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Contraintes aléatoires Contraintes à sélectionner soi-même Testeur d'auxiliaire Situations aléatoires (défi de Schrödinger) Textes sans commentaires Générateur de situation/synopsis
Scène d'un personnage secondaire
Louloutre
Spectacles
![]() ![]() Ce n’était pas que Narcisse n’aimait pas sa soeur. Il avait juste l’impression que leurs parents la couvaient trop. Leur mère, surtout. Ils ne la laissaient jamais seule et faisaient tout pour que personne ne l’approche. Pas même sa propre famille. En cela, Narcisse était un privilégié, il puisqu’il était parfois autorisé à jouer avec elle, mais toujours sous la surveillance d’au moins un de leur parent. Ils ne le délaissaient pas pour autant, mais il fallait tout de même admettre que la petite prenait beaucoup de place. Ça n’était pas juste : à l’école, tout le monde lui racontait comment c’était trop bien de jouer avec les plus jeunes de la fratrie. Jusqu’au collège, ça l’avait beaucoup frustré. Vers ses douze ans, maintenant que sa petite soeur avait sept ans, les parents semblait enfin la laisser respirer et s’amuser. Et franchement, il ne voyait pas pourquoi ils s’obstinaient à s’occuper d’elle à ce point. Elle était normale. Pendant des années, il avait élaboré des théories, mais aucune n’apportaient de réponse satisfaisante, ou quoique ce soit qui donnerait un sens à la réalité. La théorie la plus probable qu’il avait trouvé était que sa soeur était, pardonnez-le du terme, une bâtarde. Une enfant née d’un adultère avec une espèce monstrueuse, que l’enfant serait difforme et laide, qu’il lui pousserait vite des cornes, des griffes et des sabots. Mais non. C’était une jolie petite nymphe qui avait hérité des cheveux rouges de leur mère et des yeux verts des deux parents. Une nymphe tout ce qu’il y a de plus classique. Une sale nymphe tout ce qu’il y a de plus banal, qui ne mérite pas d’attirer à ce point l’attention et l’amour de leurs parents. Ils auraient pu adopter une plante, ça aurait été pareil pensait-il souvent. Il était vrai que sa soeur n’était pas très causante. C’était une enfant timide et très réservée. Mais son silence quasiment permanent le rendait fou. La petite était là , vivait là , mais elle aurait pu être un fantôme qu’il aurait à peine vu la différence. Et encore, il aurait été plus simple de se débarrasser d’un fantôme. Des fois, il lui semblait qu’elle cherchait à communiquer. Elle lui montrait des dessins. C’était plutôt bien fait, pour des gribouillis de gamine. Ça représentait au choix des plantes “trop belles”, des animaux “trop beaux”, ou des membres de la famille. Souvent Narcisse. Elle les montrait en souriant et en faisant “chut” comme les enfants savent si bien faire quand ils veulent dire un secret ; les lèvres avancées avec l’index dessus en chuchotant un petit chhhhhhhht. Mais ça l’énervait qu’elle ne parle jamais directement. Il voulait entendre des mots, avoir une vraie conversation. Pas regarder ses dessins.
Un jour, ou plutôt un soir, tard, quand il eut vingt ans, ses parents lui dirent enfin la vérité. Ou en tous cas, ils amorcèrent un début d’explications sans entrer dans les détails. Ta soeur est spéciale. Il faut la protéger, d’elle-même et des autres. C’était le seul argument qu’ils avaient avancé. Narcisse n’avait jamais été aussi en colère. Il voulait savoir ce qui la rendait si spéciale, pourquoi elle avait tant besoin d’être protégée, pourquoi elle ne pouvait pas sortir comme elle le voulait… Il voulait du concret.
Il ne voulait pas la mettre en danger. Il voulait juste savoir. Il se disait qu’en la plaçant dans une situation extrême, il saurait peutêtre. Elle était sensée montrer ses vraies couleurs. Il pensait que la situation serait sous contrôle, que tout irait bien. Enfin “bien”… il savait qu’elle serait secouée, mais… C’est sa sœur. Il ne voulait pas lui faire de mal. Il ne voulait pas que ça se passe comme ça. Elle n’avait que quinze ans… Il avait monté un plan avec des camarades qui suivaient les mêmes cours qu’elle, dans son école d’art -la seule activité que les parents avaient jugée suffisamment sûre pour leur fille chérie- et ils étaient juste sensé l’intimider. Pas faire ça. Ils l’avaient coincée dans une salle isolée, après les cours. C’était en hiver, il faisait déjà sombre. Ils avaient fermé la porte à clé, éteint la lumière et commencé leur affaire. Ils avaient posé leurs mains sur son corps qui n’avait pas encore achevé sa puberté, ils l’avaient plaquée et maintenue au sol alors qu’elle se débattait et essayer d’hurler pour appeler à l’aide. Un professeur avait entendu le raffut et avait forcé la porte. Les élèves réalisèrent qu’ils étaient allés trop loin dans leur intimidation et déguerpirent la queue entre les jambes, laissant leur victime seule. Le professeur n’était pas l’homme chaleureux et encourageant qu’il prétendait être. Il ne méritait pas le respect que tous lui avait témoigné. Ce n’était pas les travaux de ses élèves qu’il aimait observer.
Quelques jours plus tard, la police découvrait chez lui, dans des carnets à dessins soigneusement rangés, des milliers de croquis et d’esquisses où on voyait des élèves dans des positions et des tenues qui ne laissaient pas de place à l’imagination. La victime qui avait porté plainte était visiblement une privilégiée : pour elle, il avait fait l’effort de réaliser quelques portraits à l’aquarelle. Ce preuves suffirent amplement au juge et il fut envoyé en prison. Malgré le système politique en place, il fallait reconnaître que la justice était particulièrement à cheval sur ce genre d’affaires… tant que les accusés n’avait pas d’alliés puissant prêts à les défendre. Il avait de l’ADN de dragon, quelques fragments de génétiques qui s’étaient égarés. Sa réputation d’artiste, bien que bonne, n’était pas non plus transcendante. Il n’avait rien qui avait su lui attirer la sympathie d’un clan qui aurait pu le sauver.
Ce n’était pas que Narcisse n’aimait pas Rose. C’était juste qu’elle l’énervait. Il lui en voulait de s’être sacrifiée pour protéger son secret au lieu de s’être défendue. À cause de son obstination à cacher sa particularité, il devait maintenant vivre avec sa culpabilité. Il ne supportait pas de se sentir aussi sale et misérable à chaque fois qu’il la voyait afficher son air calme, presque détachée de la réalité. Il avait ruiné ses plans de carrière artistique, et la voir maintenant travailler avec lui à la boutique familiale le mettait en colère, contre ses camarades stupides et contre cette idiote de parasite. Leurs parents avait dit qu’au moins ici, elle pourrait se sentir utile et exercer ses talents. C’est vrai qu’elle travaillait bien et faisait de beaux bouquets -les clients s’arracheraient presque ses compositions- mais Narcisse ne voyait pas ce qu’elle faisait qu’il ne saurait pas faire.
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