Un jeune homme malingre s’engagea dans une ruelle sombre et sordide, enclavée entre deux façades d’immeubles en briques rouges qui ne laissaient que rarement passer la lumière du jour. Quelques détritus virevoltaient dans la brise du soir. Ceux qui survivraient jusqu’au matin seraient ramassés par l’équipe de nettoyage de la ville. Les plus malchanceux finiraient leur vie englués dans une flaque d’urine, oubliés de tous.

L’oreille aux aguets, prêt à détaler à la moindre sirène de police, le jeune homme se fraya un passage à travers le groupe de personnes agglutinées autour d’un brasero, qui bloquaient totalement le passage.

Il se mit de profil et étira son bras squelettique dans le vain espoir de fendre la foule, mais il fut bousculé par un corps moite qui le repoussa contre le mur.

— Hey, fais gaffe p'ov tâche ! s'exclama une prostituĂ©e en se retournant vers lui.

— S'cuse, rĂ©pondit-il penaud en reculant de deux pas.

Coincé entre un mur en béton crasseux entièrement recouvert de tags au goût douteux, et la jeune femme qui venait de l'interpeller, il baissa les yeux, honteux. Ces derniers se posèrent malencontreusement sur une poitrine avantageuse comprimée dans un corset en cuir noir, et qui menaçait de s'échapper à chaque respiration de la donzelle. Le compagnon de celle-ci le remarqua et s'approcha à son tour, un joint au coin des lèvres. Saisissant le menton du pauvre hère dans sa grosse paluche, il le souleva avant de le plaquer contre le mur et de planter son regard haineux dans le sien.

— Qu'est-ce que t'as pas compris, crĂ©tin ? Fous la paix Ă  ma copine ! s’exclama-t-il en soufflant la fumĂ©e dans le visage du frĂŞle jeune homme.

— D'acco', d'acco' ! bredouilla ce dernier, incapable d'articuler correctement Ă  cause de sa mâchoire emprisonnĂ©e et de la fumĂ©e qui lui chatouillait la gorge.

Relâchant brutalement son étreinte, la brute s'éloigna en enlaçant sa poupée d'une manière réprouvée par la morale, non sans lancer un dernier regard de dégoût au jeune homme. Enfin libre de ses mouvements, ce dernier se hâta vers la porte du cybercafé. Il contourna prestement deux autres personnes arrivant en sens inverse avant d'atteindre son but. Il gardait la tête baissée, espérant passer inaperçu, ce qui n'était pas gagné avec la crête bleu électrique dressée sur la tête, qui lui servait de coiffure.

Une fois Ă  l'intĂ©rieur, au milieu du brouhaha ambiant, il se dĂ©tendit, reprenant confiance en lui dans ce lieu qu'il connaissait bien. Il paya pour une demi-heure et s'installa Ă  un poste. Bien cachĂ© au cĹ“ur du Darknet, la police n'avait pour le moment pas connaissance de l'existence du site web auquel le jeune homme se connecta. Il fit dĂ©filer les diffĂ©rentes propositions et en choisit une qui lui convenait. Un piratage classique, pas de gros risque en perspective, mal payĂ©, mais cela ne lui posait pas de problème. Ce soir, il voulait se faire plaisir et pour cela il lui fallait seulement 300 crĂ©dits pour s’acheter une dose de Neon. Il continua Ă  naviguer quand son Ĺ“il fut attirĂ© par un point rouge clignotant en haut de l’écran. Un nouveau message ? Il cliqua dessus.

L’opĂ©ration Sharkey miroita dans son esprit. En collaborant avec un certain BigAlpha, elle lui avait valu la coquette somme de 2 000 crĂ©dits, bien plus qu’il n’en avait jamais possĂ©dĂ© d’un coup. Obtenir ça de manière rĂ©currente ? Cela valait la peine de s’y intĂ©resser. Laissant tomber sa recherche initiale, il effaça toute trace de son passage dans le navigateur, quitta la session et sorti discrètement du cybercafĂ©. Sa vie minable allait prendre un tournant inattendu et il se dĂ©lectait d’avance de l’avenir radieux qui l’attendait.