Un jour, je te trouverai. Un jour, je te rejoindrai. Un jour, je te toucherai. Et tu deviendras mon jouet.

Ralek frissonna une fois de plus. Son vaisseau tirait encore un large débris de l’Aldéron qu’il venait de quitter, vaste remorque de plaques de métal tordues, de tuyaux éventrés et de machineries broyées. La comptine de la banshee lui trottait dans la tête, et la peur ne le quittait plus. Sa hantise de se faire rattraper par la créature égalant son sens du devoir, le Nain poussa les réacteurs de son vaisseau au maximum, et tenta de contacter la Forge Tellure-Corp la plus proche. De nombreux écrans et cadrans passèrent au rouge en clignotant, signe que le récupérateur d’épave en demandait trop à sa goélette stellaire.

— Ici Ralek, ici Ralek, vous me recevez ?

Les grésillements de la radio répondirent à son appel désespéré. Après quelques minutes de bruit blanc, un larsen commença à résonner dans la petite cabine, suivi de nombreux autres. Le Nain sentit ses tympans vriller, et dut se boucher les oreilles le temps d’éteindre les haut-parleurs d’un coup de poing rageur. Il devait absolument contacter Tellure, afin leur transmettre les coordonnées de l’épave où les restes de ses subordonnés gisaient encore. Lorsque le cadavre d’un Nain errait dans l’espace pour l’éternité, le déshonneur s’abattait sur ses proches. Et la première règle de la Tellure Corp restait la même depuis des siècles. Sauvegardez la réputation de la compagnie, à tout prix.

— Ici Ralek, ici Ralek. Vous me recevez ? Par les dix-huit Vaisseaux-Enclumes, quelqu’un me reçoit ???

— Dans le vide nul vaisseau, ne devient crypte ou tombeau

— Quoi ?

— Dans une Ă©pave, toute fuite devient vaine.

— Bordel ! Qui parle ?

Le Nain se mit Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  toute vitesse. Les seuls points sur les radars transmettaient la position des restes mĂ©talliques de l’AldĂ©ron ; de la roche, des cailloux et des pierres de la ceinture d’astĂ©roĂŻdes flâneurs dans laquelle se trouvait le vaisseau ; et des quelques dĂ©bris que semait le morceau d’épave qu’il trainait.

Soudain, un choc parcourut la goélette, jetant Ralek au sol. Une sirène retentit, et de nombreux messages d’alerte s’affichèrent sur la verrière avant du vaisseau. Le Nain jeta un œil sur les radars, et ce qu’il y aperçut le décontenança.

Le disque de verre se remplissait de milliers de points lumineux. Déglutissant difficilement, le récupérateur tenta de comprendre ce qu’il se passait. Et échoua. A bout de nerfs, il manœuvra le vaisseau et le fit se retourner, afin de faire face à la flotte qui venait d’apparaitre sur les écrans.

Ralek en regretta presque la banshee qui venait d’éliminer Bornt, Valtz et Wilnt.

Un monolithe titanesque sphérique, si grand qu’il occupait toute la verrière avant du vaisseau, venait d’apparaitre de nulle part, comme par magie malgré l’absence de porte de passage des Anciens. De gigantesques plaques disposées en spirale comme la coquille d’un nautile composaient cet artéfact cosmique, et deux voiles solaires aussi grande que l’objet battaient le vide telles des nageoires réfléchissant chaque parcelle de lumière du soleil le plus proche.

Sans aucun signe avant-coureur, les blocs de la spirale se déplièrent lentement. Une sphère d’énergie pure se dévoila, diffusant une lumière rouge sang sur chaque corps spatial dérivant près d’elle. Un à un, de gigantesques cylindres coulissèrent depuis d’autres cylindres, donnant naissance à de monstrueux tentacules de métal, prolongées par des bouches rougeoyantes capables d’engloutir sans peine des vaisseaux de classe Clipper ou Galion. Les appendices de métal s’agitaient, parcourus d’un semblant de vie mécanique propre à chacun. Lorsqu’ils s’écartaient assez, le Nain pouvait apercevoir une gueule bien plus large, plongeant directement sur la sphère d’énergie incarnat.

L’un des tentacules de métal s’approcha des restes de l’Aldéron, et l’aspira en quelques minutes, sans difficulté aucune. La sphère lumineuse qui formait l’œil de la créature cosmique irradia quelques secondes.

La peur envahit Ralek, alors que la radio grésilla une nouvelle fois.

— Dans une Ă©pave, toute fuite devient vaine. DĂ©bris et cadavres font le repas du Kraken.

Le Kraken ? Ralek se souvenait d’une telle lĂ©gende au sein de ceux qui se faisaient appeler Pirates. La naine rouge miniature qui formait l’œil du Kraken sembla se mouvoir et poser son regard sur la goĂ©lette. Le Nain se gifla et reprit l’ascendant sur sa peur. Il devait sortir de ce système solaire. Il devait mettre le plus de distance entre lui et cette… Cette chose !

Le Nain emmerda les principes de la Tellure Corp, et déclencha la rupture du remorquage des débris métalliques qu’il tirait. Hors de question de crever pour du métal. Il honorerait Bornt, Valtz et Wilnt avec une tournée générale au prochain spatio-bar, et il trouverait bien un travail dans une compagnie de mercenaire. Entre la banshee et cette monstruosité, il venait de voir bien trop de choses pour un simple Nain comme lui.

La peur au ventre, la bouche sèche et sa combinaison puant l’urine, Ralek poussa les réacteurs au maximum, alors que la radio grésillait une dernière fois.