Il en met du temps.

Pourquoi me laisserais-je surprendre par cela ? Il est comme tous les autres, une fois que c’est terminĂ©, il prend soin de squatter encore et encore.

Ma salle de bain est devenue la résidence secondaire des garçons que je reçois pour une heure, parfois plus, souvent moins. Alors moi, j’attends, là, tout de suite, j’attends et je réfléchis. Je me parle à moi-même à l’instant d’ailleurs. Une fois l’acte terminé, le rideau tombé après la dernière tirade, je me retrouve dans ma loge.

Ma loge, c’est joli comme nom tiens, pour parler de son cerveau, ou en tout cas de la partie consacrée à mon refuge. En vérité, on parlerait de bulle ou de carapace émotionnelle, mais ce sont des termes que je trouve niais, dénués d’importance et prétentieux de par leur propre supposée définition psychologique.

Je trouve tout ça bien trop surfait en général, mais lorsque je dois en faire part – à de rare moment – à quelqu’un, je parle quand même de bulle, au moins, je sais, enfin j’espère, qu’il peut comprendre.

Au moins, ce lieu intime que j’exploite, peut-être à outrance, me permet de ne pas exploser en voyant avec quelle outrecuidance ces mâles de tous âges et de tout poil sont capables d’accaparer et de salir de leur présence et de leurs gestes – parfois du reste de leur semence – mon lavabo, mes gants de toilettes, mon PQ et mes serviettes.

Le pire, c’est quand une fois parti, je suis obligé de ramasser ce qui est tombé de leur sexe alors que celui-ci pendait encore en dehors de toute pudeur. J’ai souvent cette impression désagréable d’être une vieille pute.

Avant de m’employer à tout nettoyer, tout ranger, je reste allongé. Enfin, pas vraiment, tête et genou droit relevés, prêt à dégainer.

L’eau s’arrête de couler, je reprends espoir. Il va enfin partir.

La ceinture claque, tintinnabule. Il se rhabille. Mais qu’il est lent putain !

Je ne comprends pas comment ils peuvent être aussi apathiques. A croire qu’ils se retrouvent vidés de toute substance vitale après l’amour. Si ça les épuise autant, qu’ils arrêtent tout de suite, sinon ils risquent l’épectase, et vraiment, moi je n’ai aucune envie d’être qualifié de pompe funèbre.

Ouais, j’aime bien cette référence à Marguerite Steinheil, devenue la pompe funèbre après qu’elle ait donné la mort à Félix Faure en lui offrant le plus grand des plaisirs.

On savait donner des surnoms Ă  l’époque !

Oui, j’ai des pensées de vieux con parfois.

Putain, il rallume l’eau. Il a envie que je le frappe oĂą que je lui apprenne Ă  nager dans le lavabo ce connard ?

Il gargarise. Ça me dégoûte. Il va me faire vomir ce con.

Bon, il sort ou bien ? J’ai envie de disposer de chez moi lĂ .

C’est bien moi ça. Toujours être à la recherche de sexe, insatiablement, à vouloir dégoter la petite perle qui finira sur mon drap, et dont je pourrai disposer comme je l’entends. Petite créature débile à manipuler sans vergogne. Faire d’un être ma chose.

En vĂ©ritĂ©, je ne sais plus dĂ©terminer si je fais ça parce que j’aime baiser, ou si c’est parce que je peux fracturer ces fragiles cerveaux. Non ! Je pense que ce que j’aime le plus c’est les voir se donner des airs intelligents et tout en contrĂ´le, alors qu’ils sont en train de perdre pied sous ce que je leur intime sans qu’ils ne s’en rendent compte. Je les vois m’appartenir juste le temps d’un rapprochement charnel, et c’est tout ce qui m’intĂ©resse je crois.

Je les étudie en léchant leur cou, en titillant leurs tétons, en caressant leur peau. Chaque soubresaut, chaque mouvement, chaque soupir, est une part de plaisir qu’ils me renvoient et que je prends, que je tords, que je dissèque et que j’apprends à décupler pour qu’au final, je devienne leur meilleur coup.

Pauvres petits poussins qu’ils sont, je leur donne un vertige cérébral qu’ils n’auraient sans doute jamais connu sans me tester. Au début, doux et chaud comme le sable, je finis par me laisser emporter par mon instinct, je deviens bestial juste avant de les faire chuter d’une falaise psychique, leurs neurones ressentant certainement un vertige fabuleux avant de se noyer dans la mer de mes désirs, de mes plaisirs. Et c’est à cet instant qu’ils deviennent mes jouets.

Je suis un putain de vampire en fait !

Naaaan… J’aime juste, avoir de l’influence, l’ascendant sur l’autre. C’est ce qu’on appelle un tempĂ©rament non ?

Ah, le verrou de la porte cliquète. Il était temps. Elle s’ouvre, il n’est même pas totalement rhabillé. Tout ce temps pour avoir encore le pantalon ouvert et le T-Shirt à peine posé sur les épaules.

Bon, tu vas dégagé quand-même non.

Il finit par se reboutonner, passer son T-Shirt et se préparer à se rechausser. J’ai le chat qui lui miaule après. Elle miaule tout le temps. Ce con de chat m’oblige à la fois à travailler le mec et à faire gaffe qu’il ne vienne pas nous rejoindre dans le lit. Mais bon, je préfère sa compagnie en général.

« Merci c’était vraiment cool ! »

J’me lève… poliment, j’lui dis que oui, j’vais pas lui mentir, il a plutôt été un bon coup, puis franchement, bien membré l’asticot.

Aujourd’hui j’ai choisi un bronzé. Ouais, les peaux cuivrées j’aime bien, puis dans le monde gay, ce sont souvent un peu des folles, je vais pas le cacher. Mais lui non, même s’il a été passif, il a des allures d’hétéro. C’était plutôt agréable de baiser avec.

On devrait peut-être se revoir, recommencer…

Non, non, je m’égare là. Ne pas prévoir, ne pas vouloir. Il reviendra si les éléments se réunissent à nouveau pour rendre cela possible. On ne fait pas de plan sur les mecs. Puis, y en a tellement à voir encore, dont l’esprit attend d’être perforé, brutalisé, maitrisé.

« on se revoit bientôt… »

Ah merde !

Putain ta gueule !

Allez je reste poli, mais froid, distant. Que dire Ă  part « on verra » ? Au moins je reste honnĂŞte. Lui il espère et moi, je lui laisse un petit velux ouvert. De toute façon, si je l’ai bien formĂ© comme il faut durant l’heure qui a prĂ©cĂ©dĂ©, il me retrouvera.

Un clic sur une application ou un site, il retrouve mon pseudo et hop, si je suis en pleine pulsion, il aura à nouveau la tête dans l’oreiller.

Bon, je dois avouer, que certains, très rare, je les revois de mon propre chef, mais parce qu’ils sont intéressants, torturés et soumis à des agressions de leur propre cerveau qu’ils ne contrôlent pas. Souvent, on ne baise même plus, on devient pote.

Bon, enfin il se dirige vers la porte. Comme à mon habitude, j’ouvre, je le laisse passer et je coupe court à tout geste de tendresse, toute parole un peu trop longue et je referme avec un semblant de signe de la tête.

Enfin seul !

Bon allez, un café et un cigarillo, je vérifierai la salle de bain après. Je me pose sur le lit en faisant attention de ne pas y trouver une tâche et je me mets devant la télévision.

Comme d’habitude, je tombe directement sur BFM TV et comme d’habitude depuis quelque temps, on parle de ce satanĂ© virus qui nous vient d’AmĂ©rique du Sud. Depuis qu’il est passĂ© par l’Allemagne avant de nous atteindre, l’état d’urgence sanitaire a Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ©. On n’est pas censĂ© sortir. Mais bon, faut bien se faire plaisir de temps en temps non ?

Puis, si je choppe ce virus, c’est pas bien grave. La mort, c’est vraiment pas quelque chose qui me fait peur.

Ah tiens, apparemment y a une réunion de culs bénis sur le champs de Mars. Ils ont l’air con assis en tailleur et en cercle là.

Y a un jeune mec, plutôt mignon d’ailleurs, la vingtaine je pense, qui se fait interviewer par le journaliste sur place. Bon, j’vais pas leur en vouloir de ne pas respecter les injonctions du gouvernement alors que moi-même je ne suis pas réglo.

Ouais, il est vraiment mignon ce garçon. Je le ferais bien pêcher lui aussi…

Woooh, qu’est-ce qui se passe ?

Je reste scotché sur place alors que le bruit sourd d’une déflagration retentit à la télé. La caméra fait volte-face et…

Putain, la tour Montparnasse vient d’exploser !