L'Académie de Lu





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Visite guidée


LĂ  oĂą le vent se meurt

(par Eskiss)
(Thème : Visite guidĂ©e)



J’erre sans but, je laisse mes pas me guider Ă  travers l’immense Ă©tendue devant moi. Je dĂ©passe une forĂŞt d’arbres aux frondaisons Ă©meraudes, une falaise de grès puis me dirige vers un petit hameau. Coquet, la plupart des bâtiments ont des couleurs vives, leur toit brillant sous le soleil. Je sens le vent caresser ma joue, me pousser en avant, mille murmures quand j’entre dans la bibliothèque. Immense, tout de bois clair, elle contient plus de livres que je ne pourrais jamais en lire. Je caresse avec dĂ©licatesse la tranche de l’un, en saisit un autre et le feuillette. Des images d’amis riant, des poèmes, la description de longues soirĂ©es d’étĂ© Ă  rire et refaire le monde. Mes doigts s’attardent un moment sur un visage, j’esquisse un sourire puis le repose Ă  sa place. J’ouvre son voisin, rempli de recettes de cuisine, gratin provençal, tartiflette, gyozas ; rien que penser Ă  la saveur de ces plats me fait saliver et je le range en soupirant de mon ventre creux.


Je dĂ©ambule entre les rayons, quelques titres allument une lueur amusĂ©e dans mes yeux, d’autres me font dĂ©tourner la tĂŞte. J’inspire profondĂ©ment, les odeurs de papiers et d’encre chatouillent mes narines et je ne peux m’empĂŞcher de sourire Ă  nouveau. J’aime tellement cette pièce ; j’y fais souvent des redĂ©couvertes, la plupart du temps pour le meilleur.

J’accélère, prend un virage un peu plus rapidement que prévu et dérape. Je me prends au jeu et atteint la fin de la pièce en glissant sur le plancher en chaussettes. Là, mon fauteuil m’y attend et je me coule avec un soupir d’aise entre ses deux accoudoirs râpés, me calant avec délectation contre son coussin moelleux. J’hésite à aller chercher un nouvel exemplaire. Je renonce, préfère fermer les yeux et tendre l’oreille. Le vent est toujours là, discret ami qui se faufile entre les rayonnages pour me retrouver, incessante mélodie indistincte qui me berce et m’apaise. L’accompagne des fragrances issues des ouvrages, fleurs, épices, parfums, embruns que j’hume avec volupté.


Soudain, une odeur me frappe. Presque imperceptible, râpeuse, elle s’infiltre en moi, laisse un goût métallique dans ma bouche. Je secoue la tête, refuse d’écouter les quelques notes discordantes qui sont venues se mêler à la subtile partition du souffle. Mais plus je me concentre pour les effacer, plus je les entends. Je tords mon visage en une grimace, cligne des yeux puis me décide à me lever. Lentement, je déplie mon corps, passe une main sur mon visage et enfile mes chaussures puis me dirige vers la sortie.


Mes pas me mènent au centre du village où m’attend un escalier en colimaçon. Immense et majestueux, de marbre revêtu. Quelques fleurs ont laissé leurs vrilles rouler en son sein, l’agrémentant de dizaines de couleurs éclatantes. Au fur et à mesure que je descends, des globes lumineux s’illuminent, nimbant le couloir d’une douce lumière orangée.

Je passe devant une ouverture dans le mur et me décide à y passer la tête. Une pièce, immense, un massif fleuri en son centre, une silhouette qui esquisse un geste en me voyant. Je la salue timidement, elle me crie quelque chose. Peine perdue, je n’entends rien, le vent a envahi la pièce tout entière et la fait chanter, chaque pierre résonnant comme une note, toutes racontant une histoire différente. Et au cœur de ses mille mots, résonnances du passé, prémisses de l’avenir, un nom qui flotte, baladé par les alizés d’un coin à l’autre de la chambre. Elle s’approche, mon cœur accélère alors je recule et je m’en vais, suivant le souffle qui m’entraîne plus bas.


Je passe devant plusieurs ouvertures similaires. Dans l’une, une maison nichĂ©e au creux d’un Ă©crin de verdure, une crique au sable clair Ă  ses pieds, dans une autre le ciel dans toute son immensitĂ© et des nuages qui dansent, la suivante un bâtiment en construction fièrement dressĂ© au fond d’une vallĂ©e et une foule d’êtres plus fantastiques les uns que les autres qui s’affairent autour, encore une... Une succession d’instantanĂ©s, kyrielle murmurant au rythme du vent qui les habite. Mes pas rĂ©sonnent diffĂ©remment, le marbre a laissĂ© la place Ă  du granit, brut, dur, sombre ; les globes de lumières sont devenus torches et une lĂ©gère odeur de fumĂ©e et de poix envahit mes narines. Plus aucune ouverture, il n’y a maintenant plus que des portes. La plupart sont en bois, sans fioritures, dotĂ©es d’une simple poignĂ©e de mĂ©tal. Plus je descends, plus elles frĂ©missent. Des mots, des noms, y sont gravĂ©s et certaines battent comme un cĹ“ur, laissant s’échapper des alizĂ©s qui balaient mon visage. Je sens mes yeux s’humidifier mais il est trop tard pour reculer alors je continue, toujours plus bas.


Ici, les portes sont en acier et ne portent plus que des noms. Elles battent follement dans leurs gonds, les charnières craquent, les loquets sont à l’agonie. Alors que je les contemple avec lassitude, une s’ouvre à la volée. Une bourrasque me frappe de plein fouet et tourbillonne rageusement autour de moi. Je reste interdit, des images s’ancrent dans mes rétines, une odeur sucrée, ma peau me démange, mes bras, mon torse, un rire, je cours et de tout mon poids je pèse dessus, m’arc-boute jusqu’à enfin parvenir à la refermer. Le vent se calme et je me laisse glisser contre le métal froid, fourre mes mains sous mes genoux et sens les larmes ruisseler sur mes joues.

Quelques minutes suffisent Ă  m’apaiser. Je me relève, essuie de mes manche les dernières traces de pleurs sur mes joues puis poursuit ma route. Le chemin n’est pas très long : une ouverture dans la pierre, une immense cicatrice hideuse qui la barre toute en hauteur. J’y entre d’un pas assurĂ© et, soudain, le vent s’apaise.


C’est une immense caverne faiblement éclairée par un unique lampadaire tordu et cabossé. Décrépi, rongé par le temps, un souffle pourrait sans mal le faire vaciller mais pourtant il reste là, vaillant, repoussant à lui seul l’obscurité et la Chose qui s’y cache.

Elle est là, au milieu de la pièce, là où les ténèbres s’épaississent. Je m’assois avec précaution sur le sol, m’égratignant au passage. En suçant machinalement mon écorchure, je la fixe du coin du regard, n’osant pas la contempler de face. Je l’entends, ce maelstrom contenu qui rugit silencieusement, cette tempête qui s’agite, prisonnière de ses chaînes. Je vois ses contours à travers la nuit, ombre mouvante et changeante prenant chaque seconde une forme plus terrifiante, se calmant l’espace de quelques secondes puis repartant à l’assaut de ses entraves.

Je prends mon courage à deux mains et la fixe avec détermination, cette oasis de noirceur, m’attendant à tout instant qu’elle se jette sur moi. Au contraire, elle se calme, s’alanguit et soudain une partition envoutante s’élève, glisse jusqu’à mes oreilles, s’insinue au plus profond de mon être. Des flashs rouge sang, un kaléidoscope qui se termine sur un mot en trois lettres, un rideau qui tombe, un lit, oublier, me reposer, je me lève, pas à pas me rapproche, la mélodie se fait plus puissante, j’y suis presque, j’hésite. Soudain une bourrasque frappe mon visage et un goût de cendres envahit ma bouche.

Je tousse, je me rends compte que je suis dangereusement proche d’elle, je recule, lentement, puis à toute vitesse et elle se déchaîne. La caverne se transforme en un tourbillon discordant, elle hurle sa colère, sa rage, mille promesses mais je plaque mes mains sur mes oreilles pour ne plus l’écouter, je ferme les yeux, priant pour que ça s’arrête, que ça s’arrête, que ça s’arrête...


Quand je me relève, le vent s’est calmé. Elle a regagné sa prison, me défie et m’appelle du regard. Je la contemple longuement, murmure doucement un « Pas maintenant » et me détourne. Je quitte la pièce, quitte les portes d’acier, accélère, grimpe l’escalier quatre à quatre et débouche enfin sur la place du village.

Le soleil caresse mon visage et l’air frais apaise mon visage enflammé par l’effort.

Je m’allonge à même la pierre, laisse mon cœur battant s’apaiser doucement, puis accueille le ciel au creux de mes bras, soulagé.

Vivant. Jusqu’à la prochaine fois.














JilanoAlhuin

J'ai beaucoup aimé ton texte. Les décors qui varient, s'enchainent avec les actions qui suivent rendent le tout très bien, sans parler des descriptions qui nous permettent de nous imaginer la scène qui sont très bien faite. Peut-être est-ce moi qui vais trop loin, mais je pense que tu as mis un second sens dans ton texte, mais je me trompe sans doute... mais j'aime cette interprétation, alors x) Super texte !


Le 17/07/2021 à 01:01:00

















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