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Malkym![]() Spectacles![]() Academy Universe - nouveau lore
![]() ![]() Une Lieu Sept-Cent-Cinquante-Huit sous les Mers(par Malkym)Nous attendions tous les trois dans cette pièce de verre et de corail, à la couleur étrangement cuivrée. Cet ascenseur semblait descendre toujours plus infiniment sous les eaux, et le paysage qui s’étendait devant nos yeux n’avait de cesse d’émerveiller Shelly. Elle était aussi fixée à la paroi transparente qu’une étoile de mer ne pouvait l’être à un rocher. Mon acolyte au chaperon bordeaux ne cessait de frétiller et de faire trembler notre cabine, en perdant son regard à travers le fascinant paysage qui se dévoilait tout autour de nous, à travers les claires eaux, pourtant abyssales, de l’Océan Atlantique.
Je me contentais de me tenir droit, les mains jointes, avec un air sérieux, confiant, que j’avais bien travaillé avec le temps. Pour étayer ma droiture, et sans doute pour me donner l’air d’un bien étrange pirate, Ezekiel avait eu la spontanéité de poser son plumage de miroir sur mon épaule. Malgré tout, il était clair que lui aussi admirait la beauté des impressionnants lieux dans lesquels nous nous enfoncions toujours un peu plus, à chaque seconde qui passait. Le pseudo-perroquet ne semblait pouvoir s’empêcher de pointer de son bec chaque merveille qu’il était en mesure d’observer, contorsionnant assez son frêle cou de corneille pour lui donner un sévère torticolis. Il sautillait de place en place, de mon épaule, à mes cornes, à la capuche de Shelly, à mon épaule, dans un ballet incessant de courts battements d’ailes.
Quant à moi, j’avais beau tenter de garder un sérieux et une neutralité olympienne – il aurait été dommage de ruiner si vite une si belle image – je fus certain que mon sourire put traduire l’émerveillement que je partageais avec mes compagnons. Il fallait avouer que la beauté de ces lieux, la majesté de ce paysage grandiose, de ce panorama d’un autre monde, d’un autre temps, seulement tapis à quelques vingtaines de minutes sous les ponts des bateaux, ne pouvait que jeter des étoiles d’or pur dans nos yeux étrangers. Si mon corps restait patiemment immobile, n’y dérogeant que pour observer de temps à autre les chiffres romains à mon poignet, mes yeux, eux, étaient pris d’incontrôlables spasmes, forcés par ces lieux à se mouvoir en toute direction pour ne pas perdre un unique détail de ces somptueux fonds marins, que l’on eut si longtemps tort de qualifier de froids, d’abyssaux, de lugubres et de ténébreux.
Loin, très loin, des archétypes et clichés d’auteurs mal informés, les profondeurs atlantiques étaient en réalité de pures merveilles, aux paysages à l’aspect d’une étrange modernité. Tel un tapis au fond de l’eau, une immense cité éclairée, aux bâtiments façonnés de coraux multicolores, s’étendait à perte de vue, mouchetée de somptueuses lueurs, telles autant de lumières émanant des lampadaires jaunies d’une Londres victorienne et fantasmée. Nombre de bâtiments, sans doute les plus notables de par leur étonnante hauteur, prenaient l’apparence de tours, tantôt rondes, tantôt coniques, d’où émanaient diverses branches de corail et de nacre, liant les tours entre elles, mais aussi à des sortes de bulles nacrées dont la fonction me restait tout-à -fait inconnue. Hormis ses tours, l’imposante cité semblait compter mille-et-une échoppes et magasins, devant lesquels nos yeux purent distinguer les silhouettes étranges, voire difformes, des habitants de la ville, dont les mines, très littéralement sombres, ne pouvaient que piquer, tant ma curiosité, que mon inquiétude.
Mais, ce qui émerveillait le plus Shelly, elle qui, je le savais déjà , était friande des gracieux univers Steampunk, que la Littérature ne lui comptait que trop bien, dont les dirigeables fendaient les cieux par la puissance des rouages de laiton et de la vapeur, ce qui ne pouvait être que la plus notable des raisons la poussant à ainsi plaquer ses pupilles à la paroi de verre, était sans aucun doute les puissants ballons à hélices, innombrables machines aux voilures bariolées, semblant survoler la cité atlante et ses tours de nacre, dont les pales rejetaient dans leurs sillages les féeriques nuées de bulles, émanations permettant à ces merveilles de technologie atlante de fendre les eaux abyssales, qui s’étendaient sous nos yeux descendant, comme les dirigeables fendaient les cieux des villes industrielles de la surface, dont les vapeurs blanches et la fumée charbonneuse avait été remplacées en ces lieux par les bulles et les ondes nautiques propulsant les machines.
Gêné de la migraine ophtalmique commençant doucement à s’installer derrière mes orbites, je me résignai à clore mes paupières, déjà sans doute amplement satisfait de la beauté de ces lieux pour une ou deux vies entières. Je me contentais donc d’imaginer l’émerveillement de Shelly en entendant ses incessants et frénétiques sautillements sur le sol, métallique me semblait-il, de notre cabine d’ascenseur. Pourtant, sans que je ne pus immédiatement en connaître la raison, son excitation se fit largement plus calme, tandis que, par ses bruits de pas, je pus entendre et percevoir son recul, aux notes inquiétées. Ezekiel cessa de changer d’épaule, immobilisé comme Shelly reculait. Celle-ci pausa sa main sur mon épaule. Je la sentais tremblante, ne sachant vraisemblablement comment réagir. Alors, j’ouvris les yeux pour constater, et aussitôt, ils s’écarquillèrent, et mon visage, si confiant, se couvrit d’une grimace bloquée entre étonnement et dégoût.
« Qu-qu’est-ce que c’est ? Trembla Shelly, apeurée, sans que je ne pus répondre quoi que ce soit. »
En effet, comment ne pas rester muet face à … à … cette tant improbable, anormale, étrange scène ? Car, si la présence d’animaux marins était courante en ces eaux – nous avions bien croisé bon nombre de poissons aux apparences variées, là -dessous – celle d’un splendide banc de tortues relevait déjà du rarissime, au fond de ces abysses atlantiques, tant la pression devait leur être insupportable, bien que je soupçonnais toutefois quelque technologie, inconnue de nos esprits surfaciques, de la rendre vivable à tout être vivant.
Non, ce qui était sans doute le plus… affreux, était la couleur qu’elles arboraient. La plus grande et vaste majorité d’entre-elles était, en effet, recouverte intégralement d’un épais fluide noir, visqueux, lisse, semblant s’échapper de certains pores de leurs propres corps, comme d’étranges parasites. On eut presque cru à du pétrole, ou quelques raffinages qui, par malheur, auraient coulé au fond de l’océan lors d’une tragique traversée. Leurs yeux étaient eux-aussi complètement peints de cette chose immonde, aux reflets bleus ou violets, tant et si bien qu’ils semblaient ne pouvoir se repérer dans leur environnement. Pourtant, l’une des tortues, intégralement blanche, comme lavée de tout, même de sa couleur, brillait d’une puissante lueur, comme pour guider ses consœurs.
« Tu as vu ça ? Lança Shelly en brisant mes contemplations. C’est fascinant !
— Je dois le reconnaĂ®tre, c’est impressionnant. Toutes ces tortues ont l’air aveuglĂ©es de ce fluide, mais elle…
— Elle leur sert de repère. Je suis certaine que sa lumière doit ĂŞtre perçue Ă travers ce truc noir. Elle leur permet Ă toutes de se rassembler et de se repĂ©rer, comme une sorte de phare !
— Un vĂ©ritable ĂŞtre de lumière guidant les tĂ©nĂ©breux esprits Ă©garĂ©s vers le salut… »
Ôtant la pensée religieuse qui me traversa l’esprit un instant, je tentai de déterminer ce qui pouvait protéger cette prophétesse. Sa pure blancheur, incomparable beauté majestueuse, lui donnait un statut particulier à mes yeux, sans doute moindre que celui que lui attribuait Shelly, dont les yeux reprirent leurs pétillements à sa vue. Sans doute un gène, ou un système immunitaire très profitable, lui avait-il sauvé la vie. Je me pris à me demander la raison pour laquelle mon esprit semblait si rationnel, ce jour-là , moi qui n’était pourtant pas contre toute croyance en la magie. Il fallait avouer que, si bas sous les mers, rien ne semblait pourtant si fantastique ou merveilleux. Tout avait l’air de pouvoir se théoriser, s’expliquer et se comprendre. Pour cette raison, je pensais que faire affaire avec les gens que nous nous apprêtions à rencontrer n’allait pas être chose simple, tant la magie devait leur être inconnue, ou bien parfaitement maîtrisée.
Bientôt, le cortège d’égarés maladifs, pourtant autrefois d’une magnifique et rare pureté, passa loin au-dessus de nous, tandis que l’ascenseur semblait enfin arriver à sa destination, après une longue heure de l’incessante descente. Satisfaits de quitter cette dérangeante rencontre, nous nous rendîmes compte que nous n’étions pas au bout de nos surprises en atteignant finalement le fond, le sol de l’Atlantique. En effet, alors que les portes de verre s’ouvrirent, nous quittâmes le métal pour les pavés et le sable. Comme je m’y attendais, l’environnement, pourtant liquide, nous était respirable. Ce qui était d’autant plus étonnant était cependant l’état des habitants que nous étions en mesure de voir. Tous étaient semblables aux tortues que nous avions croisées plus tôt.
Les rues de la cité, semblant pourtant marchandes, étaient d’un terrible calme, entrecoupé des bruits visqueux des habitants, tous recouverts d’un épais liquide noir ne laissant pas même entrevoir leur morphologie. Bipèdes, quadrupèdes ou queues de poisson, impossible de déterminer à quoi pouvait ressembler les Hommes d’en bas, sous leurs imposants manteaux d’essence sombre. En parcourant les rues, les gens ne semblaient pas même nous voir. Ils se contentaient d’avancer difficilement, rampant sur le sol à la manière de limace noirâtres. Pour d’autres, épuisés, ils s’effondraient sur le sol, laissant gésir partout des tas informe et ténébreux, restes dont toute vie avait déjà sans doute quitter les corps. Le lieu merveilleux que nous observions quelques dizaines de minutes plus tôt comme lumineux et coloré s’était changé en quelques instants en une immense ville fantôme, peuplée de monstres noirs et désolés, gémissant vaguement leurs quelques suppliques incompréhensibles.
« Que s’est-il passé, ici ? Questionna Shelly en faisant tout son possible pour éviter de toucher ces habitants maudits.
— Je n’en ai pas la moindre idĂ©e, mais j’espère ne pas avoir attendu aussi longtemps pour rien… S’il ne reste ne serait-ce qu’un unique ĂŞtre sain dans cette citĂ©, il faut le trouver, et vite ! — Dis, Malkym, m’interpela-t-elle en observant, impuissante et dĂ©pitĂ©e, une nouvelle personne s’écrouler. Est-ce que tu penses qu’on pourrait sauver cet endroit ?
— … On ne peut rien sauver. Mais, avec de la chance, on pourra peut-ĂŞtre solutionner le problème. »
Je lançai Ezekiel à travers les eaux aériennes de la cité. Chercher un rescapé à pieds était vain tant cet endroit était immense, et nul n’avait une meilleure vision que ce vieil ami de plumes et de miroir. Alors qu’il prenait son essor, virevoltant en arc-en-ciel au-dessus de nos têtes, Shelly et moi levions les yeux vers ce brave compagnon, scrutant patiemment les cercles qu’il dessinait là -haut.
« Tu penses qu’il réussira à trouver quelque chose ? Questionna Shelly avec une mine admirative de ce gracieux volatile.
— Il n’y a pas meilleur qu’Ezekiel pour retrouver les rescapĂ©s de ce genre de catastrophes, il s’y connaĂ®t dĂ©jĂ .
— Il… s’y connaĂ®t ?
— Comme je te le dis, lui souris-je.
— Une corneille aux plumes parfaitement lisses et miroitantes… Comment t’as fait pour nous dĂ©nicher un oiseau pareil ? J’ai beau rĂ©flĂ©chir, je me souviens jamais en avoir vu oĂą que ce soit, mĂŞme dans les romans.
— Ah, ah, ah… Je ne l’ai pas trouvĂ©, Shelly.
— Comment tu l’as eu, alors ?
— Il ne m’appartient pas, tu sais ? Il ne fait que me suivre depuis des annĂ©es.
— D’accord… Mais Ă partir de quel instant a-t-il commencĂ© Ă te suivre, alors ?! Insista-t-elle Ă©nergiquement.
— Quand je l’ai rencontrĂ©, bien-sĂ»r ! C’est un ami de longue date, qui a vu beaucoup de choses, sans doute trop pour un garçon comme lui, avant que je ne le prenne sous mon aile… Sous mon aile. Tu l’as ?
— …
— Hum. Il tourne moins vite, tentai-je de changer de sujet pour Ă©vacuer cette mauvaise blague. — Attends, tu as dit… pour un garçon ? »
Ezekiel s’était arrêté, depuis quelques dizaines de secondes, suspendu dans l’air à une dizaine de mètres du sol. Mes yeux s’illuminèrent, il avait sans doute réussi à retrouver un rescapé à la malédiction qui semblait avoir frappé tous les êtres vivants de la cité. J’empoignai Shelly par le bras et partis à la hâte en direction de l’oiseau, dont l’intuition s’était rarement prouvé inefficace.
Lorsque nous l’atteignîmes enfin, Ezekiel s’était posé sur la statue de cuivre d’un immense gaillard dont les habituelles jambes étaient remplacées par une agile queue poissonneuse, fine et élancée. De ses deux mètres de haut, je n’avais pas de peine à croire que ce colosse, reproduit à taille réelle, eut été un brave héros, qui aurait il y a longtemps sauvé la cité de quelque danger qui y planait. La plaque commémorative fichée sur le grand socle qui le retenait lui donnait le nom barbare d’Anguilin le Brise-Moules. Avec un sourire aussi amusé qu’intéressé, je lus rapidement l’histoire qui y figurait également…
« Shelly, prosterne-toi devant le fameux Brise-Moules, qui, armé de son unique conque de cuivre et de son glaive de corail, a repoussé l’invasion de… Carapriens ? Des sortes d’hommes-crevettes, je crois.
— Le… Le Brise-quoi ? Pouffa-t-elle.
— Rooooh… Shelly ! Quelle immaturité ! M’amusai-je. Tu fais face Ă ce qui semble ĂŞtre le plus grand hĂ©ros de cette grande et prodigieuse citĂ© atlante, montre au moins un peu de respect !
— Boarf. J’ai pas pour habitude de me prosterner devant les hĂ©ros d’autrefois, morts depuis des lustres !
— Ne parle pas de malheurs ! J’espère bien que le Brise-Moules pourra me faire part de son expĂ©rience !»
Alors que Shelly pouffa de nouveau à cet affreux surnom, Ezekiel croassa avec énergie, comme pour nous interrompre, ou nous contredire. Je fus surpris de son insistance, mais il avait raison sur un point : mieux valait-il ne pas traîner, ce survivant ne le resterait peut-être pas si longtemps. Aussi, je contournai la statue pour faire face à un grand bâtiment, donc les colonnes et la coupole colossale laissait supposer de l’importance au sein de la cité.
« Tu penses vraiment que quelqu’un se cache à l’intérieur ? Demandai-je à Ezekiel. Le bâtiment à l’air condamné depuis quelque temps… J’ai peur qu’il ne respire davantage la décrépitude que la vie. »
Pour toute réponse, le corbeau miroitant prit son envol et tourna quelques instants au-dessus de la coupole du bâtiment avant de plonger à l’intérieur, par un large trou qui devait s’y être formé. C’était là , à n’en pas douter, une invitation à le suivre dans le palais, je préférai néanmoins opter pour la porte principale.
La salle qui nous accueillait était immense, et possédait bien plus les airs d’une gigantesque cathédrale que d’une salle de trône, ce qu’elle semblait pourtant être. En effet, au fond de la salle ruinée par le temps et le manque d’entretien, le puissant contre-jour de la lumière bleutée, qui émanait de haut vitraux brisés par endroits, décrivait au loin la forme d’un trône difforme, sur laquelle une silhouette imperceptible gisait dans un silence funèbre.
Ezekiel s’était posé au-dessus de nous, sur l’une des poutres enchevêtrées qui soutenait tant bien que mal la structure. Sous les légers sautillements de l’oiseau, le bois – tout du moins ce qui devait s’apparenter à l’équivalent d’un bois sous-marin (une compression d’algues ?) – grinçait terriblement. Cet endroit était une véritable ruine, qui ne tarderait pas à s’écrouler sous le poids de ses murs, eux-mêmes tant usés et démolis qu’il était possible d’entendre certaines briques de marbre se briser sur le sol, de sentir la poussière qui tombait des plafonds sculptés et de voir les filets de lumière qui émanait de derrière les vitraux en poudroyant l’atmosphère ambiante.
« Mieux vaut nous dépêcher, lançai-je à Shelly. C’est un véritable miracle que ces murs ne se soient pas encore effondrés sur tous ces vieux bancs !
— Je suis d’accord… On entend les poutres craquer, c’est flippant ! Et toute cette poussière… Tu n’y Ă©tais pas allergique, d’ailleurs ?
— Arf ! Je te remercie de me le rappe… »
Dans un singulier éternuement, que j’avais pourtant tout fait pour rendre le moins vulgaire possible, je pus entendre les murs trembler. Ce n’était vraiment pas le bon endroit pour souffrir d’allergie, surtout si l’on voulait se faire discret. Je sortais un mouchoir de la poche de ma veste quand Shelly sembla être attiré par quelque chose au fond de la salle. Les sourcils froncés, elle leva un doigt en direction du trône, que l’on ne pouvait pourtant qu’à peine discerner tant la lumière bleutée était aveuglante.
« Je suis certaine d’avoir vu un truc bouger, au fond, quand tu as éternué !
— Hey ! On ne pointe jamais du doigt, malpolie ! M’exclamai-je en posant ma main sur son bras.
— Mais on s’en fooout, soupira-t-elle de plus belle. Puisque je te dis que j’ai vu le trĂ´ne bouger ! »
Ezekiel croassa vers nous, comme pour confirmer les dires de mon acolyte.
« Bien, bien ! Allons voir ce qu’il en est, alors. Ezekiel, interpelai-je l’intelligent volatile perché plusieurs mètres au-dessus de nous. Toi qui a l’air si enclin à rester là -haut, veux-tu bien surveiller que tout ne s’effondre pas sur nous ? Au moindre craquement trop important, alerte-nous, d’accord ? »
Il répondit par une série de croassements et de petits bonds qui ne laissèrent que peu de doute sur sa réponse. Les grincements qu’il produit de nouveau sur le bois n’en laissaient cependant pas plus sur le temps qu’il restait à l’édifice. Aussi, Shelly et moi fonçâmes vers le fond de la salle, où nous pûmes peu à peu distinguer plus nettement les contours du majestueux trône de corail rosé, ainsi que la créature qui semblait s’endormir lentement dessus.
Je dus enlever mes lunettes pour observer cet être… Je ne pouvais en croire mes yeux. C’était un Atlante qui se mourrait là , la queue embourbée dans l’épaisse substance noirâtre qui semblait avoir coûté la vie à tous ses semblables, et qui grimpait très lentement, mais sûrement, jusqu’à son bassin. De sa verdâtre pâleur cadavérique et ses paupières closes, de ses joues creusées et ses cotes saillantes, de son cou décharné et ses rides tombantes, cet homme ne semblait plus ressembler qu’à un cadavre en pleine décomposition. Pourtant, son bras droit tremblait et se soulevait de quelques millimètres de l’accoudoir sur lequel il reposait jusqu’alors. Ezekiel avait vu juste : la vie n’avait pas encore quitté son corps.
Je fus surpris de le voir lentement pointer son faible index, dont l’ongle ne semblait plus tenir qu’à un fil, jusque dans ma direction. J’aurais, d’habitude, reconnu en ce geste un manque flagrant d’éducation, mais je permis cet écart au mourant, en observant son bras… tuméfié par endroits, décharné par d’autres, les muscles fébriles, tendus malgré leur faiblesse. Toutes les veines qui traversaient sa chair étaient gonflées à l’extrême, proches de se rompre sous la pression, tandis qu’une substance sanguine d’une obscurité maladive semblait être figée à l’intérieur. Sur le dos de sa main, une colonie de minuscules coquillages, semblables à des balanes abyssales, créait un véritable enfer pour tout trypophobe, une colonie de parasites verdâtres qui s’étendait à la surface de son corps, se développant en grappes pour s’implanter dans la chair de son avant-bras, jusqu’à atteindre son torse, se répandant dans son cou, sur sa nuque, longeant sa colonne vertébrale, rongeant même ses joues.
Son crâne était lui aussi parcouru de ces infâmes veines noircies, et de quelques-uns de ces parasites abyssaux. À dire vrai, toute pilosité qu’il était susceptible de posséder semblait être tombée en lambeaux sur son trône. Sur le sommet de sa tête, un diadème d’or pur, paré de pierres bleues, retenait pourtant ses derniers cheveux, d’un gris maladif.
Était-ce là le souverain de cette cité ? Un héritier qui prit sa place par dépit ? Ou simplement un vieillard, ayant arraché la couronne au précédent dirigeant des lieux pour achever dignement sa vie dans le luxe de la grande salle du trône ? Nul ne le savait. Mon unique certitude résidait dans le fait que c’était bien moi qu’il pointait fixement de son doigt, et ce, malgré mes déplacements autour de lui. Plus que cela, c’était bien mon cœur que cet ongle pourri semblait désigner.
Shelly eut un haut-le-cœur, et se retint l’estomac pour ne pas vomir. Je le comprenais parfaitement, l’odeur de la pourriture était omniprésente autour de ce vieux corps tremblant, rongé toujours plus par la masse noire qui traînait à nos pieds, et tentait parfois de s’attacher à nos chaussures. En esquivant d’ailleurs une flaque, je produisis un vacarme d’écho sur les pavés de la salle, qui semblèrent éveiller le couronné. Ouvrant d’un même mouvement sa bouche fétide et ses yeux d’un blanc immaculé – complètement aveugles, à n’en pas douter –, il poussa un râle morbide, digne de The Walking Dead, avant de s’adresser à nous.
« Un sauveur ! Un… sauveeeur ! Libérez-nous, je… vous en supplie !
— Qui ĂŞtes-vous ? Et que s’est-il passĂ© ici ? Questionna Shelly avant que je ne puisse prendre la parole.
— Suite Ă mon Ă©crasante victoire face aux Carapriens… l’on m’a offert cette citĂ©, cette couronne, ce trĂ´ne ! Mais… regardez-moi… Je n’ai plus rien du hĂ©ros que j’étais, il n’y a encore que quelques jours…
— Quelques jours ? Interrompis-je Shelly avant qu’elle ne pouffe en lui rappelant son nom. Cette infestation noirâtre et purulente… n’a pris que quelques jours pour dĂ©cimer cette cité ?
— La plupart d’entre nous… ont Ă©tĂ© contaminĂ©s dans les premières heures. Les plus braves, rĂ©sistants, ou ingĂ©nieux, ont rĂ©ussi Ă survivre un peu plus longtemps… en montant dans les dirigeables, par exemple… Mais l’infestation a rĂ©ussi Ă les rattraper…
— Vous n’avez aucune idĂ©e de ce qu’en est la source ? Le questionnai-je alors qu’il paraissait recracher ses poumons au sol.
— Aaaaargh… La source ? … La source… inconnuuuue… Aaaargh ! »
La créature fut prise d’un spasme incontrôlable, et se tendit brusquement en fixant de ses yeux livides le sommet de l’immense coupole sous laquelle nous nous tenions. Un râle infernal s’extirpa de sa gorge, de ses lèvres rongées, fit soudainement trembler l’édifice, les murs, les poutres, accompagné des croassements d’Ezekiel, nous pressant de déguerpir. La masse noire accéléra son infestation, se répandit jusqu’à son torse, et noircissait plus encore ses veines, avec toute l’immense douleur dont les cris incessants témoignaient ardemment.
« LIBÉREZ… NOOOOOUS !!
— Malkym ! Fais quelque chose, bon sang ! Le bâtiment va s’effondrer !
— Et qu’est-ce que tu voudrais que je fasse, franchement ? La flaque se rĂ©pand encore ! On ne peut mĂŞme pas s’approcher, pour essayer de le tirer de lĂ Â !
— Il faudrait bien, pourtant ! Attends… »
Elle fourra sa main dans la grande sacoche de cuir qui pendait à sa taille, tentant sans doute d’y trouver quoi que ce soit d’utile. À ma grande surprise, ce fut le cas, lorsqu’elle sortit une petite fiole contenant un liquide fluorescent de sa poche. Shelly s’essayait à l’Alchimie depuis quelque temps. Sur les conseils d’Ezekiel, elle tentait d’élaborer des décoctions et autres potions utiles. Jusqu’alors, ça n’avait pas donné grand-chose de concluant…
« Génial, Dora ! Ton sac est vraiment magique, mais j’avoue que je ne suis pas très confiant, là  !
— Tu n’es pas confiant parce que tu n’y connais rien ! Laisse-moi essayer, au moins ! »
Je grommelais avec insistance… Les cris ne s’arrêtaient pas… Les croassements non-plus… Mais il fallait bien faire quelque chose ! Nous devions absolument sauver le souverain, ne serait-ce que par intérêt, si ce n’était par humanité. J’observai rapidement le contenu, d’un jaune orangé, avant d’enfin répondre.
« Raaah…Très bien ! Mais j’espère pour toi que ça ne lui explosera pas au visage ! »
Avec un grand sourire, elle me fit geste de reculer avant d’empoigner sa fiole dans une main. Elle ferma les yeux, tenta sans doute de se concentrer tandis que son chaperon flottait derrière elle face à l’Enfer poussiéreux qui s’élevait autour de nous, et enfin, dans un geste rappelant un peu trop le lancer d’une pokéball pour n’être qu’une coïncidence, Shelly projeta sa fiole au milieu de l’immense flaque noire qui nous séparait d’Anguilin. La fine fiole se brisa au cœur de la mélasse sombre, alors que l’alchimiste prononçait :
« Vis, croîs et développe-toi dans l’air, toi qui fus prisonnière du verre ! Al’primia del’huin ! »
Ce qui n’était qu’une informe boule orange qui se perdait dans la noirceur de la substance parasitaire, commença soudain à croître comme l’avait ordonné Shelly, qui semblait elle-même surprise que sa potion fonctionne si bien, alors que je me demandais si ça formule ne se trouvait pas entre l’Elfique et l’Espagnol. Elle grossit encore, et encore, se contorsionnant petit à petit pour prendre la forme d’une sorte de coussin orange et élastique. C’était très impressionnant, mais un doute m’habitait à cet instant.
« Tu devais trouver un moyen de le sauver, pas de lui donner un joli repose-pied, Shelly !
— Et c’est ce que j’ai fait ! Tu n’as plus qu’à aller le tirer de lĂ , maintenant !
— Quoi ? Tu penses vraiment que je vais tenir sur ce chamallow gĂ©ant ?
— Je t’ai créé un chemin pour arriver jusqu’à lui ! Tes contrats ne servent Ă rien en pleine action, tu as une meilleure idĂ©e, peut-ĂŞtre ?
— Je… Pas vraiment, non.
— Alors arrĂŞte de douter, et saute sur ce chamallow ! »
Je devais reconnaître qu’elle n’avait pas tort, cette fois-ci. Et, même s’il était un peu farfelu, son plan avait le mérite de tenir la route… Je ne voulais pas me l’avouer, mais je crois que j’étais fier d’elle, fier de son ingéniosité. Aussi, je m’élançai au-dessus de la mélasse tandis qu’elle continuait de recouvrir le corps d’Anguilin, dont le cri ne cessait de s’intensifier, à l’instar des tremblements des murs et du son des briques et des poutres se brisant partout dans la salle.
Comme elle l’avait escompté, je parvins à rebondir sur le coussin élastique de Shelly, non sans pourtant manquer de me rompre le cou en y posant le pied. Agrippant le dossier de l’immense trône de corail, je réussis à tenir en équilibre sur l’un des accoudoirs. La masse noire remontait rapidement à la surface du trône, et arriverait bientôt à mes pieds, de même qu’au cou du souverain. Je m’empressai de poser mes mains sur ses épaules, il ne fallait plus perdre un instant ! Pourtant, j’avais beau tirer de toutes mes forces, essayant tant bien que mal de soulever Anguilin de son trône, il y était complètement empêtré, rattaché par ce sombre et solide parasite. Je serrai les dents. Il était impossible d’extirper quiconque d’une telle emprise ! Mais je ne pouvais renoncer. Posant un pied de chaque côté du trône, je tentai de tirer le corps par ses bras, mais ils furent bientôt recouvert eux aussi de la masse noire, me poussant à renoncer à cette approche.
Les cris, à quelques dizaines de centimètres de mon visage, me vrillèrent les tympans, me rendirent presque sourd, tant ils étaient profonds, intenses, incessants. Les croassements d’Ezekiel se couvrirent bientôt des craquements des poutres de l’édifice, dont certaines commencèrent elles aussi à s’effondrer et se briser sur les pavés de la salle dans un écho de tous les diables. La voix stridente des cris de Shelly se mêla à son tour à cette assourdissante cacophonie, me priant de réussir maintenant, ou d’abandonner au plus vite. La masse noire recouvrait désormais tout du malheureux, s’engouffrant dans les pores de sa peau, remplissant sa bouche, son nez, masquant ses yeux d’un blanc immaculé derrière un voile noir parfaitement opaque. Sa tête fut bientôt entièrement prise, seule sa couronne dépassait encore, dernier point auquel je tentai de me raccrocher pour extirper Anguilin, dernier espoir de sauver le défunt. Les yeux clos, je ne me contentais plus que de tirer sur ce diadème. Ce fut inutile.
Projeté en arrière par mes propres efforts, j’atterris finalement aux pieds de Shelly, non sans souffrir de ma chute sur les pavés froids et poussiéreux de la salle. J’ouvris finalement les yeux, les dents toujours serrés par la douleur, pour contempler… l’horreur. Un souverain dénué de couronne, gisant, la tête haute, dans sa salle du trône, éternellement lié à son trône poreux, devenu tyran colossal, noirci et ténébreux, semblant désormais seigneur despotique d’une cité éteinte, recouverte du victorieux fluide parasitaire.
Nous avions échoué. Assis sur le sol, paralysé par l’horreur, je contemplais mes mains, tenant fébrilement le diadème d’or et de saphir, que je semblais avoir dérobé au Seigneur Anguilin, qui, du haut de son trône, me pointait encore de son doigt, figé dans le jugement. Les cris s’étaient arrêtés. Tout était fini.
Shelly me tira par les cornes, le col et me prit la main pour me forcer Ă me relever.
« Allez ! Le palais entier est en train de s’effondrer !
— Est-ce que…
— Vite, m’emporta-t-elle Ă travers la salle, lève-toi, avant qu’on finisse tous les trois Ă©crasĂ©s sous les briques !
— Il… il est… bafouillai-je sous le choc.
— Mort ? Sans doute, oui ! Ça te ressemble pas du tout d’en ĂŞtre attristĂ©, je dois dire !
— Je… Hum. Tu as sans doute raison, oui. Sortons d’ici, et vite ! »
Survolés de près par Ezekiel, qui semblait soulagé que nous daignions enfin sortir du bâtiment, nous courûmes tous les deux, main dans la main, à travers la salle, dans le couloir que formaient les bancs. Nous étions forcés d’esquiver de temps à autre une poutre, une brique, voire l’une des plaques de verre qui formaient la coupole, qui venaient se briser sur les bancs ruinés et les dalles de pierre de l’immense salle. Le palais lui-même semblait désormais vouloir nous condamner à partager le sort d’Anguilin dans son tombeau.
Sortant à la hâte de l’édifice, enfonçant par ailleurs les grandes portes effondrées sur elles-mêmes qui nous empêchaient de fuir, nous dûmes contourner la statue du feu souverain pour ne pas nous retrouver piégés sous la haute flèche de cuivre qui se détachait du sommet de la coupole, projetant des éclats de verre à travers toutes la place, sous laquelle voltigeait habilement Ezekiel, pour ne pas finir blessé par les débris projetés en l’air.
La statue elle-même n’en fut d’ailleurs pas épargnée, et la tête, un bras et la conque du Brise-Moules atterrirent non loin de nos pieds, alors que nous nous étions réfugiés derrière pour ne pas souffrir du déluge de poussière que l’effondrement soulevait. Décidément, les yeux de cet homme, même après sa disparition, ne cessaient de me suivre. Je scrutais la couronne au creux de ma main… ses moult dorures artistiques… ses saphirs étincelants et luminescents…
« Tu comptes la garder ? M’interrogea Shelly en se relevant alors que la poussière commençait à se dissiper sur la place.
— C’est du bel ouvrage atlante… Et je crois qu’ils n’en auront plus besoin, ici.
— Je pense aussi, oui… Tu penses qu’il reste encore un moyen de les sauver ?
— Je ne sais pas. Peut-ĂŞtre, rĂ©pondis-je en me relevant pour contempler les ruines du palais.
— … Tu es déçu, c’est ça ?
— Évidemment, serrai-je des dents. Cet endroit avait un potentiel immense ! Il aurait pu m’apporter tant de rĂ©ponses ! Mais au lieu de ça… Au lieu de ça, le voilĂ rĂ©duit Ă nĂ©ant. Une vĂ©ritable ville fantĂ´me ! Il n’y a plus rien Ă en tirer.
— Des rĂ©ponses ? C’est pour ça qu’on est venu ici ? »
Je rappelais Ezekiel et nous reprîmes notre marche dans les rues, en direction de l’ascenseur qui nous avait amenés jusqu’à cette cité. Il se posa sur mon épaule et croassa timidement vers Shelly. Elle prit cela comme un compliment pour sa potion et lui fit un signe de la tête en remerciement. Alors que nous atteignons de nouveau la pièce de verre et de cuivre, je daignai enfin à répondre à Shelly.
« Oui, c’est bien pour des réponses que je nous ai amenés si profondément sous les mers. Mais le seul capable de me les apporter a disparu sous ce fluide noir sous nos yeux à tous les trois, Shelly.
— Quoi ? Brise-Moules Ă©tait le seul capable de t’en dire plus ? Et les autres Atlantes ? Et puis… il devait bien y avoir des bibliothèques dans cette gigantesque citĂ©, non ?
— Malheureusement, ce qu’il a rĂ©digĂ© le soir oĂą les Carapriens ont tentĂ© d’envahir ce royaume a Ă©tĂ© perdu avec lui, j’en ai peur…
— Ce qu’il a rĂ©digé ? Tu veux dire que tu lui as fait signĂ© un contrat ?
— Pas moi, non. »
Shelly, après une courte réflexion, semblait avoir compris de quoi il retournait, et se tut aussitôt. Lâchant un profond soupir en observant la couronne d’Anguilin, j’appuyai sur le bouton qui allait nous ramener à la surface. Nous n’avions plus rien à observer ici-bas, si ce n’étaient les tortues passer de nouveau.
Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !
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