L'Académie de Lu





Pas encore inscrit ? /


Lien d'invitation discord : https://discord.gg/5GEqPrwCEY


Tous les thèmes
Rechercher dans le texte ou le titre
Expression exacte
Rechercher par auteur
Rechercher par type de défi
Tous les textes


PseudoMot de passe

Mot de passe perdu ?


Duel

(par Zandra-Chan)
(Thème : MĂ©lilĂ©mots 2)



Elle me fixe mĂ©chamment. Ou plutĂŽt, elle me toise – on fait pourtant la mĂȘme taille. Elle me toise avec un regard froid et un sourire narquois. Parce qu’elle sait ce que je pense et je pense
 non
 je sais que je ne peux pas gagner. Les bras croisĂ©s, elle patiente. Elle sait trĂšs bien que, mĂȘme si je lance l’offensive, elle pourra rĂ©pliquer sans difficultĂ©. J’inspire profondĂ©ment, prĂȘte Ă  lancer ma premiĂšre estocade, mais rien ne vient. Rien. Son sourire grinçant s’allonge. J’ai tout juste le temps de lever ma garde que son attaque fuse.

— On a pas commencĂ© que tu es dĂ©jĂ  Ă  court d’idĂ©es ?

Ce n’est que le dĂ©but de son assaut ; je sais que la suite arrive. Alors je me tasse, laissant le moins d’ouvertures possible.

— Tu comptes jouer la tortue, aujourd’hui aussi ? Tu sais que ça n’a jamais marchĂ© contre moi, n’est-ce pas ?

J’encaisse. Je ne peux pas faire autrement. Je ne sais faire que ça. Loin d’ĂȘtre aussi habile qu’elle, je ne peux que subir les coups. Le temps que je trouve comment riposter, elle a dĂ©jĂ  lancĂ© une nouvelle attaque.

— Tu glandes rien de tes journĂ©es, tu pourrais faire un effort au moins maintenant ! Les dents serrĂ©es et parfaitement incapable de rĂ©pliquer, je reçois – aujourd’hui encore – la mĂȘme claque.


Depuis quand est-ce que je prĂȘte attention Ă  ce qu’elle dit ? Depuis quand elle s’est incrustĂ©e sans que personne ne remarque rien ? Depuis quand elle me savate sans vergogne, tous les jours – et parfois plusieurs fois par jours –, sous couverture d’un “duel pour m'aguerrir” ? Bien trop longtemps.

MĂȘme si, en de rares occasions, je parviens Ă  la refouler, Ă  la repousser, Ă  remporter un de nos combats, j’ai toujours cette amĂšre sensation que c’est inutile. Qu’elle est telle une mer de culpabilitĂ© qui vient ronger, aussi lentement qu’inexorablement, le petit rocher de mon assurance. Ou plutĂŽt que je nage dans une piscine Ă  vagues de conscience, sans Ă©chelle, et qu’elle m’entoure de murs, de falaises de critiques et de remontrances. ForcĂ©ment, au bout d’un moment, se dĂ©battre lĂ -dedans, ça Ă©puise.


Plus ou moins Ă  l’abri derriĂšre ma garde, je l’observe d’un Ɠil torve – mais toujours un rien craintif. Alors qu’elle continue Ă  faire pleuvoir ses frappes plus ou moins sournoises, elle ferme soudain la bouche et s’immobilise. Un frisson me parcourt l’échine. À sa posture, il est certain que c’est le calme avant la tempĂȘte. Mes doutes sont vite confirmĂ©s : elle inspire Ă  plein poumons ; je n’ai pas le temps de l’arrĂȘter.

— ArrĂȘte de te croire unique, de te penser spĂ©ciale. Tu rĂȘves Ă©veillĂ©e. T’es qu’un grain de sable


Par miracle, je peux prédire cette offensive. Je me redresse pour attaquer à mon tour.

— 
 Ă  l’échelle de l’univers, je sais, merci. C’est ton cas aussi, je rappelle.

Une feinte. Son sourire vicieux me fait mal avant mĂȘme que je ne reçoive le coup.

— 
 un grain de sable dans l'Ɠil de chacune des personnes que tu cĂŽtoies. Un caillou dans leur chaussure ! ‘Faut t’évacuer au plus vite.

Ceele-là, je ne l’ai pas vu venir. J’ai pris le choc de plein fouet. Elle continue avec hargne, ses attaques se faisant de plus en plus lourdes.

— Mais je t’en prie, puisque tu sembles enfin dĂ©cidĂ©e Ă  rĂ©agir, vas-y ! Dis ce que tu penses !

Mes lĂšvres sont ouvertes, mais ma voix est scellĂ©e. Impossible de rĂ©pliquer. Je me tasse Ă  nouveau. Je ne peux rien faire de plus qu’encaisser. Je ne peux rien faire de plus


— C’est bien ce que je pensais. ‘SpĂšce d’incapable. T’es vraiment irrĂ©cupĂ©rable !

Je l’entends qui continue de vocifĂ©rer derriĂšre ma garde qui s’effrite peu Ă  peu.

— Une indĂ©cise qui passe ses journĂ©es Ă  se morfondre, voilĂ  c’que t’es !

Ma garde vole en éclats.

— Tu sers Ă  rien ! T’es qu’un poids mort ! Le monde se passerait bien d’toi !

Chaque coup fait mouche et je plie sous la douleur. Des larmes me montent aux yeux.

— Qu’est-ce que tu fais encore lĂ , d’ailleurs ? Parasite !

Son assaut me perce de part en part. La douleur me paralyse, se rĂ©pand, Ă  toute allure, partout. Mes lĂšvres tremblent. Plus qu’une contre-attaque, je parviens Ă  placer une parade – une parodie de parade, vu qu’elle n’attaque dĂ©jĂ  plus.

— JE SAIS ! Je sais ! Je sais
 Tais-toi s’il te plaĂźt
 Je sais tout ça.

Je ne veux mĂȘme plus la regarder ; j’enfoui ma tĂȘte dans mes mains. Son ton acerbe ne fait qu’ajouter du sel sur ma plaie bĂ©ante.

— Tu as admis. Tu as perdu. Encore.

Elle clos le combat par une derniĂšre invective.

— ImbĂ©cile.

Le silence tombe.

Les coups ont cessé de pleuvoir, mais la douleur demeure.


De longues minutes plus tard, je relĂšve enfin les yeux. L’image que me renvoie le miroir est toujours la mĂȘme : une petite mĂ©tisse – j’aime dire bronzĂ©e de naissance, c’est plus “poĂ©tique” –, aux cheveux noirs et aux yeux marrons. Une fille banale, prostrĂ©e sur place, aux yeux encore larmoyant et au fond desquels l’animositĂ© n’a pas disparu ; elle est juste invisible aux autres. Invisible parce que tournĂ©e vers l’intĂ©rieur.




























© 2021 • Conditions générales d'utilisationsMentions légalesHaut de page