pas attirer l’attention… Une fois à ma place, je me plonge dans les méandres d’Internet. La nouvelle réforme de l’Académie française, comment perdre du poids en trente jours, le nouvel album d’un rappeur que je ne connais pas...Que des choses sans intérêt. J’arrive enfin devant le lycée… Une grande bâtisse, tellement impressionnante. Je me ronge les ongles, je suis tellement stressé… J’ai tellement peur que tout se passe mal…
Je peine à trouver ma salle. En passant, je jette un coup d’œil au menu d’aujourd’hui. Frites… Ils essaient peut-être d’influencer les élèves dès le premier jour avec ce plat… Qu’importe après tout, de toute façon, je ne pourrai rien manger.
J’arrive enfin dans ma classe, je rentre et je vais au premier rang. Si je veux pouvoir lire sur les lèvres des profs, il faut que je sois proche… Comment passer pour l’intello avant même que les cours ne commencent…
Et puis, soudain, je vois quelqu’un qui vient s’installer à côté de moi. Alice ! Elle me sourit, sort un petit bout de papier et écrit :
Ne t’inquiète pas pour ta surdité, tout va bien se passer. N’hésite pas si tu as besoin d’aide.
Je détourne aussitôt le visage pour rougir… Elle me connaît ! Je ne sais pas pourquoi, mais mon nœud à l’estomac se desserre peu à peu. Cette année ne sera peut-être pas si catastrophique, après tout...
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