Un gargouillis immonde résonna dans la petite pièce fermée. S'ensuivit une série de borborygmes entrecoupés de pets bruyants. Un plouf sonore termina ce concert répugnant et une petite voix fluette se fit entendre derrière la porte.

— Croqueeeette !

Une créature imposante dansait d'un pied sur l'autre devant les WC, ne sachant que faire pour aider son amie, la fée des dents, bloquée sur le trône. Le Croque-mitaine leva la tête à l'annonce de son nom.

— Oui Felicia ?

— Je… ois qu… ai… blème, annonça la petite voix.

— Que dites-vous petite fĂ©e ? Je vous entends mal ! rĂ©pondit le colosse n'osant pas s'approcher.

La porte s'ouvrit brusquement, propulsée par un coup de pied nerveux de la petite créature ailée. Une odeur nauséabonde se répandit hors de la pièce, faisant reculer encore un peu plus le Croque-mitaine.

— Je crois que j'ai un problème, répéta Felicia, blanche comme un linge.

— Ze… Z'avais cru remarquer… murmura le géant en se pinçant le nez de dégoût.

— J'ai besoin de ton aide Croquette ! Un petit garçon vient de perdre une dent de lait et il est bientĂ´t l'heure de sa sieste. Il faut absolument la rĂ©cupĂ©rer et lui donner une petite pièce Ă  la place. Mais… Je suis malade… je ne peux pas le faire dans cet Ă©tat.

— Vous pourriez peut-ĂŞtre reporter Ă  cette nuit plutĂ´t ? proposa timidement le Croque-mitaine.

— Hors de question, il faut y filer immĂ©diatement ! Il en va de mon honneur !

— Mais…

— Tu vas y aller Ă  ma place ! annonça la fĂ©e.

— Je… Moi ?

Le colosse écarquilla les yeux de désespoir. Non, il ne pouvait pas faire ça, ce n'était pas dans ses attributions. Son rôle était de faire peur aux enfants, pas de leur faire plaisir. Cela dit, il craignait encore plus les accès de colère de son amie. Il chercha une excuse valable pour esquiver cette mission, mais rien de lui vint à l'esprit et le regard de braise de la fée braqué sur lui l'empêchait de réfléchir. Cette dernière farfouilla dans ses poches et en sortit un bout de papier froissé.

— Voici l'adresse. Tu vas t'y rendre et entrer en catimini. Tu peux passer dans l'interstice entre le bas de la porte d'entrée et le sol… Ah ben non, tu ne passeras pas… Zut.

Une lueur d'espoir illumina les yeux du Croque-mitaine. Mais son espérance fut vite douchée.

— Tu n'auras qu'Ă  escalader le mur et passer par la fenĂŞtre. Ensuite, tu as juste Ă  rĂ©cupĂ©rer discrètement la dent sous l'oreiller et Ă  la remplacer par cette pièce. D'accord ?

— D'accord… acquiesça le colosse avec un manque d'entrain manifeste.

— Oh, et j'y pense. Il faudra probablement que tu y retournes demain. J'ai cru comprendre qu'il n’allait pas tarder à en perdre une deuxième.

— Dites, Felicia, je peux lui arracher toutes les dents d'un coup ? Ça vous Ă©viterait tous ces allers retours inutiles… hasarda Croquette.

— Non ! cria la crĂ©ature ailĂ©e d'un air horrifiĂ©.

— Et puis c'est loin… Je vais avoir faim sur le trajet. J'aurai le droit de croquer une main ou un pied ?

— Mais tu es fou ! Je t'interdis de toucher Ă  ce petit garçon.

— MĂŞme pas un orteil ? Juste histoire de caler mon petit ventre. S'il gargouille, je ne pourrais pas rester discret.

— Si le gosse se met Ă  hurler, tu crois que tu vas continuer Ă  passer inaperçu longtemps ? s'Ă©gosilla la petite fĂ©e.

Cette dernière se plia soudainement en deux de douleur en se tenant le ventre. Elle semblait souffrir le martyre. Son visage se teinta de rouge tandis qu'elle poussait pour libérer son transit intestinal bloqué. Soudain, un splash sonore suivi d'un soupir de soulagement se firent entendre.

— Ahhh, ça va mieux ! dĂ©clara Felicia, le sourire aux lèvres.

Le Croque-mitaine observa son amie, attendant la suite.

— Ne t'embête pas, je vais m'occuper de la dent du petit. Allez, je me dépêche, je suis déjà en retard.

La petite créature tira la chasse, puis voleta jusqu'au colosse et s'approcha de son oreille.

— Par contre, si tu pouvais aĂ©rer la pièce, l'odeur est immonde !

Felicia s'envola Ă  tire-d'aile dans le couloir, laissant son compagnon s'occuper de la sale besogne.