Juste une séance de pensée en allant au lycée
(par Vic)(Thème : MĂ©lilĂ©mots 2)
Il est 7H38, il faut que j’y aille. A vrai dire, ça fait déjà 8 minutes que j’aurais dû partir mais bon, c’est compliqué pour moi de me presser pour aller à un endroit dans lequel je n’ai pas envie d’être. Depuis que je suis en CE1, je m’ennuie à l’école car tout va trop lentement. Je mets mon manteau. Je m’ennuie à l’école car j’ai des facilités.
Je vérifie mes poches, téléphone, clés, carte de bus, carte bancaire. Tout est là , je peux y aller.
Beaucoup disent m’envier et il est vrai que c’est une chance. Mais il y a des inconvénients à tout. Par exemple, je ne sais pas travailler. Je n’ai jamais eu besoin de travailler pour avoir des bonnes notes, mais le jour où mon « talent naturel » ne suffira plus, je serai bien embêté car je n’arriverai peut-être pas à me mettre au travail. Je révise toutes mes évals le jour même ou au mieux, la veille avant d’aller me coucher.
Je mets mon masque et commence à marcher vers le métro. Il est 7H40. Je suis censé arriver au métro dans 5 minutes mais le trajet dure entre 10 et 15. Il va falloir courir un peu.
Je fais également tous mes devoirs au dernier moment ce qui me donne une dose de stress et d’anxiété assez élevé en continu, je sais qu’il me reste constamment quelque chose à faire et je n’ai pas le droit à l’échec.
Au collège mes résultats étaient convenables mais en deçà de mes compétences, sauf en maths où j’excellais. Au lycée, j’ai réussi jusqu’ici à avoir des moyennes exceptionnelles dans toutes les matières. Mais plus je m’élève, plus j’ai peur de la chute, comme si j’avais peur du vide mais continuais de grimper une falaise.
Parfois il m’est même arrivé d’envier certains de mes camarades aux résultats moins remarquables, certes, mais qui sont dotés d’un détachement. Contrairement à moi, ils n’ont pas peur de rater une interro ou de se tromper à la question que le prof pose.
C’est ce qui m’empêche d’avancer dans la vie, j’ai constamment peur d’échouer donc je ne me lance que rarement dans un projet, ce n’est pourtant pas l’envie qui manque.
J’aime quand tout ce que je fais me paraît simple mais si je souhaite aller plus loin, il faut aller au-devant du risque. Malheureusement, au moindre souci, au moindre grain de sable coincé dans l’engrenage, je me retire.
Je cours depuis quelques minutes mais j’ai du mal à respirer avec le masque. Je ralentis et regarde l’heure.
7H46. Ce n’est pas si mal, il ne me reste plus que cette longue rue avant d’arriver à la station.
Je m’étais promis de tourner une vidéo que je comptais appeler « Cette vidéo est nulle » dans laquelle j’expliquais que pour se lancer, il fallait accepter d’être nul au début. Mais les seules promesses que je ne tiens pas sont celles que je me fais à moi-même.
Au début de l’année, j’ai rencontré des nouvelles personnes, épreuve toujours un peu douloureuse pour moi. Au début, on commence à parler, tout se passe bien. Mais j’ai un secret que personne ne peut deviner. Le problème est que ce secret est la réponse à une question d’apparence banale que les gens se posent quand ils se rencontrent.
« T’as quel âge ? » ou « T’es né quand ? ».
Je n’aime pas mentir ou vivre dans le mensonge donc je dis la vérité. Bien sûr, au début on ne me croit pas et on rigole à cette blague nulle. Impossible que j’aie cet âge-là d’après eux. Ni mes propos, ni mon physique ne vont en la faveur de cette affirmation.
Alors je sors mon carnet de liaison, je leur montre ma date de naissance. Certains sont enfin convaincus mais pour d’autres ça ne suffit pas.
Dans les semaines ou les mois suivants, ils me feront des petites blagues innocentes sur mon âge que je prendrais en plein cœur, sans rien laisser paraître.
Je pose ma carte sur la borne, passe et me dépêche d’entrer dans une rame. Mes yeux encore endormis sont attaqués par la lumière émanant des deux côtés du plafond du wagon. En restant ici toute la journée, je suis convaincu que j’aurais pu faire bronzer ma peau pâle.
7H50. J’aurai le temps d’arriver au lycée avant que la grille ne ferme.
Je sens des yeux qui m’observent à gauche. Je tourne la tête et croise le regard d’une personne. Aussitôt, elle détourne son attention. Je fais mine de bouger ma tête pour voir si elle mord à l’hameçon. Ça ne manque pas, je sens à nouveau son regard sur moi ainsi j’esquisse un petit mouvement de tête et mes yeux se retrouvent à affronter les siens.
Je suis déjà arrivé à la Gare et il faut que je change de ligne, notre combat se termine donc ici.
Parfois j’ai l’impression d’être perdu dans une mer sans fin à nager en espérant voir une terre se dessiner à l’horizon. Je ne trouve plus mes repères, j’ai le sentiment que je n’arriverai jamais au bout d’une tâche ou d’un malheur. Et pourtant, ça finit toujours par passer car il ne peut en être autrement.
Je suis déjà arrivé à République, finalement dire que je vais au lycée en métro est sans doute le plus gros mensonge que je serve aux gens, le plus gros de mon trajet se fait à pied. Je jette à œil à l’heure. 7H58. Je me mets à courir. Finalement j’arrive enfin dans la rue de mon établissement scolaire. Une surveillante dit aux élèves tardifs de se dépêcher, mon voyage est terminé.
Victor Yon