Je me réveille avec difficulté tandis que mon téléphone chante ma sonnerie matinale. Je tire ma couette et sors de mon lit. Je titube dans le noir et me cogne contre mon bureau, puis ma chaise, et manque de renverser ma guitare. J’atteins finalement la source du bruit et en profite pour regarder les évènements du jour bien que la lumière émanant de mon téléphone me brûle les yeux si bien que je crois avoir en face de moi un projecteur LED.

En plissant les yeux j’arrive à distinguer « Cérémonie de l’Académie ». Mon cerveau marchant au ralenti, je mets du temps avant de comprendre ce qui est écrit.

—Fichtre ! Il est dĂ©jĂ  10H et la cĂ©rĂ©monie a lieu Ă  midi, il faut que je me presse si je veux avoir le temps de travailler mon morceau de violon et je dois aussi Ă©crire un texte. C’est marrant cette manie que j’ai de tout dire Ă  voix haute, comme si je voulais exposer la situation initiale d’une Ĺ“uvre. Je suis peut-ĂŞtre acteur malgrĂ© moi d’un programme tĂ©lĂ©visĂ© comme dans le Trueman Show, donc il faut bien que j’aide le spectateur.

Cela dit, je me prépare rapidement, prends mon violon et sors de mon dortoir pour me diriger vers la salle de spectacle dans laquelle nous avions fait du théâtre la semaine passée. Je croise quelques personnes mais j’ai le pressentiment que les nommer créerait un trouble dans la matrice et dans la cohérence de l’univers tout entier qui pourrait attirer sur moi les foudres de la Mort elle-même, bref, je vais me contenter de les ignorer. En passant dans la cour, j’aperçois Lu’ la Directrice à travers la vitre de son bureau, elle y norme sûrement les règles de l’Académie.

Quelqu’un m’interpelle.

—Excusez-moi, vous avez pas vu Gilles ?

—PlaĂ®t-il ?

—Gilles a nos permis de bateau, on devait aller à l’Huisne. Je vais écoper d’une amende si je ne les retrouve pas.

Intrigué de croiser cet étrange personnage au sein de l’Académie, je continue tout de même mon chemin. J’entends quelques pigeons qui roucoulent en cette matinée pour l’instant calme. A peine quelques mètres plus loin, je suis de nouveau arrêté par quelqu’un qui m’adresse la parole. Je me tourne vers lui, agacé.

—Gars, y’a moyen que tu m’indiques le rĂ©fectoire ?

Je lui pointe une direction du doigt et reprends mon chemin en accélérant le pas pour arriver rapidement à destination.

J’entre enfin dans la salle de spectacle, je contemple un instant la beauté de la salle. C’est l’endroit parfait pour faire de la musique, le son y est magnifique. Je vois un artiste qui esquisse un tunnel luminescent sur une toile et un autre qui termine une œuvre nommée « Tomate-Yeux » mais personne ne fait de musique, j’ai donc la voie libre.

Je déballe mon instrument, installe mon « coussin » et tends le crin de mon archet. Je monte sur scène et m’accorde, La, Ré, Sol, Mi, c’est bon, je peux commencer.

Je commence à jouer et la musique emplit tout l’espace. J’oublie tout ce qu’il se passe autour de moi. Mon archet frotte les cordes avec délicatesse et force mélangés, les doigts de ma main gauche dansent sur le manche avec souplesse et agilité, je ne fais qu’un avec mon violon et je dirige la musique comme je dirigerais ma marche.

Alors que je joue depuis plusieurs minutes, je sens que quelque chose ne va pas, je n’arrive pas à obtenir le son que je veux. Je sors malgré moi de mon état de concentration et m’arrête de jouer.

—Tout va bien ?

Je ne l’avais pas remarqué, mais Lu’ la Directrice de l’Académie m’écoutait.

Je baisse les yeux pour la regarder. C’est que notre directrice est d’une petite taille comparée à moi. Je détourne les yeux pour regarder mon violon et essaye de déceler une quelconque anomalie.

—Vic ?

—Je n’arrive pas à jouer ce morceau correctement. J’en ai besoin, pourtant…

Je me remets à jouer, n’ayant rien aperçu d’inquiétant sur mon violon.

Je me concentre sur ma sensibilité, c’est la clé pour avoir un beau son… Je me fais des images mentales de la musique que je dois jouer… Malgré cela, je me sens bloqué. Je ne me sens pas à l’aise, je sens comme un mal qui m’empêche de jouer comme il faut.

En même temps, je remarque du coin de l’œil une démone à forme humaine, un diadème sur la tête, qui fredonne en m’observant jouer. Je me demande quel genre de maléfice elle pourrait me jeter si elle voulait me maudire.

Je m’arrête à nouveau et, abattu de ne pouvoir bien jouer mon morceau, je range mon instrument dans sa boîte et sors me rafraîchir les idées.

AccoudĂ© Ă  une barrière, je songe Ă  mon problème, je n’arrive simplement pas Ă  jouer, comme si je manquais de sensibilitĂ©. Je pense Ă  ces derniers mois que j’ai passĂ© dans ma chambre devant mon ordinateur sans sortir. Se pourrait-il qu’en m’enfermant de la sorte je me sois refermĂ© sur moi-mĂŞme en oubliant ma sensibilitĂ© ?

Je sors machinalement mon téléphone et regarde l’heure. Il est temps d’aller à la cérémonie. En pensant à ça, je reprends espoir, depuis que je suis à l’Académie j’arrive de nouveau à m’ouvrir sur le monde.

Mes lèvres esquissent un faible sourire.

Je me mets en marche vers la clairière où a lieu la cérémonie.

EPILOGUE :

Je regarde la Directrice s’approcher de son micro. Toutes les têtes se tournent vers elle. Elle a l’air heureuse de nous voir tous ici et parcours la foule des yeux.

— Bienvenue à tous pour notre remise de diplômes. Cela fait maintenant un peu plus de trois mois que notre Académie a ouvert. Trois mois pendant lesquels vous n’avez cessé de participer à mes défis.

Lu’ appelle Louloutre à monter sur scène, elle s’exécute avec un grand sourire. Puis viens mon tour, et c’est les yeux pétillants que je viens les rejoindre et une grande fierté s’empare de moi. C’est ensuite Faucheuse, Eskiss et Elinor qui montent sur scène.

— Je voudrais un tonnerre d’applaudissements pour l’équipe pĂ©dagogique de l’AcadĂ©mie ! D’autres viendront peut-ĂŞtre rejoindre nos rangs dans les semaines Ă  venir, n’hĂ©sitez pas Ă  profiter de leurs compĂ©tences dans le cadre des dĂ©fis et des Ă©vènements affĂ©rents.

Je sens que j’ai enfin terminé quelque chose…