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Downforyears![]() Spectacles![]() ![]() ![]() La Brumeline(par Downforyears)— Aurelia ? Aurelia !
— Quoi ? demanda la jeune femme, sortant de ses pensées.
— Deux pichets pour la table du fond, lui répéta sèchement son père. Et évite de trainer, s’il te plait, je dois m’occuper du gibier ce soir.
La jeune femme repoussa une boucle auburn derrière son oreille et s’empara des deux pichets remplis de vin que son père venait de poser sur le comptoir. Elle déambula quelques instants entre des tables pour moitié désertes, jusqu’à arriver devant les deux clients encapés qui cessèrent de chuchoter en la voyant arriver.
— Deux pichets, deux pièces s’il vous plait, annonça la serveuse.
— En voici quatre, et vous ne nous avez jamais vu ici, répondit l’un des deux clients en lui lançant les disques de bronze depuis sa main crasseuse.
Habituée à de telles demandes, Aurélia haussa les épaules et repartit vers le comptoir. La jeune femme avait toujours vu la Brumeline ainsi. Le peu de clients qui venaient consommer dans cet établissement à la frontière des Trois Duchés ne le faisaient que parce qu’ils y étaient obligés. La plupart étaient des voyageurs de passages qui ne souhaitaient pas être vus, des trafiquants de potions étranges ou des vendeurs d’informations. Lorsque l’on venait prendre une table à la Brumeline, ce n’était pas pour se saouler toute la nuit en tripotant les fessiers des serveuses. C’était pour marchander, se reposer ou ourdir à l’abri du regard des gardes d’Hottenhove.
Aurélia écouta distraitement les quelques clients. Tout comme son père, elle avait toujours eu l’ouïe fine, et elle avait pris l’habitude de noter dans un coin d’un carnet toutes les informations qui lui paraissaient utiles. Mais à part quelques nouvelles du royaume de Korhen, rien ne lui sembla digne d’intérêt ce soir-là . Même la Brume, cette nappe de brouillard qui recouvrait les Trois Duchés chaque nuit et parfois même le jour, ne semblait pas vouloir s’infiltrer trop dans l’auberge.
Les onze coups sonnèrent depuis le clocher de l’église lorsque son père annonça aux clients la fermeture de l’établissement. Si la plupart quittèrent les lieux, quelques-uns payèrent quelques pièces de plus avant de monter vers les chambres qu’ils avaient réservés plusieurs heures auparavant.
— Je vais devoir m’absenter quelques heures, lui annonça son père comme à son habitude. Pour le gibier. Tu peux t’occuper de la salle ? demanda-t-il gentiment à sa fille.
— Pas de soucis. A demain, papa, lui répondit-elle en l’embrassant tendrement.
Aurélia soupira de contentement en serrant fermement la camée en argent passé à son cou. Le dernier cadeau de sa mère qui était morte peu après lui avoir donné la vie. Ce bijou lui rappelait à quel point elle l’avait aimée. Et à quel point son père l’aimait.
Son père que l’on disait violent, inquiétant, louche… Son père, que l’on disait espion, traitre, dangereux… Son père qui l’avait élevée et aimée tout au long de sa vie. La jeune femme ne pouvait s’empêcher de comparer l’auberge de la Brumeline avec d’autres établissements de la ville. Malgré la clientèle peu recommandable qui la fréquentait, Aurélia s’y était toujours sentie en sécurité.
Elle aimait le souvenir de sa mère, elle aimait son père, et elle aimait la Brumeline.
La jeune femme venait de finir de ranger les chaises autour des tables lorsque la porte s’ouvrit avec fracas sous la pression d’un coup de botte cerclée de fer. Un homme en tenue de voyage entra, suivit d’une demi-douzaine d’hommes en armes.
— Messieurs, tenta de les raisonner Aurélia en souriant, la Brumeline est fermée. Je vous demanderai de revenir demain, et…
— Ta gueule, gamine, le coupa celui qui avait presque fracassé la porte. Nous sommes la Bande des Justiciers du Peuple. Et on est là pour ton père.
— Mon père ? Il reviendra bientôt, il est parti…
— T’embêtes pas avec des excuses de merde. On sait que ton père vend des informations aux espions étrangers, déclara l’homme en descendant une chaise d’une table pour s’y asseoir. Et les gens comme lui, on les punit comme il se doit.
Pour la première fois de sa vie, Aurélia frémit. L’auberge, qui avait toujours été un cocon de sécurité, venait de se faire envahir par sept hommes armés. La peur qu’elle ressentît se mêla à autre chose, tandis qu’elle serrait de plus en plus son médaillon. De… la fureur ?
— Messieurs, clama-t-elle en colère, quelle que soit votre affaire avec mon père, je vous demande de quitter les lieux. Si vous avez été lésés, il y a des lois, et…
— La seule loi qu’on va respecter, déclara le dirigeant en giflant la jeune femme, c’est la nôtre. On les connait, les ordures dans votre genre. Ça espionne, ça trahit. Une fois qu’on aura pendu ton père pour trahison, tu seras la suivante. Les gars, tenez-là . Si son géniteur se ramène, il faut qu’on puisse le ‘‘convaincre’’ de nous suivre gentiment.
Un homme aussi haut et large qu’une armoire s’empara d’Aurélia avant qu’elle ne puisse réagir et lui couvrit la bouche de sa main crasseuse. Deux autres maraudeurs se plaquèrent contre le mur près de l’entrée. Le reste de la bande se positionna de manière stratégique dans la salle, renversant à l’envie chaises et tables.
Aurélia se débattit comme une furie. L’auberge était sa maison adorée, son père était sa seule famille et elle le protégerait de sa vie si elle le devait. Et elle ne supportait pas cette invasion. Alors qu’elle se secouait une nouvelle fois, elle sentit un léger poids se détacher d’elle. La camée chuta au sol et roula près de l’homme encore attablé, qui écrasa de sa botte boueuse le bijou.
— En voilà , une belle breloque. Je pense que je pourrais la revendre un bon prix.
Le dernier souvenir de sa mère ? Une breloque ? Aurélia sentit la fureur envahir chacun de ses membres, ramper sous chaque parcelle de sa peau en y faisant pousser une fourrure auburn drue, sauter d’un os à l’autre, jusqu’à atteindre ses doigts, ses ongles, ses griffes. Elle sentit ses mâchoires craquer, comme si celles-ci avaient été trop longtemps muselées. Ses jambes et ses bras lui semblèrent doubler de volume, et un grondement sourd parcourut sa gorge. Sa poitrine, qu’elle avait toujours eu menue, devint une armure de muscles et de cuir, et ses oreilles s’étirèrent douloureusement. Elle sentit son nez s’humidifier et des dizaines de nouvelles odeurs se découvrirent à elle.
La jeune femme devenue monstre se débattit et s’arracha à l’emprise de celui qui la retenait quelques instants plutôt. D’instinct, elle lança sa main griffue vers la gorge de la montagne de muscle, laissant quatre profondes entailles rouges à la jugulaire.
Protéger.
Un hurlement jaillit de sa gorge alors qu’elle se ramassait pour bondir. Elle atteignit en quelques battements de cœur l’homme qui était entré le premier, ce misérable humain tout juste bon à menacer son père. Le monstre sentit le corps de cet humain paralysé par la terreur chuter sous elle.
Tuer.
Sa gueule pleine de crocs, si longue désormais, claqua vers le cou de sa proie. Elle rencontra un bras protégé par du cuir, qu’elle s’employa à briser sous la pression titanesque de ses crocs. Alors que les os craquaient encore, ses griffes entaillèrent plusieurs fois le visage de sa victime, ne laissant qu’une pulpe sanglante.
Protéger.
La chose sentit la pointe d’un carreau lui percer l’échine. Un nouveau grondement parcourut sa gorge, et elle bondit sur l’un des hommes en train de recharger son arbalète. Elle le déchiqueta en quelques instants, puis bondit vers l’entrée, se ramassant sur ses quatre pattes.
Tuer.
Ils avaient osé pénétrer son territoire, ils allaient le regretter. Le monstre qu’était devenu Aurélia déchiqueta, bondit, mordit, sauta, broya, trancha, taillada, jusqu’à ce que la salle de l’auberge ne soit plus qu’un immense chaos de sang, de paillage, de chair, de bois et d’entrailles. Pourtant, à peine masquée par les odeurs des cadavres, ses narines sentirent bientôt une odeur familière. Une odeur rassurante.
— Papa ? gronda le monstre malgré lui.
— Aurélia ? lui répondit un grondement derrière elle.
Le monstre qu’elle vit lorsqu’elle se retourna lui sembla être son reflet. Un humain fait bête, tout de crocs, de poils et de griffes. Une légende aux oreilles pointues et au museau de loup, de celles que l’on se racontait parfois au coin du feu dans les tavernes des Trois Duchés. Loin d’en être horrifiée, Aurélia s’approcha de son monstre de père, qui la prit dans ses bras. Elle ricana en songeant aux heures de ménage qui l’attendaient, puis repoussa cette idée.
A ce moment, rien ne comptait plus que l’amour qu’elle avait pour son père. Et pour sa maison.
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