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Downforyears![]() Spectacles![]() L'Histoire de Ju
![]() ![]() Afterlife Dinner(par Downforyears)Le Jazz Noir emplissait les lieux de sa mélancolie. La queue recula, avança, recula, hésita… Le coup partit, sec. La blanche heurta deux autres boules rayées et continua sa trajectoire jusqu’à la bande où elle s’arrêta.
La femme qui venait de jouer remit du bleu au bout de la queue de billard, et reprit sa cigarette. Quiconque aurait posé ses yeux sur elle aurait vu une femme d’une cinquantaine d’années, habillée d’un tailleur blanc immaculé, aux yeux acajou et à la chevelure dorée coupée au carré. Une ride ici, un sourire bienveillant de temps à autre, comme si elle s’inquiétait en permanence pour le monde entier. Deux boucles d’oreilles en formes de plumes blanches tressautaient à chacun de ses gestes.
Sur une chaise non-loin, un sac à main de luxe décoré d’une plaquette affichant un chacal égyptien vu de côté laissait entrapercevoir un paquet de cigarettes et une trousse de maquillage.
Quiconque aurait posé ses yeux sur cette femme n’aurait eu qu’un souhait : faire le bien autour de soi pour tenter d’attirer son attention ou de faire sourire ses lèvres sans maquillage. Pour tenter d’alléger une peine que l’on devinait infinie…
Les boules de billard résonnèrent de nouveau. Le jeu était vieux comme le monde. Elle devait empêcher la noire de tomber. Lui n’avait que la noire à faire tomber. Le tout dans une mer de sphères colorées.
Lui était vêtu d’un costume trois pièces noir. Sa cravate était brodée d’un chacal en fils d’or. Des yeux d’un bleu glacial, des cheveux ras et blancs… Ses doigts fins comme des pattes d’araignée maniaient la queue comme l’on jouerait d’un scalpel. L’homme rangea sa queue de billard et fit tourner le sablier. Le sable commença à descendre, grain par grain…
— Tu pars déjà ? demanda la femme. — Ton… protégé va bientôt arriver. Tu sais que je les déteste. Il ne fera pas exception.
L’homme sortit du bar. La porte se referma, faisant tinter une clochette. Un glas.
— Bien sur qu’il ne fera pas exception… murmura la femme.
J’erre dans cette ville. Elle me semble si familière, et pourtant si étrange. Les gens que je croise ne semblent pas me voir. Je ressens de la peine chaque fois que je réussis à capter un regard. Tant de soucis, de problèmes, de peurs. Bien vite, je dois choisir. Continuer de les regarder, et endurer cette souffrance. Ou bien baisser les yeux. Je frissonne. Le vent est chaud, je suis vêtu d’un jean et d’un t-shirt, de chaussettes en coton et de chaussures de randonnées, mais j’ai froid. La foule est de plus en plus dense, je tente d’éviter les quidams. Ce faisant, je me fais emporter en arrière. J’ai l’impression de nager en pleine tempête. Je vois cette vieille dame arriver. Je ne peux l’éviter.
Elle me traverse sans s’arrêter.
Stupéfait, je me retourne. Elle se retourne. Puis repars, comme si elle m’avait déjà oublié.
Je rejoins le côté de la rue et me plaque contre un mur pour laisser passer la marée humaine. Chaque fois que quelqu’un me traverse, il marque un temps d’hésitation. Puis repars.
Une musique m’attire. Du vieux jazz de film de détective, comme ceux que regardaient mon père. Que devient-il ? Et ma mère ? Je leur manque je suppose.
Je suis la musique. Elle est mélancolique. Elle amplifie ma peine. Elle l’apaise. Mes émotions prennent le dessus, je sens un mur de larmes m’envahir. Une falaise de larmes. Je me sens submergé… Je m’appuie contre la vitre d’un dinner. Deux mains se posent sur mon dos et me ramène vers l’avant. Je sens du tissu contre ma joue. Je pleure. Encore. Toujours. Une odeur de lilas. Et de cigarette. Une voix que j’ai du mal à comprendre me réconforte. J’ai l’impression que cela fait une éternité que je n’ai pas eu de contact humain.
Je me fais entrainer dans le dinner. On m’aide à m’asseoir sur une banquette, on me donne une couverture. Je me sens si fatigué, si usé… Sur la table devant moi, un chocolat chaud est déposé par un serveur. J’ai à peine le temps de remarquer sa peau bronzée qu’il est déjà reparti.
— Tu devrais boire, me conseille une voix qui me semble venir du paradis. Ça te fera le plus grand bien.
J’obéis. Je me sens si vide. Le chocolat chaud me revigore, et je peux détailler les alentours. Je suis arrivé dans un dinner américain. Derrière le comptoir, le serveur à la peau bronzée me regarde. Ses lunettes de soleil cachent ses yeux. Le jukebox qui diffuse sa musique est calé contre un mur, entre les portes des toilettes (hommes et femmes ?) et un billard muni d’un grand sablier trône devant un flipper.
Quant à la femme devant moi. Chaque fois que je croise son regard, je me retiens à grand peine de prononcer les mots ‘‘Je t’aime’’, ‘‘Maman’’ ou bien ‘‘Qu’est-ce qui ne va pas ?’’.
Elle est belle. Bien plus belle que toutes les autres femmes que j’ai pu croiser dans ma vie. Son tailleur est resté blanc, malgré mes larmes. Son visage est marqué par de nombreuses imperfections, et pourtant il est si beau. Ou bien est-ce parce qu’il y a tant d’imperfections qu’il est si beau ?
Ses yeux me rassurent. Ils ont la même couleur réconfortante qu’un caramel. Ses cheveux, coupés au carré sont si fins, si lumineux. Je désespère. J’ai mal. Cette femme porte tant de douleurs en elle, j’aimerais tant l’aider. Je n’en ai pas le pouvoir.
— J’ai bien fait de t’avoir choisi, me déclare-t-elle soudainement. — Pardon ? — J’ai bien fait de t’avoir choisi. De quoi te souviens-tu ? — Je suis mort, je crois. J’aurais dû finir dévoré, mais… la balance s’est inversée. J’ai eu si peur… Je ne sais même pas pourquoi je vous le dis, je dois vous ennuyer avec mes problèmes. — Au contraire, nous sommes là tous les deux pour en parler. Tu as subi le traumatisme de la mort. Celui que tu as sauvé t’as abattu froidement. Avant de continuer, que ressens-tu pour lui ?
Je réfléchis. Je l’avais sauvé. Aurais-je dû ? Si je devais le refaire, est-ce que je le sauverai ?
Oui.
— De la peine. Il était sourd à tant de choses. Il avait peur. Il était effrayé. Comme s’il n’avait plus d’espoir. J’aurais voulu l’aider bien plus. — Ju. Tu m’as aidée plus que tu ne le penses. Mais pour que tu puisses t’en rendre compte, nous allons parler de la mort. La tienne. Celle des autres.
La femme commande un café.
— Tu l’as ressenti bien des fois. Après la mort, il n’y a pas de paradis ou d’enfer. Après la mort, il n’y a rien. Plus de pensées, plus de sensations… plus rien. Chacun se représente l’étape entre la vie et la mort comme il le peut. Parfois, certains voient une barque de roseau et un serpent qui dévore leur âme à la fin. D’autres fois, c’est un taxi new-yorkais qui les emmène jusqu’à un incinérateur qui brule leur âme. Mais une fois que l’âme est détruite, il n’y a plus rien. C’est traumatisant. — Il n’y a rien qu’on puisse faire ? — Pour sauvegarder ces âmes ? Non, me confirme la femme. C’est pour cela que la vie est si importante, et tu l’as compris par toi-même. Même si tu as reçu un coup de pouce.
La femme me regarde, tristement.
— La vie est si importante. Et pourtant, certains humains ne semblent pas s’en apercevoir. Guidés par la peur, l’envie, le superflu, les fourvoiements… La vie est importante, et nous devons la préserver comme nous le pouvons. — Nous ? — Nous. — Et lorsque nous ne pouvons pas la préserver. — Alors d’autres que nous viennent chercher l’âme, pour la conduire vers sa fin inexorable. — Si c’est le cas, pourquoi suis-je ici ?
La femme boit une gorgée de café, et allume une cigarette. La fumée a une odeur de feu de cheminée.
— Tu en as fait l’expérience, indirectement. Des moments où tu t’arrêtes, sans raison. Des moments où tu lèves les yeux, juste parce que. Des moments où tu t’inquiète pour le passager à côté de toi. Des moments où tu te dis : ‘‘Il faut que je fasse quelque chose’’. Des moments dont la seule utilité est de sauver une vie. La tienne, ou celle d’un autre. De qui parle-t-on alors ? — Des anges gardiens ? — Des anges gardiens, me confirme la femme. Ceux qui parasitent les rouages de cette machine huilée qu’est le cycle de la vie et de la mort. Ceux qui empêchent les âmes de partir avant qu’il ne soit trop tard. — Comment ça marche ? — C’est comme une partie de billard. Nous devons empêcher la noire de tomber. Notre adversaire doit faire tomber la noire par tous les moyens. Aucun de nous n’a le droit de toucher la noire avec la blanche. — Nous devons utiliser tous les moyens pour sauver quelqu’un, sans agir sur la personne… déduisis-je. — Exactement. Envoyer un rêve prémonitoire à un futur témoin, embrouiller l’esprit de quelqu’un pour qu’il confonde des dates ou des calendriers, inciter un oiseau à décoller pour qu’il gêne une future victime… Tout est bon pour les sauver. — Et si nous agissons quand même directement sur la personne ? — Alors pénalité. L’adversaire a deux coups gratuits.
Je me tais, et frémis.
— Nos adversaires ? — Des êtres dont le but est de mettre fin à des vies, de guider des âmes… Nos adversaires. Tu en rencontreras bien assez vite.
Je finis mon chocolat. J’aimerai que cette discussion dure éternellement. Pourtant, j’ai hâte de pouvoir aider cette femme. Elle semble en avoir tellement besoin. Un taxi se gare devant le dinner.
— Tu as une décision à prendre, Ju. Cette tâche, ce fardeau, sera tien pour l’éternité. Tu réussiras, tu échoueras. Tu sauveras des assassins et devras laisser tomber des innocents. Tu redonneras de l’espoir, mais tu subiras bien du désespoir, beaucoup trop pour une simple âme humaine. Ce qui t’attends usera ton âme.
J’hésite quelques instants.
— Et si je ne me sens pas capable de le faire ? Si je veux refuser ce fardeau ? — Le taxi que tu vois te conduiras à la prochaine étape de ta mort. La fin de ton âme. Pour de bon cette fois.
Je réfléchis. Je peux faire plus que ce que j’ai fait par le passé. Ils sont tant à attendre de l’aide, dehors…
— Laissez-moi vous aider. Au fait, je n’ai pas votre nom. — Appelle moi Angélique. C’est cliché, hein ? dit-elle en éclatant de rire. Un rire cristallin, pur.
Je la regarde, je souris. Je grave son rire dans ma mémoire. Je ferai n’importe quoi pour entendre ce rire résonner en moi, ne serait-ce qu’une fois.
— C’est parfait, conclus-je. Cette histoire fait partie d'un tout plus grand ! |