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Downforyears![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Prada et fils(par Downforyears)Fenn leva les yeux au ciel et soupira en sentant la première goutte tomber sur son front depuis la haute nappe de brume loin au-dessus de lui. Il haïssait la pluie, comme il haïssait être en retard, comme il haïssait les lundis matin, comme il haïssait les pigeons qui se mettaient sur son chemin. Et plus que tout, il haïssait quand ces quatre évènements prenaient un malin plaisir à s’accorder pour arriver en même temps. Le jeune homme ragea en tentant en vain d’ouvrir son parapluie premier prix, et dépité, hurla de dépit.
Pourquoi avait-il fallu que son téléphone le lâche et ne le réveille pas ? Pourquoi avait-il fallu que la machine à café déborde ce matin précis, l’obligeant à tout nettoyer en quatrième vitesse avant d’avaler un bol de céréales rassies ? Pourquoi avait-il fallu qu’il mette cinq minutes à chercher ses clés dans son appartement occupé par un désordre que sa mère aurait encore une fois qualifié de titanesque ? Pourquoi avait-il fallu qu’il rate ce bus à cinq minutes près, l’obligeant à devoir marcher sous la pluie battante qui ne manquerait pas d’arriver ?
Fenn hurla sa rage en ignorant les passants, maudissant sa malchance, maudissant le temps lui-même qui lui paraissait tout le temps trop court. Une voiture passa près du trottoir. Trop près. Son passage dans la flaque d’eau polluée entraina une vague bien trop prévisible qui déferla sur le pantalon du retardataire.
— Je suis maudit… murmura-t-il pour lui-mĂŞme une fois le choc glacial passĂ©.
Foutu pour foutu, le jeune homme fit demi-tour. Ce ne serait pas le premier entretien d’embauche qu’il manquerait cette année, il commençait même à les collectionner et sa mère ne manquerait pas de le lui reprocher. Mais il était hors de question de se présenter en retard, et encore moins avec les jambes nageant littéralement dans le contenu d’une flaque. Autant rentrer au plus vite pour se changer, et essayer de profiter d’une nouvelle journée de chômage. S’il ne mourrait pas noyé par la pluie d’ici là .
Un coup de tonnerre éclata dans le ciel, et le déluge s’intensifia. Alors qu’il rentrait inutilement la tête dans les épaules, Fenn sentit l’eau envahir ses chaussettes. Un passant le bouscula alors qu’il dardait un œil mauvais sur le nid de poule dans le trottoir, et le choc d’une épaule contre la sienne l’envoya heurter la porte d’une boutique.
Qui céda sous son poids, le faisant tomber sur un vieux paillasson élimé. La clochette de la boutique reprit quelques secondes le chant des cloches d’une lointaine cathédrale.
— Je. Hais. Les. Lundis, grommela-t-il. — Comme Ă peu près tout le monde, lui rĂ©pondit une voix de baryton depuis le fond du magasin.
Fenn se releva difficilement, tout aussi grincheux que gêné. Il s’apprêta à sortir de la boutique avant de s’arrêter pour présenter ses excuses.
— Pardon, je ne voulais pas entrer. J’ai Ă©tĂ© poussĂ© par quelqu’un, et je suis arrivĂ© lĂ un peu… — Par hasard ? complĂ©ta la voix mystĂ©rieuse. Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito. Mais puisque vous ĂŞtes entrĂ© dans ma boutique, pourquoi ne pas regarder ce que je propose ? Cela vous fera passer le temps. — Je n’ai pas vraiment le temps, et… — Vous prĂ©fĂ©rez vous faire dĂ©tremper plutĂ´t que de rester ici. Je peux comprendre. Après tout, votre temps est surement prĂ©cieux, se moqua l’inconnu.
Le jeune homme s’empourpra et se retourna. L’envie de rentrer chez lui au chaud fut supplantée par celle, plus soudaine et radicale, de rabattre le caquet de ce gérant. Qui s’essouffla soudain devant la mer d’objets qui s’imposa à ses yeux.
Sous de vieux luminaires accrochés au plafond, une demi-douzaine de rayonnages poussiéreux en chêne accueillait d’innombrables antiquités dans un chaos ordonné, constituant une véritable caverne d’Ali Baba à l’ambiance étrange. Encadrés par un petit buste de pharaon et un totem maori miniature qui faisaient office de presse-livre, les traités de biologie sous-marine côtoyaient les manuels de botanique, les précis de physique et de mathématiques et les encyclopédies d’histoire et de géographie. De petits vases exquis, surement de faux Ming ou Baccarat, soutenaient des poupées, des clowns en bois, et même une maman nounours biberonnant son bébé en peluche.
Des dizaines de bouteilles accueillaient des miniatures de sloops, de galions ou de bateaux de pirates aux voiles pliées, parfois disposés sur du sable fin. De vieux encensoirs ayant servi - selon leur étiquette- à purifier des lieux saints, étaient sinistrement pendus à des clous plantés dans le bois des rayonnages, et une odeur poussiéreuse s’en échappait insidieusement.
De nombreux animaux empaillés toisaient le jeune homme depuis le sommet des rayonnages. Un corbeau, deux jeunes kangourous, quelques renards ou blaireaux le menaçaient de sinistre manière. Fenn frissonna et décida de progresser dans la boutique d’antiquités. Après quelques secondes à marcher avec hésitation, il arriva devant un comptoir constitué en grande partie d’une vitrine crasseuse. Derrière les vitres, parfois éclatées par de longues fissures en diagonale, une multitude de babioles sans valeur et autres curiosités étaient disposées sur des vieux coussins en soie noie. Quelques fossiles d’étoile de mer, un vieux circuit imprimé, un sifflet d’arbitre taché de points noirâtres, un dentier fabriqué avec de vraies dents et dont l’une d’entre elle avait même une carie…
— Finalement, vous avez dĂ©cidĂ© de venir faire quelques emplettes, le railla la voix de baryton depuis une arrière-boutique. Vous permettez, je vais mettre un peu de musique. — Vous faites bien comme vous voul… — PRENDS GARDE A TOI ! chanta une voix fĂ©minine depuis le cornet vieux d’un gramophone. — Maria Callas, une femme exceptionnelle, commenta le gĂ©rant en passant la porte de l’arrière-boutique. Bienvenue chez Prada et fils.
Fenn releva les yeux et ravala la réplique cinglante qu’il avait prévu. L’homme qui se tenait là lui semblait indescriptible. Il aurait très bien pu avoir soixante, voire quatre-vingt ans, alors même qu’il possédait la carrure d’un athlète quarantenaire. Une fine barbe encadrait sa mâchoire carrée et la peau bronzée de son crâne et de ses joues auraient très bien pu être celle d’un aventurier, d’un archéologue, d’un alpiniste ou d’un acteur de film à succès. Des lunettes teintées cachaient des yeux verts perçants, et le noir de sa chemise s’accordait avec le jean sombre qu’elle surmontait.
— Pardon, je ne voulais pas rentrer ici, marmonna Fenn, embarrassĂ©. — Ne vous excusez pas. Les gens viennent rarement ici, mais toujours pour chercher ce dont ils ont besoin. — Je… Je n’ai besoin de rien. — J’en doute fortement. — De toute façon, je n’ai pas d’argent sur moi. En tout cas pas assez pour m’offrir quoique ce soit ici. Je vais y aller. DĂ©solĂ© pour le dĂ©rangement. — C’est dommage. Je sens une falaise de problèmes vous arriver dessus, et j’ai quelque chose qui vous aidera Ă y faire face. — Comme je vous l’ai dit, je n’ai pas… — D’argent ? Ce n’est pas si grave. Je peux vous proposer un prĂŞt. Il suffira juste de signer une reconnaissance de dette, dont vous vous acquitterez plus tard. — Je suis dĂ©solĂ©, je vais devoir dĂ©cliner, conclut Fenn en s’éloignant prudemment du comptoir. — Ça ne vous intĂ©resserait pas d’avoir du temps en plus pour faire ce que vous souhaitez ? sourit l’homme. Tout en vous clame la procrastination, et j’ai ce qu’il faut pour y remĂ©dier.
Fenn frissonna.
— Je suis si… lisible ? — Je sais dĂ©celer les dĂ©fauts des gens, lui avoua le gĂ©rant en lui souriant malicieusement Ă travers les verres noirs de ses lunettes. Une femme trop orgueilleuse, un homme trop gourmand, un garçon paresseux. Presque Fenn-Ă©ant… — Un gĂ©rant qui aime trop se moquer ? siffla le jeune homme. — Possible. Alors, ça vous intĂ©resse ? Je vais chercher cela dans l’arrière-boutique, et je reviens. Si vous n’avez pas bougĂ© d’ici lĂ , alors nous pourrons peut-ĂŞtre faire affaire.
Fenn observa avec attention l’homme disparaitre quelques instants. Lorsqu’il revint de l’arrière-boutique, il déposa une valise sur le comptoir et l’ouvrit, révélant un étui dont certains emplacements (destinés à accueillir une arme de poing, des lunettes, un anneau ou une flasque) étaient vides. Ne restaient qu’une montre à gousset, un portefeuille vide et une camée en forme de cœur.
— La collection privĂ©e de Prada et Fils, annonça le gĂ©rant. La montre Ă gousset est pour vous, si vous me signez ce contrat. — C’est un prĂŞt, c’est ça ? rĂ©pondit vaguement Fenn en admirant les gravures sur le mĂ©tal de la montre.
Celles-ci, ciselées finement, figuraient un lierre s’enroulant autour d’une aiguille d’horloge.
— C’est un prĂŞt. Avec intĂ©rĂŞt, bien sĂ»r. On le signe ce contrat ? — Et vous me dites que je pourrais arrĂŞter de procrastiner ? — Cet objet vous en donnera l’occasion.
Fenn jeta un rapide coup d’œil sur les paragraphes du contrat qui ne semblait pas piégé, et signa à la dernière page de son nom.
A la fin de la journée, aussi horrible que prévue, il s’endormit en pensant qu’il venait de se faire avoir par un gérant qui voulait surement lui faire une farce.
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— NOSTALGIE, il est six heures !!! crachota la radio Ă travers le mur de la voisine en rĂ©veillant le jeune homme le lendemain matin.
Dépité par la nuit emplie de cauchemars qu’il venait de passer, Fenn se leva en soupirant et se dirigea mollement vers la cuisine pour se servir un bol de céréales. Une nouvelle journée de chômage l’attendait.
— C’est curieux tout de mĂŞme, lui demanda une agrĂ©able voix fĂ©minine. Tu es bien le premier qui ne se sert pas de cette montre.
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