L'écuyer qui voulait être aimé [ Solìa ]
(par Sourne)(Thème : Mélilémots 5)
Une vive lumière émanait du dernier étage la tour de pierre, lui donnant l'apparence d'un phare en pleine tempête. Puis, un chant perça le silence pesant qui régnait aux alentours de la prison, menant aux oreilles d'un jeune homme des notes harmonieuses, mélodieuses mais surtout nostalgiques. Il était vêtu d'un modeste gambison de couleur crème, ses courts cheveux d'ébènes ainsi que ses armoiries étaient battus par le vent, qui charriait avec lui feuilles mortes et flocons de neige.
Mordrace ne comptait plus les fois où il '' rendait visite '' à la Princesse prisonnière de sa tour, si l'on pouvait appeler ce tas de pierres croulant une '' tour ''. Au fur et à mesure des mois, le jeune écuyer avait pu voir le lierre ramper, pour atteindre depuis quelques jours déjà le sommet du donjon. Les meurtrières avaient toutes étaient barricadées par la Princesse elle-même, espérant avoir ainsi un semblant de vie privée. Cela donnait à cette simple tour haute d'une dizaine de mètres une apparence plus lugubre encore.
Son dos frissonna devant toute l'émotion que suscitait chez lui la voix claire et douce de la chanteuse, la Princesse Solìa. Les étoiles avaient beau éclater haut dans le ciel en des constellations poétiques, la Lune pouvait bien s'éteindre qu'il ne l'aviserait pas. Non, il n'avait d'yeux que pour elle, la Princesse Solìa.
Son poing se serra avec brutalité quand il vit cet étrange drac, celui qui avait cette curieuse forme d'oiseau doré et flamboyant. Mordrace s'était déjà vu mille fois déplumer ce drac, lui briser les ailes en même temps que la correspondance entre la Princesse et ce dragon de pacotille ! Comment pouvait-elle le privilégier à lui, le quatrième fils de la maison des Noctae ?
Son père était un soutien du Roi Lune, il collectionnait ses faveurs, il festoyait à sa table. Avant le soulèvement des chevaliers reîtres, le jeune écuyer mangeait avec les autres enfants les moins prestigieux de la noblesse de Rahònes, comme toujours laissé-pour-compte par son frère aîné et leur père. Mordrace n'oublierait jamais ce moment où, ses yeux embués de larmes, il avait jeté un regard jaloux à son grand frère, mais ses yeux croisèrent ceux de la Princesse Solìa.
Elle lui avait souri, il eut l'impression que toute la tendresse du monde était contenue en elle. Lui, il avait reçu de l'affection de sa part, comme si elle avait perçu son trouble et voulait le combler.
Le moindre éclat de rire avait plus de valeur que la beauté de n'importe lesquelles des péronnelles qui charmaient ses stupides frères, et même son père. Mordrace n'avait eu, de toute son enfance et de toute son adolescence, aucune affection de la part de la moindre des roturières du Royaume de Rahònes, alors quel ne fut pas son extase quand la seconde fille la plus noble lui eut adressé un fugace sourire.
Elle était aussi dans l'ombre de sa sœur aînée, qui était destinée à être l'héritière de la Couronne des dracs. Le jeune Mordrace était persuadé avec plus d'entêtement qu'un dragon que la Princesse était capable de le comprendre et de l'aimer.
Dès lors, le jeune écuyer n'avait jamais manqué de se rendre à chacun des banquets du Roi Lune, s'installant toujours à la même place. Et il regardait toujours dans la même expression, souhaitant de toute son âme voir la mine radieuse et souriante de la Princesse, un de ses parfaits sourires, un simple regard, son attention.
Quand la révolte prit en otage le vieux Roi Lune, son père fut mis aux arrêts à son tour, déchu de tous ses privilèges et écrouer dans un sinistre cachot, avec ses frères. Mais pas lui, pas Mordrace, qui avait décidé de collaborer avec les reîtres pour sa libération.
De chevalier, il avait régressé au rang de misérable écuyer, chargés de bassesses comme le nettoyage des latrines ou des nappes maculées par ces paillards de chevaliers reîtres. Cependant, cela lui avait permis de revoir chaque jour la Princesse, encore un peu. Lors de ses rares passages près de la dernière fenêtre ouverte de la tour, le jeune écuyer était persuadé qu'elle le regardait, d'un air désolé, comme si elle se demandait quand il viendrait la libérer.
Mordrace soupira en une nuée blanche, puis il posa sa main sur le pommeau usé de son poignard. La Princesse était obnubilée par ce dragon rouge et il voulait l'en libérer autant que de sa prison. Ses ongles pénétrèrent dans le cuir de son arme, comme il le faisait quand il était d'humeur rageuse. Ce dragon était son ennemi juré... il accaparait de toute l'attention de sa Princesse... il devait périr...
Le jeune écuyer se releva lentement, faisant tomber la fine couche de givre qui s'était déposée sur lui en même que ses dernières incertitudes. Mordrace en fit le serment : il parcourrait le monde pour se débarrasser du dragon.
Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !