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Downforyears![]() Spectacles![]() Timeline du Nauteur
![]() ![]() Celui qui dévorait les histoires(par Downforyears)
Le casque passé autour du cou, je passe la double porte en verre. Le soleil se couche, et l’intérieur du bâtiment se colore de mille nuances d’ocre, d’orange, de safran et de sépia. Je sens la poussière en suspension, son odeur si particulière. Je déambule un instant entre les haies de bois et de papier, profitant du bruit mat de mes pas sur la moquette, des frottements des pages les unes contre les autres lorsqu’un lecteur les tourne. Je me permets de toucher quelques couvertures, frissonnant au contact de leur douceur. Depuis que je peux y aller sans chaperon, cette bibliothèque résonne en moi comme un jardin de paix, de calme. De sérénité.
Ici, je peux enfin oublier mes soucis, mes problèmes. Rien n’importe plus que l’atmosphère de ce lieu qui apaise mon esprit, calme mon cœur. Je croise d’autres habitués, penchés au-dessus des ouvrages qu’ils consultent comme les statues d’une fontaine contempleraient leur reflet. Pourtant, rien ne m’apporte plus de paix en ces lieux que la bibliothécaire.
Elle représente pour moi la quintessence de l’harmonie de cet endroit féérique. Des cheveux dorés comme le soleil d’un début de printemps, des yeux aussi bleus qu’un ciel paradisiaque, un sourire réconfortant, chaleureux. Depuis le temps que je viens ici, je connais les lieux presque comme ma poche. Mais je continue de lui demander mon chemin, pour rester quelques instants avec elle. Parfois, je nous imagine comme un couple flâneur dans une forêt d’histoires. Je nous invente un futur, que j’aimerais possible.
Je suis la bibliothécaire dans des allées parsemées de mots, de personnages et d’aventures. Après quelques minutes, elle me laisse enfin devant les rayonnages que je cherchais. Ceux des histoires les plus travaillées à mon sens, même si je sais que cette vérité reste la mienne. Les histoires des mondes et univers imaginaires. Alors que la bibliothécaire repart vers son piédestal, sa magie me quitte. Je n’en reste pas moins heureux.
Je parcours des yeux et des doigts les tranches qui s’offrent à moi. Héroic-fantasy, science-fiction, surnaturel... Les titres se succèdent, certains se ressemblent. ‘‘La Remorquede la Route Stellaire 66’’ m’attire particulièrement, ‘‘L’être violet au gros menton qui se battait contre des héros pour obtenir des pierres magiques de toutes les couleurs’’ beaucoup moins… Je me sens nostalgique en voyant la partie jeunesse. Louis le Galoup, Bobby Pendragon et Peggy Sue faisaient passer les heures pour des minutes pendant mon adolescence. Maintenant, mon niveau d’exigence surpasse ces romans, même si parfois leurs mots titillent encore ma nostalgie.
En fin de rayon, je trouve enfin les ouvrages qui m’intéressent plus particulièrement. Depuis quelques mois, je traverse une période où j’aime écrire du surnaturel, dans la veine de H. P. Lovecraft. Finie, la période où j’imitais péniblement Bottero, Rowling et Paolini. Là encore, je tente de me surpasser, page après page, même si nombre de mes histoires tournent en boucle.
Alors que je prends en main ‘‘Les Montagnes Hallucinées’’, un recueil d’autres nouvelles de Lovecraft, et ‘’l’Homme Noir’’, une dissonance parcourt la bibliothèque. Un chuintement qui me coupe le souffle. Une déchirure qui me brûle les côtes. Une douleur qui cloue mes poignets et mes chevilles. Une infinité d’aiguilles qui me percent le crâne.
La sensation ne dure que quelques centièmes de seconde, mais cela suffit pour que je lâche les livres. Leur chute contre la moquette trouble la quiétude des lieux, qui me paraissent tout à coup hostiles.
Les sourcils froncés par l’inquiétude, une pression étrange sur mes épaules, je retourne voir la bibliothécaire, qui enregistre mes emprunts. Son visage me semble soudain bien différent de ce que je connais. Comme moi, le malaise se dessine sur son front, ses yeux semblent regarder à ma droite. Alors que je m’apprête à scruter dans la direction que pointent ses iris, un frisson me parcourt l’échine, une vérité s’impose à moi.
Si je me retourne, je meurs.
Après quelques secondes, le malaise fuit enfin la bibliothécaire, qui me sourit de nouveau. Je n’y vois plus de gêne. La tranquillité de la bibliothèque vient de fleurir de nouveau. Le calme des rayonnages me submerge, comme toujours. Je remercie la jeune femme, je quitte les lieux un sourire aux lèvres.
Le frisson ne disparait pas alors que je rentre chez moi.
Le frisson ne disparait pas, alors que je dîne seul, dans ma chambre d’étudiant.
Le frisson ne disparait pas alors que je tente d’écrire dans le noir de mon bureau, éclairé uniquement par l’écran de mon ordinateur.
Le frisson ne disparait pas, alors que mes paupières se ferment, et que se forment sur ma rétine un symbole que j’oublie dès que mes yeux détaillent mon lit, les murs, la fenêtre…
Le frisson ne disparait pas, alors que somnambule éveillé, je caresse du doigt cette fissure verticale qui flotte au-dessus du sol.
Le frisson m’envahit entièrement, alors que les murmures que je tentais d’ignorer envahissent mes pensées. La funeste ritournelle retourne les mots comme une mue reptilienne. Hypnotisé, j’avance d’un pas dans l’iris noir et rectangulaire de cet œil géant.
Je tombe vers le haut, je sens le sol m’élever vers le bas. Les appendices huileux, gras et sombres qui composent les parois de ce couloir nauséabond ne cessent de se mouvoir, en un nid de vipères sifflantes dans mes oreilles. Un œil m’observe depuis l’une des ventouses qui ne cesse d’aller et venir sur son orbite parfaite dont j’occupe le centre, une bouche circulaire claque près de mes cheveux, et m’arrache le souvenir d’un récit que je voulais commencer. Une vrille gifle mon bras gauche, y dépose une goutte d’élixir. Je gémis de joie, je jubile de douleur. Je ne me rappelle plus du nom de ce personnage que j’écrivais autrefois. Mes poumons vomissent, une douleur sourde au-dessus de mon nez, mes orbites se compriment. Pour chaque douleur qui survient, un souvenir part.
Mes pas se succèdent, à chacun d’entre eux s’envole un acte, une action, un souvenir, un être, un personnage, un récit, une fin, un début, un acte, un être… Mon imagination se vide, goutte après goutte. Lettre, après lettre. Souvenir, après souvenir.
Prénom, après nom.
Alors, seulement, le couloir gonfle. Le boyau malaisant se dilate, je sens mon cœur se contracter bien trop violement. Je ne vois qu’une parcelle de Lui. Je regrette de ne pas le saisir dans son entièreté. Cela me tuerait, alors que je me sais mort depuis des millénaires.
Un kaléidoscope d’appendices de reptiles, de cnidaires, de céphalopodes, tressaute et me fait tourner la tête et l’estomac. Les yeux de mille et unes espèces se blottissent dans les yeux de mille et une espèces, me scrutent et compriment mes poumons. Le mouvement qui agite l’infinité de ses appendices est un tangage permanent, un balancement perpétuel, qui déchire l’infinité du lieu qu’il occupe, et ma colonne vertébrale. Chacun de ses appendices tente de percer les réalités. Je contemple, pendant quelques fragments de temps, l’épicentre de ce monstre. Non, de ce Dieu. Mes yeux se ferment pour m’épargner l’insoutenable. Ne me reste qu’un vague souvenir de cet œil abyssal, comme une persistance sur ma rétine.
Ses mots résonnent. Une chimère de larsen, de grincement, de couinement, d’acouphène, de cris, de hurlements, de détonation, de crissement… Tous les bruits des enfers tentent de déchirer toutes les frontières de tous les mondes. Tous les bruits des enfers se percutent et s’harmonisent, et aux premières loges, je profite de leur immonde orchestration. Le sang coule sur ma langue transformée en cendres. Mes mains se posent sur mon torse, mais ne parviennent pas à saisir l’insaisissable.
Invité, je deviens indésirable. Bétail, je deviens déchet. Je prie que l’on éteigne mon âme. Je crois que l’on exauce ma prière.
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Près de moi, une voix féminine lit une histoire. La Cité des Anges, je crois. Ses harmoniques apaisent mon esprit comme mille baumes. Je ressens avec tristesse chaque fêlure dans mes souvenirs, chaque brisure dans mon esprit. Je me sens comme une page blanche. Vierge. Vide.
Comme une coquille vidée de sa substance.
— Je vous demande pardon, pleure presque la voix angélique. Nous ne possédions pas les moyens pour sauvegarder votre mémoire. — Que… — On me nomme Ascendant, et je vais tout vous expliquer.
Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !
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