L'Académie de Lu





Pas encore inscrit ? /


Lien d'invitation discord : https://discord.gg/5GEqPrwCEY


Tous les thèmes
Rechercher dans le texte ou le titre
Expression exacte
Rechercher par auteur
Rechercher par type de défi
Tous les textes


PseudoMot de passe

Mot de passe perdu ?

Vacances racontées

  • Loin des yeux, mais près du cĹ“ur (Ellumyne)

Loin des yeux, mais près du cœur

(par Ellumyne)
(Thème : Vacances racontĂ©es)



Tout était calme dans la station orbitale de Numéa. Les claquements sourds et réguliers sur le sol métallique rythmaient les allées et venues des occupants. Chacun vaquait tranquillement à ses occupations. Un jeune homme longeait le couloir reliant les dortoirs entre eux, quand soudainement, une boule d'énergie manqua de le percuter de plein fouet. Il se plaqua contre le mur gris et froid pour éviter la petite tête blonde quand une voix cristalline s’éleva sur sa gauche.

— Thomas, doucement ! Je suis vraiment dĂ©solĂ©e… C'est le jour de la TĂ©lĂ©transmission, vous comprenez…

Le sourire embarrassé de la femme était trop sincère pour que l'homme n'émette le moindre reproche. Comprenant ce que cela signifiait, il hocha la tête en direction de la mère de famille, et ébouriffa les cheveux du gamin.

— Tu vas discuter avec qui aujourd'hui, dis-moi ?

— Avec mon papi !

— C'est super ça ! Il va te lire une histoire ?

La femme s'interposa et pris la petite main de son enfant dans la sienne.

— Non, cette fois-ci il va lui raconter des souvenirs d’enfance.

Les yeux de Thomas s'écarquillèrent de bonheur. Il adorait quand son grand père lui parlait de sa vie sur Terre. Trépignant d’impatience, il tira de toutes ses forces sur le bras de sa maman pour qu’elle se dépêche de le suivre. Cette dernière salua son interlocuteur et repris sa route, guidée par les minuscules enjambées de l’enfant qui connaissait le chemin par cœur malgré son jeune âge.

Les couloirs se suivaient et se ressemblaient tous. Seules des lignes tracées au sol permettaient de se repérer grâce à un code couleur savamment étudié. Depuis maintenant cinq ans qu’elle était arrivée dans cette station, Marion n’avait plus besoin de lire les plans affichés ça et là pour se rendre dans le pôle Transmissions. Quand elle était arrivée dans la station, elle s’était inquiétée à l’idée de se perdre dans ce dédale froid et oppressant. Et la solitude lui pesait énormément, malgré les discussions hebdomadaires avec son père, resté sur leur belle planète verdoyante. Mais elle réalisa rapidement qu’à Numéa, tout avait été pensé pour leur bien-être. Et ses craintes s’envolèrent rapidement. Après tout, ils étaient les précurseurs d’une nouvelle humanité. Chouchoutés comme des rois, ils avaient accès à tout ce dont ils avaient besoin.

— Maman !

Le cri de son enfant la réveilla brutalement de ses songes et elle se rendit compte qu’ils étaient arrivés. Elle poussa la double porte capitonnée et ils s’installèrent tous deux dans un des trois petits box équipés d’un écran pas plus grand qu’une tablette. La place dans la station orbitale était limitée, raison pour laquelle chacun avait droit à un quart d’heure de transmission par semaine afin que tout le monde puisse en profiter.

La mère posa son pouce sur le capteur d’empreinte digitale et une tonalité lui indiqua que son profil était maintenant activé.

— Bonjour Marion Lombard, et bienvenue sur Orios, système de télétransmission intelligent. Que souhaitez-vous faire aujourd’hui ?

— Orios, je demande la communication avec Monsieur Albert Lombard.

— Très bien. Connexion en cours avec Monsieur Albert Lombard. Un instant s’il vous plait.

Un sablier apparut sur l’écran, les invitant à patienter. Puis tout devint noir. A des milliers de kilomètres de là, une douce lueur tremblotante surgit d’une bougie, et éclaira un visage ridé et fatigué. Malgré ses yeux enfoncés dans les orbites, le vieillard était souriant et tentait de faire bonne figure.

— Papi ! cria le gamin débordant d’enthousiasme.

— Hé, bonjour toi. Comment vas-tu mon petit ?

— Super ! Hier j’ai construit une tour super haute avec Maxime ! Mais Joël il est méchant. Il a donné un coup de pied dedans et après…

— Très bien, très bien. Kof, kof…

— Papi ? Tu vas bien ?

L’inquiétude se sentait dans la voix de Thomas. Mais son grand-père reprit très vite contenance afin de ne pas l’inquiéter.

— Aujourd’hui, je te propose de te raconter quelque chose de différent.

— Super ! Raconte-moi !

Le silence se fit. Albert regardait dans leur direction, mais semblait ne pas les voir. Il était comme perdu dans ses pensées.

— Papi ?

Sa mère serra son fils dans ses bras en lui murmurant à l’oreille que la connexion était mauvaise et qu’il y avait parfois des interférences. Après quelques secondes de flottement, le grand-père se remit à parler avec ardeur.

— Quand j’avais ton âge, les vacances, c’était quelque chose de sacré. Quand mon père sortait la caravane du garage, c’était quelque chose de magique. Je montais à l’intérieur et je pouvais sentir l’odeur du vieux bois, et celle de la poussière qui s’envolait dès qu’on soufflait sur la petite table pliante. Kof, kof.

— C’est quoi la Poux Sierre ? Un insecte-robot ? l’interrompit le petit garçon, intrigué.

— Chut ! Laisse papi parler la gronda sa mère.

Le grand-père ne s’en offusqua pas et continua à conter les histoires de sa jeunesse, d’un ton lent, empli de nostalgie.

— Je ne tenais pas en place pendant que papa et maman nettoyaient de fond en comble ce qui allait être notre seconde maison pour les trois semaines suivantes. Que ce soit à la plage, où le bruit des vagues nous berçait la nuit et où le sable tiède nous chatouillait les pieds dès le matin. Kof, kof. Que ce soit à la ferme de mes cousins où le chant du coq nous réveillait à l’aube et où l’on caressait les lapins en leur donnant des carottes, sous le regard gourmand de leur âne Grisou.

— Hiii han ! Hiii han ! s’exclama Thomas en repensant aux épisodes de Trotro qu’il avait vu plus jeune.

— Mais ce que je préférais le plus… Kof, kof… C’est quand nous allions en forêt ! Le vent dans les arbres… Les grattements des petits animaux dans les feuilles mortes… Les longues promenades dans les bois, à jouer avec des bouts de branches, et à faire des ricochets avec des cailloux plats dans le lac. Je me souviens que mon père gagnait souvent à ce jeu-là. Jusqu’à ce que je comprenne la technique, haha, arhg kof, kof. J’aurais… J’aurais aimé te l’enseigner à toi aussi. C’était mer… Merveilleux !

— C’est trop bien ! Moi, on me laisse pas jouer avec les plantes ici. C’est que pour faire à manger.

Une goutte d’eau salée glissant discrètement le long de sa joue, Marion serra très fort son fils entre ses bras avant de murmurer un « je t’aime papa » en direction de l’écran. L’aïeul soupira longuement et mit sa main sur sa poitrine, comme si cela pouvait soulager sa mauvaise toux. La discussion semblait l’avoir vidé de toute énergie et il dodelinait de la tête, presque somnolant, sur son vieux fauteuil en cuir craquelé. Il toussa encore une ou deux fois avant de porter un mouchoir à sa bouche.

Séchant discrètement ses larmes, la mère se redressa, réprima un sanglot et prit la parole d’une voix qu’elle espérait ferme.

— Orios, fin de la communication.

Tout redevint immédiatement noir et la voix robotique se déclencha.

— Bien reçu, télétransmission terminée.

— Mais j’ai pas dit au revoir ! chouina Thomas, déçu.

— Désolé mon cœur, nos quinze minutes sont écoulées, mentit ouvertement Marion. On doit laisser la place aux suivants.

— Déjà ? Dommage… A la semaine prochaine papi… murmura le petit garçon.

Dès leur sortie, cinq adolescents s’engouffrèrent dans le box minuscule et s’entassèrent à qui mieux mieux sur l’unique tabouret. Les moins rapides s’assirent par terre ou restèrent debout, mais cela avait peu d’importante. Il était tellement rare que quelqu’un quitte la transmission aussi longtemps avant la fin. Et les minutes ainsi grappillées, cumulées à leurs temps d’écran respectifs, ils auraient peut-être le temps de regarder un film de A à Z pour la première fois depuis que la petite salle de cinéma avait été saccagée suite à un désaccord sur le choix de la vidéo diffusée.

La scène fit sourire la mère de famille qui comprenait parfaitement ces jeunes. A Numéa, les loisirs étaient rares. Après tout, cette station avait été confectionnée principalement pour la survie de ses occupants, dans l’attente d’un prochain retour sur Terre. Il s’agissait seulement d’observer si un large groupe d’individus était capable de vivre en autarcie pendant plusieurs années. Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu. Certains pays se sentirent floués d’avoir été mis à l’écart du programme. Et peu après l’envoi de la station sur orbite, une guerre nucléaire avait éclaté sur Terre, entrainant des ripostes de plus en plus meurtrières aux quatre coins du globe.

Les retombées radioactives mirent des mois à s’étendre dans toute l’atmosphère. Et il était devenu évident qu’un retour était impossible. Enceinte jusqu’au yeux, Marion était inconsolable à l’idée de ne plus jamais revoir Albert. Et elle aurait tellement voulu que son futur fils fasse sa connaissance. Alors elle demanda à son père de faire quelque chose d’insensé. Semaine après semaine, ils se retrouvaient dans ce box. Et au lieu de discuter de la pluie et du beau temps, ils enregistraient des vidéos pour le petit Thomas. Dans certaines, il lui lisait des contes, dans d’autres, il lui racontait des souvenirs d’enfance. A chaque fois, il prenait le temps de faire des pauses pour que l’enfant puisse s’exprimer.

Jusqu’à présent, la supercherie semblait tenir. Mais Marion savait que bientôt, le stock de vidéos allait être épuisé. Elle repensa à celle qu’elle venait d’écourter. Au sang qui allait imbiber le mouchoir. Au regard attristé de son père. A la nouvelle quinte de toux qui dura si longtemps qu’elle avait cru le perdre ce jour-là. Mais non, il avait tenu bon. Encore quelques semaines. Afin d’avoir une chance de voir son petit-fils pour de vrai. Mais ce ne fut jamais le cas. Un jour, Orios déclara que la télétransmission n’était pas possible pour cause d’absence de la personne à contacter. A cet instant précis, elle sut que c’était terminé. L’accouchement se déclencha quelques heures plus tard et si elle avait perdu un père, elle avait gagné un fils. C’était tout ce qui comptait maintenant pour elle. Et si elle arrivait à grappiller encore quelques semaines en lui faisant visionner le conte de la Belle au Bois Dormant une ou deux fois, alors la dernière vidéo de son papi tomberait le jour de ses six ans. Et elle s’était promis de lui avouer toute la vérité.




























© 2021 • Conditions générales d'utilisationsMentions légalesHaut de page