Adossé dans l'un des créneaux de pierre qui gardait le chemin de ronde d'une tour grattant le ciel, notre protagoniste se reposait tout en se nourrissant d'une cremcarntartìn, un plat archéronien. Il y avait fort longtemps que Tarasc n'avait pas dégusté ce plat, et il prenait plaisir à ressentir la crème fondre dans la bouche, comme de la nostalgie qui adoucissait son esprit. Son regard exténué se promenait sur les contrebas de la montagne sur laquelle étaient perchés les dragonniers, afin de fixer dans sa mémoire ce paysage aussi durablement qu'un tableau de maître. Les cheminées des solides bâtisses toussotaient en cette froide saison une vapeur blanche, qui remontait rejoindre les nuages, tandis que des lampes à huile étaient allumées progressivement afin d'éclairer les rues et les habitations. Alors que l'Estèl se couchait derrière les colossales montagnes vertes de vastes forêts de conifères, les environs se plongèrent lentement dans de l'ocre. Le silence de la nuit était souvent entrecoupé par les rugissements des dragons, des vouivres et des griffons.

Toutes les bâtisses au toit sombre de bois impérissable, matériau issu de l'Île de Feu, étaient comprises dans l'enceinte de deux remparts hauts comme cinq humains, sur lesquels des centaines de soldats patrouillaient et déplaçaient des flammes fébriles et vacillantes, éclairant la nuit et les potentiels ennemis. Par delà les murailles, notre protagoniste pouvait distinguer au loin dans la vallée des points de lumières et d'intérêts, et même s'il n'était guère capable de les voir, il les reconnaissait car ils étaient gravés dans sa mémoire. Il s'agissait des nombreux domaines qui élevaient des dragons pour le compte de l'Empereur, détenus par des barons ou comme la famille de Tarasc, des marquis.

Une tendre brise fit voler et claquer les longs cheveux d'ébène de notre protagoniste, tandis qu'un vent de mélancolie le prit. Tarasc se rappelait de sa jeunesse dans le domaine de sa maison, il se voyant gambader dans l’insouciance la plus totale entre les buissons épineux et les arbres aux feuilles orangées, jouant avec son premier dragon. Mais ce temps était révolu, comme était venu celui de sa cérémonie. Nonchalamment, notre protagoniste se releva, passant ses doigts sur la roche des créneaux. Ses mains ne rencontrèrent aucune aspérité, rien qui ne dénotait de la lisse pierre et parfaitement entretenu depuis des siècles. Bien qu'engourdi et ressentant des piqûres dans tout son corps, notre protagoniste marcha le long de la courtine pavée de dalles blanches et d'histoire.

Avec un regain d'entrain, notre dragonnier disparut dans un escalier en colimaçon, illuminé par des lampes à huile, noircies à force d'utilisation, et percé par des meurtrières donnant vu sur la cour intérieur. S'étendant à perte de vue, dont la limite n'était clairement définie que par les murs protecteurs opposés, Tarasc devait s'y rendre pour être intronisé au rang de chasseur de dracs. Ses bruits de pas résonnaient dans les couloirs étroits et anxiogènes de la citadelle de DraconUrbs, qui étaient davantage pensés pour la défense que pour l'apparat, bien que jamais la forteresse ne fut prise.

Il ne fallut que peu de temps avant que notre protagoniste n'entrât dans la cour intérieure de la citadelle. Elle était fermée et protégée par des remparts perchés sur la plus haute montagne de la région, surveillée par des tours qui paraissaient frôler le ciel mais surtout dominée par le donjon, abritant les hauts dignitaires de DraconUrbs. Une foule de nobles parés de tant de couleurs qu'on aurait pu reconstituer un arc-en-ciel, des dragonniers dans leur rutilante armure et surtout des dragons à la carrure imposante attendaient la venue de Tarasc. Confiant, notre protagoniste fit un pas vers toutes ces personnes importantes, qui la nommerait à un poste qui changera sa vie.