Le rituel de passage
(par Zandra-Chan)(Thème : MĂ©lilĂ©mots inversĂ©)
Le vieux bonhomme, assis dans l’arrière-boutique, était en train de nettoyer ses lunettes quand la clochette de la porte d’entrée tintinnabula. Il remit ses binocles en place et salua le nouvel arrivant avant même d’être derrière le comptoir.
— Bonjour, bonjour ! Que puis-je pour v-...
Il s'interrompit alors que son regard descendait de près d’un mètre pour se poser sur un petit garçon aux yeux écarquillés, une main refermée sur l’autre. À la façon dont il se tortillait, il était évident qu’il était mal à l’aise.
Le vieil homme le dévisagea une seconde, perplexe. Oh, ça faisait longtemps qu’il connaissait le petit Thomas ! Il l’avait connu en poussette ! Mais c’était la première fois qu’il le voyait seul. Le commerçant jeta un œil vaguement inquiet à travers sa vitrine, et fut rapidement soulagé de voir la mère du bambin, un large sourire aux lèvres. Ah… C’était donc ça. Il passait aujourd’hui une étape, un rituel pour devenir un peu plus grand.
Le sourire le plus affable possible, le vieux boulanger s’accouda au comptoir.
— Qu’est-ce que ça sera aujourd’hui, mon grand ?
L’enfant, en panique, tenta de répondre. Ses lèvres s'agitaient, mais pas un mot ne sortait. Il déglutit, recommença. Pas un son. Comme pour tenter de faire passer son message, il posa la pièce qu’il serrait dans son poing sur le bureau. L’homme se retint de rire. Il porta la main à son oreille et plissa les yeux.
— Quoi ? Je suis vieux, tu sais ? Il faut que tu parles un touuuut petit peu plus fort…
— … plaît…
— Comment ?
— … -ette… -plaît.
L’homme se redressa, regarda autour de lui avec une méfiance feinte, et se pencha par-dessus le comptoir, comme s'il comptait confier un secret.
— On est que tous les deux dans la boutique, souffla-t-il toujours en souriant. Tu peux crier si tu veux, il n’y a que moi qui le saurait.
Thomas tremblait toujours, mais l’information sembla l’amuser un peu. Il inspira profondément.
— Une baguette, s’il vous plaît m’sieur !
— AH ! Et bah voilà ! Une baguette pour monsieur Thomas !