L'assaut
(par Zandra-Chan)(Thème : Western)
L’attente ne peut s’éterniser. Il va falloir que je lance l’assaut. Pour la énième fois, je vérifie mes munitions. Ça ne sera pas assez. Je n’en ai jamais assez. Surtout pour attaquer un fort. Pire encore, le Fort Blanc du Mont Malade.
Je me redresse pour jeter un œil au-delà de mon couvert. Presque instantanément, une explosion, projetant une gerbe de poudre jusque sur mes lunettes, me manque de peu. C’est qu’il vise bien, le bigleu ! Pour une fois, j’aurais aimé être plus petite encore. Ce rempart construit à la hâte est loin de valoir la forteresse que je suis sur le point de prendre d’assaut. J’expire lentement. Un nuage s’échappe de mes lèvres. La mission est vouée à l’échec, pourtant, je ne peux m’empêcher de sourire. Je suis sûre qu’il sourit aussi, l’autre nouille, en face. J’attrape autant de projectiles que mes mains me le permettent.
— Ă€ l’attaaaaaaaaque ! je hurle, comme si une armĂ©e me suivait.
Aussitôt, je m’élance. Comme prévu, il m’attendait. Mais je suis rapide, et le temps qu’il m’ajuste, j’ai déjà fait feu une première fois, l’obligeant à se replier un instant. Un instant dont je profite pour parcourir quelques mètres en sûreté, le long du mur. À peine sa tête dépasse à nouveau des remparts que je canarde à nouveau. Ma visée est moins précise que lui, mais il a trop peur d’être touché pour vouloir rester à découvert. Je continue ma cavalcade en direction d’un arbre ; mon prochain abri. Je l’atteint juste à temps. C’est l’écorce qui encaisse à ma place. J’ai le souffle court et l’air glacé me brûle les poumons. Pourtant, la joie – jaillissante, inexplicable – écrase la peur. La même technique ne fonctionnera pas deux fois… il va falloir innover. Je serre mes précieuses munitions contre moi. Une seule… il faut que je n’en garde qu’une. Ça suffira. J’enchaîne les tirs à l’aveugles. Je l’entends râler, alors que je sais pertinemment que je ne l’ai pas touché. Devinant qu’il est à nouveau caché, je m’élance, poursuivant ma course vers la forteresse. Arrivée à son pied, je m’empresse de l’escalader. Le temps qu’il réalise que je ne tire plus, je suis déjà à plus de mi-chemin vers le sommet. Il se penche par-dessus les créneaux. Nos regards se croisent. Le temps s’arrête : nos deux bras sont armés, parés à faire feu. À cette distance, aucun de nous deux ne peut manquer son coup. Le premier à tirer sera le vainqueur. Chacun la main en suspension, on attend de lire dans les yeux de l’autre comme un signal de départ. De longues secondes de silence s’écoulent.
— Les enfants !
L’appel nous fait sursauter et le coup part tout seul. On s’écrase nos boules de neige respectives dans la face. Il tousse ; je ris.
— Papaaaaa ! râle mon frère en remettant ses lunettes maladroitement dĂ©barrassĂ©es de la poudreuse. Tu casses touuuut !
Je parviens à arracher un sourire à notre petit Caliméro en usant de mes doigts comme d'essuie-glace sur mes carreaux enneigés.
— Maman a fait des chocolats chauds pour le goĂ»ter ! reprend notre paternel, contaminĂ© par notre rictus.
Mon petit frère, aussi consolé, pousse un cri de joie avant de se précipiter vers la porte. Mon père et moi le suivons du regard, amusés par sa démarche maladroite – un petit trouble de l’équilibre qui se résoudra de lui-même quand il aura cinq ou six ans, d’après le médecin.
— Alors ?
— Alors cette fois il Ă©tait le gouverneur du Fort Blanc du mont Malade ! Et moi… une sauvage indienne, j’imagine ?
Il rit.
— Donc le “demi igloo” d’hier est devenu un fort… Pourquoi du “Mont Malade” ?
— Parce que c’est le seul endroit du jardin oĂą il y a que de la mousse qui pousse...