On regarde quoi ce soir
(par Ellumyne)(Thème : MĂ©lilĂ©mots 5)
Un silence profond régnait dans la station orbitale d'Ortalia. Il était tard, et chaque membre d'équipage vaquait tranquillement à ses occupations. Jacob, le plus expérimenté du groupe, peaufinait son jeu aux échecs en jouant contre lui-même. Héléna, la botaniste, triturait son bracelet fétiche, les yeux dans le vague. Un éclat bleuté la sortit de ses rêveries, et elle sourit en approchant le pendentif de son visage. Le dauphin en argent serti de saphirs semblait la regarder et la jeune femme réprima un élan de tristesse lorsqu’elle se souvint que c’était sa mère qui lui avait offert avant le début de cette mission. Sa famille lui manquait terriblement.
Robin, le petit génie en informatique, tentait quant à lui, de réparer un vieux poste de télévision qui, mal arrimé, avait malencontreusement chuté.
— T'en a pas marre de travailler sur ce vieux téléviseur ? soupira Jacob. Il est mort, il est mort, tant pis…
— Si ze te dis que ze peux y arrizer ! Fais-moi confianze ! répliqua Robin, un tournevis entre les dents.
— C'est clair… On rentre sur Terre dans un mois à peine. Tu pourras en avoir un tout beau tout neuf, ajouta Héléna.
— Mais laissez-moi travailler voyons ! s'énerva Robin en laissant tomber l'outil qui ricocha sur le plancher métallique. Je vous ai sauvé les miches lors de l'approche de cet astéroïde, je peux bien réussir à réparer…
L'informaticien s'arrêta au milieu de sa phrase, hypnotisé par le clignotement du vieil écran.
— J'ai… J'ai réussi ! Vous avez vu ? J'ai réussi ! répéta-t-il en bondissant comme une sauterelle dans la pièce à vivre.
— Cool, on va pouvoir se mater l'intégrale de Plus belle la vie ! s'écria Jacob en se levant pour aller chercher la pile de DVD.
— Que… Quoi ? Non ! C'est moi qui l'ai réparée, c'est moi qui choisis le programme. Et ce soir, on va regarder ça !
— Les deux autres membres d'équipage le regardèrent en silence, attendant plus de précisions.
— Ça ! s'écria Robin en faisant des moulinets avec les bras comme s'il énonçait une évidence.
— Ça, quoi ? demanda doucement Héléna, comme si son interlocuteur n'avait plus toute sa tête.
— Ça ! Le film d'horreur, le clown, les enfants disparus, et tout et tout. Non, ça ne vous dit rien ? énuméra l'informaticien, une lueur d'espoir dans les yeux.
Les deux autres se regardèrent, manifestement démunis face aux propos abscons de leur collègue. Peu enchantés à l'idée de regarder un film d'épouvante à cette heure avancée, Héléna se dirigea vers les DVD afin d'en choisir un qui conviendrait à tout le monde.
— La Ligne Verte ? proposa-elle à la cantonade. La Reine des Neiges ?
— Qui a bien pu amener ce truc ici ? grommela Robin en croisant les bras.
— Top Gun, bof, non. Ohhh, Le Roi Lion… murmura la jeune femme dans un élan de nostalgie. Ça vous dit ?
— Ah non, c’est hors de question ! Tu vas encore te mettre à pleurer pendant la scène des gnous ! protesta le ronchon de service en toisant sa collègue, le regard dégoulinant de condescendance.
— Quel rabat-joie ! s’interposa Jacob, sentant que la situation commençait à déraper. Puisque c’est comme ça, regarde donc ton film tout seul, moi, je vais me coucher.
— Ouais, et moi, je vais retourner voir mes petites plantes. Elles ne sont pas contrariantes, elles ! ajouta Héléna d’un ton acerbe en se dirigeant vers la serre, son havre de paix.
— C’est ça, va surveiller tes asticots, oh déesse suprême de la botanique.
— Ce sont des lombrics, sombre idiot ! Et s’ils n’étaient pas là pour contribuer à la fertilité du terreau, tu serais déjà mort de faim je te signale ! feula Héléna.
Le regard aussi perçant que celui d’une panthère en colère, elle sortit de la pièce en claquant
violemment la porte. La secousse produite fit trembler la caisse à outils posée en équilibre instable. Robin se précipita vers elle pour éviter qu’elle ne chute. Mais ce faisant il se prit les pieds dans un câble qui trainait au sol, entrainant avec lui le poste de télévision qui se fracassa au sol dans un bruit de plastique et de verre brisé. Abasourdi, il observa les morceaux de l’écran éclaté, dispersés tout autour de lui, en bégayant des propos incompréhensibles.