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Downforyears![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Ceux qui se cachent(par Downforyears)Que lui arrivait-il ? Pourquoi son maitre lui avait-il infligé cela ?
A quatre pattes pour éviter de tomber, le garçon s’approcha de la souche que lui avait indiqué son guide quelques instants plus tôt. Comme un nouveau-né, il avança fébrilement, bougeant les genoux puis les mains dans l’herbe sèche en tremblant. Lorsqu’il sentit enfin ses doigts cogner doucement l’écorce rugueuse de sa destination, il s’y hissa et s’assit comme il le put.
— Le dos plus droit ! claqua doucement la voix hachée de son maitre alors qu’un bâton appuyait sans ménagements sur ses reins. Les mains en coupe près de ton ventre. La tête relevée, tu n’es pas un bossu. Voilà … — Pourquoi..? commença le garçon. — Je veux que tu répondes à mes questions, pas que tu en poses. Que vois-tu ? — Je ne vois rien ! Plus depuis que j’ai bu votre potion étrange ! — Et que te disent tes oreilles ? lui demanda calmement son maitre. Que te dit ta peau ? Que te dit ton nez ? Que te dit ta langue ? Tu dois répondre à ces questions, sans qu’elles ne sortent de toi. Réfléchis-y. Et une fois que cela sera fait, tu me diras ce que tu vois.
Le garçon se força au calme. Plus d’un an avait passé depuis que son maitre l’avait acheté à sa famille, et si les épreuves qu’il lui infligeait étaient souvent éprouvante, elles n’avaient pour but que de le forger, comme il le disait. Comme il avait appris à le faire au cours des centaines de journée de marche et d’épreuves, l’élève décida de faire confiance à son maitre. Chacune de ses leçons était un casse-tête qu’il devait résoudre et avait résolu à chaque fois, et celle de ce jour ne ferait pas exception. Au fond de lui, il savait que réussir l’épreuve importait moins que la leçon a en tirer. Peut-être qu’en se concentrant sur son ouïe…
Le doux clapotis de l’eau d’un ruisseau. Le chant cacophonique des oiseaux. Le bruissement du vent dans les feuilles des bambous qu’il savait pousser aux alentours, et les chocs réguliers des troncs creux de ces géants verts entre eux. Le bourdonnement chaotique de quelques insectes tout autour de lui… Le peu de bruits qu’il percevait autour de lui l’agaçait plus qu’il ne l’aidait. Peut-être qu’en se focalisant sur son odorat…
Les senteurs des fleurs sauvages et de l’herbe sèche ne lui donnèrent pas plus de réponses que l’odeur de l’humus. Agacé, le garçon se concentra sur sa peau, et ne sentit que le souffle du vent et la chaleur du soleil du début d’après-midi…
— Nous sommes dans une forêt de bambous, et… — Tu as mal regardé, lui répondit la voix sèche - mais patiente- de son maitre. — Je me suis concentré sur mes oreilles, puis mon nez, puis… — Lorsque tu marches trois lieues, tu respires d’abord, puis tu marches une fois que tu as fini de respirer ? — Non, je fais les…
Le garçon se tut. Bien sur qu’il devait utiliser tous ses sens en même temps… Ne plus mettre de limites entre son nez, ses oreilles, sa peau, sa langue.
Le ruisseau non loin à sa droite lui apporta à la fois son clapotis et sa fraicheur, quelques gouttes se déposant sur ses lèvres gercées. De nombreuses vibrations, celles de multiples libellules, accompagnaient le grondement et la brume nés de l’écume de l’eau forçant contre les rochers. Le garçon entendit quelques chocs rapides troubler doucement la surface, et quelques battements plus tard, le vent lui apporta une odeur de vase.
La douce chaleur des rayons du soleil se plaqua sur sa nuque et son dos. Les senteurs des fleurs des champs et les bourdonnements des abeilles lui firent froncer les narines et vibrer les oreilles. Un léger souffle de vent, saccadé, remonta son échine, plaquant ses habits de lin contre son dos couvert de sueur. L’odeur de l’herbe sèche lui picota le nez, et il sentit un peu de poussière se déposer sur ses mains comme si celle-ci y cherchait quelque chose. L’ombre d’un nuage passa sur son dos comme la fraiche caresse d’un pelage avant de disparaitre vers sa gauche.
Le garçon sentit le vent changer de direction, et s’engouffrer dans les bambous à sa gauche. Les feuilles rêches et sèches bruissèrent brièvement, accompagnant les légères percussions des larges tiges creuses et les trilles de deux moineaux. Le musc d’un animal lui parvint, celui d’un renard ou d’une fouine, dont il entendait maintenant le glapissement moqueur se mêler aux autres chants de la forêt environnante.
Devant lui, le garçon entendit la respiration calme de son maitre, perçut l’odeur de sa sueur. Il pouvait presque sentir son regard parcourir ses réactions, et il sut que celui-ci s’était assis comme lui. Il percevait son calme, son sourire. Et il sut, lorsque quelques bruissements troublèrent la surface de l’herbe sèche entre eux, la réponse qu’attendait son mentor.
— Maitre ? commença-t-il d’une voix hésitante malgré sa certitude. Nous ne sommes pas seuls, n’est-ce pas ? — Nous en avons déjà rencontré ensemble, lui rappela la voix apaisée, mais tu ne savais pas encore comment les sentir. Le commun des mortels les appelle bakemono, oni, yokai, mais nous, les Rikishis, les appelons Kakumono, ‘‘ceux qui se cachent’’… Ils sont parfois des alliés, peuvent être des ennemis, mais souvent, ils ne sont que des êtres qui tentent de vivre en harmonie, et c’est pour cela qu’il nous faut être en harmonie avec nous même pour les voir. Certains se rendent invisibles, certains savent se cacher, certains enfin aiment vivre avec nous. Notre rôle, en tant que Rikishi, est de parvenir à maintenir cet équilibre fragile entre les humains et les non-humains. Notre rôle est de préserver cette harmonie. Et pour cela, il nous faut rester en harmonie avec nos sens, pour pouvoir apprécier leur présence même quand ils tentent de la cacher. Les yeux fermés, regarde maintenant, Gurojyû.
Les paupières closes, le garçon continua de se fier à ses sens en équilibre, passant de l’un à l’autre et les liant sans plus y penser. Même sans sa vue, il pouvait maintenant imaginer parfaitement la créature qui jouait devant lui et qui cherchait à éviter les regards clos de l’élève et du maitre.
Quatre pattes grattant la terre ou sautant dans l’herbe, un musc vulpin accompagné des mille senteurs de la forêt et de la rivière, des glapissements de satisfaction et d’impatience, le battement d’une, deux, trois… de neuf queues sur le sol enherbé et dans le vent caressant son pelage…
— Qu’est-ce, maitre ? demanda Gurojyû. — Un kitsune, un renard à neuf queues. Certains sont maléfiques, d’autres portent chance. Celui-ci semble pacifique. — Je peux presque le voir. — Et pourtant, si tu pouvais ouvrir tes yeux, tu ne le verrais pas. Y-a-t-il autre chose que tu ne peux voir mais que tu ressens ?
Gurojyû laissa ses pensées dériver calmement alors que le kitsune semblait se désintéresser de lui, repartant vers la rivière dans un dernier glapissement. La voix de son maitre, qu’il avait toujours connu agacée, moqueuse, dure, sèche, claquante, était depuis ce matin bien plus calme. Posée. En paix. Les pas rapides et francs de son guide étaient devenus bien plus tranquilles, comme s’il avait voulu profiter de chaque mètre. Et alors que ses yeux étaient clos, le garçon pouvait sentir le sourire et l’apaisement dans chacune des respirations de celui qui le guidait depuis presque deux ans.
— Nous sommes arrivés, conclut calmement Gurojyû sans une once d’hésitation. — Nous sommes arrivés. Bienvenue dans l’Empire de l’Aurore.
Alors que Gurojyû ouvrait les yeux, il ouvrit aussi le reste de ses sens… Et il vit.
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