Sautillant à cloche-pied au risque de me fouler une cheville, je tentais tant bien que mal d’enfiler ma deuxième chaussure de bal. Quelle idée avais-je eu de choisir des talons aussi hauts ?

— Béatrice ! C’est libre ! Hey, tu n’es pas encore habillée ? me pressa Clara en entrant dans ma chambre.

— Deux secondes, j’arrive, répliquai-je agacée à ma petite sœur en reprenant mon équilibre.

Cette dernière était resplendissante dans sa robe bleu azur dont les paillettes miroitaient de mille feux devant mes yeux. Je me précipitai à mon tour dans la salle de bain, mes talons claquants sur le sol à un rythme effréné. J’ouvris brusquement ma trousse de maquillage et m’emparai du fond de teint. J’appliquai le produit à l’aide d’une éponge et fermai les paupières pendant que je la passais sur tout mon visage. En les réouvrant pour vérifier le résultat dans le miroir, je me retrouvai nez à nez avec le visage d’une parfaite inconnue dont les yeux d’un rouge profond flamboyaient d’un désir malsain. Avant même que je ne puisse réagir, un bruit de verre brisé dans le couloir me déconcentra et je tournai la tête vers la porte, cherchant à en déterminer l’origine.

— Clara ? appelai-je, légèrement inquiète.

Aucune réponse. Je passai la tête par l’encadrement et remarquai que le cadre contenant la photo de mariage de nos parents avait chuté au sol, répandant des éclats de verre tranchants aux alentours. Je m’approchai et me baissai pour nettoyer quand soudainement, une ombre, sombre et menaçante, se glissa dans mon dos. Elle était déjà assez grande pour englober tout mon corps, mais malgré cela, je la vis croitre encore et encore, jusqu’à se répandre dans le couloir entier, occultant toute lumière et me plongeant dans une obscurité opaque et oppressante. Un frisson de peur me parcouru de la tête aux pieds, hérissant les poils de mes bras.

— Mais qu’est-ce que t’attends ? On va être en retard ! cria Clara dans mon dos.

Je sursautai violement, manquant de me trancher la paume de la main avec une arrête coupante. Mon cœur battant la chamade et, à moitié aveuglée par la lumière brusquement revenue, je pivotai et croisai le regard furibond ma sœur. Tentant d’apaiser sa colère, je retournai prestement devant le lavabo et m’emparai du mascara. Je le passai sur mes cils, et le liquide sombre goutta sur ma joue. Je pris vivement un coton pour absorber le désastre en pestant intérieurement contre ma maladresse. Le fluide se fraya un chemin entre les fibres du coton et larmoya le long de mon poignet, teintant la manche de ma robe d’un noir indélébile.

— Merde, fulminai-je, en manipulant le flacon pour trouver la fuite.

— T’as bientôt fini ? me demanda Clara, de plus en plus excitée.

— J’arrive dans cinq minutes, grognais-je.

— Okay, je t’attends dans la voiture alors piailla ma sœur en dévalant les escaliers.

Mon regard se porta à nouveau sur le miroir. La tête de l’inconnue réapparu, plus réelle que jamais. Elle m’observait, ou plutôt, elle m’examinait, m’étudiait, comme si elle cherchait à se souvenir du moindre trait de mon visage. Puis, sans un mot, elle se métamorphosa. Elle prit mon apparence, ma coiffure, mes vêtements, avant de réarranger une boucle de cheveux, le plus naturellement du monde. Je reculai, mais avant que je ne réussisse à fuir, un bras décharné sorti du miroir. Une main difforme, aux veines apparentes et aux ongles crochus enserra mon cou, écrasant mes cordes vocales et tuant dans l’œuf ma piètre tentative de hurlement. Je me senti aspirée, comme dans un tourbillon, et me retrouvai propulsée au milieu de nulle part. Luttant contre la nausée, je pivotai sur mes talons, cherchant un repère dans le vide qui m’entourait. Le miroir ! Il était là, juste devant moi. Je me jetai de toutes mes forces dessus, le frappant de mes poings, mais il était aussi solide que du diamant. De l’autre côté, l’inconnue finissait sa métamorphose en me jetant un sourire goguenard. Elle sortit de la pièce et éteignit la lumière, me plongeant dans un néant éternel.