L'Académie de Lu





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KaĂŻ KaĂŻ

(par Ellumyne)
(Thème : Ă€ la manière de l'isekai)



VĂ©rifier que la porte de mon appartement est bien fermĂ©e Ă  clĂ©s ? Fait ! Manger un sandwich et boire un coup ? Fait ! Mettre mon tĂ©lĂ©phone en mode avion et allumer mon ordinateur ? Fait ! J’étais fin prĂŞt pour me plonger dans ma partie de Monstres et Titans, et ce, sans qu’aucune distraction ne puisse briser ma concentration. Après de longues et Ă©prouvantes heures de jeu, j’allais bientĂ´t atteindre le niveau 50. Le niveau le plus haut. Le niveau que tout le monde rĂŞvait d’atteindre !

Les doigts fébriles, je lançais le jeu et une cinématique apparut. Mon cœur se mit à battre plus fort quand je cliquai sur ma dernière sauvegarde. Un chevalier se matérialisa à l’écran, puis le décor autour de lui prit peu à peu vie. Cela faisait des semaines que je tentais de battre le boss final. Une hydre monstrueuse à 5 têtes, à la peau cuirassée d’un dragon et aux crocs gigantesques d’un cobra, dont le venin surpuissant était capable de terrasser n’importe quel être vivant en une seule morsure. Le droit à l’erreur n’existait pas. Raison pour laquelle je recommençais ce combat en boucle.

La grotte sombre et suintante d’humidité n’était pas accueillante. Et l’étendue d’eau au centre de la cavité principale était calme. Bien trop calme. Je connaissais cette phase du combat par cœur. L’immonde créature allait en surgir d’une seconde à l’autre, les langues sifflantes de colère, chaque tête me chargeant tour à tour, avec une force herculéenne. Si j’étais touché, alors mes dégâts d’empoisonnement me ralentiraient et ma vision deviendrait floue malgré mes potions de soin, compliquant la suite des évènements. En règle générale, si ça m’arrivait aussi tôt dans l’affrontement, je ne prenais pas la peine de continuer et je rechargeais la partie. Mais aujourd’hui je ne savais pas pourquoi, mais je le sentais bien.

Des ondulations apparurent dans l’eau, me prévenant de l’arrivée de la menace. J’étais prêt. L’hydre creva la surface brillante et posa ses grosses pattes griffues sur le sol gluant. Elle propulsa l’une de ses têtes vers moi et je fis une roulade élégante pour l’éviter tandis qu’elle sifflait. Je me retournais vers le monstre. Je me retournais… Je…

— Saleté de caméra ! On s’en fout du mur ! Tourne, mais tourne merde !

Un bruit assourdissant de ferraille tordue et d’os brisés doucha mes espoirs. J’avais envie de briser l’écran qui me narguait avec le mot « défaite » écrit en lettres de sang. Le jeu me proposa de charger la sauvegarde la plus récente, et la mort dans l’âme, j’acceptais. Mais au lieu de me retrouver à nouveau dans la grotte, une nouvelle fenêtre apparut et une voix suave se mit à me parler.

— Cher joueur, nous vous remercions pour votre engagement sans faille et pour les efforts fournis dans le cadre de l’annihilation du boss final de Monstres et Titans. Aujourd’hui, vous avez atteint votre 999ème rechargement à la grotte des Cadavres Oubliés et c’est pourquoi, nous avons l’honneur de vous proposer un mode en immersion totale pour votre prochain essai. Et ce, afin de vous aider à mener votre quête à bien. Acceptez-vous ?

Deux cases apparurent sur mon écran : « oui » et « non ». Je n’avais pas la moindre idée de ce que tout cela signifiait. Mais après tout, pourquoi pas ? J’en avais assez de perdre encore et encore. Je cliquais sur « oui » et attendis. La voix s’éleva à nouveau mais sur un ton tellement rapide que j’eu du mal à en saisir toutes les conditions.

— Bien, vous avez accepté le mode immersion totale. Aucun retour en arrière n’est maintenant possible. Nous vous indiquons que votre participation se fait à vos risques et périls. En aucun cas Monstres et Titans software ne pourra être tenu pour responsable en cas de blessure, qu’elle qu’en soit la gravité. Nous vous rappelons aimablement qu’en cas d’injection de venin, aucun antidote n’est connu à ce jour. Qu’en cas de blessure par écrasement de la cage thoracique, de perforation des poumons, de démembrement, de noyade, de mâchouillement, d’étouffement, de décapitation, de digestion par des sucs gastriques, de crise cardiaque ou tout autre blessure de nature à entrainer la mort, aucun mage ne viendra à votre secours. Et bien évidemment, tout décès est définitif.

Une nouvelle fenêtre apparut et la voix repris de manière plus posée.

— Quel personnage choisissez-vous d’incarner pour cet affrontement épique ? Le choix est vôtre.

Une liste longue comme le bras s’afficha et je fis défiler l’ascenseur. Plusieurs héros, des forgerons, des soldats, et même un cheval. Un peu toute la panoplie des pnj du jeu. Sûr de moi, je cliquais sur mon propre chevalier.

— Vous avez choisi : Sir Gilbert de Tristepain. Bonne chance.

Une main invisible m’aspira à travers l’écran et je me mis à tourbillonner dans tous les sens. Des flashs de lumière m’aveuglèrent et je fermais les yeux pour ne pas vomir. Mes vêtements se déchirèrent sous la pression de mes muscles qui gonflaient soudainement, et je sentis un tissu râpeux me couvrir les jambes et le torse. Puis des lanières de cuir assemblèrent comme par magie des pièces de métal sur mon torse et mes jambes pour former une armure étincelante. Les secousses se calmèrent soudain et de la roche noire se matérialisa sous moi.

— Bonjour Messire, est-ce que vous souhaitez acheter quelque chose ? me demanda un pnj d’un œil vitreux.

— Hein ? T’es qui toi ? Un vendeur à la sauvette ? Dégage pouilleux, je suis déjà équipé comme il faut.

Je me redressais lentement et admirais mon superbe plastron fait en Mirydill, le métal le plus solide de tous. Finement gravé de runes elfiques qui semblaient palpiter comme si elles avaient une vie propre, il m’avait pris à lui seul, plus de quinze heures de pillage afin d’avoir le nombre de pièces d’or requises pour me l’offrir.

— Etes-vous bien sûr d’avoir tout ce qu’il vous faut ? pépia une voix enfantine.

— Ah mais ça suffit hein ! Fichez-moi la paix, tous, là !

Je respirai une grande goulée d’air frais pour me remettre de mes émotions, mais au lieu de me revigorer, elle me donna la nausée.

— Oh, mais ça pue ici ! C’est dégueulasse ! m’exclamai-je, dégoûté.

— Ça vient de votre transpiration. A force de suer comme un porc dans vos frusques et à ne jamais vous laver, se moqua le gamin.

— Attends… Mais t’es pas un simple pnj toi !

— En effet, me répondit-il avec un sourire narquois.

— Tu es… J’y crois pas ! T’es un joueur comme moi ? On t’a aussi proposé le mode immersif ? Mais… Ça signifie que tu t’es foiré dans le choix du personnage ? T’as pris le plus nul de toute la liste !

— Je ne te permets pas… susurra l’enfant.

— Hahaha, espèce de sale loser ! Tu te moques bien de moi, mais le plus abruti de nous deux, c’est toi ! T’es bloqué dans ce corps chétif, sans aucun moyen de battre le boss final et t’attends comme un con qu’un preux chevalier comme moi le fasse à ta place ! Paye ton immersion totale, hahaha !

Je me détournai du gamin pieds nus et en haillons. A vrai dire, il me faisait pitié. Mais après tout, je n’étais pas là pour lui. J’avais une destinée qui m’attendait dans cette grotte. Je fis une enjambée vers le trou béant et…

— Aïe !

— Tu es sûr de ne pas vouloir retourner voir le marchand ? Il aura peut-être un cataplasme pour tes ampoules aux pieds ? me nargua le nabot.

— Hein ? Comment…

— Comment je le sais ? Parce que tu es le quarante-sixième chevalier que je vois disparaitre dans les entrailles de la grotte des Cadavres Oubliés.

— Et que sont devenu les quarante-cinq premiers, petit malin ?

— Eh bien ce sont des cadavres… Et tout le monde les a oublié…

— Rassurant…

Je décidai de ne plus écouter ce nain de jardin trop bavard et je continuai ma route vers l’antre peu accueillant de la créature. Manquant de déraper sur le sol humide et glissant, je me retrouvai rapidement dans une obscurité complète. Que nenni, j’engloutis rapidement une décoction qui me rendit la vue et la cavité se mit à scintiller d’un éclat argenté.

— Hey mon ami, ce n’est pas de la bave de créature que tu vois briller sur les murs, c’est le sang de tes compagnons morts au combat, me hurla l’enfant resté à l’extérieur.

Faisant semblant de ne pas l’avoir entendu, je dégainai mon épée et la soupesa dans ma main. Elle était incroyablement équilibrée. Plutôt lourde au premier abord, mes muscles herculéens n’avaient pourtant aucun mal à la manier. Un petit rire sortit de ma gorge et j’avançai, plus sûr de moi que jamais. Cette hydre allait finir en chair à pâté. Une légère brume grisâtre flottait au-dessus de la surface noire du lac souterrain. Et soudainement, une phrase me revint en mémoire. Tout décès est définitif. On était bien d’accord que c’était mon personnage qui allait mourir. Pas moi dans le monde réel ? Une goutte de sueur perla sur mon front moite d’appréhension. Même si je me refusais à l’admettre, la peur me grignotait de l’intérieur. La surface de l’eau se mit à onduler et mon cœur se serra. Je n’avais plus le temps de réfléchir à ça, le combat final allait commencer.

La créature jaillit des profondeurs, aspergeant les environs de milliers de gouttelettes de liquide saumâtre. Ses gigantesques pattes griffèrent la roche tandis qu’elle sifflait de colère, cherchant la position de l’intrus avec ses multiples langues fourchues. L’une de ses têtes me repéra, et avant de me faire sauvagement broyer par sa gueule béante, je fis une roulade sur la gauche. Mais, pris dans mon élan, je perdis l’équilibre et m’étalais au sol. Deux petits yeux curieux se penchèrent aussitôt sur moi et me fixèrent avec intérêt.

— AHHHHH ! ne pus-je m’empêcher de hurler, imaginant le pire.

— Hey ! Calme-toi, c’est juste moi, me répondit le gamin avec un sourire jusqu’aux oreilles.

— Hein ? Que ? Quoi ?

— Par contre, prépare ta prochaine esquive !

Il n’avait pas tort, l’attaque de la bête ne se fit pas attendre, et j’eu à peine le temps de sauter avant de me faire embrocher sur un croc empoisonné.

— Qu’est-ce que tu fous là bordel ?!

— Oh, t’occupe pas de moi. J’assiste juste à ton trépas. D’ailleurs… Si tu pouvais te dépêcher ! Je commence à avoir la dalle, moi !

L’hydre sifflait, et ses trop nombreuses têtes dansaient en face de moi comme autant de serpents hypnotisés par le charme de mon épée. Mais je savais qu’en réalité, elles cherchaient une ouverture au travers des moulinets de ma lame. Je ne tiendrais pas longtemps comme cela.

— Mais ça mange pas les pnj !

— Les pnj, non, mais mon moi de la vraie vie, si ! Je m’apprêtais à rentrer chez moi quand tu as débarqué. Alors maintenant, j’attends que tu meures. Je m’en voudrais de fausser tes résultats …

Je ne comprenais rien à ce charabia. Une griffe aussi grande que mon avant-bras surgit devant moi et je plantai le fil de mon épée dans l’épaisse peau reptilienne. La créature cracha un jet de poison dans ma direction, et surpris, je lâchai mon arme avant de me réfugier derrière un amas rocheux.

— Et merde ! grommelai-je, furieux.

— Ah ouais… Quand-même… Il y a du niveau, là ! Je crois bien que c’est la première fois que je vois ça !

— Ah mais tais-toi ! Tout ça, c’est de ta faute ! Tu m’as déconcentré !

— Ils disent tous ça… La remise en question, c’est pas votre fort, hein ? Bon, maintenant, tu vas m’écouter.

— Je ne veux plus t’enten…

Une queue écailleuse percuta le bloc de pierre qui me protégeait. Des éclats tranchants plurent dans ma direction et m’écorchèrent le visage.

— Bon ok, je t’écoute, capitulais-je.

— Deux choix s’offrent à toi. Soit, tu fuis cette cave le plus vite possible, tu rachètes une épée, tu t’entraines à fond, puis tu reviens occire ce boss. Dans ce cas, tu obtiendras le niveau 50, le graal absolu auquel tu tiens tant.

— Ou alors ?

— Soit, tu restes prostré comme un imbécile derrière ce caillou, tu me laisses tuer cette hydre, le jeu considèrera que tu as triché, tu n’obtiendras pas le niveau 50 et toutes tes sauvegardes seront effacées. Mais tu sortiras d’ici en vie.

— Quoi ? Hors de question que je perde 800 heures de jeu ! D’ailleurs, comment tu sais tout ça d’abord ?

— Tu n’as pas lu les petites lignes avant de signer le contrat ?

— Euh… Hum… bredouillai-je en cherchant à changer de sujet. Et puis sérieux, tu t’es vu ?

— Oui ?

— Comment un nabot comme toi pourrait bien vaincre un monstre pareil ?

— Tic, tac, le temps t’est compté.

Un museau d’un vert sombre et luisant louvoya silencieusement au-dessus de ma tête. Les fentes de ses narines s’ouvraient et se fermaient au rythme de sa respiration, et une langue avide sondait les environs. Mon sang ne fit qu’un tour et je hurlai à plein poumons.

— Sauve-moi !

L’enfant se leva doucement du promontoire sur lequel il était confortablement installé, marcha d’un pas tranquille jusqu’au fond de la caverne d’où il sortit lentement une arbalète d’un coffre dissimulé. Tout mon esprit le suppliait de se dépêcher, mais il semblait prendre un malin plaisir à faire durer le suspense. L’hydre ne chercha pas à l’attaquer. Les têtes basses, elle soupira en regardant d’un œil morne le gamin encocher un trait et mettre son poitrail en joue. Ce dernier lui fit une tape amicale sur l’épaule avant de lui murmurer quelque chose.

— Désolé ma belle. Moi aussi je préfère quand tu t’amuses avec ces idiots. Mais je dois rentrer chez moi pour aller travailler. On se revoit demain soir, sans faute ! Je t’apporterai du cuisseau de Goliath pour me faire pardonner.

Puis il lui décocha le carreau en plein cœur. La créature émit une plainte abominable avant de s’effondrer au sol en convulsant. J’assistai à la scène d’un air ahuri, incapable de faire le moindre geste.

— Que… Comment ? bafouillai-je.

— Pardon ?

— Comment t’as fait ? Je… Je veux dire… Elle ne t’a pas attaqué, ni rien !

— Oh, elle a déjà tenté plusieurs fois… Au début… Mais elle a vite compris qu’en tant que pnj enfant, j’étais invincible, héhé. Tu n’y avais jamais fait attention ? Tu ne croyais quand même pas que j’avais choisi ce corps par hasard j’espère ? Enfin… Peu importe. Je me suis bien amusé, et toi ?

L’étonnement m’empêchait de formuler une réponse. Je n’en eu d’ailleurs pas le temps. Une force invisible m’aspira et je me retrouvai violemment propulsé dans ma chambre. Sur l’écran de mon ordinateur, un message rouge clignotait : Triche détectée, vos sauvegardes ont été effacées et votre compte sera banni pour l’éternité.

Mais bizarrement, cette expérience m’avait vacciné de ce jeu que j’affectionnais tant. Et je souriais face à l’ingéniosité de cet autre joueur qui m’avait donné la meilleure leçon qui soit.




























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