Contagion
(par Zandra-Chan)(Thème : DĂ©fi images 2)
Nedjma, accoudée au flanc ouest de la nacelle, posait un œil morne sur le paysage crépusculaire. Elle le regardait sans le voir. Pourtant, jusqu’à ce jour, elle avait toujours adoré s'émerveiller de ce spectacle : des montgolfières de toutes les couleurs – des rouges, des bleues, des jaunes, des multicolores, certaines à bandes, à rayures, à carreaux ou à motifs – qui flottaient dans le ciel vide de nuages. Des couleurs vives qui venaient contraster avec le monotone ocre pâle de la roche qui cerclait la ville jusqu’à l’horizon.
Cette fois, le festival des ballons avait marqué un tournant. Pour elle comme pour tout le monde. Ou du moins, ceux qui avaient survécu.
Elle était en cours de sport, premier cours de la journée, quand tout avait commencé.
Elle avait aperçu de loin ce bonhomme manifestement mal en point. Comme il s’était effondré non loin de la grille du terrain d’athlétisme où elle pratiquait avec le reste de la classe, elle s’était précipitée à son secours. Elle était encore à dix bons mètres quand elle avait enfin comprit ce qu’elle voyait : le costume trois pièces en lambeaux laissait apparaître, sur des bras livides et déformés, des veines sombres parsemées de balanes – ces petits coquillages rivés aux rochers de bords de mer – qui suintaient un épais liquide sombre évoquant du pétrole. Mais ce qui avait arrêté Nedjma dans son mouvement, c’était surtout la protubérance visqueuse, qui s’échappait de l'œil droit de l’homme qui gisait là en râlant, et qui avait fait enfler son crâne jusqu’à lui donner l’aspect d’une énorme méduse noire. Elle n’avait presque pas remarqué que la traînée laissée par le contaminé s’étendait rapidement, semblant presque douée d’une volonté propre.
Elle avait fait demi-tour pour courir sans se retourner jusqu’à Mlle Soumia, sa professeur. Professeur à qui elle avait expliqué, en panique et à coup de phrases désordonnées, ce à quoi elle venait d’assister. Si plusieurs des camarades de la lycéenne épouvantée avaient ri, plaisantant qu’elle avait trop regardé de films de morts-vivants, l’enseignante avait semblé la prendre étonnamment au sérieux.
Le cours avait été annulé. Moins d’une heure plus tard, l’évacuation avait été ordonnée. Et tout avait tourné au cauchemar depuis.
Le soir tombait. Le père de la jeune fille, pilote de montgolfière de métier, tentait d’établir via signaux lumineux un nouveau point de chute avec les autres ballons. Le départ précipité n’avait pas permis à tous de partir avec la même quantité de propane et personne n’avait pu faire le plein lors de la brève pause en milieu de journée. C’était déjà une chance que les pilotes, étant habitués à recevoir des touristes très tôt dans la journée, avaient déjà fait chauffer leurs ballons quand il avait fallu évacuer.
Nedjma poussa un petit cri étouffé, attirant l’attention de Mlle Soumia qui avait embarqué avec elle.
— Un problème, Hawkeye ?
Le surnom qui lui avait été donné au club de tir à l’arc – dont Mlle Soumia était la directrice – ne la fit même pas réagir. Elle désigna d’une main tremblante un point blanc qui filait à toute allure, loin en contrebas.
— La camionnette, là -bas… Elle se fait rattraper.
La professeur plissa les yeux dans la direction indiquée. Si la tache blanche qu’elle percevait était bien un véhicule, alors il roulait à tombeau ouvert. Pourtant, comme le signalait la jeune fille, la masse noire qui les avait tous obligés à fuir s’étalait derrière la fourgonnette et menaçait même de l’atteindre. Les deux observatrices frissonnèrent en voyant l’immonde liquide cercler la camionnette. Pendant une seconde, le point blanc demeura seul au milieu de l’encre mouvante, avant de disparaître, englouti.
L’enseignante passa un bras réconfortant autour des épaules de son élève tremblotante. Ce n’était hélas pas la dernière tragédie à laquelle elle assisterait, c’était certain. Il allait falloir l’y préparer.
Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !