L'Académie de Lu





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Texte guidé


Meurtrie

(par Holstein)
(Thème : Texte guidĂ©)



[ /! Attention, ce texte peut être considéré comme " gore " par des personnes sensibles, en raison d'une description violente et d'une agression sexuelle >





Aliénor, sur le second navire le plus imposant des treize frégates qui constituent la flotte alors baptisée la « Posseves » – « celle qui pourra ». Elle est assise dans un coin dissimulé du pont inférieur et rédige un journal, positionné sur ses genoux. Une partie de ses cheveux passe derrière son oreille droite, dévoilant son organe en forme d'haliotide au grand jour. On y remarque une légère blessure un poil plus rosée que la couleur de sa chair.


ALIÉNOR, dictant Ă  voix haute ce qu'elle Ă©crit. – Quinzième jour du dernier mois du premier trimestre de l'an 739, 5ème ère. (elle vĂ©rifie brièvement son calcul en comptant sur ses doigts et se satisfait d'avoir mentalement rĂ©ussi du premier coup). Je me suis levĂ©e de bonne heure, ce matin, Ă  tel point que le soleil n'avait pas mĂŞme encore exposĂ© son premier rayon. Ă€ vrai dire, personne n'Ă©tait encore rĂ©veillĂ©. Je suppose alors qu'il devait ĂŞtre aux alentours de trois heures trente. Je ne sais pas si c'est l'excitation ou la crainte qui m'enleva brusquement des bras (habituellement) accueillants de MorphĂ©e. Cependant, depuis ce matin, je n'arrĂŞte pas un seul instant de penser Ă ... Ă  cela. Tout d'abord, ce fut en ouvrant les yeux que la première image me revint. J'essayai de m'en dĂ©barrasser en vain et cette idĂ©e me poursuivit jusqu'Ă  l'heure du petit dĂ©jeuner, vers sept heures. Entre temps, peu après avoir sorti les pieds du sommier, j'Ă©crivis quelques instructions que j'envoyai au Commandant de la flotte. Aussi, j'apportai de minimes mais Ă´ combien importantes modifications Ă  mon discours que je devais rendre pour six heures au plus tard. Cela me prit une trentaine de minutes en tout. Je relus plusieurs fois le texte Ă  voix haute, d'abord pour remarquer les imperfections et les changements de figure de style possibles, ensuite pour adopter l'intonation et l'Ă©motion adĂ©quate Ă  la situation. Ce travail effectuĂ©, je pris soin de regarder la liste des invitĂ©s qui seraient prĂ©sents en plus des soldats et de l'Ă©tat-major des deux camps et ce, pour pouvoir m'adapter au mieux Ă  mon public. Lorsque je dĂ©collai le nez de mes fiches, je vis par la lucarne les premières lueurs du soleil illuminer les champs de narcisses du château. Il Ă©tait grand temps pour moi de m'apprĂŞter. Selon mes estimations, il Ă©tait quatre heures trente-cinq, peut-ĂŞtre quarante, quand j'ouvris ma garde-robe pour sĂ©lectionner les tenues qui me plaisaient le plus. Il m'incombait de choisir trois accoutrements diffĂ©rents. Le premier nĂ©cessitait d'ĂŞtre classe et sobre Ă  la fois ; je le porterais quasiment toute la journĂ©e. Le deuxième Ă©tait exclusivement rĂ©servĂ© Ă  mon discours, il se devait donc d'impressionner tant par les parures et accessoires que je porterais que par ses couleurs et ses formes incongrues. Enfin, la troisième servirait Ă  un potentiel combat. En effet, lors du siège, je commanderai aux troupes depuis ma tente, plantĂ©e au sommet d'une des collines voisines. Mais, si les choses venaient Ă  dĂ©raper, je devrais strictement m'Ă©quiper d'une tenue appropriĂ©e pour pouvoir me battre. Mes gĂ©nĂ©raux ne sont pas encore au courant, mais je pense que si la bataille se passe comme prĂ©vu et que la situation est sous contrĂ´le, j'enfilerai secrètement mon armure et partirai Ă  dos de cheval rejoindre mes soldats. J'imagine dĂ©jĂ  le tableau ; l'hĂ©ritière lĂ©gitime du Royaume qui vient se battre aux cĂ´tĂ©s de ses Hommes pour libĂ©rer le pays du tyrannique bâtard qui tente d'usurper le trĂ´ne. (elle ricane). Soit, je choisis comme je le disais les vĂŞtements et les ornements que je trouvais conformes Ă  ce que l'on m'avait conseillĂ© et je me vĂŞtis de la tenue de jour. Je m'admirai ensuite dans le miroir ; robe cyan, Ă©paules dĂ©couvertes, talons bleu royal, bagues assorties et couronne ancrĂ©e d'un saphir resplendissant.


Aliénor prend soin de faire une pause, admirant l'impressionnante vue sur la mer. Au loin, on aperçoit d'ores et déjà la côte. Le ciel est dégagé et le soleil tape. Le vent marin emporte avec lui ces odeurs si reconnaissables et souffle délicatement sur les épaules d'Aliénor, qui frisonne agréablement. La Princesse trempe la plume dans l'encrier et repart dans une nouvelle session d'écriture de son journal intime.


ALIÉNOR, apaisée. – Je fus totalement prête à six heures et quart. Les domestiques vinrent alors me chercher et je me rendis dans l'auditoire. C'est durant le trajet que la deuxième image me vint. Elle fut crue, je l'assure, et se transforma bien (trop) vite en une courte série d'images succinctes. Je dus m'arrêter brusquement au milieu du couloir pour pouvoir chasser cette vision d'horreur. Les servantes furent quelque peu inquiètes mais gardèrent le secret pour elles. J'ai confiance en elles et je suis ravie qu'elles aient décidé de ne rien dire au Commandant. Autrement, on aurait pu croire que j'étais atteinte d'une maladie et l'offensive aurait été repoussée ou pire, ce serait déroulée en mon absence. Quoi qu'il en soit, la réunion se passa excellemment bien et les plans furent pour tous plus clairs que jamais. Chacun avait retenu son rôle et ses instructions (les nouvelles que j'avais ajoutées au matin également). En revanche, j'eus pendant le débriefe une dizaine d'images qui, à des moments différents, m'empêchèrent de m'adresser au comité. Toujours est-il que cela, et je remercie le ciel, ne me freina pas pour suivre le déroulement de la séance malgré les moments où je dus fermer les paupières afin d'évincer ces hallucinations qui commençaient à dégénérer. À une reprise, mon audition aussi me joua un tour et je crus entendre quelque chose, je ne saurais dire quoi à l'heure actuelle.


La Princesse tapote la pointe de sa plume sur le coin du parchemin avant de poursuivre, s'adonnant mentalement Ă  l'essai de plusieurs tournures de phrases.


ALIÉNOR, souriant. – Le petit déjeuner fut un véritable festin, et j'espère qu'il en sera de même pour le déjeuner. Nous avons mangé toutes sortes de choses et but à foison divers jus rougeâtres et épicés, endémiques du Royaume de Stravis. Les gens étaient tous de bonne humeur, c'était fort plaisant à vivre. Ils rigolaient, chantaient et dansaient tellement que nous aurions crû nous trouver dans une auberge de forte affluence un soir de fête, et non pas à l'aube d'une bataille décisive pour l'avenir du continent. (faisant disparaître son sourire). Peu avant de prendre le bâteau, lorsque tout le monde attendait déjà au port, je m'éclipsai dans la salle de bain. Je pense que j'angoissais, mais je ne sais pas si cette angoisse était due aux événements passés ou aux événements futurs. Je fis couler un peu d'eau dans un sceau et me débarbouillai le visage. Je sursautai désagréablement lorsque je sentis mes doigts déposer le liquide sur mes joues. En fait, ce n'était pas tant le froid qui me fît faire un petit bon sur le côté que les souvenirs qui ravivaient. Quand ma peau sentit le contact avec mes doigts, cela fît en un éclair écho...


Aliénor arrête de rédiger et cherche une façon d'exprimer son ressenti à la fois pour poser les faits, mais qui ne soit pas trop brute pour le moment où elle relira son journal.


ALIÉNOR, continuant sa phrase. – ... Ă  l'effleurement de sa cruautĂ© contre ma sagesse. (les pulsations de son cĹ“ur augmentent drastiquement). Oh, et puis que le monde aille en enfer. J'ai besoin d'en parler et si je n'en parle pas Ă  mes confidentes (les pages de ce cahier), alors je n'en parlerai Ă  personne. Je pense que je m'adresserai Ă©galement Ă  Mère pour lui demander conseil. En attendant, je dois transpercer d'encre rouge les pages trop blanches du journal. Je suppose que c'est ce qu'il s'est dit. Il y avait peut-ĂŞtre trop de blancheur en moi, il voulut peut-ĂŞtre me salir pour que ne pas que je sois trop parfaite ? Pour que je ne sois pas ce que l'on m'a toujours demandĂ© de faire ? Il m'a peut-ĂŞtre brisĂ©e la partie la plus importante de mon corps car il se sentait infĂ©rieur, ou surpuissant ? En rĂ©alitĂ©, je n'ai aucune hypothèse sur la question. Aucune rĂ©ponse n'est cohĂ©rente. Il ne m'a jamais regardĂ©e, jamais touchĂ©e, jamais un câlin fraternel, jamais un bonjour, jamais un au revoir, jamais une marque de tendresse ou d'affection. Et cette putain de fois oĂą il m'a enfermĂ©e dans ce merdier, il m'a touchĂ©e ! Pourquoi ? Pourquoi, merde ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Pourquoi ? Il n'y avait qu'une seule bougie pour Ă©clairer le cachot, mais cette unique flamme qui brulait, dansait au grĂ© des courants d'air Ă©tait bien suffisante pour que je vois son putain de sourire niais accrochĂ© Ă  ses lèvres. Il s'est approchĂ© de moi, les mains dans le dos. Il a posĂ© sa main droite sur mon coude, essayant de m'attirer vers lui. Je l'ai repoussĂ© et j'ai aussitĂ´t voulu prendre la fuite ; la porte Ă©tait bloquĂ©e. Avec le recul, j'ai compris qu'il avait un ou plusieurs complices, la porte n'aurait autrement pas pu ĂŞtre fermĂ©e Ă  clĂ©. DĂ©sespĂ©rĂ©e, je tournai la tĂŞte vers lui, tremblante de peur. Il m'a violemment poussĂ©e de l'autre cĂ´tĂ© de la salle avant d'attacher mes chevilles aux pieds de la chaise, unique meuble de l'endroit. Bien sĂ»r, il prit soin de faire passer mes jambes derrière les pieds de la chaise, afin que... pour avoir accès Ă  mon palais. (elle hĂ©site Ă  barrer cette phrase qui lui faisait rouvrir des plaies presque guĂ©ries). Pendant qu'il Ĺ“uvrait Ă  serrer mĂ©chamment les liens qui me reliaient au bois du siège, j'essayais d'abriter autant que je pouvais mon corps. Avec mes cheveux, avec mes bras, je tentais en vain de cacher mes Ă©paules, ma poitrine, mon ventre. Il me regarda quelques secondes durant lesquelles je pensais rendre mon repas sur lui, avant de dĂ©chirer le bas de ma robe. Il s'agrippa au-dessous de mes cuisses et me souleva le plus qu'il put pour s'asseoir sur la chaise et pour que... je sois assise sur lui. La première minute, je pensai sincèrement que j'allais me rĂ©veiller de ce cauchemar. Je m'imaginais dĂ©jĂ  rigoler nerveusement de ce Ă  quoi je venais de rĂŞver. Mais non, tout cela Ă©tait bel et bien vrai. La deuxième minute, je paniquai, prenant conscience du vol qu'il Ă©tait en train de commettre. La troisième minute, je me sentis rougir de honte. J'allais y penser toute ma vie, chaque putain de matin. La quatrième minute, je pensai Ă  l'après. Je venais de me rappeler que j'Ă©tais en pleine semaine rouge. Je me voyais dĂ©jĂ  nettoyer le sol, frotter ma robe, poncer ma peau. Non seulement pour laver cette merde de sang, mais pour laver Ă©galement cet acte. La cinquième minute, je me forçai Ă  penser Ă  la chaleur du soleil, au chant des oiseaux, Ă  la fraĂ®cheur de l'air, Ă  l'odeur des arbres. La première dizaine de minutes Ă©coulĂ©e, je ne ressentis plus rien d'Ă©motionnel, tout Ă©tait devenu physiquement atroce, chaque cellule me faisait mal. Au bout de quinze minutes, je vis la bougie s'Ă©teindre. Après vingt minutes, je cessai de sentir mes chevilles, les mouvements de mes jambes contre les cordes les ayant taillĂ©es jusqu'au derme. Après quarante minutes, il griffa furieusement ma nuque et enfonça ses ongles dans mes omoplates. Je mordis mes lèvres de douleur, mais j'Ă©tais rassurĂ©e que cela se finissait. Il n'en Ă©tait en rĂ©alitĂ© rien ; il se leva et tint mes cheveux, qu'il relevât vers le haut, tirant sur mon cuir chevelu. Cela dura dix minutes de plus. Je faillis m'Ă©touffer quatre fois, je m'Ă©tranglai deux fois et je dus dĂ©glutir un total de deux fois Ă©galement. Je ne parvenais plus Ă  respirer convenablement, je me sentais pâlir. Je me voyais quitter inlassablement mon corps et rejoindre sereinement les cieux, Ă©clairĂ©s de feux immenses. Je me voyais dans la paix, dans l'amour et dans le bonheur ; j'Ă©tais pourtant dans la guerre, dans la mort et dans le malheur.


Seule au beau milieu du pont inférieur, alors que les nuages apparaissent et qu'un brouillard se lève, elle pleure. Les gouttes tombent en quantité sur le papier qui se fragilise. Certains mots sont entachés, d'autres deviennent illisibles. Souffrante et la vision trouble, elle ne fait pas de pause. Pensant que tout ce qu'elle écrirait à sang chaud la libérerait de ses maux, elle parcourt le papier sans s'arrêter, son écriture perdant de sa droiture.


ALIÉNOR, serrant ses dents. – Il prit un martinet noir, dĂ©corĂ© de bosses, de piques et de sang. Et il me fouetta. Je hurlai. Il s'empara de moi, il me possĂ©da, il me fĂ®t terriblement mal. Il m'attacha au mur, il me porta, il me jeta, il me frappa, il me brisa, il me cassa, il me lyncha. Il s'amusa de toutes sortes de manières Ă  tel point que je ne peux, et je le voudrais pourtant, dĂ©crire ces scènes ignobles. Je ne parviens d'ailleurs plus Ă  me rappeler en dĂ©tails ce qu'il s'est dĂ©roulĂ©. Il en eut en tout et pour tout pour deux heures trente. Lorsqu'il me laissa seule, dans ce cachot oĂą je ne pourrais jamais retourner, il me laissa morte (c'est du moins l'impression que j'avais). Je n'entendis rien d'autre que mon cĹ“ur battre. Vingt battements par minute, soit un unique battement toutes les trois secondes. J'Ă©tais allongĂ©e sur le sol, mes membres flasques Ă©parpillĂ©s un peu partout autour de moi. Le sang coulait de mon palais le long de mes jambes, sur le sol, dans mes cheveux et depuis mes chevilles, mes poignets, mes lèvres, mon nez, ma bouche. Cela me rĂ©pugne mais... il n'y avait pas que du sang. Il y avait ma sueur, la sienne, ainsi que son... urine. Et... d'autres choses. Je dormis sur le sol plus de vingt-quatre heures d'affilĂ©es. Ils avaient condamnĂ© la porte d'entrĂ©e du cachot et dissimulĂ© la sortie artificielle. Il fut donc impossible pour la garde de me retrouver. Je me rĂ©veillai toute aussi Ă©puisĂ©e et, poussĂ©e par une mystĂ©rieuse adrĂ©naline, j'arrivai finalement Ă  la chambre royale. Le trajet me prit je crois une bonne heure, les pauses et les colères comprises. Maman m'ouvrit timidement la porte et je m'Ă©croulai dans ses bras. Elle remarqua les trainĂ©es de sang au sol qui retraçaient fidèlement le parcours que j'avais accompli et elle m'aida, autant bouleversĂ©e et en larmes que moi, Ă  me laver, m'habiller, me soigner. Je n'eus besoin de lui expliquer ni ce qu'il s'Ă©tait passĂ©, ni qui m'avait infligĂ© ces tels dĂ©gâts ; elle l'avait devinĂ© par elle-mĂŞme.


Elle ouvre un second cahier qu'elle dépose sur le sol, une des dernières pages du manuscrit ouverte. Aliénor relit quelques paragraphes et semble souligner des mots çà et là.


ALIÉNOR, réécrivant dans son propre journal intime. – Je l'ai lu par la suite dans ses Ă©crits, mais elle se doutait que quelque chose arriverait. Bien sĂ»r, elle ne savait pas que ce serait si abominable, mais l'alliance Père-fils Ă©tait bien plus dangereuse que la dĂ©fense Mère-fille, Ă©tant donnĂ© l'influence considĂ©rable de Père sur celui qui est en rĂ©alitĂ© mon demi-frère. Maman savait que Père permettait beaucoup trop de choses Ă  Wudris, espĂ©rant qu'il me dĂ©passe en popularitĂ© comme en lĂ©gitimitĂ©. Elle se doutait qu'un jour, il transgresserait sĂ©rieusement les bornes. Et c'Ă©tait fait ; mon frère m'avait violĂ©e. Il m'a fĂ©rocement dĂ©possĂ©dĂ©e de ma chastetĂ© et ruinĂ© des annĂ©es de construction positive envers moi-mĂŞme. Il a mis en, deux heures et demie, fin Ă  ma personne en tant que tel. Il a tuĂ© la partie de moi qui encaissait, qui Ă©coutait, qui se pliait aux règles. Les choses se sont alors très vites enchaĂ®nĂ©es, et je me suis reconstruite autour d'un rempart de protection. Mais personne ne devra s'approcher une seconde fois de ces murs. Je devrai dès lors partir en combat en première, pour ne pas me laisser surprendre car « la meilleure dĂ©fense est l'attaque ». Maman avait adoptĂ© une tout autre mĂ©thode. Elle s'Ă©tait Ă©levĂ©e comme une autre muraille autour de moi, condamnĂ©e Ă  s'Ă©crouler. Elle s'est laissĂ©e faire pour que je puisse me soulever contre mon Père. Dans le dernier chapitre de son journal intime, elle explique que... la journĂ©e suivante de mon viol, après m'avoir soignĂ©e, elle m'a mise dans le lit royal. Le Roi Wymerus est revenu de son entraĂ®nement peu de temps après ; elle l'attendait. Ils se sont disputĂ©s, elle l'a giflĂ©, elle lui a dit des Ă©normitĂ©s, elle s'est rĂ©voltĂ©e, elle s'est battue, elle m'a protĂ©gĂ©e. (recopiant le texte du cahier de sa mère). « Je me suis dĂ©battue pour ne pas que cela se fasse, mais cette idĂ©e paradoxale paraissait lui plaire. D'un geste malsain, il attrapa mes cuisses, alors que ma princesse somnolait dans le lit, Ă  cinq mètres de nous. Je compris qu'il ferait sur moi ce que son fils a fait sur ma fille, mais je savais qu'il irait plus loin encore. Je compris que j'Ă©tais la phase suivante de son plan, la phase prĂ©cĂ©dant celle oĂą il Ă©carterait dĂ©finitivement AliĂ©nor ». Mère fut retrouvĂ©e morte quelques mois après avoir Ă©crit cela, au pied de la tour est du Palais. Quand il l'a poussĂ©e du haut du balcon, j'Ă©tais dans mon lit, plongĂ©e dans le noir, seule avec mes pensĂ©es et mes souvenirs. Soudain, je vis le mĂ©daillon que Mère m'avait offerte le jour succĂ©dant mon viol exprimer un fort rayonnement violet, qui brisa le noir aigri de la pièce. Il resta allumĂ© jusqu'Ă  ce que j'apprenne la mort de Maman. Lors de ses derniers honneurs, quand on dĂ©marra le brasier, au milieu des feux d'artifices, de la foule, des chants, des danses, des cris et des rires heureux – comme il en est coutume Ă  Bammis – de l'outrepassement de la Reine, la lumière de l'amulette vacilla au pourpre. Le rose clair arriva tout de suite après que son corps fut complètement brĂ»lĂ©. C'est sans aucun doute le collier qui me donna la rage, le courage ou l'inconscience (qui sait ?) de pousser les deux colossales portes de la salle du trĂ´ne pour confronter mon père. Je criai sur lui, je dĂ©versai ma colère, mon amour pour Maman, ma haine contre lui, contre son fils, contre le gouvernement, contre le pays, contre tous les changements qu'il a faits, contre toutes les stupides lois, contre ses funestes idĂ©es, contre son dĂ©goĂ»t envers moi et Maman, contre les femmes, contre la gentillesse, la bontĂ©, l'amour, la paix, le bonheur, la joie, les sourires et les rires. Je l'insultai de tous les noms, je le poussai, je le frappai, motivĂ©e par toute cette exaspĂ©ration, cette frĂ©nĂ©sie sans prĂ©cĂ©dent, cette passion dĂ©vorante, cette rancĹ“ur. Je pense qu'il Ă©tait impressionnĂ©, voire choquĂ©, de constater que celle qu'il a toujours sous-estimĂ©e, mĂ©prisĂ©e, dĂ©testĂ©e, reniĂ©e. Voir celle qui s'est toujours tue se dresser devant lui avec de si grandes convictions a dĂ» lui provoquer une inconvenance somme toute comprĂ©hensible. Peut-ĂŞtre mĂŞme a-t-il eu peur de voir la furie dans mes yeux ? Je ne le saurai jamais, mais en tout cas, il n'opposa aucune rĂ©sistance. Seulement une fois il lâcha un timide avertissement que je rompis sans hĂ©sitation. Je sortis prĂ©cipitamment la dague de Maman d'une poche de ma robe, et je vis de la stupĂ©faction, de la terreur, de l'effroi dans ses yeux qui reflĂ©taient dans la lame scintillante. Je plantai le poignard en plein dans son buste. Il ne rĂ©alisa pas ce que j'Ă©tais en train de faire. Moi, au contraire, plus que jamais. Je le transperçai encore et encore dans le ventre, dans la poitrine, dans les bras, dans les mains, au visage, dans les jambes, Ă©corchant chaque morceau de peau, dĂ©chiquetant chaque vaisseau sanguin. L sang gisait partout autour de nous, Ă  l'instar de fontaines qui, sans s'arrĂŞter, dĂ©chargeraient des tonnes d'eau Ă  l'occasion de fĂŞtes religieuses qui s'Ă©terniseraient tard dans la nuit.


La Princesse prit une minute pour respirer profondément et calmer son cœur qui s'emballait.


ALIÉNOR, broyant le papier avec brutalitĂ©. – La vengeance fut salĂ©e. J'ai reçu l'analyse mĂ©dicale ce matin et le constat est effrayant ; je l'ai incisĂ© de cent-treize coups de couteau. Ce que les mĂ©decins ne savent pas c'est que... je ne l'ai pas seulement tuĂ©. Je l'ai soignĂ©, aussi. Je ne pourrais affirmer s'il s'agissait de l'amulette ou de moi, mais je tirais parti de la magie pour le maintenir en vie. Ă€ chaque nouveau coup, il hurlait de douleur, me suppliant d'en finir et de le laisser mourir en paix. Je lui parlais de ma souffrance, de toutes les fois oĂą j'avais peur qu'il me touche ou qu'il me tue, je lui partageais mes Ă©motions et mes ressentis, tout en le criblant d'une putain de centaine de coups. J'entends encore frĂ©quemment ses hurlements rĂ©sonner dans mes oreilles, et je souris. Je rigole, je jubile. Il a tuĂ© Maman, je l'ai tuĂ©. Ă€ prĂ©sent, il ne me reste plus qu'en finir avec celui qui a tuĂ© AliĂ©nor, la Princesse fragile et naĂŻve. Ă€ vrai dire, j'ai dĂ©jĂ  prĂ©vu ma vengeance, et je m'en rĂ©jouis. J'ai hâte. J'ai hâte de dĂ©barquer sur ces cĂ´tes, j'ai hâte de prononcer un Ă©nième discours aux troupes, j'ai hâte de les conduire jusque par-delĂ  les frontières de mon Royaume, jusqu'Ă  sa capitale, j'ai hâte de dĂ©cimer les forces de mon frère, j'ai hâte de poser enfin mon postĂ©rieur sur le trĂ´ne qui est le mien ! J'ai hâte de le capturer, j'ai hâte de lui parler, de le torturer de paroles, de souvenirs et de traumas, j'ai hâte de le mettre en place publique et de commander mes soldats pour qu'il souffre comme il n'aura jamais souffert. J'ai hâte de vivre en tant que souveraine, j'ai hâte de rĂ©gner sur mes sujets, sur les terres infinies au bout desquelles s'Ă©coulent les ocĂ©ans peuplĂ©s d'une faune que je dominerai Ă©galement. J'ai hâte.


Un carillon se fait entendre au loin.


ALIÉNOR, grappillant de la place tout au bas de sa page. – Le devoir m'appelle, je dois me changer, nous arrivons au port de Stravis. Puisse Sainte Asselah me protĂ©ger ! Puisse t-elle me mener Ă  la victoire !


*


Aliénor laisse tomber sa robe à ses pieds. Elle découvre, comme à toutes les aubes et à tous les crépuscules, ce corps dénudé qu'elle a tant essayé d'envelopper sous de somptueuses robes, voulant celer les plaies béantes depuis lesquelles jaillissait la sève alizarine découlant des veines salies de cette obscénité que jamais elle ne pourrait oublier. Ce corps recouvert de traces, de blessures et de marques. Ce corps qui a traversé tant d'épreuves. Elle passe une main sur son bas ventre, et une larme coule. S'ensuit une deuxième, une troisième. Sa main effleure son bassin, elle se lamente alors sur le sol poussiéreux de la chambrée.














JilanoAlhuin

C'est un texte... très dur que tu proposes la. Tu gères très bien les descriptions (et dans ce texte, c'est si bien fait que ça en devient un peu malaisant dans un certain sens). La contrainte est respectée de manière assez subtile. Encore une fois, rien n'est dit directement, ou alors c'est placé de manière à ce qu'en apparence, ce ne soit pas repéré (du moins, c'est mon impression), ce qui rend le texte presque... sans contrainte, alors qu'elles sont belles et bien présentes. C'est un très bon texte :smileycool:


Le 07/02/2022 à 21:15:00



Awoken

pour "Meurtrie". C'est un très bon texte bien écrit et dont l'histoire rentre en nous (sans mauvais jeux de mot). C'est une histoire forte qui fais réfléchir je trouve. Je ne sais pas si Aliénor a céder à la folie ou si sa soif de vengeance la rend plus lucide. Très bon texte. Bravo!


Le 08/02/2022 à 16:41:00



Sourne

" Meurtrie " est un texte... saisissant
Le style, encore une fois, est très bon et il correspond à la perfection à Aliénor. Cependant, et c'est sans doute un défaut avec le genre théâtrale, mais les monologues de la princesse sont par moment... Beaucoup trop long, et ils ont tendance à me faire décrocher/sauter des lignes, ce qui est dommage vu tout le travail de qualité que tu as fourni
Le moment avec les jurons... Il surprend, mais qu'est-ce qu'il est justifié !
Ah et en relisant attentivement, j'ai rajouté ce message préventif " [ /! Attention, ce texte peut être considéré comme " gore " par des personnes sensibles, en raison d'une description violente et d'une agression sexuelle ] ", ce que j'aurais dû faire dès la première fois que j'ai survolé ton texte. Je préfère prévenir, vu que ça pourrait peut-être spoiler quelqu'un qui lit depuis le site MAIS au moins, ça le préviens...


Le 17/02/2022 à 10:26:00

















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