Feuille de papier
(par Patchwork)(Thème : DĂ©fi d'Ellumyne)
Les elfes. Un peuple intéressant pour Patch, en tout cas à l’époque où il venait de quitter la Cour Unseelie. Encore sous son apparence de marionnette, il devait trouver un endroit où se cacher au plus vite afin de sauvegarder sa liberté nouvellement acquise. Il prit donc l’apparence d’un bébé elfe et se glissa dans le landau d’une bestiole similaire en espérant que ses parents ne voient pas d'objection contre le fait d’adopter un Changelin. Après tout, Patch leur laissait leur fille. Il s’ajoutait juste à l’équation.
A l’époque, il savait que les elfes construisaient des maisons en bois, auxquelles ils ajoutaient des pierres de parement à l’extérieur afin d’isoler plus efficacement. Il connaissait les expressions utilisées par toutes les strates de leur société. Il pouvait citer leurs modes de déplacement –à dos de cheval et d’âne qui pouvaient tirer des remorques pour tracter des marchandises - et leurs imports, leurs exports, leurs valeurs.
Il ne savait pas que les elfes gardaient chez eux des animaux de compagnie, concept parfaitement étranger à ses yeux. Du moins jusqu’à voir une énorme truffe noire juste au-dessus du berceau.
De la fourrure blanche comme la neige d’après-midi, des yeux comme des puits sans fond, des dents au bout rond conçues pour déchiqueter, de longues oreilles sur le dessus du crâne, une finesse effarante par rapport à sa longueur et sa hauteur. L’animal devant Patch lui évoquait une feuille de papier. Une redoutable feuille de papier poilue avec des crocs, un ascendant physique écrasant et une haleine fétide. Si l’animal décidait que Patch devait mourir, alors...
— « … Areuh ? »
La marionnette tourna la tête vers le deuxième bébé, lequel ouvrait des yeux encore ensommeillés. Le petit elfe se mit à gazouiller, levant des petits bras potelés vers l’immense bête blanche. Celle-ci se mit à haleter – beuuuuurk, décidément, cette haleine lui donnait des haut-le-cœur – et posa d’immenses pattes sur le bord du berceau, sa queue touffue décrivant des mouvements vifs et joyeux. Patch n’osait plus bouger depuis quelques secondes, mais se décida à surmonter sa paralysie pour imiter sa compagne de berçeau. Gazouillis, petits cris de joie, sourires, mains tendues vers la bête.
Attiré par le bruit, un elfe entra dans la pièce. Des habits simples sans broderie – sans doute un statut bas. Aucune surprise au vu de la petitesse de la maison et un détail crucial pour ne pas trop se faire remarquer. Une stature plus robuste que celle d’un elfe classique. Des cheveux ondulés et volumineux aussi blancs que la fourrure de la feuille de papier et des yeux rouges. Albinos. Cette maison s’avérait une bourde monumentale, puisque les albinos occupaient une place de paria dans la société. Bien moins discret qu'initialement pensé, donc, mais la marionnette devrait faire avec.
Le grand elfe s’approcha du berceau, posant une main flâneuse sur la tête de la grande bête. Il jeta un œil d’abord surpris, puis amusé au berceau, avant de se tourner vers la porte.
— « ChĂ©ri ? » Cria-t-il – vers la pièce Ă vivre, en toute logique. « Nous voilĂ parents de deux jumeaux. »
— « Comment ça, de jumeaux ? »
Un deuxième elfe débarqua dans la pièce. Contrastant vivement avec son époux, il le faisait ressortir par ses cheveux bruns raides, ses yeux dorés,sa peau couleur coque de noisette.
— « Mauvaise blague, chĂ©ri, la sage-femme c’é- »
Il s’immobilisa en voyant deux bébés dans le berceau.
— « … Ah ben ça par exemple. Et qu’en pense TĂŞtedenoeud ? »
— « Aucun problème. Regarde-le, il joue avec. »
L’elfe brun prit Patch dans ses bras, un air ahuri au visage. Celui-ci, jouant le tout pour le tout, laissa échapper un rire et tendit les mains vers lui.
— « Bon, eh bien… Bienvenue dans la famille, je suppose. »
Le soulagement que Patch ressentit à ces mots, plus intense que n’importe quelle émotion connue de lui jusqu’alors, le fit se blottir contre l’inconnu. Il l’appellerait papa. Et si son créateur le retrouvait, il ne savait pas ce qu’il ferait, mais il ferait de son mieux pour préserver ces gens à l’accueil si facile.
Il faudrait à Patch cinq ans pour les considérer comme sa famille. Et il lui faudrait quinze ans pour se décider à partir afin de les garder en vie.