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Holstein![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Meurtrie(par Holstein)
Aliénor, sur le second navire le plus imposant des treize frégates qui constituent la flotte alors baptisée la « Posseves » – « celle qui pourra ». Elle est assise dans un coin dissimulé du pont inférieur et rédige un journal, positionné sur ses genoux. Une partie de ses cheveux passe derrière son oreille droite, dévoilant son organe en forme d'haliotide au grand jour. On y remarque une légère blessure un poil plus rosée que la couleur de sa chair.
ALIÉNOR, dictant à voix haute ce qu'elle écrit. – Quinzième jour du dernier mois du premier trimestre de l'an 739, 5ème ère. (elle vérifie brièvement son calcul en comptant sur ses doigts et se satisfait d'avoir mentalement réussi du premier coup). Je me suis levée de bonne heure, ce matin, à tel point que le soleil n'avait pas même encore exposé son premier rayon. À vrai dire, personne n'était encore réveillé. Je suppose alors qu'il devait être aux alentours de trois heures trente. Je ne sais pas si c'est l'excitation ou la crainte qui m'enleva brusquement des bras (habituellement) accueillants de Morphée. Cependant, depuis ce matin, je n'arrête pas un seul instant de penser à ... à cela. Tout d'abord, ce fut en ouvrant les yeux que la première image me revint. J'essayai de m'en débarrasser en vain et cette idée me poursuivit jusqu'à l'heure du petit déjeuner, vers sept heures. Entre temps, peu après avoir sorti les pieds du sommier, j'écrivis quelques instructions que j'envoyai au Commandant de la flotte. Aussi, j'apportai de minimes mais ô combien importantes modifications à mon discours que je devais rendre pour six heures au plus tard. Cela me prit une trentaine de minutes en tout. Je relus plusieurs fois le texte à voix haute, d'abord pour remarquer les imperfections et les changements de figure de style possibles, ensuite pour adopter l'intonation et l'émotion adéquate à la situation. Ce travail effectué, je pris soin de regarder la liste des invités qui seraient présents en plus des soldats et de l'état-major des deux camps et ce, pour pouvoir m'adapter au mieux à mon public. Lorsque je décollai le nez de mes fiches, je vis par la lucarne les premières lueurs du soleil illuminer les champs de narcisses du château. Il était grand temps pour moi de m'apprêter. Selon mes estimations, il était quatre heures trente-cinq, peut-être quarante, quand j'ouvris ma garde-robe pour sélectionner les tenues qui me plaisaient le plus. Il m'incombait de choisir trois accoutrements différents. Le premier nécessitait d'être classe et sobre à la fois ; je le porterais quasiment toute la journée. Le deuxième était exclusivement réservé à mon discours, il se devait donc d'impressionner tant par les parures et accessoires que je porterais que par ses couleurs et ses formes incongrues. Enfin, la troisième servirait à un potentiel combat. En effet, lors du siège, je commanderai aux troupes depuis ma tente, plantée au sommet d'une des collines voisines. Mais, si les choses venaient à déraper, je devrais strictement m'équiper d'une tenue appropriée pour pouvoir me battre. Mes généraux ne sont pas encore au courant, mais je pense que si la bataille se passe comme prévu et que la situation est sous contrôle, j'enfilerai secrètement mon armure et partirai à dos de cheval rejoindre mes soldats. J'imagine déjà le tableau ; l'héritière légitime du Royaume qui vient se battre aux côtés de ses Hommes pour libérer le pays du tyrannique bâtard qui tente d'usurper le trône. (elle ricane). Soit, je choisis comme je le disais les vêtements et les ornements que je trouvais conformes à ce que l'on m'avait conseillé et je me vêtis de la tenue de jour. Je m'admirai ensuite dans le miroir ; robe cyan, épaules découvertes, talons bleu royal, bagues assorties et couronne ancrée d'un saphir resplendissant.
Aliénor prend soin de faire une pause, admirant l'impressionnante vue sur la mer. Au loin, on aperçoit d'ores et déjà la côte. Le ciel est dégagé et le soleil tape. Le vent marin emporte avec lui ces odeurs si reconnaissables et souffle délicatement sur les épaules d'Aliénor, qui frisonne agréablement. La Princesse trempe la plume dans l'encrier et repart dans une nouvelle session d'écriture de son journal intime.
ALIÉNOR, apaisée. – Je fus totalement prête à six heures et quart. Les domestiques vinrent alors me chercher et je me rendis dans l'auditoire. C'est durant le trajet que la deuxième image me vint. Elle fut crue, je l'assure, et se transforma bien (trop) vite en une courte série d'images succinctes. Je dus m'arrêter brusquement au milieu du couloir pour pouvoir chasser cette vision d'horreur. Les servantes furent quelque peu inquiètes mais gardèrent le secret pour elles. J'ai confiance en elles et je suis ravie qu'elles aient décidé de ne rien dire au Commandant. Autrement, on aurait pu croire que j'étais atteinte d'une maladie et l'offensive aurait été repoussée ou pire, ce serait déroulée en mon absence. Quoi qu'il en soit, la réunion se passa excellemment bien et les plans furent pour tous plus clairs que jamais. Chacun avait retenu son rôle et ses instructions (les nouvelles que j'avais ajoutées au matin également). En revanche, j'eus pendant le débriefe une dizaine d'images qui, à des moments différents, m'empêchèrent de m'adresser au comité. Toujours est-il que cela, et je remercie le ciel, ne me freina pas pour suivre le déroulement de la séance malgré les moments où je dus fermer les paupières afin d'évincer ces hallucinations qui commençaient à dégénérer. À une reprise, mon audition aussi me joua un tour et je crus entendre quelque chose, je ne saurais dire quoi à l'heure actuelle.
La Princesse tapote la pointe de sa plume sur le coin du parchemin avant de poursuivre, s'adonnant mentalement Ă l'essai de plusieurs tournures de phrases.
ALIÉNOR, souriant. – Le petit déjeuner fut un véritable festin, et j'espère qu'il en sera de même pour le déjeuner. Nous avons mangé toutes sortes de choses et but à foison divers jus rougeâtres et épicés, endémiques du Royaume de Stravis. Les gens étaient tous de bonne humeur, c'était fort plaisant à vivre. Ils rigolaient, chantaient et dansaient tellement que nous aurions crû nous trouver dans une auberge de forte affluence un soir de fête, et non pas à l'aube d'une bataille décisive pour l'avenir du continent. (faisant disparaître son sourire). Peu avant de prendre le bâteau, lorsque tout le monde attendait déjà au port, je m'éclipsai dans la salle de bain. Je pense que j'angoissais, mais je ne sais pas si cette angoisse était due aux événements passés ou aux événements futurs. Je fis couler un peu d'eau dans un sceau et me débarbouillai le visage. Je sursautai désagréablement lorsque je sentis mes doigts déposer le liquide sur mes joues. En fait, ce n'était pas tant le froid qui me fît faire un petit bon sur le côté que les souvenirs qui ravivaient. Quand ma peau sentit le contact avec mes doigts, cela fît en un éclair écho...
Aliénor arrête de rédiger et cherche une façon d'exprimer son ressenti à la fois pour poser les faits, mais qui ne soit pas trop brute pour le moment où elle relira son journal.
ALIÉNOR, continuant sa phrase. – ... à l'effleurement de sa cruauté contre ma sagesse. (les pulsations de son cœur augmentent drastiquement). Oh, et puis que le monde aille en enfer. J'ai besoin d'en parler et si je n'en parle pas à mes confidentes (les pages de ce cahier), alors je n'en parlerai à personne. Je pense que je m'adresserai également à Mère pour lui demander conseil. En attendant, je dois transpercer d'encre rouge les pages trop blanches du journal. Je suppose que c'est ce qu'il s'est dit. Il y avait peut-être trop de blancheur en moi, il voulut peut-être me salir pour que ne pas que je sois trop parfaite ? Pour que je ne sois pas ce que l'on m'a toujours demandé de faire ? Il m'a peut-être brisée la partie la plus importante de mon corps car il se sentait inférieur, ou surpuissant ? En réalité, je n'ai aucune hypothèse sur la question. Aucune réponse n'est cohérente. Il ne m'a jamais regardée, jamais touchée, jamais un câlin fraternel, jamais un bonjour, jamais un au revoir, jamais une marque de tendresse ou d'affection. Et cette putain de fois où il m'a enfermée dans ce merdier, il m'a touchée ! Pourquoi ? Pourquoi, merde ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Pourquoi ? Il n'y avait qu'une seule bougie pour éclairer le cachot, mais cette unique flamme qui brulait, dansait au gré des courants d'air était bien suffisante pour que je vois son putain de sourire niais accroché à ses lèvres. Il s'est approché de moi, les mains dans le dos. Il a posé sa main droite sur mon coude, essayant de m'attirer vers lui. Je l'ai repoussé et j'ai aussitôt voulu prendre la fuite ; la porte était bloquée. Avec le recul, j'ai compris qu'il avait un ou plusieurs complices, la porte n'aurait autrement pas pu être fermée à clé. Désespérée, je tournai la tête vers lui, tremblante de peur. Il m'a violemment poussée de l'autre côté de la salle avant d'attacher mes chevilles aux pieds de la chaise, unique meuble de l'endroit. Bien sûr, il prit soin de faire passer mes jambes derrière les pieds de la chaise, afin que... pour avoir accès à mon palais. (elle hésite à barrer cette phrase qui lui faisait rouvrir des plaies presque guéries). Pendant qu'il œuvrait à serrer méchamment les liens qui me reliaient au bois du siège, j'essayais d'abriter autant que je pouvais mon corps. Avec mes cheveux, avec mes bras, je tentais en vain de cacher mes épaules, ma poitrine, mon ventre. Il me regarda quelques secondes durant lesquelles je pensais rendre mon repas sur lui, avant de déchirer le bas de ma robe. Il s'agrippa au-dessous de mes cuisses et me souleva le plus qu'il put pour s'asseoir sur la chaise et pour que... je sois assise sur lui. La première minute, je pensai sincèrement que j'allais me réveiller de ce cauchemar. Je m'imaginais déjà rigoler nerveusement de ce à quoi je venais de rêver. Mais non, tout cela était bel et bien vrai. La deuxième minute, je paniquai, prenant conscience du vol qu'il était en train de commettre. La troisième minute, je me sentis rougir de honte. J'allais y penser toute ma vie, chaque putain de matin. La quatrième minute, je pensai à l'après. Je venais de me rappeler que j'étais en pleine semaine rouge. Je me voyais déjà nettoyer le sol, frotter ma robe, poncer ma peau. Non seulement pour laver cette merde de sang, mais pour laver également cet acte. La cinquième minute, je me forçai à penser à la chaleur du soleil, au chant des oiseaux, à la fraîcheur de l'air, à l'odeur des arbres. La première dizaine de minutes écoulée, je ne ressentis plus rien d'émotionnel, tout était devenu physiquement atroce, chaque cellule me faisait mal. Au bout de quinze minutes, je vis la bougie s'éteindre. Après vingt minutes, je cessai de sentir mes chevilles, les mouvements de mes jambes contre les cordes les ayant taillées jusqu'au derme. Après quarante minutes, il griffa furieusement ma nuque et enfonça ses ongles dans mes omoplates. Je mordis mes lèvres de douleur, mais j'étais rassurée que cela se finissait. Il n'en était en réalité rien ; il se leva et tint mes cheveux, qu'il relevât vers le haut, tirant sur mon cuir chevelu. Cela dura dix minutes de plus. Je faillis m'étouffer quatre fois, je m'étranglai deux fois et je dus déglutir un total de deux fois également. Je ne parvenais plus à respirer convenablement, je me sentais pâlir. Je me voyais quitter inlassablement mon corps et rejoindre sereinement les cieux, éclairés de feux immenses. Je me voyais dans la paix, dans l'amour et dans le bonheur ; j'étais pourtant dans la guerre, dans la mort et dans le malheur.
Seule au beau milieu du pont inférieur, alors que les nuages apparaissent et qu'un brouillard se lève, elle pleure. Les gouttes tombent en quantité sur le papier qui se fragilise. Certains mots sont entachés, d'autres deviennent illisibles. Souffrante et la vision trouble, elle ne fait pas de pause. Pensant que tout ce qu'elle écrirait à sang chaud la libérerait de ses maux, elle parcourt le papier sans s'arrêter, son écriture perdant de sa droiture.
ALIÉNOR, serrant ses dents. – Il prit un martinet noir, décoré de bosses, de piques et de sang. Et il me fouetta. Je hurlai. Il s'empara de moi, il me posséda, il me fît terriblement mal. Il m'attacha au mur, il me porta, il me jeta, il me frappa, il me brisa, il me cassa, il me lyncha. Il s'amusa de toutes sortes de manières à tel point que je ne peux, et je le voudrais pourtant, décrire ces scènes ignobles. Je ne parviens d'ailleurs plus à me rappeler en détails ce qu'il s'est déroulé. Il en eut en tout et pour tout pour deux heures trente. Lorsqu'il me laissa seule, dans ce cachot où je ne pourrais jamais retourner, il me laissa morte (c'est du moins l'impression que j'avais). Je n'entendis rien d'autre que mon cœur battre. Vingt battements par minute, soit un unique battement toutes les trois secondes. J'étais allongée sur le sol, mes membres flasques éparpillés un peu partout autour de moi. Le sang coulait de mon palais le long de mes jambes, sur le sol, dans mes cheveux et depuis mes chevilles, mes poignets, mes lèvres, mon nez, ma bouche. Cela me répugne mais... il n'y avait pas que du sang. Il y avait ma sueur, la sienne, ainsi que son... urine. Et... d'autres choses. Je dormis sur le sol plus de vingt-quatre heures d'affilées. Ils avaient condamné la porte d'entrée du cachot et dissimulé la sortie artificielle. Il fut donc impossible pour la garde de me retrouver. Je me réveillai toute aussi épuisée et, poussée par une mystérieuse adrénaline, j'arrivai finalement à la chambre royale. Le trajet me prit je crois une bonne heure, les pauses et les colères comprises. Maman m'ouvrit timidement la porte et je m'écroulai dans ses bras. Elle remarqua les trainées de sang au sol qui retraçaient fidèlement le parcours que j'avais accompli et elle m'aida, autant bouleversée et en larmes que moi, à me laver, m'habiller, me soigner. Je n'eus besoin de lui expliquer ni ce qu'il s'était passé, ni qui m'avait infligé ces tels dégâts ; elle l'avait deviné par elle-même.
Elle ouvre un second cahier qu'elle dépose sur le sol, une des dernières pages du manuscrit ouverte. Aliénor relit quelques paragraphes et semble souligner des mots çà et là .
ALIÉNOR, réécrivant dans son propre journal intime. – Je l'ai lu par la suite dans ses écrits, mais elle se doutait que quelque chose arriverait. Bien sûr, elle ne savait pas que ce serait si abominable, mais l'alliance Père-fils était bien plus dangereuse que la défense Mère-fille, étant donné l'influence considérable de Père sur celui qui est en réalité mon demi-frère. Maman savait que Père permettait beaucoup trop de choses à Wudris, espérant qu'il me dépasse en popularité comme en légitimité. Elle se doutait qu'un jour, il transgresserait sérieusement les bornes. Et c'était fait ; mon frère m'avait violée. Il m'a férocement dépossédée de ma chasteté et ruiné des années de construction positive envers moi-même. Il a mis en, deux heures et demie, fin à ma personne en tant que tel. Il a tué la partie de moi qui encaissait, qui écoutait, qui se pliait aux règles. Les choses se sont alors très vites enchaînées, et je me suis reconstruite autour d'un rempart de protection. Mais personne ne devra s'approcher une seconde fois de ces murs. Je devrai dès lors partir en combat en première, pour ne pas me laisser surprendre car « la meilleure défense est l'attaque ». Maman avait adopté une tout autre méthode. Elle s'était élevée comme une autre muraille autour de moi, condamnée à s'écrouler. Elle s'est laissée faire pour que je puisse me soulever contre mon Père. Dans le dernier chapitre de son journal intime, elle explique que... la journée suivante de mon viol, après m'avoir soignée, elle m'a mise dans le lit royal. Le Roi Wymerus est revenu de son entraînement peu de temps après ; elle l'attendait. Ils se sont disputés, elle l'a giflé, elle lui a dit des énormités, elle s'est révoltée, elle s'est battue, elle m'a protégée. (recopiant le texte du cahier de sa mère). « Je me suis débattue pour ne pas que cela se fasse, mais cette idée paradoxale paraissait lui plaire. D'un geste malsain, il attrapa mes cuisses, alors que ma princesse somnolait dans le lit, à cinq mètres de nous. Je compris qu'il ferait sur moi ce que son fils a fait sur ma fille, mais je savais qu'il irait plus loin encore. Je compris que j'étais la phase suivante de son plan, la phase précédant celle où il écarterait définitivement Aliénor ». Mère fut retrouvée morte quelques mois après avoir écrit cela, au pied de la tour est du Palais. Quand il l'a poussée du haut du balcon, j'étais dans mon lit, plongée dans le noir, seule avec mes pensées et mes souvenirs. Soudain, je vis le médaillon que Mère m'avait offerte le jour succédant mon viol exprimer un fort rayonnement violet, qui brisa le noir aigri de la pièce. Il resta allumé jusqu'à ce que j'apprenne la mort de Maman. Lors de ses derniers honneurs, quand on démarra le brasier, au milieu des feux d'artifices, de la foule, des chants, des danses, des cris et des rires heureux – comme il en est coutume à Bammis – de l'outrepassement de la Reine, la lumière de l'amulette vacilla au pourpre. Le rose clair arriva tout de suite après que son corps fut complètement brûlé. C'est sans aucun doute le collier qui me donna la rage, le courage ou l'inconscience (qui sait ?) de pousser les deux colossales portes de la salle du trône pour confronter mon père. Je criai sur lui, je déversai ma colère, mon amour pour Maman, ma haine contre lui, contre son fils, contre le gouvernement, contre le pays, contre tous les changements qu'il a faits, contre toutes les stupides lois, contre ses funestes idées, contre son dégoût envers moi et Maman, contre les femmes, contre la gentillesse, la bonté, l'amour, la paix, le bonheur, la joie, les sourires et les rires. Je l'insultai de tous les noms, je le poussai, je le frappai, motivée par toute cette exaspération, cette frénésie sans précédent, cette passion dévorante, cette rancœur. Je pense qu'il était impressionné, voire choqué, de constater que celle qu'il a toujours sous-estimée, méprisée, détestée, reniée. Voir celle qui s'est toujours tue se dresser devant lui avec de si grandes convictions a dû lui provoquer une inconvenance somme toute compréhensible. Peut-être même a-t-il eu peur de voir la furie dans mes yeux ? Je ne le saurai jamais, mais en tout cas, il n'opposa aucune résistance. Seulement une fois il lâcha un timide avertissement que je rompis sans hésitation. Je sortis précipitamment la dague de Maman d'une poche de ma robe, et je vis de la stupéfaction, de la terreur, de l'effroi dans ses yeux qui reflétaient dans la lame scintillante. Je plantai le poignard en plein dans son buste. Il ne réalisa pas ce que j'étais en train de faire. Moi, au contraire, plus que jamais. Je le transperçai encore et encore dans le ventre, dans la poitrine, dans les bras, dans les mains, au visage, dans les jambes, écorchant chaque morceau de peau, déchiquetant chaque vaisseau sanguin. L sang gisait partout autour de nous, à l'instar de fontaines qui, sans s'arrêter, déchargeraient des tonnes d'eau à l'occasion de fêtes religieuses qui s'éterniseraient tard dans la nuit.
La Princesse prit une minute pour respirer profondément et calmer son cœur qui s'emballait.
ALIÉNOR, broyant le papier avec brutalité. – La vengeance fut salée. J'ai reçu l'analyse médicale ce matin et le constat est effrayant ; je l'ai incisé de cent-treize coups de couteau. Ce que les médecins ne savent pas c'est que... je ne l'ai pas seulement tué. Je l'ai soigné, aussi. Je ne pourrais affirmer s'il s'agissait de l'amulette ou de moi, mais je tirais parti de la magie pour le maintenir en vie. À chaque nouveau coup, il hurlait de douleur, me suppliant d'en finir et de le laisser mourir en paix. Je lui parlais de ma souffrance, de toutes les fois où j'avais peur qu'il me touche ou qu'il me tue, je lui partageais mes émotions et mes ressentis, tout en le criblant d'une putain de centaine de coups. J'entends encore fréquemment ses hurlements résonner dans mes oreilles, et je souris. Je rigole, je jubile. Il a tué Maman, je l'ai tué. À présent, il ne me reste plus qu'en finir avec celui qui a tué Aliénor, la Princesse fragile et naïve. À vrai dire, j'ai déjà prévu ma vengeance, et je m'en réjouis. J'ai hâte. J'ai hâte de débarquer sur ces côtes, j'ai hâte de prononcer un énième discours aux troupes, j'ai hâte de les conduire jusque par-delà les frontières de mon Royaume, jusqu'à sa capitale, j'ai hâte de décimer les forces de mon frère, j'ai hâte de poser enfin mon postérieur sur le trône qui est le mien ! J'ai hâte de le capturer, j'ai hâte de lui parler, de le torturer de paroles, de souvenirs et de traumas, j'ai hâte de le mettre en place publique et de commander mes soldats pour qu'il souffre comme il n'aura jamais souffert. J'ai hâte de vivre en tant que souveraine, j'ai hâte de régner sur mes sujets, sur les terres infinies au bout desquelles s'écoulent les océans peuplés d'une faune que je dominerai également. J'ai hâte.
Un carillon se fait entendre au loin.
ALIÉNOR, grappillant de la place tout au bas de sa page. – Le devoir m'appelle, je dois me changer, nous arrivons au port de Stravis. Puisse Sainte Asselah me protéger ! Puisse t-elle me mener à la victoire !
*
Aliénor laisse tomber sa robe à ses pieds. Elle découvre, comme à toutes les aubes et à tous les crépuscules, ce corps dénudé qu'elle a tant essayé d'envelopper sous de somptueuses robes, voulant celer les plaies béantes depuis lesquelles jaillissait la sève alizarine découlant des veines salies de cette obscénité que jamais elle ne pourrait oublier. Ce corps recouvert de traces, de blessures et de marques. Ce corps qui a traversé tant d'épreuves. Elle passe une main sur son bas ventre, et une larme coule. S'ensuit une deuxième, une troisième. Sa main effleure son bassin, elle se lamente alors sur le sol poussiéreux de la chambrée.
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