L'Académie de Lu





Pas encore inscrit ? /


Lien d'invitation discord : https://discord.gg/5GEqPrwCEY


Tous les thèmes
Rechercher dans le texte ou le titre
Expression exacte
Rechercher par auteur
Rechercher par type de défi
Tous les textes


PseudoMot de passe

Mot de passe perdu ?

Visite guidée

    Yoann LE BARS

    • Derrière les portes du musĂ©e (Thème : Visite guidĂ©e)

Derrière les portes du musée

(par Yoann LE BARS )
(Thème : Visite guidĂ©e)



D’un coup d’œil par-dessus son épaule, Joss s’assura qu’il avait semé ses poursuivants et poussa la lourde porte. Il était à présent dans la place, à l’abri, au cœur même du musée, devant la pièce maîtresse du département d’homohistoria.


S’arrêter un instant, reprendre son souffle. Se calmer, rassembler ses souvenirs – devenus épars et diffus, – tenter de se rappeler.


D’oĂą arrivait-il ? Qui cherchait-il Ă  distancer ? Depuis quand le poursuivaient-ils ? Qui Ă©taient-ils ? De quoi avaient-ils l’air ? MĂŞme cela, il l’avait oubliĂ©. Seul lui restait comme une intuition, la sensation que ses trous de mĂ©moire venaient bel et bien de ceux qui le pourchassaient ainsi.


Réagir, bouger. Surtout, ne pas rester ainsi, pas maintenant.



Joss hasarda un coup d’œil circulaire au travers de la pièce. Ă€ l’entrĂ©e, un panneau indiquait : « première section – vie quotidienne ». LĂ  trĂ´naient, sans plus de raison d’être, entassĂ©s sans grande logique, des objets, sans doute autrefois utiles Ă  la vie quotidienne, mais dĂ©sormais sortis de leur contexte, comme autant de sculptures non figuratives, comme autant d’images dĂ©nuĂ©es de sens. Voulant remĂ©dier Ă  ce dĂ©faut, le conservateur avait ajoutĂ© quelques statues de cire, reprĂ©sentant des semblables Ă  Joss, dans des attitudes thĂ©oriquement rĂ©vĂ©latrices, qui devaient rendre Ă©vidente l’utilitĂ© de ces objets formant un amas hĂ©tĂ©roclite.


Est-ce qu’on avait pu utiliser cela dans la vie de tous les jours ? Plus aucun souvenir…


Las ! Ceux qui avaient fondĂ© ce musĂ©e n’étaient pas comme Joss et leur tentative n’avait conduit qu’à produire des pantins grotesques, singeant les attitudes qui rendent leurs sens Ă  ces objets, sans jamais parvenir Ă  un semblant de vĂ©racitĂ©. Mais, après tout, les conservateurs ne pourraient certainement jamais faire mieux, jamais ils ne pourraient comprendre l’importance exacte du placement de la main ou de la position des jambes, puisqu’ils n’étaient pas…


Pas quoi, au juste ? Ă€ qui pensait Joss ? Il maudit sa mĂ©moire, devenu un tamis plus efficace que celui que tenait la poupĂ©e de cire Ă  son cĂ´tĂ©. Cependant, en tentant ainsi d’invoquer ses souvenirs, revint Ă  la surface le sentiment d’urgence. En recoupant les diverses bulles de mĂ©moires, il parvint Ă  recomposer une partie des incidents qui l’avaient amenĂ© ici. C’était en les fuyants – eux, entitĂ©s dĂ©sormais indĂ©finissables, maintenant que le souvenir de leur forme avait Ă©tĂ© happĂ© par le gouffre emplissant son esprit – qu’il Ă©tait arrivĂ© ici. Cela faisait, semblait-il, quelque temps qu’ils le poursuivaient, pour une raison qui lui Ă©chappait dĂ©sormais. Quelque chose dont il Ă©tait Ă  prĂ©sent l’unique dĂ©positaire, si tant est que son amnĂ©sie galopante le laissât encore dĂ©positaire de quoi que ce soit, avait dĂ©clenchĂ© leur convoitise ou leur haine.



Et maintenant ?


Joss rĂ©ussit enfin Ă  dĂ©coller ses pieds du sol, jusqu’ici engluĂ©s dans les mĂ©andres accidentĂ©s de sa mĂ©moire malade. Il se prit Ă  arpenter les allĂ©s vides et mornes du musĂ©e : personne ne s’intĂ©ressait Ă  ce que fĂ»t le quotidien de ses semblables et les rangĂ©es de vitrines n’avaient probablement pas vu de visiteurs depuis fort longtemps. Autours de lui, il vit, les uns Ă  la suite des autres, toute une sĂ©rie d’objets qu’il connaissait, qu’il reconnaissait, mais sur lesquels il mettait rarement un nom et jamais une fonction. Tout au plus avait-il une vague idĂ©e de la silhouette que provoquait l’utilisation adĂ©quate de chacun de ses outils. MĂŞme si, il le sentait, chacun de ses objets lui avait Ă©tĂ© utile au cours de sa vie passĂ©e, pour aucun ne se remĂ©morait-il la fonction, encore moins l’utilisation, de cette sĂ©rie de formes, qui oblongues, qui allongĂ©es et effilĂ©s.


Il goĂ»ta le plaisir de pouvoir avancer Ă  pas lent, ne se sentant plus dans l’obligation de maintenir la cadence soutenue de la fuite. Sa progression Ă©tait devenue calme et mesurĂ©e, tandis que sa respiration s’était faite plus rĂ©gulière. Enfin, il se dĂ©barrassait de l’adrĂ©naline qui s’était brutalement dĂ©versĂ©e dans ses veines et qui l’avait jusqu’ici tenu dans un Ă©tat d’excitation intense, prĂŞt Ă  bondir Ă  la moindre alerte : ce n’était pas une attitude qui siĂ©e Ă  un tel endroit ; un musĂ©e est un temple de la mĂ©moire et rĂ©clame du recueillement. Joss prit enfin l’allure d’un amateur d’Histoire attardĂ©, plongĂ© dans une contemplation bĂ©ate.


Seul le calme permettra de rassembler ses esprits.



Il s’enfonça plus avant dans les salles de ce département.





C’est alors que le décor fut saisi par les stigmates de leur approche. Lentement, le monde environnant devenait plus ténu, se dissolvait. Par endroit, les alentours cédaient au néant noir, prenant au loin l’apparence d’un tissu disparaissant par lambeaux. Peu à peu, l’air ambiant s’emplissait des bruits d’une cavalcade, qui gonflaient en un crescendo terrifiant. Près de lui, Joss vit une vitrine être happés par une gueule de non-être. Quelque chose venait de disparaître mais déjà il n’arrivait plus à savoir quoi.


Brutalement, Joss pris conscience de la menace, de leur arrivĂ©e imminente. Alors, il tourna rapidement les talons et se mit Ă  fuir, cherchant Ă  mettre le maximum de distance entre lui et l'anĂ©antissement dĂ©voreur. Refusant de chercher Ă  savoir ce qui s’approchait, il courrait, le souffle court, seulement portĂ© par la peur d’être saisi par le vide. Derrière lui, le galop du nĂ©ant fulminant devenait plus soutenu, mais aussi plus sourd. Joss ne voyait plus qu’un long serpentin de couloirs dansant, ondulant, sans parvenir Ă  fixer quel Ă©tait le parcourt erratique qu’il suivait. Derrière, l'abĂ®me, Ă©cumant et sifflant, ne parvenait pas Ă  maintenir la distance. BientĂ´t, Joss l’avait semĂ©. Devant lui, il aperçut l’arcade qui marquait le passage vers une nouvelle section du dĂ©partement. Il ralentit le rythme de sa progression ; ce qui le poursuivait Ă©tait au loin, mais combien de temps avait-il gagnĂ© ?





D’un coup d’œil par-dessus son épaule, Joss s’assura qu’il avait semé ses poursuivants et passa la haute voûte. Il avait pénétré dans une nouvelle salle, maintenant à l’abri, au cœur même du musée, perdu au sein du département d’homohistoria.


S’arrêter un instant, reprendre son souffle. Se calmer, rassembler ses souvenirs – devenus épars et diffus, – tenter de se rappeler.


D’oĂą arrivait-il ? Ă€ qui cherchait-il Ă  Ă©chapper ? Depuis quand le poursuivaient-ils ? Qui Ă©taient-ils ? De quoi avaient-ils l’air ? MĂŞme cela, il l’avait oubliĂ©. Seul, lui restait comme une intuition, la sensation que ses trous de mĂ©moire Ă©taient la faute de ceux qui le pourchassaient ainsi.


Réagir, bouger. Surtout, ne pas rester ainsi, pas maintenant.



Joss hasarda un coup d’œil circulaire au travers de la pièce. Près de l’arche, un panneau indiquait : « deuxième section – anatomie gĂ©nĂ©rale ». LĂ  trĂ´naient, sans plus de raison d’être, rassemblĂ©s sans grande logique, des statues de cire symbolisant diffĂ©rents semblables Ă  Joss, dans des postures presque humaines, comme autant de sculptures pseudo-figuratives, comme autant d’images dĂ©nuĂ©es de sens. Pourtant, toutes ces images rappelaient quelque chose Ă  Joss, comme s’il avait cĂ´toyĂ© ou tout du moins connu chacune de ses Ă©tranges marionnettes immobiles.


Avaient-ils rĂ©ellement existĂ©, les individus reprĂ©sentĂ©s par ces pantins de cire ? Plus aucun souvenir…


Las ! Ceux qui avaient fondĂ© ce musĂ©e n’étaient pas comme Joss et leur tentative n’avait conduit qu’à produire des poupĂ©es grotesques, singeant les attitudes de ce qui avait Ă©tĂ© de grands hommes. Mais, après tout, ils n’étaient certainement pas capables de produire mieux que cet amoncellement vide de sens. Comment les conservateurs pourrait-il atteindre un semblant d’authenticitĂ© sur ce sujet ? Pourraient-ils un jour saisir la vie de ses hommes, qui Ă©taient…


Qui Ă©taient quoi, au juste ? Ă€ qui pensait Joss ? Il maudit sa mĂ©moire, dĂ©sormais incapable de lui restituer la moindre parcelle de souvenir de sa vie passĂ©e – s’il n’avait jamais eut une vie passĂ©e – et les statues exposĂ©es ici ne lui Ă©tait d’aucun secours : abandonnĂ©es, elles ne semblaient n’avoir d’autre fonction que de prĂ©senter au vu et au su de tous ce qui aurait permis de diffĂ©rencier les semblables Ă  Joss des autres, si tant est que Joss eĂ»t encore des semblables.



Et maintenant ?


Joss rĂ©ussit enfin Ă  dĂ©coller ses pieds du sol, jusqu’ici engluĂ©s dans les mĂ©andres accidentĂ©s de sa mĂ©moire malade. Il se prit Ă  arpenter les allĂ©s vides et mornes du musĂ©e : personne ne s’intĂ©ressait aux pairs de Joss et les rangĂ©es de statues n’avaient probablement pas vu de visiteurs depuis fort longtemps. Autours de lui, il vit, s’exhibant les uns Ă  la suite des autres, une formidable concentration d’individus comme lui, tous brutalement figĂ© par quelque machine inconcevable. DĂ©sormais, il ne lui restait plus qu’une seule certitude : aucun de ces pantins ridicules n’abhorraient un maintien qui ait pu ĂŞtre celui d’un ĂŞtre fait de chair et de sang.


Il avait ralenti le rythme de sa progression, ne se sentant plus dans l’obligation de maintenir la cadence soutenue de la fuite. Ses pas Ă©taient devenus lents, calmes, mesurĂ©s, tandis que sa respiration s’était faite plus rĂ©gulière. Enfin, il se dĂ©barrassait de l’adrĂ©naline qui s’était brutalement dĂ©versĂ©e dans ces veines et qui l’avait jusqu’ici maintenu dan un Ă©tat d’excitation intense, prĂŞt Ă  bondir Ă  la moindre alerte : ce n’était pas une attitude qui siĂ©e Ă  un tel endroit ; ces rangĂ©es de cadavres figĂ©s appelaient un peu compassion. Il fallait marcher en se faisant oublier, pour excuser son existence.


Que peuvent-ils bien ĂŞtre, tous ces ĂŞtres brutalement figĂ©s dans la cire ?



Joss s’enfonça plus avant dans cette deuxième section.





C’est alors que le décor fut saisi par les stigmates de leur approche. Lentement, le monde environnant devenait plus ténu, se dissolvait. Par endroit, le néant noir déchirait la trame de l’environnement, qui prenait, au loin, l’apparence d’un vieux tissu s’effilochant. Peu à peu, l’air ambiant s’emplissait des bruits d’une cavalcade, qui enflait pour emplir l’atmosphère. Près de lui, Joss vit une statue être happés par une gueule de non-être. Quelque chose venait de disparaître, mais déjà il n’arrivait plus à savoir quoi.


Brutalement, Joss pris conscience de la menace, de leur arrivĂ©e imminente. Alors, il tourna rapidement les talons et se mit Ă  fuir, cherchant Ă  mettre le maximum de distance entre lui et l'anĂ©antissement dĂ©voreur. Refusant de chercher Ă  savoir ce qui s’approchait, il courrait, le souffle court, seulement portĂ© par la peur d’être saisi par le vide. Derrière lui, le galop du nĂ©ant fulminant devenait plus soutenu, mais aussi plus sourd. Joss ne voyait plus qu’un long serpentin de couloirs dansant, ondulant, sans parvenir Ă  fixer quel Ă©tait le parcourt erratique qu’il suivait. Derrière, l'abĂ®me, Ă©cumant et sifflant, ne parvenait pas Ă  maintenir la distance. Devant lui, un petit escalier s’enfonçait plus bas. Il dĂ©gringola les marches, ignorant le panneau « rĂ©servĂ© au personnel », refusant de voir que les marches disparaissaient dans le noir insondable de l’oubli. Les petites coursives de services possĂ©daient un dessin encore plus labyrinthique que le musĂ©e lui-mĂŞme et Joss en profita pour semer une fois de plus le nĂ©ant, qui Ă©cumait de rage. Au bout du couloir qu’il avait empruntĂ© se dressait une porte en mĂ©tal. Il ralentit son rythme de progression ; ce qui le poursuivait Ă©tait dĂ©sormais au loin, mais combien de temps avait-il gagnĂ© ?





D’un coup d’œil par-dessus son épaule, Joss s’assura qu’il avait semé ses poursuivants et passa la petite porte. Il se trouvait à présent dans un atelier, à l’abri, à l’endroit même où était fabriqué les statues du département d’homohistoria.


S’arrêter un instant, reprendre son souffle. Se calmer, rassembler ses souvenirs – devenus épars et diffus, – tenter de se rappeler.


D’oĂą arrivait-il ? Qui cherchait-il Ă  semer ? Depuis quand le poursuivaient-ils ? Qui Ă©taient-ils ? De quoi avaient-ils l’air ? MĂŞme cela, il l’avait oubliĂ©. Seul, lui restait comme une intuition, la sensation que ses trous de mĂ©moire Ă©taient bel et bien le fait de ceux qui le pourchassaient ainsi.


Réagir, bouger. Surtout, ne pas rester ainsi, pas maintenant.


Joss hasarda un coup d’œil circulaire au travers de la pièce. DĂ©mantibulĂ©s, traĂ®naient çà et lĂ  les membres Ă©pars d’une marionnette dĂ©montĂ©e, dĂ©sormais incapable de remplir son office ; Ă  moins que, magnanime, quelque dieu ne se dĂ©cide Ă  remonter les Ă©lĂ©ments gisant de l’individu dĂ©composĂ©, en nĂ©gligeant sans doute de lui insuffler une Ă©tincelle de vie, dĂ©tail inutile et dangereux.


Joss parcourut le pĂ©rimètre de la pièce, enjambant les obstacles de cire, comme pour se l’approprier. Que faisait-il lĂ  ? Et mĂŞme, qui Ă©tait-il ? Il se vit brutalement au bord d’un gouffre : le gouffre de sa mĂ©moire. Elle n’était plus qu’un trou bĂ©ant, une fenĂŞtre sur le vide. DĂ©sormais, son cerveau n’était plus capable de fixer le moindre Ă©vĂ©nement ; il Ă©tait maintenant condamnĂ©, enfermĂ© dans un Ă©ternel prĂ©sent, sans passĂ© et donc sans futur.


Qui suis-je ?


La pièce, pourtant remplie d’un amas insondable de cire, semblait tout aussi vide que son esprit maladif. Des étagères restaient sagement alignées au mur, ne portant rien, devenues inutiles. Seul le sol témoignait d’une récente activité dans cette pièce, lui qui arborait ostensiblement toute une série de monceaux de cire aux formes désormais indéfinissables.



Joss ramassa un objet presque sphĂ©rique, intriguĂ© par son relief accidentĂ©. Bien sĂ»r, sa mĂ©moire vide n’avait pu l’avertir : ce morceau de cire lui ressemblait Ă©trangement. Il s’était recroquevillĂ© dans un coin de la pièce, serrant entre ces bras cet objet Ă©trangement rassurant.


Tapis, lovĂ© au fin fond des caves du musĂ©e, il s’était arrĂŞtĂ©. Ici, alors que le dernier bastion de sa mĂ©moire Ă©tait tombĂ©, il s’attardait. RoulĂ© en boule, les genoux ramenĂ©s sur son front, il se raccrochait au globe de cire, comme si sa vie en dĂ©pendait. LĂ , prostrĂ© dans un angle de la pièce, il attendait, incapable de savoir quoi. Un vague souvenir le hantait pourtant encore : ils vont venir.


Ils vont venir.


Joss Ă©tait devenu Ă©trangement calme, ne luttant plus contre l’inĂ©luctable. En fin de compte, la flamme de la luciditĂ© n’était-elle pas morte en lui, cessant d’éclairer l’instinct qui le poussait Ă  fuir ? Il lui semblait soudain flotter, l’oubli l’ayant dĂ©sormais isolĂ© des douleurs de l’extĂ©rieur : il se sentait comme au chaud et Ă  l’abri.





Le néant le retrouva là, occupant un angle, ramassé en position fœtale. Lentement, les murs s’estompèrent, disparaissant par flammèches dans le noir abyssal, tandis que résonnait derrière la frêle porte de fer un galop sourd…














Elbaronsaurus

je lis ton texte. C'est véritablement un bonheur de parcourir tes pages. Belle maîtrise, bravo.


Le 19/07/2021 à 16:29:00

















© 2021 • Conditions générales d'utilisationsMentions légalesHaut de page