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Eskiss![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Sous la Lune(par Eskiss)Quand je pousse la porte du refuge, je suis accueilli par des éclats de voix. Des gens. Nombreux. Deux jeunes hommes qui s’esclaffent, un guide qui vérifie ses crampons en draguant une blonde aux yeux verts, une bande d’amis qui joue manifestement au Uno. Pas une place de libre, les tables sont pleines à craquer. Les odeurs de fromage fondue sont tentantes, mais pas assez pour braver la salle bourrée à craquer. Trop de bruit. Je préfère rester dehors le temps que ça se calme.
Un banc en bois brut est posé contre le bâtiment. Dessus, un coussin sur lequel je m’assois avec un soupir de satisfaction. Je retire mes chaussures de randonnées, étire longuement mes membres endoloris et lève la tête vers le ciel. Le soleil est haut, le crépuscule n’a pas encore éclaboussé l’azur de sang. Je me laisse aller contre le mur, savoure le contact des pierres chaudes contre mon dos. Six heures de marche pour arriver ici. Je suis épuisé, j’ai une ampoule et je sens déjà des courbatures poindre le bout de leur nez. Et je n’ai pas été aussi heureux depuis longtemps. Je sens une douce torpeur m’envahir. Je clos les yeux et la laisse m’enlacer.
« Fait pas un peu froid pour dormir dehors ? » Une voix, claire, haute, joyeuse. Je peux presque deviner le sourire de mon interlocutrice Ă travers son ton moqueur. J’ouvre les paupières et rate un battement. Tu es face Ă moi, tes cheveux bruns rassemblĂ©s en une discrète queue de cheval, tes yeux noisette malicieusement posĂ©s sur moi. J’ai le temps de noter ton short de marche, ton T-Shirt « 42 is the answer » et ton gros sac Ă dos avant que tu ne m’interpelles de nouveau : « Tu viens d’oĂą pour ĂŞtre aussi claquĂ© ? — Euhh… Chamonix. Et je suis pas si fatiguĂ©, je m’étais juste assis lĂ pour profiter du coucher de soleil et… » Mes mots tremblent, je me sens dĂ©sarmĂ© face Ă ton rire qui s’élève haut et fort. Tu poses ton sac au sol et vient t’assoir Ă cĂ´tĂ© de moi, puis Ă©tire tes jambes Ă ton tour : « Pareil, je viens de lĂ -bas. SacrĂ©e montĂ©e, pas vrai ? Mais je suis contente d’y ĂŞtre arrivĂ©e, tout est si… beau ici. » Je me contente d’acquiescer. Les sapins rassemblĂ©s sur les lignes de crĂŞtes qui nous entourent, les vallons jonchĂ©s d’herbe ras, le ruisseau qui chante près de nous, les derniers trilles des oiseaux… toute la Nature te donne raison. Tu continues Ă parler. Me raconte ta ville, ton envie de partir quelques jours. Ris en racontant tes dĂ©boires avec le bus « huit heures j’arrivais plus Ă sortir du siège au bout du voyage ! Et ce petit vieux qui ronflait… ». Me propose une barre de cĂ©rĂ©ales que je dĂ©cline poliment, croques dedans avec sauvagerie en guettant mon regard et en t’esclaffant en me voyant Ă©carquiller les yeux. Je remarque des petites rides au coin des yeux, une fossette sur ta joue, j’ai envie de tendre la main pour la caresser et j’ai l’impression que tu t’en rends compte et tu ris encore plus fort.
Une heure passe, je me prends au jeu, je te rĂ©ponds du tac au tac, on Ă©voque nos voyages, nos peurs, nos envies. Ce qu’on rĂŞve de faire : « J’ai toujours rĂŞvĂ© de voir un lac ou la mer la nuit. M’y baigner Ă la lumière de la lune. Mais bon dans mon coin, il n’y a que des Ă©tangs et beaucoup trop de gens pour que je m’amuse Ă le faire. — Tu sais, il y en a un peu plus haut. » je rĂ©torque. Tu te retournes, ton regard brille : « SĂ©rieux ? Combien de temps pour y aller ? » Je hausse les Ă©paules : « Je sais pas, sur la carte un deux kilomètre max… moins d’une heure je… — On y va ! » Tu t’es Ă©criĂ©e, je caresse l’idĂ©e un instant puis l’abandonne et dĂ©clare, dans un soupir : « C’est la nuit, c’est un coup Ă se pĂ©ter une cheville, c’est un pierrier lĂ -haut. Mais demain… — Demain, c’est trop tard ! Je t’ai dit non, ce que je veux, c’est la lune. » Je fais la moue : « Si t’as envie je peux t’indiquer la route, mais ça sera sans moi al.. — Bataille de pouce ! » Je la regarde, interloquĂ©. Elle brandit sa main, le pouce en avant, ses pupilles amusĂ©es dansent : « On fait une bataille de pouce. SI je gagne, tu viens avec moi. SI je perds, j’y vais toute seule. » Je pèse le pour et le contre quelques secondes, puis j’opine. Tu attrapes ma main, ta peau est douce et chaud, tu mets ton pouce en position et tu entonnes : « Un, deux, trois, bras de fer chinois ».
Ton pouce se glisse contre le mien, j’essaie de le rabattre mais tu esquives d’une arabesque. Tu attends quelques secondes en retrait, tentes une feinte mais je ne tombe pas dans le piège, préférant essayer de te faire plier ton doigt par le dessus. Tu luttes, nos mains s’agitent, à force d’énergie je parviens à coincer ton doigt et je m’apprête à le maintenir contre ta main quand soudain tu te penches et tu m’embrasses la joue. Tes lèvres contre ma peau, ton parfum dans mes narines. Tes yeux bruns qui pétillent quand tu relève la tête, profite de ma confusion pour faire prisonnier mon pouce et proclamer ta victoire. Je frotte machinalement ma joue. Incapable de déterminer si je dois ou non être déçu de cette défaite…
Je t’indique le chemin, on grimpe à flanc de falaise, les pierres roulent sous nos chaussures. Tu as une lampe torche, mais la lune argentée brille si fort qu’elle éclabousse la vallée entière. Tu continues à bavarder, inépuisable, je t’écoute d’une oreille distraite, concentré sur mes pieds. Aucune envie de me fouler une cheville pour une fille que je connais à peine. Je grimace, les douleurs de la journée se rappellent à moi et ton babillage commence à m’agacer. Je souffle : qu’est-ce que je fous là ? Tout ça à cause d’un défi débile. Et ce lac qui est si… Il est là . On vient de déboucher dans un vallon entouré d’à -pics rocheux et une vaste étendue d’eau scintillante s’étale devant nos yeux. Une plage de sable clair y descend en pente douce. Si clair. Si beau. Je ne peux m’empêcher de sourire, et celui-ci s’élargit quand je te vois sprinter vers la plage et te rouler en riant dans le sable. Tu te relèves, tu me fais signe puis d’un geste ample, tu retires ton T-Shirt. Je me détourne instinctivement. Ca te fait marrer, je t’entends te moquer de moi puis plus rien. Je me retourne.
Tu es entrĂ©e dans l’onde sans une Ă©claboussure et tu tends ton corps bronzĂ© pour partir dans un crawl Ă©nergique. Je vais m’assoir Ă cĂ´tĂ© de tes affaires, te regarde nager, t’arrĂŞter, jeter de l’eau en l’air. Te tourner vers moi « Allez viens, elle est bonne ! — J’ai pas très envie… j’ai pas de maillot… » Tu hausses les Ă©paules : « A quoi bon ? Y’a personne d’autre ici que toi, pas vrai ? » et tu repars dans un mouvement Ă©lĂ©gant. J’observe tes Ă©bats dans l’eau, je fais des ronds dans le sable, machinalement. Incapable de rĂ©flĂ©chir, mes yeux fixĂ©s sur toi, sur une possibilitĂ©, un horizon aux contours changeants. Une folle envie de te rejoindre, ma raison qui m’enchaĂ®ne. Pas ce soir, mais quand alors ? Perdu dans mes pensĂ©es, je ne t’ai pas entendu sortir de l’eau et soudain tu es lĂ , près de moi. Tu enfiles ton T-Shirt, tu soulèves mon bras et le pose autour de tes Ă©paules. Te love contre moi. Murmure : « Allez serre-moi contre toi, j’ai froid maintenant. » Tu grelottes, mon cĹ“ur aussi mais je rassemble tout mon courage et t’enlace fermement. Tu glisses tes mains sous mon pull, je frissonne Ă leur contact et tu lèves tes grands yeux vers moi : « Mieux…. Finalement tu as bien fait de pas venir sinon j’aurais pas pu profiter de ta chaleur. » J’esquisse un sourire, tente de trouver une rĂ©plique spirituelle, abandonne quand tu viens nicher ton nez au creux de mon cou et t’installe plus confortablement. Quelques minutes passent et je sens ton corps se relâcher. Tu dors. Et moi je rĂŞve, l’avenir, le lendemain, ton visage contre le mien, ta vie et la mienne, qui sait ? Je ferme les yeux pour savourer le contact de ta peau et sent le sommeil me submerger. « Excusez-moi… vous ĂŞtes sĂ»r que vous voulez dormir dehors ? » Je me rĂ©veille en sursaut. Je suis sur le banc du refuge. Personne a mes cĂ´tĂ©s. Je tourne la tĂŞte, le vermeil a envahi le ciel, le soleil n’est plus qu’un demi-ballon qui se cache derrière une montagne. J’ai des fourmillements fantĂ´mes dans mes bras, je la sens encore contre moi. Soupir. RĂ©alitĂ©. « Vous allez bien ? Vous avez l’air fatiguĂ©, vous venez d’oĂą comme ça ? » Je relève la tĂŞte vers mon interlocuteur. Trice. Tes yeux noisette, ta chevelure brune. Ta fossette, ton sourire mutin qui Ă©tire tes fines lèvres. Pas tout Ă fait la mĂŞme, mais je ne peux me tromper. Tu es lĂ , devant moi. J’éclate de rire. Envie de chanter, envie de tourbillonner. De te montrer ce lac Ă nouveau, pour la première fois. Un horizon entier de possibles avec toi. Je prends une profonde inspiration. Je me sens vivant.
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