L'Académie de Lu





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Incarnation fabuleuse

(par Zandra-Chan)
(Thème : DĂ©fi d'Elinor)



Alors, autant je sais que je ne fais pas toujours les choses comme il faut et ça a la fĂącheuse tendance Ă  me mettre dans des situations improbables, autant lĂ , j’ai besoin d’une petite explication. Pourquoi, et comment surtout, je me suis retrouvĂ©e lĂ  ?

Tout le monde connaĂźt l’histoire, et j’imagine que – malgrĂ© tout – bon nombre de jeunes filles se sont imaginĂ©es Ă  la place de l'hĂ©roĂŻne. Pas moi. Mais je me suis encore moins imaginĂ©e dans le rĂŽle de son “geĂŽlier”.

DĂ©jĂ , trouver un miroir – objet que j’ai tendance Ă  fuir en tant normal – en Ă©tat dans “mon” aile de cet immense chĂąteau a Ă©tĂ© une vraie gageure, mais mĂȘme sans reflet, je savais dĂ©jĂ  sans problĂšme que je n’étais plus dans mon corps. Moi qui ne suis pas bien grande, avoir le regard Ă  une telle hauteur m’a mĂȘme dĂ©sĂ©quilibrĂ©e au dĂ©but. Et puis, ce corps masculin est massif, musculeux, lourd ; je n’y suis pas habituĂ©e. Mais je crois que ce qui m’a le plus fait rire jaune, ce sont les poils. Je me moque doucement de mes amies quand elles laissent quelques souvenirs capillaires, ici et lĂ , aprĂšs leur passage. Dans le cas prĂ©sent, je sĂšme, littĂ©ralement, des poils Ă  chaque pas. C’était pas mentionnĂ©, ça, dans le conte !


Ensuite, pendant mes pĂ©rĂ©grinations Ă  l’étage – tant pour trouver un miroir que pour trouver un semblant d’explication Ă  ma situation –, j’entendais rĂ©guliĂšrement un couinement derriĂšre moi qui semblait se rapprocher. Avec mon nouveau gabarit, il Ă©tait un peu ridicule d’avoir peur de quoi que ce soit, pourtant
 pourtant je n’ai pas pu m’empĂȘcher de craindre ce quelque chose qui se rapprochait inexorablement.

Une desserte en argent. C’était une simple table Ă  roulettes qui me courait aprĂšs pour m’apporter mon petit-dĂ©jeuner. Et ça, je crois que, quel que soit le contexte, c’est troublant – comme si changer de corps ne l’était dĂ©jĂ  pas assez ! – pour n’importe qui. Sauf pour le vĂ©ritable propriĂ©taire du corps, sans doute.

On a tous dĂ©jĂ  entendu parler d’enchantements, de malĂ©dictions, de sortilĂšges, de princes transformĂ©s en grenouilles, de princesses en cygnes, tout ça. Mais voir le mobilier muet se dĂ©placer de lui-mĂȘme, c’est vraiment, mais alors vraiment perturbant. Surtout que, une fois sur deux, mĂȘme quand il ne bouge pas, il est peut-ĂȘtre “vivant”. Elle avait quoi en tĂȘte, cette foutue fĂ©e, pour vouloir changer des gens en meubles !?


J’étais encore en train de me faire la stupide rĂ©flexion qu’ĂȘtre une commode ou un tabouret, ça doit ĂȘtre plus tranquille qu’ĂȘtre une fourchette ou une tasse Ă  thĂ©, quand je l’ai vue. La jeune fille du conte, l’hĂ©roĂŻne, le personnage principal. Étrangement, elle ressemble assez Ă  la version de Disney : de longs cheveux bruns qui encadrent un visage calme aux traits dĂ©licats. Un livre Ă  la main, elle se dirigeait vers l’étage infĂ©rieur. BĂȘtement, je l’ai interpellĂ©e.

— E-eum
 ! S’il vous p-

Je me suis interrompue. Ma voix est grave, puissante. J’ai eu l’impression de faire vibrer tout le bĂątiment avec ce vĂ©ritable rugissement. Une main – une patte, plutĂŽt – sur la bouche – une gueule dont les crocs dĂ©passent –, comme pour retenir cette voix tonitruante malgrĂ© moi, j’ai baissĂ© les yeux vers mon interlocutrice supposĂ©e. Et d’un coup, j’ai mieux compris le point de vue du prince. Ce regard de peur et de dĂ©goĂ»t mĂȘlĂ©, sans aucun doute provoquĂ© par mon apparence
 Le propriĂ©taire du corps a dĂ» faire face Ă  ça chaque fois qu’il a interagit avec quelqu’un ? Je ne me demande plus pourquoi tous les miroirs sont brisĂ©s Ă son Ă©tage. Dans un feulement involontaire, j’ai bredouillĂ© une excuse avant de m’enfuir, la boule au ventre.


La matinĂ©e s’est Ă©coulĂ©e sans que je ne la croise Ă  nouveau. Je n’ai rien fait pour, il faut dire. Le seul souvenir de son regard me fait mal. Tout plutĂŽt que d’ĂȘtre transpercĂ©e Ă  nouveau par cette douleur. Le merveilleux du conte a laissĂ© place Ă  l’horreur d’une rĂ©alitĂ© pour un homme, un prince, que j’incarne pour le moment. Je ne sais toujours pas pourquoi, ni comment retrouver ma propre enveloppe charnelle. J’espĂšre juste qu’il ne faut pas que j’aille jusqu’au bout de l’histoire.


Les douze coups de midi n’avaient pas encore fini de sonner que j’ai Ă  nouveau entendu le couinement caractĂ©ristique du plateau roulant. Au moins un qui ne perdait pas le nord. Je suis retournĂ©e dans la piĂšce dans laquelle je me suis Ă©veillĂ©e – la chambre du prince, trĂšs probablement – pour y manger en silence, la tĂȘte pleine de questions sans rĂ©ponses. Mes Ă©lucubrations m’ont tout de mĂȘme amenĂ©e Ă  deux points qu’il fallait que je dĂ©termine : dans quelle version de l’histoire je suis, et Ă  quel moment de l’histoire je suis. Ça ne m’aidera pas Ă  savoir comment repartir, mais ça m’aidera au moins Ă  ne pas faire trop de boulettes.


Me voilĂ  donc en dĂ©but d’aprĂšs-midi Ă  me demander si ma “prisonniĂšre” en est vraiment une, si elle a des frĂšres et sƓurs – comme dans la version “d’origine” – et surtout, depuis combien de temps elle est lĂ .

Bon. À en juger par le regard qu’elle m’a lancĂ©, “on” ne doit pas se cĂŽtoyer depuis longtemps. Mais le problĂšme, c’est qu’elle est la seule Ă  pouvoir rĂ©pondre Ă  toutes les autres questions, puisque les serviteurs qui m’entourent sont aussi muets que les objets qu’ils incarnent. Au moins, ça me confirme que je ne suis clairement pas dans la version du dessin animĂ© de mon enfance. D’une certaine façon, c’est peut-ĂȘtre pas plus mal. C’est qu’il est “un peu” caractĂ©riel, le bonhomme version Disney ! On va admettre alors que c’est soit une vieille adaptation, soit l’histoire du livre “d’origine” – ou du moins, de la premiĂšre version Ă©crite connue. Auquel cas, mon personnage est supposĂ© ĂȘtre gentil, prĂ©venant, “bon” comme ils disaient en ce temps-lĂ . Peut-ĂȘtre est-ce lĂ  ma chance de converser convenablem-


V’lĂ  que le langage soutenu, dit “d’époque”, commence Ă  me contaminer. ‘Faut vraiment que je me barre au plus vite !


Les heures s’égrĂšnent et je n’arrive pas Ă  me dĂ©cider Ă  aller la voir. DĂ©jĂ  que, mĂȘme dans mon propre corps, j’hĂ©siterais beaucoup Ă  dĂ©marrer une conversation, alors dans le corps d’un autre
 Aussi intimidĂ©e qu’intimidante, ce n’est qu’au soir, juste avant le souper – le dĂźner ! le dĂźner, bordel ! – que j’arrive enfin Ă  me prĂ©senter Ă  la jeune femme. Je n’ose cependant pas lever les yeux vers elle ; je me doute qu’elle pose sur moi ce mĂȘme regard de terreur et de rĂ©pulsion mĂȘlĂ©es. J’essaie de susurrer, sachant ma voix bien trop forte sans cela. Les mots se reformulent d’eux-mĂȘmes alors qu’ils franchissent mes lĂšvres.

— Je vous en conjure, ne prenez pas peur. Je ne dĂ©sire que vous parler. Je fixe le riche tapis en attendant sa rĂ©ponse. Sa voix claire met d’interminables secondes Ă  s’élever Ă  son tour. J’y dĂ©cĂšle son effroi, mais aussi une pointe de curiositĂ©.

— 
 Que puis-je pour vous ? Un frisson me parcourt l’échine. J’ai oubliĂ© toutes mes questions. Je ne sais plus ce que je voulais dire ! Peu importe mon apparence, je reste incapable de tenir une conversation avecune personne que je ne connais pas ! C’en est dĂ©sespĂ©rant. En plus, je suis supposĂ©e jouer le rĂŽle du prince ! Mais je n'ai jamais fait de théùtre, moi ! Dans une vaine tentative de fuite, je m’excuse Ă  nouveau, prĂȘte Ă  dĂ©taler. Elle me retient par un mot.

— Pourquoi ?

TiraillĂ©e entre l’envie de fuir cette conversation que suis incapable d’entretenir et le sentiment qu’il n’est que justice de lui rĂ©pondre, je reste sur place.

— Je


J’inspire et les mots se mĂ©tamorphosent Ă  nouveau, sans mon aval.

— Je n’ai point l’esprit nĂ©cessaire pour alimenter un dialogue digne de ce nom avec vous pour le moment. Souffrez1 que je me retire pour l’heure ; nous parlerons une autre fois.

Je m’incline prestement, avec le peu de souvenirs que j’ai de l’étiquette telle qu’on la voit dans les films, espĂ©rant que mon interlocutrice daignera me libĂ©rer. Je ne tiens dĂ©jĂ  plus en place. Mon cƓur bondit dans ma poitrine, pulse jusqu’au bout de mes “doigts”, comme lors de ces lointains jours d’examens oraux.

— Fort bien, consent-elle enfin. Adieu2 , en ce cas.


CachĂ©e sous ma couverture comme une enfant qui a peur de l’orage – malgrĂ© mon improbable gabarit –, je prie pour que tout soit rentrĂ© dans l’ordre demain. Je ne veux pas avoir Ă  finir l’histoire. J’en serais incapable.





1) Souffrez : employĂ© ici en lieu et place de “permettez”

2) Adieu : Ă  “l’époque”, le terme Ă©tait utilisĂ© comme “au revoir”.














Ar_Sparfell

J'aime beaucoup ton histoire ! Elle est trÚs immersive et l'écriture est trÚs bien maitrisée ! SincÚrement, ça m'a happé, j'aurais bien aimé avoir la version du conte de ce point de vue, et plus particuliÚrement une version écrite par toi :grin:
par contre, rip le 4Úme mur, mais c'est un détail


Le 16/04/2021 à 18:17:00



Elinor

je la trouve trĂšs drĂŽle ta version pataude et timide de la BĂȘte. Les rĂ©fĂ©rences Ă  Disney sont aussi cool. Ton texte est fluide, pas de problĂšmes de comprĂ©hension, et point bonus pour le language de l'Ă©poque


Le 17/04/2021 à 20:29:00

















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